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une conception purement philosophique et morale, comme celle des pensées de la Rochefoucauld, par exemple, et nullement à une conception religieuse.

Et pourtant ceci n'est point chose facultative et indifférente: il y va de l'intelligence de tout le livre de Pascal. Aux yeux de l'auteur des Pensées, déchéance et réhabilitation, voilà tout l'homme, toute la religion. Voilà l'unique vérité qui importe à chacun de nous; hors de là, il n'estime pas que toute la philosophie vaille une heure de peine. C'est au service exclusif de cette unique vérité, que Pascal avait dévoué son génie. C'est pour la faire prévaloir, c'est pour qu'elle rayonnât de toute sa lumière dans les intelligences paralysées par l'indifférence ou obscurcies par le doute, qu'il avait pris la plume, et non pour la vanité de faire un livre. Cette idée fondamentale, qui seule donne le mot de la grande énigme de l'homme, de son origine et de sa fin, obsédait en quelque sorte Pascal; elle lui apparaissait partout, dans ses méditations, dans ses lectures, dans ses observations les plus diverses. Elle est au fond de presque chacune de ses Pensées, et la plupart s'y rattachent par quelque lien secret pour qui sait le lire et l'entendre.

Le nouvel éditeur (et ce point serait capital à lui seul) a restitué à cette idée-mère toute sa prédominance. Toutefois la justesse de son esprit a su le préserver d'un autre écueil, celui d'une unité trop systématique et trop absolue. Il a recounu que, dans les papiers de Pascal, se trouvaient plusieurs fragmens antérieurs peut-être et certainement étrangers à son grand travail apologétique. Telles sont les réflexions sur la géométrie en général, sottement mutilées par le géomètre Bossut; tel le discours sur les différences de l'esprit géométrique, de l'esprit de justesse et de celui de finesse. Quelques pensées détachées de littérature, ou de morale purement humaine, n'auraient pu sans effort et sans témérité se voir introduites dans le corps de l'ouvrage. M. Frantin a eu la sagesse de rejeter ces fragmens et ces pensées à la fin de son volume.

Mais il n'en a point usé de même, ni pour le discours sur la condition des grands, ni pour l'entretien sur Epictète et Montaigne, ni pour l'écrit de Pascal sur les miracles, et nous l'en félicitons sincèrement.

TOME XI.- - N° 61. 1835.

Sans doute le morceau sur la condition des grands, simple allocution au duc de Roannez (le même qui eut tant de part à la première édition des Pensées), n'était point destiné à l'apologétique projeté par Pascal. Mais les idées qui constituent le fond de ce discours appartiennent visiblement à la haute conception chrétienne qui inspirait cet ouvrage. Elles y auraient incontestablement trouvé place, et leur absence y ferait lacune. Qu'importe donc le cadre sous lequel ces idées nous ont été transmises, si elles font corps avec les pensées de Pascal sur les opinions populaires, si elles développent et complètent ces pensées ? La forme dramatiquement familière de tout ce morceau rompt au contraire avec bonheur l'uniformité forcée d'une série de considérations aussi graves que celles dont se compose le livre de Pascal.

Cette justification s'applique avec plus de plénitude encore à l'entretien sur Epictète et Montaigne. Ce beau parallèle résume trop bien les sept chapitres sur l'homme et toute la philosophie religieuse de Pascal, pour que M. Frantin dût hésiter à s'en emparer, à en épurer le texte (comme il l'a fait en conférant les variantes, et en préférant toujours les leçons les plus heureuses), et à en faire comme le couronnement de tout-ce qui précède. Il est vrai qu'ici le rédacteur est Fontaine ou Sacy, comme tout à l'heure c'était Nicole. Mais, si la sagesse de Pascal a eu ce point de ressemblance avec la sagesse socratique, qu'elle a été recueillie et conservée par des amis, nul du moins n'a suspecté la fidélité de leur mémoire, et l'éloquente originalité de la parole de Pascal perce encore dans ces échos affaiblis, avec une si incomparable énergie, qu'on ne citerait dans tout Sacy et dans tout Nicole rien qui approche de la vigueur de style de ces deux

morceaux.

Les pensées sur les miracles et celles sur la mort ne souffraient pas même cette objection superficielle; car ici la rédaction est bien de Pascal. Elles n'avaient point été directement écrites pour son grand ouvrage, mais à l'occasion de faits tout domestiques, la mort d'Etienne Pascal, son père, et le fameux miracle de la sainte Epine, opéré sur M. Périer, nièce de l'auteur. Cependant il se trouvait là, surtout dans les pensées sur la mort, de si belles choses et d'une application si générale, que Bossut

comme Port-Royal en avait consacré l'incorporation dans le livre des Pensées; toute édition qui eût supprimé ces deux chapitres eût à bon droit passé pour incomplète.

Il est un reproche pourtant que nous ferons à M. Frantin : c'est de n'avoir pas religieusement conservé à chaque fragment, si je l'ose dire, son individualité, tout en le rapprochant de tel autre qu'il ne fait que continuer. J'aurais aimé que chacun des chiffons de papier trouvés sur le bureau de Pascal cût gardé, non plus son isolement, mais sa place distincte, en obtenant toujours, à la suite du fragment auquel il se rattache, un alinéa séparé. Il y aurait eu là un respect superstitieux, si l'on veut, pour ces débris d'une grande pensée; mais, quand il s'agit d'un Pascal, de pareils scrupules nous plaisent, et nous n'estimons point qu'il soit sans intérêt d'avoir cette pensée telle qu'il nous l'a réellement laissée, mâle, profonde, éloquente, mais sans cesse brisée par les hoquets de la maladie et les paroxysmes de la douleur.

Aussi-bien laissons là toutes ces chicanes, et jouissons du beau et consciencieux labeur dont le fruit nous est offert. Le travail d'un éditeur n'est point assez prisé de nos jours. On ne tient pas assez de compte à un homme capable de penser par lui-même, de ce qu'il a dépensé de tems et de dévoûment à rechercher, à éclaircir, à épurer la pensée d'un autre. On ne sent pas assez tout ce qu'il faut de patiente ardeur et de minutieux discernement pour une pareille tâche. âu 16° siècle, au tems des sérieux et longs travaux, une édition suffisait à créer une réputation littéraire; au 19°, au tems des travaux fashionnables, nous pouvons prédire à M. Frantin qu'on lui saura bien moins de gré d'avoir restauré Pascal, que s'il eût écrit tel roman de la veille ou tel feuilleton du jour; mais aussi on s'en souviendra plus long-tems.

Nous n'avons parlé d'ailleurs que de l'édition proprement dite, et le discours préliminaire, quelque court qu'il soit, mériterait à lui seul un examen approfondi. Il y a là sur la philosophie de Pascal, considéré soit comme psychologue, soit comme le précurseur de la réaction dont nous sommes témoins contre Descartes, tout un point de vue complétement neuf et singulièrement fécond, qui donne à la publication du livre des Pensées une actualité inattendue.

Ce discours préliminaire a je ne sais quoi de simple et de solennel tout ensemble, comme les préambules des historiens de l'antiquité. Rien de vague dans cette exposition, rien d'indécis, ni de flottant dans la pensée ou dans la diction de l'écrivainOn dirait d'un auteur du 17° siècle, tant le style est ferme et plein, la conception nette et substantielle. Rien de suranné toutefois dans le tour ou dans les formes du langage; nulle affectation d'archaïsme; nulle froideur, nulle indigence dans cette élocution moins sobre que tempérante. On sent que, tout en se faisant le contemporain de Port-Royal, M. Frantin était avant tout homme de notre tems, et qu'il a su se maintenir tel. Ce n'en est pas moins la gravité naturelle et toute virile de la première moitié du siècle de Louis XIV: c'est toute la physionomie littéraire de ce tems, avec ses contours précis et arrêtés; c'est bien surtout ce mouvement calme et vrai d'une force qui n'a pas besoin de s'exagérer, parce qu'elle est sûre d'elle-même.

Th. FOISSET.

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LA RAISON DU CHRISTIANISME,

PAR M. L'ABRÉ de genoude '.

Premier Article.

Caractère particulier de la société actuelle.

Action du Clergé dans les

sciences. Entrée des hautes classes de la société dans le corps sacerLe journalisme et M. de Genoude.

dotal.

du Christianisme:

-

Influence de la raison Plan et but de l'ouvrage. Son exécution.

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On a souvent comparé l'état moral de la société actuelle à celui des premiers siècles de l'ère chrétienne, et il faut convenir qu'en ce qui touche les doctrines, les spéculations philosophiques, l'absence de tout grand foyer intellectuel en dehors du Christianisme, l'inquiétude générale des esprits qui réclamaient des croyances et ne trouvaient que des opinions, il faut, dis-je, convenir que les points de ressemblance sont frappans et nombreux. Ne pourrait-on pas encore, sous un autre point de vue, comparer notre 19° siècle à l'époque qui suivit l'invasion des Barbares?

L'arrivée de ces peuples étrangers causa une terrible commotion; l'ancien ordre social fut anéanti, les restes d'une civilisation brillante encore, quoique décrépite, disparurent, l'Eglise ellemême, au triomphe de laquelle ces hordes avaient été convo

› La Raison du Christianisme, ou preuves de la vérité de de la Religion, tirées des écrits des plus grands hommes de la France, de l'Angleterre et de l'Allemagne ; ouvrage publié sous la direction de M. de Genoude. L'ouvrage contiendra 12 volumes. 9ont déjà paru, et sont presque épuisés. Le prix de chaque volume est de 5 francs, et de 6 fr. 45 c. par la poste. Au Bureau de la Gazette de France, rue du Doyenné, no 12, et chez Sapia, libraire, rue de Sèvres, no 16.— On sait que M. l'abbé de Genoude publie en outre deux autres ouvrages d'une grande importance, la traduction de la Bible, et une traduction des Pères de l'Eglise. Ces trois publications réunies présentent une suite de temoignages non interrom· pus depuis Moyse jusqu'à nos jours. Quelle autre religion est capable d'offrir une si belle et si sûre tradition ?

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