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La séparation des pouvoirs législatif et judiciaire étant une des bases fondamentales de notre droit public actuel, il fallait veiller à ce que la confusion ne pût pas s'établir entre ces deux pouvoirs, et principalement à ce que le juge n'empiétât pas sur le domaine du législateur. C'est dans ce but qu'a été édicté l'art. 5 ainsi conçu : « Il » est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises "».

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Dans notre ancien droit, les parlements avaient anticipé sur les pouvoirs du législateur. Ils rendaient quelquefois, au sujet des causes qui leur étaient soumises, des décisions générales et réglementaires connues sous le nom d'arrêts de règlement, c'est-à-dire qu'après avoir jugé dans un certain sens une cause qui leur était soumise, ils déclaraient qu'à l'avenir ils jugeraient toujours dans le même sens les causes semblables, et ordonnaient aux tribunaux situés dans leur ressort de les juger de cette façon. C'était faire la loi; aussi les arrêts de règlement étaient-ils publiés comme des lois. Toutefois ils étaient rendus sous le bon plaisir du roi qui pouvait les casser. L'art. 5 défend aujourd'hui au juge de rendre des arrêts de règlement. L'autorité judiciaire ne doit régler que le passé; elle ne doit pas disposer pour l'avenir, à la différence du législateur qui règle l'avenir sans toucher au passé (art. 2). Il y avait une autre raison pour interdire au juge les arrêts de règlement, c'est qu'ils forment nécessairement un droit local applicable seulement dans les limites de la juridiction du juge; ils ne pouvaient donc se concilier avec le principe de l'unité de législation.

* Par application du principe contenu en l'art. 5, la cour de Paris a jugé qu'en cas de contrefaçon d'une invention brevetée, un tribunal peut allouer des dommages et intérêts pour chaque contravention constatée; mais il ne peut pas, statuant en vue de l'avenir, condamner par avance à des dommages et intérêts, dont il fixe le montant, pour chaque contravention semblable qui serait commise plus tard.

94. Il ne suffisait pas d'établir en France l'unité législative; il fallait aussi, autant que possible, assurer une certaine uniformité dans l'application de la loi et par suite dans son interprétation par les tribunaux chargés de l'appliquer. La cour de cassation a été créée dans ce but. On l'appelle quelquefois cour régulatrice, parce qu'elle a pour mission de régulariser l'interprétation judiciaire en ramenant les tribunaux à une jurisprudence toujours uniforme. Sans la cour de cassation, on aurait probablement vu s'établir une grande diversité dans la jurisprudence des cours d'appel, juges suprêmes dans leur ressort. On aurait même pu craindre que quelques-unes ne se missent au-dessus de la loi.

La cour de cassation a été instituée par une loi des 27 novembre-1er décembre 1790. L'acte en vertu duquel on la saisit porte le nom de pourvoi en cassation. Sont susceptibles de cette voie extraordinaire de recours toutes les décisions rendues en dernier ressort par une juridiction française, les jugements aussi bien que les arrêts. Ce principe comporte cependant quelques exceptions.

Le pourvoi en cassation ne peut être fondé que sur une contravention à la loi, contenue dans le jugement ou l'arrêt attaqué. Cette contravention peut consister, soit dans l'inobservation des formes prescrites pour l'administration de la justice (pourvoi pour vice de forme), soit dans la violation directe ou indirecte de la loi, qui

a été faussement appliquée ou faussement interprétée. Le pourvoi ne peut jamais être fondé sur une erreur de fait; les tribunaux qui jugent en dernier ressort apprécient souverainement les faits qui leur sont soumis.

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L'issue du pourvoi peut être double. Si la cour de cassation estime qu'il est mal fondé, elle le rejette; il est alors censé non avenu, et la décision attaquée conserve toute sa force.. Si la cour juge le pourvoi fondé, elle casse le jugement ou l'arrêt attaqué (d'où le nom de cour de cassation) et elle renvoie l'affaire à un autre tribunal; car la cour de cassation ne juge pas les affaires, elle ne juge que les jugements. Ce tribunal doit être de même ordre et de même degré que celui qui a rendu la décision mise à néant; par exemple, si c'est un arrêt de cour d'appel qui est cassé, l'affaire sera renvoyée devant une autre cour; si c'est un jugement d'un tribunal de paix, devant un autre tribunal de paix.

Le nouveau tribunal auquel l'affaire est renvoyée conserve toute son indépendance; il peut donc, soit juger dans un sens conforme à l'opinion de la cour de cassation, auquel cas le débat est définitivement clos, soit rendre une décision semblable à celle qui a été cassée. Dans ce dernier cas un nouveau pourvoi en cassation sera possible.

Sur ce deuxième pourvoi, en le supposant fondé sur les mêmes moyens que le premier et formé par les mêmes parties agissant en la même qualité, la cour de cassation doit statuer toutes chambres réunies (chambre des requêtes, chambre civile et chambre criminelle). La loi le veut ainsi, parce que la résistance du tribunal auquel l'affaire a été renvoyée, sa persistance dans la voie ouverte par le premier juge, annonce un conflit grave. L'arrêt que rend alors la cour de cassation est appelé solennel; les arrêts solennels sont ceux qui ont le plus d'autorité en jurisprudence. Si cet arrêt rejette le pourvoi, tout est fini. S'il casse la décision attaquée par les mêmes motifs que la première, alors l'affaire est renvoyée devant un troisième tribunal de même ordre et de même degré.

Quel sera le rôle de ce troisième tribunal? La législation a varié sur ce point. D'après la loi du 1er avril 1837, qui est aujourd'hui en vigueur, ce troisième tribunal doit se conformer à la décision de la cour de cassation sur le point de droit jugé par cette cour, mais pour cette affaire seulement; il reprend sa liberté complète pour l'avenir.

C'est donc en définitive l'avis de la cour suprême qui prévaut. Il n'en a pas toujours été ainsi. D'après la loi du 30 juillet 1828, qui a vécu jusqu'à celle de 1837, le dernier tribunal n'était pas obligé de se conformer à l'avis de la cour de cassation, et sa décision ne pouvait plus être l'objet d'un pourvoi fondé sur les mêmes moyens; de sorte qu'en fin de compte ce n'était pas nécessairement l'avis de la cour de cassation qui prévalait. Ce résultat était peu en harmonie avec le rôle de cour suprême attribué à la cour de cassation.

95. Des cas dans lesquels il est permis aux particuliers de déroger à la loi. Aux termes de l'art. 6: « On ne peut déroger, » par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs ».

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Toutes les lois sont faites dans un intérêt social, et, comme l'intérêt social n'est que la somme des intérêts privés, il en résulte que les lois sont faites aussi dans l'intérêt des particuliers. Mais parmi les lois il en est qui intéressent plus directement les particuliers que la société; d'autres au contraire intéressent plus directement la société. L'art. 6 permet implicitement aux particuliers de déroger aux premières par

leurs conventions; il leur interdit de déroger aux secondes, qu'il comprend sous le nom de lois relatives à l'ordre public et aux bonnes mœurs et qui sont désignées sous le nom de jus publicum dans l'adage suivant, dont l'art. 6 n'est guère que la traduction : Jus publicum privatorum pactis nec lædi nec mutari potest. On annule les conventions contraires au droit public, dit Portalis, et on entend par droit public celui qui intéresse plus directement la société que les individus.

Ainsi les lois relatives aux contrats sont faites dans l'intérêt des individus plutôt que dans celui de la société. Il sera donc permis aux parties, sauf de rares exceptions, d'y déroger. En formulant les règles qui gouvernent les divers contrats, le législateur a voulu surtout épargner aux particuliers qui font ces contrats la peine de les formuler eux-mêmes; ces règles ne sont donc en définitive que l'expression de leur volonté présumée; le législateur n'a eu la prétention de les imposer à personne. Au contraire, les lois pénales sont faites dans l'intérêt de la société bien plus que des individus; il ne sera donc pas permis d'y déroger par convention. Même solution pour les lois relatives à l'état et à la capacité des personnes, à l'autorité paternelle, à la puissance maritale.

96. Les conventions, faites en violation de l'art. 6, sont frappées de nullité. On objecterait en vain que la nullité n'est pas écrite dans la loi et que l'interprète n'a pas le droit de la suppléer. Sans doute, au législateur seul il appartient d'établir une nullité; mais il n'est pas obligé de formuler en termes exprès sa volonté à cet égard; il peut la manifester tacitement. Or c'est ce qu'il a fait ici en employant la formule prohibitive On ne peut. Ces mots désignent un acte juridiquement impossible, et qui par suite ne sera pas valable s'il est accompli malgré la prohibition de la loi. Dumoulin exprime cette pensée dans la formule suivante: Particula negativa præposita verbo POTEST tollit potentiam juris et facti, designans actum impossibilem.

APPENDICE

DE L'INTERPRÉTATION DES LOIS CIVILES

97. Interpréter la loi, c'est en fixer le sens et la portée. La nécessité d'interpréter les lois ne dérive pas seulement de leur imperfection, mais de leur nature mème. Supposât-on des lois parfaites, elles auraient encore besoin d'interprétation; car le législateur ne peut pas prévoir tous les cas; il ne peut que statuer par voie de disposition générale, et il faudra toujours interpréter les lois, pour appliquer les principes généraux qu'elles formulent aux cas particuliers susceptibles de se présenter dans la pratique.

PRÉCIS DE DROIT CIVIL. 3o éd., I.

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1. Des diverses espèces d'interpretation.

98. On distingue deux espèces d'interprétation : l'interprétation par voie de doctrine ou interprétation privée, et l'interprétation par voie d'autorité ou interprétation publique.

A. L'interprétation privée ou doctrinale est celle qui émane des particuliers (jurisconsultes, avocats, gens du monde). Elle n'a qu'une autorité de raison.

B. L'interprétation publique ou par voie d'autorité se distingue par son caractère obligatoire. Elle est judiciaire ou législative.

a. L'interprétation judiciaire est celle qui émane des tribunaux. On a vu plus haut qu'elle est obligatoire pour les parties en cause et relativement à ce qui fait l'objet du litige.

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b. L'interprétation législative est obligatoire pour tous les citoyens. En théorie elle ne peut émaner que du pouvoir législatif, conformément à l'adage Ejus est interpretari legem cujus est condere. Ce principe fut appliqué depuis 1789 jusqu'en l'an VIII. Mais un règlement du 5 nivôse de l'an VIII et une loi du 16 septembre 1807 donnèrent au conseil d'Etat et au chef du gouvernement le droit d'interpréter officiellement la loi. Le conseil d'Etat a, en conformité de ces dispositions, émis un assez grand nombre d'avis, qui, après avoir été approuvés par le chef du gouvernement, sont devenus obligatoires comme la loi elle-mème et font corps avec elle. Retiré en partie au conseil d'Etat par la charte de 1814, le droit d'interprétation législative a définitivement cessé de lui appartenir en vertu de la loi du 30 juillet 1828. Aujourd'hui le pouvoir législatif a donc seul le droit d'interpréter la par voie d'autorité.

loi

II. Des règles à suivre pour l'interprétation des lois en général
et particulièrement du code civil.

99. Toute interprétation de la loi, qu'elle soit privée ou publique, est soumise à certaines règles dont l'ensemble constitue l'art d'interpréter les lois ou logique judiciaire.

Le livre préliminaire, qui devait primitivement figurer en tête du code civil, contenait un titre (le titre V) où se trouvaient réunies plusieurs règles excellentes relatives à l'interprétation des lois. On sait que ce livre a disparu lors de la rédaction définitive. Les dispositions qu'il contenait, et entre autres celles relatives à l'interprétation des lois, ont sans doute été considérées comme appartenant à la doctrine plutôt qu'à la loi. La doctrine peut donc s'en emparer.

La plupart des règles, qui doivent être suivies pour l'interprétation des lois, ont été formulées en axiomes ou proverbes juridiques auxquels on donne le nom de brocards ou adages.

100. L'interprète a une double mission à remplir; il doit d'une part déterminer le véritable sens de la loi; d'autre part appliquer les principes, établis par la loi, aux cas qu'elle n'a pas prévus et résoudre ainsi les difficultés auxquelles son silence peut donner lieu.

101. A. Déterminer le véritable sens de la loi. Voici les principales règles à suivre pour parvenir à cette détermination.

L'interprète doit avant tout s'en tenir au texte de la loi lorsqu'elle s'exprime clairement. « Quand une loi est claire, disait l'art. 5 du titre V du livre préliminaire, il ne faut point en éluder la lettre sous prétexte d'en pénétrer l'esprit ». On oublie trop souvent cette sage maxime. L'œuvre de l'interprète est de reconstituer la pensée du législateur, et le meilleur moyen n'est-il pas de s'en tenir à l'idée que le texte exprime clairement? De nombreux auteurs ont une propension marquée à s'écarter du texte de la loi quand ils la trouvent défectueuse. C'est oublier qu'il n'appartient qu'au législateur de corriger son œuvre; le seul droit de l'interprète est d'en signaler les imperfections et de solliciter ainsi l'intervention du pouvoir législatif en vue d'une réforme.

Il y a cependant un cas dans lequel l'interprète a le droit et le devoir de s'écarter du sens littéral de la loi, c'est lorsqu'il est démontré que le législateur a dit autre chose que ce qu'il voulait dire ce qui d'ailleurs n'arrive que dans des cas fort rares et ne se présume jamais. L'interprétation, qui en pareil cas s'en tiendrait au sens littéral de la loi, sacrifiant ainsi son esprit certain à sa lettre, serait une interprétation judaïque.

101 bis. Quand le sens de la loi est douteux, l'interprète doit employer pour le déterminer les moyens suivants :

1° Eclairer le texte dont il s'agit de déterminer le sens, en le comparant avec les autres dispositions législatives conçues dans le même ordre d'idées. Les différentes dispositions de la loi, relatives à une même matière, ou à des matières différentes mais reliées entre elles par le lien de l'analogie, forment comme un faisceau dont toutes les parties sont solidaires. L'interprète doit les rapprocher les unes des autres et tâcher de les mettre en harmonie. Incivile est, nisi tota lege perspecta.... judicare vel respondere ( L. 24, D., De legibus, I, 1).

2o Remonter aux sources auxquelles le législateur a puisé la disposi tion qu'il s'agit d'interpréter. Quand le législateur reproduit une règle formulée par une loi antérieure, il est probable qu'il entend lui conserver le sens qu'elle avait. Posteriores leges ad priores pertinent nisi contrariæ sint (L. 28, D., De legibus, I, 1).

3° Consulter les travaux préparatoires de la loi, c'est-à-dire, pour le code civil, les discussions du conseil d'Etat, les observations du

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