Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

II. Voici maintenant la seconde opinion, qui est la plus généralement suivie en doctrine, et qui a triomphé aussi en jurisprudence. Elle semble en effet la meilleure. Lorsqu'un propriétaire a créé ou maintenu, entre deux fonds à lui appartenant, un rapport qui constituerait une servitude si les immeubles appartenaient à deux personnes différentes, la question qui se pose, quand ces deux fonds sont séparés, est celle de savoir si les parties n'ont pas stipulé la cessation de cet état de choses dans l'acte qui opère la séparation des deux fonds. Aussi, les coutumes de Paris et d'Orléans ne déclaraient-elles la servitude établie, après la séparation des deux héritages, qu'autant que cet acte était représenté et ne contenait rien de contraire au maintien de la servitude. Notre code, moins rigoureux, établit à cet égard une distinction. S'agit-il d'une servitude continue et apparente ? Après la séparation des héritages, elle sera considérée comme établie par la destination du père de famille, sans qu'il soit nécessaire de représenter le titre par suite duquel cette séparation a été opérée, et de prouver qu'il ne contient rien de contraire à l'établissement de la servitude. Ce premier cas est prévu par les art. 692 et 693. S'agit-il au contraire d'une servitude qui est apparente seulement sans être continue? La destination du père de famille ne vaudra titre qu'à la condition que « le contrat ne contienne >> aucune convention relative à la servitude » (art. 694); ce contrat devra donc être représenté. Cass., 17 juin, 8 et 13 juillet 1885, Sir., 86. 1. 72 et 87. 1. 428 et 429. Cpr. Cass., 8 novembre 1886 et 1er août 1887, Sir., 87. 1. 455.

1570. Notre section se termine par une disposition qui se comprend sans difficulté : « Quand on établit une servitude, on est censé accorder » tout ce qui est nécessaire pour en user. Ainsi la servitude de puiser » de l'eau à la fontaine d'autrui, emporte nécessairement le droit de » passage (art. 696). Mais ces droits, accessoires de la servitude, suivent nécessairement le sort de celle-ci. C'est ainsi que le droit de passage s'éteint avec la servitude de puisage dont il était la conséquence.

SECTION III

DES DROITS DU PROPRIÉTAIRE DU FONDS AUQUEL LA SERVITUDE EST DUE 1571. Aux termes de l'art. 686 al. 2: « L'usage et l'étendue des » servitudes ainsi établies se règlent par le titre qui les constitue; à défaut » de titre, par les règles ci-après ». Cette disposition n'est écrite qu'en vue des servitudes établies par titre. S'il s'agit d'une servitude acquise par prescription, les droits du propriétaire du fonds dominant sont réglés par la maxime Tantum præscriptum quantum possessum. Quant aux servitudes constituées par la destination du père de famille, l'étendue et le mode de leur exercice sont déterminés par l'état de choses duquel est né la servitude.

1572. Voici maintenant un certain nombre de règles applicables en général à toutes les servitudes, de quelque manière qu'elles aient été établies.

ART. 697. Celui auquel est due une servitude, a droit de faire tous les ouvrages nécessaires pour en user et pour la conserver.

Par exemple, celui qui a un droit de passage peut faire paver ou macadamiser le chemin, si c'est nécessaire pour l'exercice de la servitude.

ART. 698. Ces ouvrages sont à ses frais, et non à ceux du propriétaire du fonds assujetti, à moins que le titre d'établissement de la servitude ne dise le contraire.

En principe en effet, les servitudes n'imposent qu'un rôle passif au propriétaire du fonds servant. On peut déroger à cette règle, non seulement, comme le dit la loi, dans le titre d'établissement de la servitude, mais aussi dans un titre postérieur. Pour que la stipulation mettant les ouvrages à la charge du propriétaire du fonds assujetti soit valable, il faut que ces ouvrages aient seulement pour but de faciliter l'exercice de la servitude, sans constituer la servitude elle-même. Ainsi, en supposant que je stipule pour mon fonds le droit d'extraire de la marne du vôtre, je puis bien convenir avec vous que vous ferez les travaux nécessaires pour empêcher l'eau d'envahir la marnière, mais non que vous extrairez la marne et que vous la répandrez tous les ans sur mon domaine, en vue de l'amender; du moins, je ne puis pas stipuler cela à titre de servitude réelle. Cpr. supra n. 1552.

ART. 699. Dans le cas même où le propriétaire du fonds assujetti est chargé par le titre de faire à ses frais les ouvrages nécessaires pour l'usage ou la conservation de la servitude, il peut toujours s'affranchir de la charge, en abandonnant le fonds assujetti au propriétaire du fonds auquel la servitude est due.

Peut toujours s'affranchir de la charge. Toujours, par conséquent alors même qu'il l'aurait supportée pendant plus de trente ans. L'abandon établi par notre article est un acte de pure faculté, et par suite le droit de l'effectuer ne peut s'éteindre par la prescription (arg. art. 2232).

En abandonnant le fonds assujetti. Si une portion seulement du fonds est assujettie, il suffira d'abandonner cette portion. Ainsi, pour se libérer de l'obligation de faire les travaux d'entretien d'un chemin affecté à l'exercice d'une servitude de passage, il suffira que le propriétaire du fonds servant abandonne le terrain consacré au chemin. Si au contraire le fonds tout entier est assujetti, le propriétaire devra en faire l'abandon total pour se libérer. La question de savoir si le fonds est assujetti pour le tout ou pour partie paraît être dans la plupart des cas une question de fait plutôt que de droit.

ART. 700. Si l'héritage pour lequel la servitude a été établie vient à être divisé, la servitude reste due pour chaque portion, sans néanmoins que la condition du fonds assujetti soit aggravée. Ainsi, par exemple, s'il s'agit d'un droit de passage, tous les copropriétaires seront obligés de l'exercer par le même endroit.

Au cas où l'exercice de la servitude serait divisible, par exemple s'il s'agit d'une servitude donnant le droit de puiser cent hectolitres d'eau par an à une source, ou de tirer cent quintaux de sable d'une sablière, il se diviserait entre les divers ayant droit, proportionnellement à la portion du fonds dominant qui leur est échue. Ainsi celui auquel a été attribuée une portion du fonds dominant équivalente au quart, aura droit dans notre espèce de puiser 25 hectolitres d'eau ou de tirer 25 quintaux de sable.

ART. 701. Le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage ou à le rendre plus incommode. Ainsi, il ne peut changer l'état des lieux, ni transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement

assignée. - Mais cependant, si cette assignation primitive était devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti, ou si elle l'empêchait d'y faire des réparations avantageuses, il pourrait offrir au propriétaire de l'autre fonds un endroit aussi commode pour l'exercice de ses droits, et celui-ci ne pourrait pas le refuser.

Cette règle, que le propriétaire du fonds servant ne peut «< changer l'état des lieux », ne s'appliquerait pas aux changements qui peuvent lui profiter sans nuire en aucune façon au propriétaire du fonds dominant. Ainsi le propriétaire d'un héritage grevé d'une servitude de vue peut en changer l'exploitation, par exemple transformer une prairie en un champ ou réciproquement.

ART. 702. De son côté, celui qui a un droit de servitude, ne peut en user que suivant son titre, sans pouvoir faire, ni dans le fonds qui doit la servitude, ni dans le fonds à qui elle est due, de changement qui aggrave la condition du premier.

Ainsi une servitude de prise d'eau pour l'irrigation ne saurait être affectée à l'abreuvage des bestiaux, ni utilisée pour obtenir une force motrice.

SECTION IV

COMMENT LES SERVITUDES S'ÉTEIGNENT

1573. Le code civil indique trois causes d'extinction des servitudes: 1. l'impossibilité d'en user (art. 703 et 704); 2° la confusion (art. 705); 3o le non-usage pendant trente ans (art. 706 à 710). Nous verrons qu'il y a lieu d'ajouter à cette liste.

»

1o Impossibilité d'user de la servitude.

1574. « Les servitudes cessent lorsque les choses se trouvent en tel état qu'on ne peut plus en user », dit l'art. 703.

« Elles revivent si les choses sont rétablies de manière qu'on puisse en » user; à moins qu'il ne se soit déjà écoulé un espace de temps suffisant » pour faire présumer l'extinction de la servitude, ainsi qu'il est dit à » l'article 707 » (art. 704). Voyez l'art. 665 qui contient une application de ce principe.

Les expressions cessent, revivent, employées ici par le législateur, sont inexactes. Lorsque l'état des choses devient tel que l'usage de la servitude est impossible, le droit à la servitude subsiste; mais il y a un obstacle de fait à son exercice. Si cet obstacle disparait, la servitude pourra être de nouveau exercée; car elle n'était pas éteinte, elle sommeillait seulement. Pourvu toutefois, comme le dit notre article, que l'obstacle disparaisse avant l'expiration du délai de trente ans. Autrement la servitude serait définitivement éteinte par le non-usage, conformément à l'art. 706.

Les trente ans courraient à compter du jour où s'est accompli le fait qui entraîne l'impossibilité d'user de la servitude, même quand la servitude est continue, et sans qu'il soit nécessaire dans cette hypothèse que le propriétaire du fonds servant ait fait un acte contraire à la servitude. Cette condition n'a pu être exigée par l'art. 707 que pour interrompre l'exercice de la servitude qui, étant continue, s'exerce d'elle-même, et elle devient inutile (dans bien des cas d'ailleurs elle serait impossible) lorsque les choses sont dans un état tel que la servitude ne peut plus s'exercer.

2o Confusion.

1575.« Toute servitude est éteinte lorsque le fonds à qui elle est due, « et celui qui la doit, sont réunis dans la même main » (art. 705). La confusion, d'une manière générale, est la réunion sur la même tête de deux qualités incompatibles. En matière de servitude, elle a lieu lorsque le propriétaire du fonds dominant acquiert la propriété du fonds servant, ou réciproquement. Par application de la règle Nemini res sua servit, la servitude se trouve alors éteinte.

Supposons que les deux fonds cessent d'appartenir au même maître, ce qui fait cesser la confusion. La servitude revivra-t-elle? Il faut distinguer.

a. Si la confusion cesse avec effet rétroactif, ex tunc, la servitude revit, ou mieux elle est considérée comme n'ayant jamais été éteinte; car la confusion, qui avait amené son extinction, est censée n'avoir jamais existé. Ainsi le propriétaire du fonds dominant achète le fonds servant. Il y a confusion, et par suite extinction de la servitude. Mais voilà que la vente est résolue par défaut de paiement du prix. La servitude revivra, ou mieux elle sera censée n'avoir jamais été éteinte; car la vente, qui avait produit la confusion, est considérée comme non avenue; elle disparaît avec effet rétroactif par suite de la résolution, et avec elle la confusion qui en était la conséquence.

b. Au contraire, si la confusion cesse sans effet rétroactif, ex nunc, la servitude ne revivra pas. C'est ce qui arriverait, si le propriétaire du fonds dominant, après avoir acheté le fonds servant, le revendait à un tiers. Cependant, si la servitude était continue et apparente, elle revivrait par la destination du père de famille (arg. art. 692 et 693). Il suffirait même qu'elle fût apparente, si le titre constatant la séparation des deux fonds était représenté et ne contenait rien de contraire à son maintien (art. 694). V. supra n. 1569.

3o Non-usage pendant trente ans.

1576. La servitude est éteinte par le non-usage pendant trente ans », dit l'art. 706. La loi suppose que le propriétaire du fonds dominant a renoncé à son droit, lorsqu'il est resté pendant un aussi long délai sans l'exercer.

Bien que ce motif n'existe qu'au cas de non-usage volontaire, notre disposition devrait être appliquée même au cas de non-usage forcé, car la loi ne distingue pas. Il y a non-usage forcé, lorsqu'un obstacle de fait invincible s'oppose à l'exercice de la servitude, comme si la source grevée de la servitude de puisage vient à se tarir. Trente ans de non-usage forcé entraîneraient donc l'extinction de la servitude, aussi bien que trente ans de non-usage volontaire. L'art. 704 ne permet guère d'en douter; car il ne fait revivre la servitude, éteinte par l'impossibilité d'user, qu'autant que l'usage en redevient possible avant l'expiration du délai de trente ans. Aussi

cette solution, qui trouve d'ailleurs un point d'appui dans les travaux préparatoires de la loi, est-elle consacrée par la jurisprudence et admise par les auteurs, sauf quelques dissidences. D'ailleurs le propriétaire du fonds dominant peut conjurer la prescription, dont il est menacé par le non-usage auquel il est condamné, en obtenant du propriétaire du fonds servant une reconnaissance volontaire ou judiciaire de la servitude.

* Le propriétaire du fonds dominant, auquel on oppose l'extinction de la servitude par le non-usage, doit prouver les faits d'exercice de la servitude, qui, d'après lui, ont empêché la prescription de s'accomplir. Il est recevable à faire cette preuve même par témoins. On ne comprend pas que la prétention d'un propriétaire, qui repoussait en pareil cas la preuve testimoniale, sur ce fondement que la servitude dont il s'agissait (une servitude de passage) ne pouvait pas être acquise par la prescription, ait été portée jusque devant la cour de cassation. La servitude litigieuse était établie par un titre (Cass., 2 décembre 1885, Sir., 87. 1. 12).

1577. Tandis que les servitudes à la fois continues et apparentes sont les seules qui puissent être établies par la prescription, au contraire, toutes les servitudes, quelles qu'elles soient, continues ou discontinues, apparentes ou non, positives ou négatives, sont susceptibles de s'éteindre par le non-usage. Et toutefois les servitudes conti-, nues périssent plus difficilement par le non-usage que les servitudes discontinues. En effet, aux termes de l'art. 707: « Les trente ans » commencent à courir, selon les diverses espèces de servitudes, ou du jour » où l'on a cessé d'en jouir, lorsqu'il s'agit de servitudes discontinues, ou » du jour où il a été fait un acte contraire à la servitude, lorsqu'il s'agit » de servitudes continues ».

L'exercice de la servitude discontinue supposant le fait actuel et incessamment renouvelé de l'homme, du jour où ce fait ne se produit plus, du jour par exemple où l'homme ne passe plus s'il s'agit d'une servitude de passage, la servitude cesse d'être exercée, et par suite la prescription extinctive commence à courir. Il n'en pouvait être de même pour les servitudes continues, qui s'exercent d'elles-mêmes, sans le fait actuel de l'homme, comme la servitude d'égout des toits, d'aqueduc... Elles ne cessent de s'exercer que lorsqu'il a été accompli (par le propriétaire du fonds servant ou par tout autre, lex non distinguit) quelque acte contraire à l'exercice de la servitude, tel que la rupture des tuyaux de conduite s'il s'agit d'une servitude d'aqueduc; et c'est alors seulement que la prescription peut commencer à courir.

1578. C'est une question très discutée que celle de savoir si une servitude peut s'éteindre par la prescription de dix à vingt ans, conformément à l'art. 2263, lorsque le fonds servant est possédé comme libre de servitude par un tiers détenteur qui a juste titre et bonne foi. Dans le sens de l'affirmative, on invoque l'ancien droit (coutume de Paris, art. 186 et 114) et la loi du 11 brumaire an VII (chap. II, art. 35). On invoque ensuite l'art. 2180-4°, qui déclare l'usucapion de l'art. 2265 applicable aux privilèges et hypothèques, et qui semble devoir être étendu par analogie aux servitudes.

Malgré ces raisons, nous préférons la solution contraire, qui triomphe en doctrine

« VorigeDoorgaan »