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1835, il ne se fût pas trouvé un homme pour réclamer, au nom de Pascal, au nom de la Religion, au nom de la vérité, contre cette longue et à peine croyable injure. Cet homme enfin s'est rencontré; il s'est levé du fond d'une de nos provinces, il a évoqué Pascal du sépulcre, et il nous l'a présenté vivant et debout, dans la plénitude de sa foi et de son génie, dans toute l'intégrité de sa pensée, le front sillonné par la souffrauce, mais rayonnant de flamme et de lumière.

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La restauration du livre des Pensées, d'après le plan de l'auteur, n'était pas comme aucuns pourraient le croire, œuvre de charlatanisme et d'arbitraire. Le plan de Pascal nous est authentiquement connu; il est constaté, on l'a vu, par la Préface même de la première édition des Pensées, où il est développé avec étendue par ses amis, en même tems quils déclaraient n'avoirpoint pris la peine de s'y conformer. Comment les éditeurs subséquens, et, par exemple celui de 1826, qui a superstitieusement suivi l'abbé Bossut, ont-ils eu le courage de réimprimer cette partie de la préface princeps, qui était une dénonciation solennelle contre leur falsification du plan primitif et original? Comment aussi la restitution de ce grand dessein n'avait-elle pas été tentée jusqu'ici? la réponse est simple, c'est que Port-Royal n'avait pas osé; c'est que le siècle suivant et le nôtre n'avaient pas compris.

Port-Royal n'avait pas osé; car la pierre angulaire de l'édifíce philosophique de Pascal, c'est que la raison est impuissante à constituer la vérité métaphysique, et qu'il fallait à l'homme une révélation pour qu'il crût, non pas seulement en J.-C., mais en Dieu. Cet audacieux démenti à Descartes et à tous les philosophes chrétiens du 17° siècle, effaroucha la rigidité scholastique des Jansénistes; ils craignirent d'achever de se décrier en bâtissant sur une telle base, et ils sentirent l'impossibilité d'asseoir sur toute autre une partie des matériaux préparés par Pascal; ils se décidèrent à les négliger, et à sacrifier l'exécution d'un plan qui assignait à ces matériaux une importance fondamentale.

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Le 18 siècle n'avait pas compris. Voyez plutôt. Qu'est-ce que Pascal aux yeux de Voltaire? un fou sublime, né un siècle trop tôt. Et Voltaire, c'est assurément la personnification la plus complette et la plus intime de toute son époque.

Le 19° siècle n'a pas compris davantage. Qu'est-ce que Pascal pour M. Villemain? un homme qui, depuis l'accident du pont de Neuilly (antérieur pourtant aux Provinciales, de quinze mois) avait le cerveau dérangé. Mais je croyais citer M. Villemain, et il se trouve que je cite encore Voltaire. M. Villemain dit seulement que « depuis un accident funeste, les sens affaiblis de » Pascal croyaient voir s'entr'ouvrir sous ses pas un précipice, faible image de cet abîme du doute, qui épouvantait intérieu»rement son âme. • Qu'est-ce enfin que Pascal pour M. Cousin? ◄ Pascal, un jour, dit ce philosophe, a vu de près la mort » sans y être préparé, et il en a eu peur. Il a peur de mourir; il ne veut pas mourir, et ce parti pris, en quelque sorte, il » s'adresse à tout ce qui pourra lui garantir plus sûrement l'im» mortalité de son âme. C'est pour l'immortalité de l'âme, et » pour elle seule, qu'il cherche Dieu. Ainsi, toujours l'accident du pont de Neuilly, toujours le point de départ de Voltaire, avec quelques variantes de diction. Pascal n'est pour les hommes de notre tems (les hommes de foi exceptés), qu'un douteur vulgaire, un esprit malade et plein d'angoisses, qui a peur de la mort, peur de l'enfer, qui cherche alors des secours bizarres contre un si grand péril, et qui met à croix ou pile l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme, absolument comme Jean-Jacques lançait des pierres contre un arbre, pour savoir s'il serait ou non damné.

Il était tems qu'il sortit comme des cendres de Port-Royal un vengeur de la mémoire du grand homme, un esprit ferme, élevé, chaleureux, nourri de la plus pure moelle du 17° siècle, ayant étudié pour ainsi dire à Port-Royal même, tant il s'est identifié de bonne heure avec toutes les mâles traditions de cette école! tant il a vécu et conversé familierment avec ces graves et puissantes intelligences ! tant, au Jansénisme près, leur tour d'esprit, les habitudes de leur pensée, la direction générale de leurs études, et les moindres nuances de leurs conceptions, lui sont intimes et sympathiques! Bien peu d'hommes de

ce tems sont assez fortement trempés pour respirer librement à cette hauteur d'atmosphère; bien peu ont le goût et le sentiment de cette austère discipline d'esprit et de cœur, de cette dialectique pour ainsi dire înnée, de cette imagination tout à la fois sévère et ardente, qui constitue le caractère commun des solitaires de Port-Royal, et dont la puissante individualité de Pascal s'était si profondément empreinte. M. Frantin, il est tems de le nommer, attiré, maîtrisé dès sa jeunesse par l'ascendant de tant et de si mâles qualités, s'est fait depuis trente ans le contemporain de ces solitaires; il s'est senti, à beaucoup d'égards, de leur famille, et parmi eux il s'est choisi un maître de prédilection, Pascal. Durant les frivoles passe-tems intérieurs de l'empire, il s'exerçait, lui, à pénétrer chaque jour plus avant dans les replis de cette vaste conception qui a créé les Pensées, et, sans songer encore à publier jamais son travail, il reconstruisait pour sa satisfaction propre ce monument inachevé. Abstraction faite du plan conservé par la préface de Port-Royal, l'examen attentif, la méditation diligente de chaque fragment, luien révélaient la place; et de la sorte la restauration de l'œuvre du maître, poursuivie con amore pendant de longues veilles, cessa d'être un rêve, et apparut éclatante d'évidence dans le livre que nous avons sous les yeux.

M. Frantin, toutefois, craignit l'illusion d'une préoccupation constante et presque passionnée ; il soumit son travail, déjà tout achevé, à deux hommes qui ont occupé depuis les plus hautes pòsitions de l'ordre judiciaire, et dont le témoignage devait être d'autant plus décisif, qu'eux aussi, familiarisés de bonne heure avec les études philosophiques et religieuses, avaient dès leur adolescence, voué à Pascal une sorte de culte. Ces deux amis, séparément consultés, collationnèrent les textes, les confrontèrent à leur tour avec le plan de Pascal, et le résultat de cette révision consciencieuse fut une pleine confirmation du classement de M. Frantin.

Ce double suffrage suffisait à la modestie de ce dernier; il garda son manuscrit pour son usage, et distrait par les travaux qui ont abouti à la publication d'une excellente composition historique (les Annales du moyen-âge), il laissa passer la Restauration sans faire jouir personne du trésor qu'il s'était fait sous

l'Empire. Rendu à la vie privée en 1830, en même tems que les deux premiers confidens de son précédent travail, ce leur fut à tous trois un indicible plaisir de repasser ensemble ces pages oubliées presque par les deux Aristarques depuis près de vingtdeux ans. Et lorsque, revoyant toute cette classification avec la maturité de l'âge, et la sécurité d'une intelligence reposée et refroidie, ils reconnurent de nouveau la parfaite vérité de cette restitution du texte de Pascal, et tout ce qui les avait frappés dans la première lecture approfondie qu'ils en avaient faite, ils considérèrent comme un devoir la publication de cette édition.

Nous en jouissons enfin; elle est dans nos mains, et c'est la seule que les admirateurs de Pascal reconnaîtront désormais. Comme l'a dit un homme d'esprit et de savoir, jusqu'ici nous avions des Pensées; maintenant nous possédons un ouvrage 1. Chacun des fragmens de l'auteur a été pour l'éditeur un texte en quelque sorte sacré : nulle addition, nulle soudure; à peine quelques notes de loin en loin; mais, suivant la remarque d'un autre, excellent juge en ces matières; si le manque de transition se laisse encore apercevoir, la simplicité du plan, la vigueur originelle du dessein de Pascal, sont telles que ce défaut n'apparaît nullement dans la suite et la progression des idées.

Veut-on un exemple? j'ouvre le chapitre de la grandeur de l'homme, et dans la nouvelle édition, je lis:

Jé puis bien concevoir un homme sans mains, sans pieds;et je le concevrais même sans tête, si l'expérience ne m'apprenait que c'est par là qu'il pense. C'est donc la pensée qui fait l'être de l'homme, et sans quoi on ne le peut concevoir.

Qu'est-ce qui sent du plaisir en nous ? Est-ce la main? Est-ce le bras ? Estce la chair? Est-ce le sang? On verra qu'il faut que ce soit quelque chose d'immatériel.

L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser. Une vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer. Mais, quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt ; et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. Ainsi toute notre dignité consiste dans la pensée. C'est de là qu'il faut nous

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relever, non de l'espace et de la durée. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale.

L'homme est visiblement fait pour penser; c'est toute sa dignité et tout son mérite. Tout son devoir est de penser comme il faut; et l'ordre de la pensée est de commencer par soi, par son auteur et sa fin.....

La pensée de l'homme est une chose admirable par sa nature. Il fallait qu'elle eût d'étranges défauts, pour être méprisable. Maiselle en a de tels, que rien n'est plus ridicule. Qu'elle est grande par sa nature! Qu'elle est basse par ses défauts!

■Malgré la vue de toutes nos misères qui nous touchent et qui nous tiennent à la gorge, nous avons un instinct que nous ne pouvons réprimer, qui nous élève.

» L'homme est si grand, que sa grandeur paraît même en ce qu'il se connait misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable...... Ainsi toutes ses misères prouvent sa grandeur. Ce sont misères de grand seigneur, misères d'un roi dépossédé.

• Qui se trouve malheureux de n'être pas roi, sinon un roi dépossédé ? Trouvait-on Paul-Emile malheureux de n'être plus consul? etc. etc.

Nous avons une si grande idée de l'âme de l'homme que nous ne pouvons souffrir d'en être méprisés, et de n'être pas dans l'estime d'une âme; et toute la félicité des hommes consiste dans cette estime.

•Si d'un côté cette fausse gloire, que les hommes cherchent, est une grande marque de leur misère et de leur bassesse, c'en est une aussi de leur excellence..... L'homme estime si grande la raison de l'homme que, quelqu'avan◄ tage qu'il ait dans le monde, il se croit malheureux, s'il n'est placé aussi avantageusement dans la raison de l'homme. C'est la plus belle place du monde, etc. etc.

Certes, il est difficile de nier la parenté intime, tranchons le mot, l'étroite connexité de toutes ces pensées. Eh bien ! prenez Port-Royal, et vous verrez que la troisième et la quatrième y sont classées, l'une dans le chapitre xxIII, l'autre dans le ch. Ix de cette édition; vous verrez de plus que les autres fragmens que vous venez de lire ne s'enchaînent point du tout les uns aux autres, et ne se suivent aucunement. La pensée que l'homme n'est qu'un roseau pensant est à deux pages de distance de la pensée sur l'immatérialité de l'âme, et rien ne lie ces deux idées

entr'elles.

Prenez Bossut : c'est pis encore. Le troisième fragment appartient à la première partie de son travail, et le quatrième à la seconde. Ceux de ces fragmens qui sont le moins séparés sont placés dans la première partie, mais sous deux divisions différentes. Enfin tous, excepté un, lui paraissent se rapporter à

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