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le mieux avoir fait : les Pensées de M. Pascal, répondit le grand homme. Et l'un des docteurs de Sorbonne, à qui le manuserit avait été soumis écrivait dans son approbation ces magnifiques paroles: « Il semble que cet homme incomparable non-sculement voit, comme les anges, les conséquences dans leurs principes, mais qu'il nous parle comme ces purs esprits, par la seule direction de ses pensées. »

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En 1728, dans le 5° tome des Mémoires de littérature et d'histoire, espèce de garde-meuble littéraire où s'enfouissaient des débris de portefeuilles assez mêlés, les curieux lurent le titre suivant: OEuvres posthumes, ou suite des Pensées de M, Pascal, extraites du manuscrit de M. l'abbé Périer, son neveu. Les curieux furent peu touchés de cette découverte, car c'en était une, et l'on continua de réimprimer l'édition de Port-Royal, sans tenir grand compte des Pensées jusqu'alors inédites qui enrichissaient en assez grand nombre le répertoire dont je viens de parler, non plus que d'un entretien fort remarquable de Pascal avec Sacy, sur Epictète et Montaigne, qui se trouve inhumé dans le même volume.

On avait pourtant quelque obligation au père Desmolets, bibliothécaire de la maison de l'Oratoire à Paris, pour le double présent qu'il venait de faire à la philosophie et aux lettres, L'entretien avec le Maistre de Sacy est une clef fort importante pour le livre des Pensées, Epictète et Montaigne y sont considérés comme la dernière et la plus complète expression de deux sectes dont l'une s'appuie sur la grandeur, et l'autre sur la faiblesse de l'homme; deux thèses également incontestables, également invincibles, et qui ne peuvent être conciliées que par la révélation. Si M. Ch. Nodier (je dis M. Nodier le bibliographe, car il y en a plusieurs) avait eu cette pièce présente à l'esprit, les Questions de littérature légale n'eussent point eu le tort grave de dénoncer Pascal comme un plagiaire, pour quelques citations de Montaigne, plus ou moins littérales, que le grand homme destinait à justifier son point de vue sur ce philosophe, et qui, · égarées parmi les chiffons dont est sorti le livre des Pensées, ont

été confondues par les premiers éditeurs (lecteurs peu assidus de Montaigne) avec l'œuvre originale et tout-à-fait supérieure qu'ils offraient au public. Ce même entretien avec Sacy parut de nouveau en 1736, avec quelques variantes, dans le second tome des Mémoires de Nicolas Fontaine pour servir à l'histoire de Port-Royal.

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Mais, ce qui est demeuré propre au P. Desmolets, c'est la publication d'un certain nombre de Pensées dont quelques-unes (et ce ne sont pas les moins importantes) ont été négligées par les éditeurs subséquens et par Bossut lui-même. Nous citerons entr'autres les trois derniers mots de cette phrase de Pascal :

S'il y a un Dieu, il est infiniment incompréhensible; nous » sommes donc incapables de connaître ni ce qu'il est, ni s'il est.» C'était là sans doute une de ces hardiesses formidables dont Arnauld avait exigé le sacrifice, et il n'est pas démontré d'ailleurs que Pascal lui-même l'eût conservée, s'il lui eût été donné de mener à fin l'œuvre qui a épuisé et couronné sa vie.

Un autre service rendu par le père Desmolets, c'était la révélation d'une source demeurée inconnue et qu'il n'a probablement pas épuisée ; je parle du manuscrit de l'abbé Périer, neveu maternel de Pascal 1! De quelles mains Desmosiets tenait-il ce manuscrit ? Peut-être de l'abbé Périer lui-même, tout au moins de ses héritiers immédiats. Ce fut la destinée de ce digne oratorien d'être favorisé de beaucoup de confidences semblables : Malebranche, le père Lami, d'autres encore, le firent dépositaire de ceux de leurs manuscrits qu'ils n'avaient pas eu le tems de publier. Bibliothécaire d'une congrégation savante, qui ne passait point pour hostile au jansénisme, sa position dut être un titre de plus à la confiance de la famille de Pascal. Son supplément au livre des Pensées n'a pu toutefois lui coûter beaucoup de peine. Aucune trace d'un classement, ni d'un arrangement quelconque : les matières viennent comme les notes éparses de l'auteur sont tombées sous la main du copiste. De brèves indi

• On s'était proposé d'abord d'entrer ici dans quelques détails sur les divers manuscrits des Pensées, et plus particulièrement sur le manuscrit autographe de la Bibliothèque du Roi. C'est toute une histoire à conter, assez curieuse même mais trop longue pour ne pas rompre l'unité du présent travail. Peut-être y revicndra t-on quelque jour.

cations marginales sur l'objet de chaque pensée, sont tout le travail de l'éditeur.

111. -Édition de Condorcet.

Cinquante ans passèrent encore sans qu'on remuât la cendre de Pascal. On était en plein 18° siècle, lorsqu'en 1776, le marquis de Condorcet, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, prit à tâche d'en finir avec la seule renommée chrétienne qui imposât encore aux géomètres, et donna le volume intitulé Eloge et Pensées de Pascal, qui mérita l'honneur d'être annoté par Voltaire en 1778. Cette falsification est dès-longtems jugée. On ne croit plus aujourd'hui que Condorcet fut le secrétaire de Marc-Aurèle, ni qu'il ait été si supérieur au secrétaire de Port-Royal, comme Voltaire le dit dans ses notes. On n'approuve plus qu'un éditeur, quel qu'il soit, se substitue à l'auteur, et qu'en publiant un livre aussi intimement chrétien que celui de Pascal, on se croie permis de mutiler ses vues sur l'Ecriture, et de retrancher tout un ensemble de considérations sur la personne de J.-C.

Mais le vice radical du remaniement de Condorcet fut d'imaginer un ordre double de Pensées, les unes purement philosophiques et morales, les autres relatives à la Religion, et de scinder ainsi l'unité du dessein de Pascal jusqu'à le rendre méconnaissable. Conçoit-on, par exemple, que cinq des fameux chapitres sur l'homme, si hautement, si profondément inspirés et dominés par la foi au dogme de la chute originelle, soient entièrement séparés par Condorcet du sixième chapitre, qui a pour titre : Contrariétés étonnantes dans la nature de l'homme? Les uns sont classés dans la première partie de l'édition de 1776, l'autre dans la seconde. Ainsi Pascal parle-t-il tour-à-tour de la grandeur de l'homme et de sa faiblesse, de son orgueil et de ses misères, il ne fait que de la morale. Mais résume-t-il sa pensée et repasse-t-il comme à la fois toutes ces contrariétés, il fait de la religion. La belle chose que la philosophie! comme disait M. Jourdain.

Je n'ai garde, au reste, de calomnier personne, et quand je 'reproche à Condorcet d'avoir falsifié Pascal, je n'entends pas

dire qu'il ait altéré le texte autrement que par des interversions et des suppressions, ce qui est bien, certes, la manière de falsifier la plus adroite. A cela près, l'édition de Condorcet est fidèle ; il a généralement conservé les leçons originales, se bornant à mettre en relief le côté sceptique du livre, et à donner le change sur la pensée fondamentale qui en est l'âme, en rejetant toute la partie religieuse sur les derniers plans. L'éditeur tient fort à prouver d'ailleurs que la faiblesse de l'homme, ses vices et ses crimes ne viennent point de sa déchéance primitive, mais des institutions sociales. Seulement il oublie de démontrer que ces institutions si perverses ne viennent pas de l'homme, et que sa faiblesse n'y soit pour rien. La naïveté est forte : mais qui ferait l'histoire des distractions que donne l'esprit de parti dirait vraiment des choses incroyables.

IV. ÉDITION DE L'ABBÉ BOSSUT.

Trois années après la publication de Condorcet, Pascal eut enfin pour la première fois les honneurs d'une édition complète. Les Pensées y trouvèrent leur place. Jamais le texte n'en avait paru aussi épuré, aussi complet. Port-Royal avait, à peu près sans motifs, écarté des dissertations d'un intérêt élevé et d'une assez grande étendue sur l'autorité en matière de philosophie, par exemple, sur la géométrie en général et sur l'art de persuader : tous morceaux plus précieux que je ne puis dire, par l'exquise justesse et la singulière vigueur de raison qui les distinguent. L'abbé Bossut les inséra judicieusement dans son recueil. Malheureusement le nouvel éditeur était plus géomètre que philosophe; il eut le tort de considérer ces écrits détachés comme faisant corps avec les Pensées, et celui, moins concevable encore, de coordonner les Pensées elles-mêmes au double plan imaginé par Condorcet : « ajoutant ainsi en quelque sorte au » désordre de la collection, tout en donnant plus de lucidité à chaque partie par la plénitude et par la pureté de son texte. » Cette édition a généralement servi de modèle à toutes celles qui ont suivi; il y eut bien, jusque dans le 19° siècle, des réimpressions du travail de Condorcet; bien plus, en 1783, un père André, de l'Oratoire, ex-bibliothécaire du chancelier d'A-'

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ex-éditeur de ses œuvres, guesseau, et auteur de je ne sais quelle réfutation de l'Emile, fit réimprimer les Pensées suivant l'ordre de Port-Royal, non pourtant sans jeter à la suite, à titre de supplémens, les nombreuses additions empruntées par Bossut aux manuscrits originaux; Mais autant le bon oratorien, dans la première série, est fidèle à l'ombre de Port-Royal, autant, dans le supplément, s'attache-t-il jusqu'au scrupule, à la double division suivie par Condorcet et Bossut; ce qui fait un admirable chaos. Le débit du livre n'en fut que plus prompt, et l'édition du P. André fut reproduite par la presse en 1787.

Vint ensuite M. Renouard, qui d'abord réimprima le texte de Bossut, et finit par l'allonger de quelques rognures de pensées qu'il avait pris la peine d'extraire des manuscrits de Pasçal, déposés à la Bibliothèque du Roi. Une de ces pensées est celle-ci: Est fait prêtre maintenant qui veut l'être, comme dans Jeroboam. » Il ne faut pas trop en vouloir aux précédentes éditions d'avoir négligé de pareils non-sens. Une autre particularité des éditions de M. Renouard, comme de celle de M. Lefèvre, c'est d'avoir pris au P. André une des imaginations les plus bouffonnes qui se puissent concevoir. Tous ces éditeurs mettent dans la bouche d'un incrédule qu'ils donnent pour interlocuteur à Pascal, toutes les pensées de Pascal luimême, sur l'inefficacité des preuves communément reçues touchant l'existence de Dieu. L'incrédule et Pascal prennent tour à tour la parole, mais en ayant l'attention de ne point se répondre; c'est une série de monologues parallèles, véritables à parte de théâtre, qui pourraient se prolonger indéfiniment sans que la question eût fait un seul pas. Ainsi, l'incrédule dit : « S'il y a un Dieu, il est infiniment imcompréhensible, et Pascal répond: je n'entreprendrai pas ici de prouver la Trinité par des raisons naturelles, bien que son adversaire n'ait pas dit un mot de la Trinité. Sur quoi, l'incrédule s'écrie: » C'est une chose admirable que jamais auteur canonique ne s'est servi de la nature pour prouver Dieu; il fallait qu'ils fussent plus habiles que les plus habiles gens qui sont venus depuis »; et ainsi de suite.

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En vérité,il était honteux pour la France, que les Pensées de Pascal eussent été à ce point tenaillées, embrouillées, dépareil⚫lées un siècle et demi durant, et que, jusqu'à l'an de grâce

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