Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

10 S'il s'agit d'une affaire commerciale. « Nul, en tant que commerçant, n'est étranger en France », dit un vieil adage. En ce qui concerne leurs intérêts commerciaux, les commerçants sont considérés comme citoyens de toutes les cités. L'intérêt du commerce exige qu'ils puissent trouver des juges dans tous les pays. Aussi l'art. 631 C. co. détermine-t-il la compétence des tribunaux de commerce en se préoccupant exclusivement de la nature de l'acte ou de la profession des plaideurs, sans distinguer en aucune façon s'ils sont Français ou étrangers, et la cour de cassation, dont on ne peut sur ce point qu'approuver la jurisprudence, décide que ce n'est pas une simple faculté, mais une obligation, pour les tribunaux de commerce français régulièrement saisis, de connaitre des affaires commerciales dans lesquelles des étrangers sont intéressés. Cpr. Chambéry, 11 février 1880, Sir., 81. 2. 237.

2o Quand la contestation est relative à des immeubles situés en France. En effet, la contestation devant être jugée d'après la loi française, qui régit tous les immeubles situés en France (art. 3 al. 2), les tribunaux français sont naturellement appelés à connaître de cette contestation. Le tribunal compétent sera celui de la situation de l'immeuble litigieux (C. pr., art. 59 al. 3).

3o Lorsque la demande a son fondement dans un délit ou un quasi-délit commis en France.

4o Lorsque, dans toute autre hypothèse, le défendeur étranger, traduit devant un tribunal français, néglige d'opposer l'exception d'incompétence, et accepte ainsi tacitement la compétence de ce tribunal. Il y a alors consentement réciproque des parties à être jugées par le tribunal devant lequel elles sont en instance (Alger, 24 juillet 1882, Sir., 84. 2. 27). Mais, comme les tribunaux français ne sont pas institués pour rendre la justice aux étrangers, on admet généralement que le tribunal aurait la faculté de se déclarer incompétent. Ce ne serait pas une obligation pour lui, l'incompétence résultant de l'extranéité n'étant pas une incompétence absolue et d'ordre public (Cass., 5 mars 1879, Sir., 79. 1. 208, et Paris, 7 mai 1875, s. cass. Sir., 81. 1. 397).

Tel est le système généralement admis sur la question de savoir si les tribunaux français sont compétents pour juger les contestations entre étrangers. Sur plusieurs points il nous paraît peu satisfaisant, et voici celui que nous proposons. Nous partons de ce principe que l'extranéité des plaideurs n'est pas une cause d'incompétence des tribunaux français; aucun texte en effet ne subordonne leur compétence à la condition que les plaideurs ou l'un d'eux soient Français. De là nous concluons que les tribunaux français sont compétents pour juger une contestation entre étrangers dans tous les cas où ils le seraient pour juger la même contestation entre Français, et qu'ils ne pourront se déclarer incompétents que dans les cas où ils le pourraient si les plaideurs étaient Français. — On dit que les tribunaux français sont institués pour rendre la justice aux nationaux et non aux étrangers. N'est-il pas plus vrai de dire, comme l'observe M. Laurent, que la mission des tribunaux français consiste à maintenir le bon ordre au sein de la société, en rendant justice aux particuliers pour éviter qu'ils ne soient forcés de se rendre justice eux-mêmes, et qu'à ce point de vue il importe fort peu que les plaideurs soient Français ou étrangers; que d'ailleurs le droit d'obtenir justice est un droit naturel, dont les étrangers doivent jouir en France comme les Français, et qu'enfin l'opinion contraire peut conduire dans certains cas à cette conséquence qu'un étranger résidant en France se trouverait dans l'impossibilité d'obtenir justice d'aucun tribunal. Qu'on suppose par exemple un étranger créancier d'un autre étranger fixé en France et qui a perdu sa nationalité d'origine sans acquérir la nationalité française. A qui demandera-t-il justice, si le tribunal du domicile ou de la résidence du défendeur peut se déclarer et se déclare incompétent? D'après notre principe ce tribunal sera forcé de juger.

*Ce même principe nous conduirait aussi à décider qu'un tribunal français, saisi d'une contestation civile en matière personnelle et mobilière entre deux étrangers, n'aurait pas le droit de se déclarer incompétent, si le défendeur n'a pas de domicile en pays étranger ou si son domicile y est inconnu. L'action devrait être considérée en pareil cas comme régulièrement intentée devant le tribunal du domicile (même non autorisé) que le défendeur peut avoir en France, ou à défaut de domicile devant le tribunal de sa résidence.

Sur les autres points nous adoptons les solutions indiquées aux 1o, 2o et 3o.

162. L'art. 16 va nous révéler une troisième différence entre les Français et les étrangers non admis à domicile. Les Français peuvent plaider devant les tribunaux français, sans être obligés de fournir caution; cette obligation est imposée au contraire à l'étranger qui joue le rôle de demandeur dans un procès intenté devant un tribunal français. C'est ce qui résulte de l'art. 16, ainsi conçu: « En toutes matières, autres que celles de commerce, l'étranger qui sera demandeur, sera tenu de donner caution pour le paiement des frais et dom»mages-intérêts résultant du procès, à moins qu'il ne possède en France » des immeubles d'une valeur suffisante pour assurer ce paiement ».

[ocr errors]

Un étranger veut intenter un procès à un Français en France; à cet effet, il le traduit devant le tribunal compétent. Le Français défendeur a le droit de dire à son adversaire : « Fournissez-moi la caution de l'art. 16; tant que vous n'aurez pas satisfait à cette obligation, la justice ne vous écoutera pas ». La loi, on le voit, considère ici l'étranger comme sujet à caution. Pourquoi cette mesure de défiance ? On craint qu'il ne se joue du Français. Peut-être le procès intenté par l'étranger est-il fort injuste. Qui sait s'il n'agit pas uniquement dans un but de tracasserie et de vexation (1)? En pareil cas le tribunal ne manquera pas sans doute de débouter l'étranger demandeur de sa prétention, c'est-à-dire de le déclarer mal fondé dans sa demande. Il le condamnera en outre à payer tous les frais de l'instance (C. pr., art. 130), par conséquent à rembourser au Français défendeur tous les frais dont il a été ou sera obligé de faire l'avance. Ce n'est pas assez encore le tribunal condamnera ordinairement l'étranger à payer au Français, par surcroît, ce que nos anciens appelaient des dommages et intérêts d'indue vexation, c'est-à-dire une indemnité pécuniaire destinée à compenser le préjudice que l'étranger a pu causer à l'honneur, au crédit, à la réputation ou même seulement à la tranquillité du Français, en lui intentant un procès injuste. Eh bien! il ne faut pas qu'après avoir mérité et subi ces diverses condamnations, l'étranger puisse les rendre illusoires, ou tout au moins en rendre l'exécution fort difficile, en quittant la France pour retourner dans son pays. De là l'obligation pour l'étranger

(1) Il faut avouer que cette supposition est assez peu fondée; aussi la tendance moderne est-elle de suppriIer l'entrave de la caution judicatum solvi.

demandeur de fournir, si le Français défendeur le requiert, une caution, c'est-à-dire un répondant, pour garantir le paiement des condamnations judiciaires qui pourront être prononcées au profit du Français. On donne à cette caution le nom de caution judicatum solvi, parce qu'elle garantit quod fuerit judicatum solvi. C'est une caution légale, car c'est la loi qui permet de l'exiger; elle devrait donc, aux termes de l'art. 2040, satisfaire aux conditions exigées par les art. 2018 et 2019. 163. Qui doit fournir la caution judicatum solvi.—L'art. 166 C. pr., qui complète avec le suivant la disposition de l'art. 16, répond : Tout étranger demandeur principal ou intervenant.

La loi dit Tout étranger. La qualité d'un étranger, fût-il ambassadeur ou souverain, ne saurait donc le soustraire à l'obligation de fournir la caution judicatum solvi.

Mais cette caution n'est due que par l'étranger demandeur; l'étranger défendeur n'est donc pas obligé de la fournir. On en a donné ce motif que la défense est de droit naturel et que par suite elle ne doit pas être entravée. Mais est-ce que la demande n'est pas aussi de droit naturel? D'autres disent que le défendeur ne doit pas la caution, parce qu'il est présumé libre de tout engagement tant que le contraire n'est pas prouvé. La véritable raison ne serait-elle pas qu'on conçoit beaucoup plus difficilement une défense vexatoire qu'une demande vexatoire? L'institution de la caution judicatum solvi n'est pas destinée à créer des entraves aux étrangers qui veulent obtenir justice des tribunaux français, soit en demandant, soit en défendant; elle a surtout pour but d'empêcher les procès vexatoires. Or ce sont les demandeurs, la plupart du temps, et non les défendeurs, qui agissent dans un esprit de vexation.

La loi dit que la caution est due par « Tout étranger demandeur PRINCIPAL OU INTERVENANT ». Le demandeur principal est celui qui forme sa demande par exploit d'ajournement. Il doit la caution. L'étranger défendeur, qui formerait une demande reconventionnelle, ne la devrait pas : il n'est pas demandeur principal, parce que la demande reconventionnelle se forme par un simple acte, et non par exploit d'ajour

nement.

Le demandeur intervenant est celui qui intervient pendant le cours d'une instance déjà fiée (venit inter litigantes), soit pour son propre compte, soit pour le compte du demandeur dont il vient soutenir les droits. Lui aussi doit la caution. Mais l'étranger, qui interviendrait pour le compte du défendeur ne la devrait pas. L'étranger défendeur en première instance et demandeur en appel n'est pas non plus tenu de la fournir; il ne fait que continuer sa défense devant une nouvelle juridiction. L'appel ne constitue pas une demande nouvelle; c'est la même contestation qui est soumise à de nouveaux juges.

L'art. 16 semble dire que la caution judicatum solvi est dne de plein droit par l'étranger demandeur, de telle sorte qu'en aucun cas la demande de l'étranger ne devrait être reçue avant que cette caution

eût été fournie. Mais sur ce point l'art. 16 est rectifié ou tout au moins expliqué par l'art. 166 C. pr., d'après lequel l'étranger n'est obligé de fournir caution que si le défendeur le requiert. Il peut n'avoir pas d'intérêt à le faire; la loi le laisse juge sur ce point.

Le défendeur, qui veut requérir la caution judicatum solvi, doit le faire par une requête d'avoué à avoué, à laquelle il est répondu dans la même forme (Tarif du code de procédure civile, art. 75). Tant que l'étranger n'a pas fourni la caution requise par le défendeur, celui-ci n'est pas obligé de répondre à la demande. Et c'est pour cela que le code de procédure nous présente le refus de fournir caution comme constituant une exception au profit du défendeur. Cette exception doit être proposée avant toute autre, et à plus forte raison avant toute défense au fond (C. pr., art. 166); autrement elle est considérée comme couverte, c'est-à-dire que le défendeur est censé avoir renoncé au droit de l'opposer.

--

164. A qui est due la caution judicatum solvi. - Il est sans difficulté que le défendeur français peut la requérir. Le défendeur étranger a-t-il le même droit? Oui certainement, s'il possède en France un domicile autorisé (arg. tiré de l'art. 13). Oui encore, si, n'ayant pas en France de domicile autorisé, il peut puiser ce droit dans un traité (arg. tiré de l'art. 11). En dehors de ces deux cas, il parait difficile de lui reconnaître le droit de requérir la caution; car c'est bien là, ce semble, un droit civil stricto sensu, dont l'étranger par suite ne peut jouir qu'en vertu de la réciprocité résultant d'un traité (art. 11).

---

Elle 165. Ce que garantit la caution judicatum solvi. garantit l'exécution des condamnations judiciaires qui pourront être prononcées au profit du Français, c'est-à-dire : 1° le paiement des dommages et intérêts d'indue vexation; 2° le paiement des frais auxquels l'étranger pourra être condamné et dont le défendeur se serait trouvé forcé de faire l'avance ou du paiement desquels il est responsable.

166. Dispense de la caution. Dans trois cas l'étranger demandeur n'est pas tenu de fournir la caution judicatum solvi :

1° S'il a en France un domicile autorisé (arg. tiré de l'art. 13); 2° S'il existe un traité dispensant les Français de fournir caution dans le pays auquel appartient l'étranger (arg. tiré de l'art. 11);

3o En matière commerciale (art. 16). Exception fondée sur ce triple motif que les commerçants sont considérés comme citoyens de toutes les cités, que les affaires commerciales requièrent célérité, enfin et surtout que les frais auxquels ces affaires donnent lieu sont minimes.

Mais la caution serait due en toute autre matière (art. 16). Par conséquent non seulement en matière civile, mais aussi en matière administrative. Ajoutons et en matière criminelle : ce qui peut arriver si un étranger se porte partie civile contre un Français dans un procès criminel.

167. Des garanties qui peuvent remplacer la caution judicatum solvi, Le cautionnement prescrit par l'art. 16 peut être

remplacé par des garanties équivalentes. On doit considérer comme telles 1° un gage en nantissement suffisant (art. 2041); 2° la consignation d'une somme égale à celle jusqu'à concurrence de laquelle le tribunal a ordonné que la caution serait fournie (C. pr., art. 167); 3o la justification faite par l'étranger qu'il possède en France des immeubles d'une valeur suffisante pour répondre du paiement de cette somme (C. civ., art. 16 et C. pr., art. 167).

Quoi qu'on en ait dit, l'étranger n'est pas obligé de constituer une hypothèque sur ses immeubles; la loi ne l'exige pas. Toutefois le tribunal pourrait, en fait, considérer les immeubles que l'étranger possède en France comme n'ayant une «< valeur suffisante » qu'autant qu'il consentirait à les grever d'une hypothèque au profit du Français.

168. Telles sont les différences que notre chapitre signale entre les Français, et les étrangers qui n'ont pas en France un domicile autorisé. On peut les résumer ainsi : 1o Les Français jouissent de tous les droits civils (art. 8); les étrangers ne peuvent jouir des droits civils en France qu'en vertu de la réciprocité d'un traité; 2o Les étrangers peuvent être traduits devant un tribunal autre que celui de leur domicile pour l'exécution des obligations par eux contractées envers des Français; les Français au contraire conservent, d'après la loi française, le bénéfice de la règle Actor sequitur forum rei pour l'exécution de toutes les obligations dont ils sont tenus envers des étrangers (art. 14 et 15); 3o L'étranger demandeur doit la caution judicatum solvi (art. 16); le Français ne la doit pas.

Ces différences ne sont pas les seules. En voici quelques autres : 1. L'étranger, non autorisé à fixer son domicile en France, n'est pas admis au bénéfice de la cession de biens (C. pr., art. 905);

2. Il ne peut pas être témoin dans un testament (art. 980); 3o Ni dans un acte notarié (loi du 25 ventôse an XI, art. 9); 40 Son état et sa capacité sont régis par la loi de son pays; 50 Il n'a pas la jouissance des droits politiques.

Sur les quatre derniers points, la situation d'un étranger qui a en France un domicile autorisé est la même que celle d'un étranger non autorisé à fixer son domicile en France.

La loi du 22 juillet 1867, qui a supprimé dans notre droit la contrainte par corps en matière commerciale, civile et contre les étrangers, a fait disparaître quelques autres différences entre les Français et les étrangers. Les étrangers étaient traités plus rigoureusement que les Français au point de vue de la contrainte par corps.

169. Résumé. Si maintenant nous voulons envisager d'un rapide coup d'œil la condition des étrangers en France, tout ce que nous avons dit sur ce point peut être résumé dans quelques lignes :

1° Tous les étrangers sans distinction sont privés en France de la

« VorigeDoorgaan »