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cela alors même que ces contrats auraient été passés avec un Français. Le tout pourvu que l'étranger n'ait commis aucune fraude tendant à faire croire qu'il était capable de contracter, car fraus omnia corrumpit (arg. art. 1310). En ce sens, Paris, 8 février 1883, Sir., 83. 2. 169.

82. Il va sans dire que l'étranger résidant en France ne pourrait pas y réclamer l'application de celles de ses lois personnelles qui seraient contraires à une loi française de police et de sûreté, car les lois de cette nature obligent tous ceux qui habitent le territoire (art. 3 al. 1). Ce serait donc en vain qu'un disciple de Mahomet invoquerait sa loi personnelle pour épouser plusieurs femmes en France. De même un étranger ne pourrait pas épouser en France une femme qui lui serait parente au degré où le mariage est prohibé par la loi française, alors même que sa loi nationale ne contiendrait pas une semblable prohibition.

IV. Lois relatives à la forme des actes.

83. Locus regit actum, dit un vieil adage. Il signifie qu'au point de vue de la forme les actes juridiques sont régis par la loi du pays où on les fait, de sorte qu'ils seront toujours valables quand ils auront été passés dans la forme prescrite par cette loi (1). L'intérêt commun des nations a fait admettre cette règle, sans laquelle il pourrait devenir impossible à des hommes qui se trouvent hors de leur patrie d'accomplir valablement certains actes de la vie civile. Qu'on suppose par exemple un Français qui, se trouvant en pays étranger, veut y faire une donation. Si l'on exige à peine de nullité que la donation soit faite dans les formes prescrites par la loi française, c'està-dire par acte notarié (art. 931), peut-être la donation deviendrat-elle impossible. C'est ce qui arrivera par exemple s'il n'y a pas de notaires dans le pays, ou même s'il en existe, mais que d'après la loi nationale ils n'aient pas qualité pour recevoir des donations et en dresser acte, auquel cas ils ne manqueront probablement pas de refuser leur ministère.

En supposant même qu'il soit possible au Français qui se trouve en pays étranger de se conformer aux prescriptions de la loi française pour l'acte qu'il veut accomplir, on l'exposerait à de fréquents mécomptes, si on ne l'autorisait pas à procéder dans la forme prescrite par la loi étrangère. En effet la plupart des hommes n'ont pas fait des

(1) Ce principe a été dégagé au 14e siècle par Bartole, qui invoquait à son appui deux lois romaines (L. 6, D., XXI, 2 ; L. 2, C., VI, 32). Dumoulin, un Bartoliste égaré dans l'école élégante, le fit triompher. Au 18e siècle il n'est plus contesté et Boullenois en donne cette formule amusante et vraie : « L'acte juridique est un enfant citoyen du lieu où il est né, et qui doit être vêtu à la manière de son pays ».

lois une étude spéciale. Comment s'y prendra le Français qui n'est pas jurisconsulte lorsqu'il voudra accomplir un acte en pays étranger? Naturellement il ira trouver un praticien. Mais ce praticien, qui ne connaît que la loi de son pays, ne manquera pas d'indiquer les formes prescrites par cette loi, de sorte que le Français les suivra fatalement. Serait-il juste ensuite d'annuler l'acte parce qu'il n'a pas été fait conformément aux prescriptions de la loi française? La règle Locus regit actum a donc son fondement dans les nécessités de la pratique, aussi motre législateur a-t-il pu se borner à la sous-entendre. Trois articles au moins du code civil en supposent l'existence, les art. 47, 170, 999. Aucun ne la formule en termes exprès.

84. La règle Locus regit actum s'applique: 1° aux actes juridiques (negotia); 20 aux actes instrumentaires (instrumenta).

1o Aux actes juridiques, c'est-à-dire aux conventions, dispositions, déclarations et

aveux.

D'après l'opinion générale, la règle Locus regit actum s'applique aux actes solennels comme à ceux qui ne le sont pas. Eadem est ratio. M. Laurent est d'un avis contraire (t. I, p. 154). Il prétend que la règle ne doit pas être appliquée aux actes solennels, parce que, dit-il, la forme est pour ces actes une condition de leur existence. Oui, sans doute, quand ils sont faits en France, mais non quand ils sont faits en pays étranger; autrement on pourrait rendre l'accomplissement de ces actes impossible à l'étranger, ainsi qu'on l'a vu tout à l'heure par un exemple emprunté avec intention à un contrat solennel, la donation. La solennité de la donation ne consiste pas, comme parait le supposer ici M. Laurent, en ce qu'elle doit, à peine de nullité, être passée par acte authentique, mais bien par acte NOTARIÉ. Or s'il est difficile d'imaginer un pays civilisé, où on ne puisse pas faire dresser d'actes authentiques, il y a des pays dans lesquels il n'existe pas de notaires et dans lesquels il serait par suite impossible à un Français de faire valablement une donation. La théorie de M. Laurent conduirait également à dire qu'un Français ne peut pas valablement se marier en pays étranger dans une forme autre que celle prescrite par la loi française; car le mariage est lui aussi un contrat solennel; or cette proposition serait contraire à un texte formel, l'art. 47.

D'après ces principes, on doit décider qu'un Français pourrait valablement faire son contrat de mariage par acte sous seing privé, dans un pays où l'emploi de cette forme est autorisé, bien que d'après la loi française un acte notarié soit nécessaire (art. 1394). La jurisprudence est en ce sens.

Quant aux testaments il existe une disposition spéciale (art. 999).

2o La règle Locus regit actum s'applique aux actes instrumentaires, c'est-à-dire aux écrits (instrumenta) qui sont faits pour constater les actes juridiques. Ces actes instrumentaires seront toujours valables quand ils auront été dressés conformément aux prescriptions de la loi du pays où ils ont été faits, alors même qu'ils ne satisferaient pas aux prescriptions de la loi française. Ainsi un acte sous seing privé, fait par un Français en pays étranger pour constater un contrat synallagmatique, c'est-à-dire un contrat engendrant des obligations réciproques (art. 1102) serait valable, quoique ne satisfaisant pas aux exigences de l'art. 1325 en ce qui concerne la formalité du double écrit, si cette formalité n'est pas exigée par la loi du pays où l'acte est rédigé.

85. Disons en terminant que la règle Locus regit actum ne protège que les actes faits de bonne foi; elle ne protégerait donc pas les actes

faits en fraude de la loi française par des Français qui ne seraient allés accomplir ces actes en pays étranger que dans le but d'échapper aux prescriptions de leur loi nationale. La fraude fait cesser l'application de tous les principes, fraus omnia corrumpit.

CHAPITRE III

DE L'APPLICATION DES LOIS

86. Les lois sont destinées à assurer le règne de la paix entre les hommes. Pour que ce résultat puisse être obtenu, il faut que les lois soient exécutées de gré ou de force. Qui sera chargé d'assurer cette exécution? Ce soin appartient à une autorité supérieure que l'on appelle la justice. On la représente depuis des siècles tenant une balance dans une main, parce qu'elle doit peser avec la plus rigoureuse exactitude le droit de ceux qui abordent son sanctuaire, et un glaive dans l'autre, parce que la force doit assurer au besoin l'obéissance à ses décisions. Avec la balance sans le glaive, la justice ne serait que la personnification de l'impuissance; avec le glaive sans la balance, elle serait la personnification de la force brutale. Sans la justice il ne servirait à rien d'avoir des lois, puisqu'elles pourraient être impunément violées, ou du moins chaque particulier essaierait de se faire justice soi-même, et la paix publique serait incessamment troublée.

La justice nous apparait donc comme une institution absolument nécessaire; et, pour qu'elle remplisse le but auquel elle est destinée, il faut que, mise en mouvement par qui de droit, elle ne puisse refuser son concours. Aussi l'art. 4 décide-t-il que : « Le juge qui refusera » de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de » la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ». DÉNI DE JUSTICE vient de denegare justitiam. La peine du déni de justice est prononcée par l'art. 185 C. pén. Les art. 506 et s. C. pr. indiquent la procédure à suivre pour constater le déni de justice et mettre le juge en demeure de juger. Cette procédure porte le nom de prise à partie. 87. Le juge étant régulièrement saisi d'un litige, trois hypothèses peuvent se présenter.

88. Première hypothèse. Il existe une disposition législative claire et précise applicable au cas qui est soumis au juge.-Le juge doit appliquer cette disposition alors même qu'elle lui paraîtrait injuste. Dura lex, sed lex. Sa conscience peut être en repos; car si la décision qu'il a rendue conformément à la loi est inique, le blâme en remonte au législateur. Le juge est institué pour juger selon la loi et non pour

juger la loi. Stulta sapientia quæ vult lege sapientior esse, disait d'Argentré dans sa franchise toute bretonne. La faculté, qui appartiendrait au juge, de ne pas appliquer la loi quand il la trouve injuste, serait la source des plus graves abus. A vrai dire il n'y aurait plus de loi, elle serait remplacée par la conscience du juge. Les particuliers ne sauraient plus sur quoi ils peuvent compter; car chacun a sa manière d'entendre l'équité, et l'expérience a démontré qu'elle inspire souvent dans la pratique les décisions les plus contradictoires.

89. Deuxième hypothèse. La loi est muette; le juge ne trouve aucun texte applicable au cas qui lui est soumis. Mėme alors il n'a pas le droit de s'abstenir de juger; l'art. 4 le lui défend. Mais sur quelle base asseoira-t-il son jugement? Il devra d'abord chercher dans la loi des analogies: l'analogie est la boussole du juge. Si les analogies. font défaut, alors le juge devra statuer d'après l'équité.

Ce dernier point est cependant contesté. Quelques auteurs prétendent que, lorsque la loi est absolument muette, le juge doit purement et simplement débouter le demandeur de sa demande, c'est-à-dire déclarer sa prétention mal fondée, parce qu'elle ne peut s'appuyer sur aucun texte de loi; il ne pourrait donc jamais, en pareil cas, donner raison au demandeur, c'est-à-dire faire droit à sa demande.

Mais cette solution est rejetée par la jurisprudence et par la grande majorité des auteurs. Elle paraît en opposition tout d'abord avec le texte de l'art. 4, qui impose dans tous les cas au juge l'obligation de « juger ». Or juger, c'est comparer, et, si le juge doit, même dans cette hypothèse, comparer l'une à l'autre les deux prétentions opposées qui s'étalent devant lui, c'est apparemment parce qu'il peut, suivant les circonstances, déclarer l'une ou l'autre bien fondée. Les travaux préparatoires prouvent d'ailleurs que telle a été l'intention du législateur. « Quand la loi est obscure, dit Portalis dans son discours préliminaire, il faut en approfondir les dispositions; si l'on manque de loi, il faut consulter l'usage ou l'équité ».

Toutefois la règle que le juge à défaut de loi est un ministre d'équité n'est pas applicable en matière pénale. C'est un principe fondamental de notre droit criminel que nulla pœna sine lege. Le silence de la loi en matière pénale doit donc nécessairement conduire à l'absolution de l'accusé (C. I. cr., art. 364), quelque répréhensible d'ailleurs que puisse être, au point de vue moral, l'acte dont il s'est rendu coupable. * 90. Il y a un inconvénient à permettre au juge de statuer d'après l'équité quand la loi est muette, c'est qu'on le transforme en législateur à défaut de loi il en fera une pour le cas particulier qui lui est soumis. Mais il y aurait eu des inconvénients beaucoup plus graves à obliger ici le juge à en référer au pouvoir législatif, c'est-à-dire à solliciter de ce pouvoir une loi qui devienne la règle de sa décision future; et, comme le dit Portalis, entre deux maux, le législateur a dû choisir le moindre. Le référé au pouvoir législatif aurait eu tout d'abord pour résultat de transformer le législateur en juge ce qui est plus grave que de transformer le juge en législateur; car l'indépendance du législateur est plus grande que celle du juge, et son arbitraire par suite plus à redouter. Le juge en effet a quelqu'un au-dessus de lui: il existe diverses voies de recours contre ses décisions (appel, pourvoi en cassation...); tandis qu'il n'y a personne au-dessus du législateur, du moins quand il ne franchit pas les limites que la constitution lui assigne. D'autre part, le référé au pouvoir législatif aurait souvent abouti à un véritable déni de justice, car il peut arriver que le législateur néglige de statuer sur le référé, et qui l'y obligera? En

tout cas le référé aurait suspendu pour un temps souvent fort long le cours de la justice, au grand préjudice des justiciables. Mieux valait donc encore laisser au juge une entière liberté d'action.

91. Troisième hypothèse. Il existe une disposition législative applicable au cas sur lequel le juge est appelé à statuer, mais elle est obscure. Alors le juge doit interpréter la loi, c'est-à-dire en fixer le sens pour le cas particulier qui lui est soumis (infra n. 97 et s.). Cette interprétation et la décision judiciaire dont elle est la source sont obligatoires, mais seulement pour les parties en cause et relativement à ce qui fait l'objet du litige (art. 1351).

L'ensemble des décisions judiciaires, rendues par les tribunaux sur un même point de droit, constitue un courant qui a généralement une tendance à se diriger dans un certain sens et que l'on désigne sous le nom de jurisprudence. Quand la direction de ce courant n'est pas nettement accusée, on dit que la jurisprudence est incertaine, hésitante, flottante. Au contraire, quand le courant est bien établi, quand il va toujours dans le même sens (series rerum perpetuo similiter judicatarum), on dit que la jurisprudence est fixée dans le sens de ce courant. Ainsi on dira: Sur telle question de droit, la jurisprudence (des tribunaux en général, ou des cours d'appel, ou de la cour de cassation...) est fixée dans tel sens. Les monuments de la jurisprudence tiennent une place fort importante dans la science du droit, surtout quand on l'envisage au point de vue de l'application pratique. La jurisprudence de la cour de cassation occupe le premier rang.

Le mot jurisprudence se prend aussi pour désigner les décisions mêmes rendues par les tribunaux. On dit en ce sens un recueil de jurisprudence, une collection de jurisprudence.

92. Différences entre le rôle du législateur et celui du juge. -1° Le législateur est l'organe de l'intérêt social, par conséquent d'intérêts généraux, et il statue en vue de ces intérêts; le juge est l'organe d'intérêts particuliers, il est chargé de trancher un conflit qui s'élève au sujet de ces intérêts. Aussi la loi oblige-t-elle tous les citoyens, tandis que la décision du juge n'oblige que les parties en cause. 2o Le législateur a l'initiative des lois, tandis que le juge n'a pas l'initiative de ses jugements; il ne peut trancher que les contestations qu'on lui soumet. 3° Enfin le premier peut modifier les lois qu'il a faites, tandis que le second ne peut pas modifier sa sentence; elle ne lui appartient plus une fois qu'il l'a rendue.

93. Les fonctions du législateur et celles du juge étant si différentes, il convenait de les confier à des pouvoirs distincts. « Il n'y a pas de liberté, si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative », dit Montesquieu. Toutes les constitutions, qui se sont succédé en France depuis 1789, ont consacré ce principe.

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