Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub
[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

Les croisades ont émancipé les serfs de l'Europe.

Les soldats croisés

étaient émancipés. - Des serfs ecclésiastiques. Villes d'asile.
La servitude musulmane. Les croisades en ont préservé l'Europe. ·
Ordres religieux fondés pour la rédemption des esclaves. Esclavage
américain. Efforts de la Religion pour l'adoucir.

En recherchant les diverses causes qui, sous l'influence du Christianisme, ont préparé et amené l'abolition de la servitude, nous ne pouvons omettre de parler des Croisades. Bien des pages ont été écrites contre ces expéditions religieuses; des jugemens sévères, quelquefois passionnés, ont été portés à leur occasion; ce n'est point ici le lieu de les examiner et de les discuter : nous devons envisager les Croisades sous le seul point de vue qui se rattache au but de ce travail, c'est-à-dire que nous rechercherons l'effet qu'elles ont produit sur l'affranchissement des Serfs.

A l'époque où ces grandes entreprises s'exécutèrent, trois sortes de droits étaient exercés par les Seigneurs sur les Serfs: 1° le droit de poursuite, qui attachait le serf à la glèbe, et l'empêchait d'abandonner le sol auquel il était pour ainsi dire inhérent; 2ole droit de for-mariage, qui l'obligeait à ne se marier que dans le ressort de la seigneurie à laquelle il appartenait ; et 3° celui de main-morte, qui interdisait au serf la libre disposition de ses

Voir le deuxième article dans le N° 60, tom. x, p. 429.

biens. Il existait pourtant un droit d'hérédité sur les biens du serf décédé; mais comme il ne pouvait être exercé que par de très-proches parens, il en résultait que fort souvent les successions se trouvaient dévolues au seigneur.

Quand les guerres saintes commencèrent, ce fut comme un appel que la religion adressait aux chrétiens; tous étaient convoqués, l'assistance de tout ce qui portait la croix dans son cœur était réclamée sans distinction, sans exception : la religion sollicitait des bras et des épées; il n'y avait pour elle ni maîtres ni serfs, il n'y avait que des chrétiens. Dieu le veut, Dieu le veut!... ce cri d'enthousiasme pieux qui a retenti jusqu'à nous, sortait également de la bouche du puissant seigneur féodal, du bourgeois des cités et du vilain 'des campagnes, qui se présentaient ensemble pour recevoir la croix des mains du Pape Urbain, de Pierre l'hermite ou de S. Bernard, dans ces fameuses réunions de Clermont et de Vezelay, où la chrétienté tout entière semblait s'être donné rendez-vous pour se ruer sur l'empire du Croissant, et lui enlever la cité sainte.

Le serf, en se croisant, renonçait donc à demeurer plus longtems attaché à cette terre ingrate qu'il arrosait de tant de sueurs pour ne recueillir qu'une si faible portion des fruits qu'il tirait de son sein sa foi, d'accord ici avec son intérêt, lui faisait préférer de consacrer ses forces au service de la Croix en faisant le sainct véage. Le serf tréfoncier (ou attaché au sol) était donc affranchi de fait par la détermination spontanée qui l'entraînait en Asie.

Quoique d'une manière moins prompte et moins directe, les Croisades influèrent aussi sur la servitude plus spécialement inhérente à la personne. Les Croisés étaient des soldats, et des soldats privilégiés; c'étaient les soldats de Dieu. Or, il paraît certain qu'en général, la milice affranchissait l'homme qui s'enrôlait. D'après le droit Romain, l'esclave qui, au sû de son maître, servait quelque tems dans les armées, devenait libre. Or, les descendans de Clovis et de ses compagnons n'estimaient pas moins la profession des armes que ne faisaient ceux de Romulus; ils devaient lui accorder les mêmes priviléges. Et puis

1 Le mot de vilain vient de villanus, homme de la campagne.

pour un peuple plein de foi, quelle force n'ajoutait pas à cette considération la croix empreinte sur les armures? Aurait-on pu, sans une sorte de profanation, charger de nouveau, des fers de la servitude, des mains qui venaient de délivrer la cité sainte ? Ne se serait-on pas cru coupable d'un véritable sacrilége, en réclamant des droits sur les restes de ce sang qui avait coulé pour Jésus-Christ sur les champs de bataille de la Palestine ? Guerriers généreux que l'Eglise comblait de ses faveurs les plus abondantes, sur qui se fixait l'admiration de la chrétienté, auraient-ils pu, de retour dans la patrie, être replongés dans l'abjection de l'esclavage?.- L'esprit du tems ne permet pas de le penser. On ne trouve, il est vrai, aucune ordonnance qui enjoigne positivement aux seigneurs d'accorder à leurs serfs la faculté de se croiser, et de leur départir la liberté au retour de la Croisade; mais les mœurs de l'époque rendaient cette injonction superflue. «Le père,dit un contemporain,n'osait s'opposer au départ de son fils; la femme, retenir son mari; le seigneur, arrêter son serf: le chemin de Jérusalem était libre à tous par la crainte et l'amour de Dieu. De telle sorte que si les seigneurs voyant les serfs abandonner la culture des terres pour la Croisade, tentèrent de les retenir, ce fut sans succès, comme le prouve suffisamment cette immense multitude de Croisés qui, durant deux siècles, couvrit la route de l'Orient.

Une preuve, d'un autre genre, qui établit le même fait, résulte de ce qui se passait à l'assemblée du Mans à l'époque de la 3 croisade. On signifia aux habitans des villes et des campagnes, que ceux qui prendraient la croix sans l'autorisation de leurs seigneurs, ne se trouveraient point par là dispensés de lui payer la dime': déclaration qui suppose le serf croisé sans la permission du seigneur, déchargé de tout ce qu'il doit à ce seigneur par l'acquit de la dime à laquelle il était obligé. C'était une conséquence forcée du principe qui faisait considérer l'acte de prendre la croix comme une œuvre spirituelle placée hors

[ocr errors]

1 Belli sacri historia ab autore incerto.

Burgeuses verò et rustici qui sinè licentiâ dominorum suorum crucem acceperint, nihilòminùs decimas dabunt.

(Bogerus de HOVEDEN, annales, part. ¿.)

des limites de l'autorité temporelle des seigneurs, qui ne pouvaient point intervenir pour l'empêcher.

Avant les Croisades, il résultait, on doit le reconnaître, de la combinaison d'une règle portée par les canons des plus anciens conciles avec l'état social à cette époque, pour les serfs ecclésiastiques, une difficulté plus grande que pour tous autres, d'arriver à la liberté. En effet, les canons défendaient en principe d'aliéner les biens ecclésiastiques; or, les serfs étant à cette époque considérés comme faisant partie des biens, on tirait cette conséquence rigoureuse que les auteurs de ces canons n'avaient pas entrevu (du moins l'esprit général de l'Eglise doit porter à le penser), que les ordonnances ecclésiastiques elles-mêmes défendaient l'affranchissement. Les Croisades mirent un terme à ce fâcheux état de choses, en offrant aux serfs, comme nous le disions plus haut, un affranchissement tacite auquel on ne pouvait s'opposer. Avant les Croisades enfin, le besoin poussait souvent les fidèles à présenter leurs têtes à ce joug qui se rivait si fortement, mais qui du moins leur assurait le pain de chaque jour.-Depuis le commencement de ces guerres, cette oblation de sa personne dut prendre une autre direction : on aima mieux servir Dieu lui-même dans les hasards de la Croisade, que de s'assujétir même aux ministres de son Eglise, possesseurs de fiefs, sous des conditions toujours plus pénibles.

Aux considérations générales que nous avons présentées jusqu'ici, on peut en joindre d'autres qui font voir, quoique d'une manière moins directe, l'essor inconnu jusque-là qui fut imprimé par les Croisades à l'abolition de la servitude chez nos pères.

Il existait certaines villes gratifiées de priviléges extraordinaires qu'elles avaient obtenus des princes : c'est principalement en Allemagne qu'elles se trouvaient. Un des plus précieux de ces droits, fut celui en vertu duquel le serf qui était venu chercher un asile dans leur sein pouvait en sortir homme libre après un an de séjour, si, durant cet intervalle, son maître ne l'avait point réclamé. Les Croisades donnant prétexte aux serfs de quitter la terre et le manoir auxquels ils étaient attachés, un grand nombre saisit une occasion si favorable pour se jeter dans les villes libres, et y acquérir par une courte prescription cette liberté, objet de leurs désirs.

Ainsi encore les seigneurs, même les plus puissans, non contens d'aliéner leurs biens fonds pour fournir aux dépenses de l'équipement et du voyage, vendaient des franchises et des priviléges aux villes empressées de profiter d'une conjoncture qui devait accroître leur importance et leur prospérité.

Les ventes de fiefs, de terres, de franchises; la mort du grand nombre de seigneurs féodaux que la maladie emporta ou qui tombèrent sous le glaive des Musulmans, eurent pour résultat de concentrer dans quelques mains les terres féodales, qui cessèrent ainsi d'être subdivisées à l'infini: il s'en suivit plus de facilité aux serfs qui voulaient parvenir à l'affranchissement. En effet, il arrivait, en vertu de cette jurisprudence des anciennes coutumes portant que: nul ne peut franchir (affranchir) son serf sans l'autorité de son pardessus, c'est-à-dire du suzerain immédiatement supérieur ; il arrivait, disons-nous , que, comme l'octroi de la liberté dépendait rarement de la volonté d'un seul patron, le nombre considérable des pardessus multipliait les obstacles, à l'affranchissement. Une première manumission remettait le sort du serf au jugement du seigneur médiat ; par une seconde, il était réservé au troisième seigneur, et ainsi de seigneur en seigneur, en remontant jusqu'au roi. Aussi le pauvre serf était-il obligé de multiplier les requêtes, et, ce qui pis était, de payer à chaque suzerain la somme que chacun d'eux exigeait pour l'affranchissement dépendant de sa juridiction. On conçoit que, plus d'une fois, le pécule du malheureux fut épuisé et sa bourse tarie avant d'avoir parcouru tous les degrés de cette échelle de puissans et souvent avides spoliateurs.

Au milieu de toutes les autres, une cause, d'une nature toule morale, eut sa part d'efficacité. - Dans les circonstances critiques et solennelles de la vie, les sentimens, on le sait, se développent avec plus de force et de vivacité. Placée sous le coup d'une impression de péril, l'âme de l'homme devient plus religieuse et se rapproche davantage de la Divinité, en cherchant à se la rendre favorable; c'est ce qui a lieu même dans nos siècles d'indifférence ou d'impiété; combien plus cela devait-il être dans des siècles de foi!-Aussi le seigneur féodal, à la veille d'entreprendre un voyage lointain, semé pour lui de dangers de toutes sortes, que son imagination grossissait encore, s'occu

« VorigeDoorgaan »