Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub
[ocr errors][merged small][merged small][merged small]

A M. LE DIRECTEUR DES ANNALES DE PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE.

Vous m'envoyez, Monsieur, les différentes publications que Mlle. Sophie Mazure vous a adressées, sur l'éducation des femmes, et vous voulez que je vous en dise mon sentiment. C'est me faire beaucoup d'honneur; malheureusement je devine fort bien que c'est de votre part un moyen adroit de décliner la responsabilité d'une question difficile, et qu'il est impossible de traiter à la satisfaction de tout le monde. J'aurais, vous le savez bien, de fort bonnes raisons pour vous renvoyer et brochures et honneur; mais comme vous m'avez assez bien tenu les conditions d'anonyme que j'avais mises à la publication de mon article sur le salon de 1835, je vais me risquer, caché de nouveau sous vos auspices, à répondre à ce que Mile. Mazure demande

de vous.

Quels sont les projets de Mlle. Mazure? Former une Ecole normale pour les femmes; c'est pour cela qu'elle a présenté pétition à la chambre, mémoires et suppliques aux ministres. Repoussée ou négligée par la chambre et les ministres, elle s'adresse aux catholiques, et leur demande de lui être en aide pour cet établissement qu'elle appellerait Ecole normale catholique.

Mais quel est le but de cette Ecole? former, nous dit-elle, d'abord des institutrices pour les jeunes personnes, en leur ouvrant une maison où elles pourraient pendant plusieurs années, à l'abri de toute gêne extérieure, se livrer à l'étude et aux travaux intellectuels. Ceci est louable; mais, si je ne me trompe pas, et je ne crois pas me tromper un autre but est dans la pensée de Mlle. Mazure, celui d'aider ce mouvement moral etlittéraire qui se manifeste chez les femmes, et de les appeler à donner,

elles aussi, l'explication des énigmes tani cherchées des destinées sociales et intellectuelles, et en particulier à préciser quelle doit être la part de la femme dans la recomposition qui se fait de la société. Ainsi, c'est à manier la plume qu'elle appelle les plus choisies de ses compagnes, celles qui dans ce moment ne peuvent atteindre le plus souvent qu'au rôle peu progressif d'institutrices, et c'est dans le champ clos de la presse qu'elle veut les voir combattre pour le progrès de l'humanité. Et comme elle a entendu autour d'elle quelques malins médire méchamment des femmes-auteurs, et leur annoncer qu'elles ne seront ni aimables ni aimées, elle a relevé hardiment ce gant jeté par quelques discourtois chevaliers, et leur a répondu fièrement: Eh bien, oui, nous y re» nonçons: ni aimables ni aimées, c'est entendu. Notre dévoûment »va jusque là, puisque c'est à ce prix que doit être le bonheur futur des femmes! »

[ocr errors]

Or, ici, sans vouloir dire pourtant si c'est aimable ou aimée que je regrette dans cette solennelle renonciation que fait Mlle. Mazure au nom des femmes, j'avoue que je ne saurais être sur aucun de ces points de son avis. En effet, je crois fermement que l'instruction des femmes, fût-elle poussée jusqu'à celle d'une femme-auteur, et il n'est pas besoin qu'elle soit poussée bien loin pour arriver jusque là ne saurait, si elle est réelle et véritable, leur rien ôter de leur amabilité, ou les empêcher d'être aimées ; et en second lieu, je désapprouve la voie dans laquelle Mlle. Mazure voudrait faire entrer les femmes dont l'esprit a été plus cultivé, et l'instruction plus soignée. Et lorsque je leur déconseille la profession de litterateur et d'auteur, que Mlle. Mazure n'aille pas m'accuser de méconnaître leurs talens ou leur capacité. Eh! mon Dieu, je leur accorderai volontiers tous les talens et toute la capacité qu'elle voudra, autant et même plus qu'aux hommes. Mais, de bonne foi, qu'elle jette un coup d'œil sur les travaux actuels des hommes et des femmes, et qu'elle me dise quelle est la vérité nouvelle ou la morale meilleure qui sont sorties de tout ce chaos de publications littéraires et philosophiques dont nous sommes inoudés ?

Lettre de Mademoiselle Mazure, insérée dans le N° de septembre der nier de la Revue européenne.

C'est qu'aussi il n'est pas vrai que les destinées de l'humanité soient une énigme à la recherche de laquelle les femmes ou les hommes doivent être appelés. C'est là l'erreur capitale de Mile. Mazure et de notre époque. Les destinées de l'humanité sont très-nettement et très-précisément fixées et prédites par le Christianisme. Il n'y a plus rien à chercher ou à inventer. Les nouvelles théories n'amèneraient que de nouvelles ténèbres et ne fairaient qu'aumenter le chaos.

Sans doute, de grands travaux sont entrepris, de nombreuses découvertes ont été faites et restent à faire, et les femmes doivent y participer; mais, ces études, ces découvertes, sont toutes positives, ayant d'un côté pour objet les recherches historiques et les traditions de l'humanité, de l'autre, les sciences naturelles et les observations exactes: à Dieu ne plaise que je veuille repousser aucune femme de ces travaux, qu'elles en prennent selon leur goût ou leur puissance; seulement, je ferai observer à Mademoiselle Mazure, que rechercher les antiques croyances de l'humanité à travers les obscurités de ses vieilles langues, refaire la science surannée et mensongère du 18′ siècle, cela est un peu plus difficile que d'être l'écho d'une de ces voix qui ne font que mourir et renaître au cœur isolé; mais aussi, il faudra qu'elle convienne que cela est un peu plus utile que de nous apprendre ce qui leur fait mal dans l'état actuel de la société.

Or, propager les découvertes obtenues, et populariser l'amélioration des sciences, faire pénétrer dans la famille et dans l'éducation première des enfans les idées plus chrétiennes qui commencent à dominer dans les esprits élevés, voilà ce qui me paraît être la mission des femmes, mission glorieuse, utile, et que je ne crois, ni au-dessus de leur portée, ni au-dessous de leur mérite. Tout ce qui tendra à ce but devra être bien reçu et encouragé. Une école normale dirigée dans ce sens, serait un véritable service rendu, non-seulement aux institutrices, mais encore à l'éducation de toutes les jeunes personnes. J'ai entendu dire que ce projet avait été préparé l'année dernière par un prêtre, homme d'un zèle ardent et d'une foi profonde. Je suis fâché qu'il n'ait pu le mettre à exécution. Cependant, le progrès dont je parle ici est tellement naturel et nécessaire à notre époque, que je n'hésite pas à dire que sans école normale il

aura lieu; bien plus, il s'opère même tous les jours, par l'effet de l'amélioration générale des études.

Il est impossible que la femme elle-même ne participe pas à ce progrès. La femme, se modèle essentiellement sur l'homme. L'épouse apprend de son mari, la fille du père, la sœur du frère; car, s'il est un enseignement que l'on puisse appeler mutuel, c'est essentiellement celui de la femme, admise comme elle est à toutes nos conversations et à toutes nos lectures. Or, c'est là le véritable enseignement, celui qui tôt ou tard ne peut manquer son effet. C'est là le progrès infaillible, auquel la femme participe, sans peine, sans prétention, sans presque qu'elle s'en doute, et quelquefois sans qu'il y paraisse aux yeux du vulgaire observateur. Or, cet enseignement fait chaque jour de nouveaux progrès, et, n'en déplaise à Mlle. Mazure, je puis lui assurer que celles qui y participent ne cessent pas pour cela d'être aimables et ne courent aucun risque de ne pas être aimées. En preuve de ce que j'avance ici, je ne connais pas assez Mlle. Mazure pour qu'il me soit permis de lui adresser le mot de Crillon à Henri IV, mais je puis insinuer d'abord que lorsqu'elle fait cette abdication au nom de toutes, ses pouvoirs sont loin d'être réguliers, ou du moins qu'elle fait comme certains mandataires, qu'elle les dépasse de beaucoup. Grâces à Dieu, il existe bon nombre de femmes, et de jeunes personnes, qui ont de l'instruction et de la science plus qu'il n'en faut pour être femmes- auieurs, et qui n'ont perdu pour cela aucune des grâces du visage ou aucun des agréments de l'esprit.

En effet, dans le cercle étroit du monde que je fréquente, je puis dire que je connais un bon nombre de mères de famille faisant elles-mêmes l'éducation de leurs filles, leur communiquant ce qu'elles savent, s'instruisant de ce qu'elles ne savent pas, appelant à leur secours des auxiliaires étrangers pour ce qu'elles ne peuvent savoir; mais dirigeant, surveillant, préparant toute l'éducation de leurs filles, les encourageant ou les modérant, comme jadis lorsqu'il s'agissait de soutenir leurs pas chancelans, et de former à la vie leurs membres frêles et délicats: véritables mères à qui leurs filles doivent une seconde vie, la vie de l'esprit !

Ce n'est pas assez : j'ai connu et je connais encore des mères

qui s'occupent avec autant de soin et de succès de l'éducation de leurs fils: ayant appris ce qu'il fallait des langues vivantes et mortes pour en formuler les premiers élémens à leur jeune intelligence, ce qu'il fallait de leurs études pour leur être des répétiteurs fidèles, plus fidèles qu'aucun de ceux qu'on place près d'eux dans les colléges. Oh! heureuse mère, je vous ai vue, orgueilleuse et fière, déposer au sein de la première école scientifique du monde, l'école polytechnique un fils qui n'était pas sorti de vos mains. Soyez en sûre, un tel jeune homme ne faillira ni à la science ni à la foi, ni à Dieu ni aux hommes. Oui, voilà ce que j'appelle un véritable progrès dans l'éducation et les habitudes des femmes. Voilà ce qui doit être le véritable but de leurs études intellectuelles. C'est ainsi qu'elles feront une véritable révolution, une révolution vraiment glorieuse dans la famille, et, par elle, dans les états et dans les mœurs. Je ne crois pas que Mlle. Mazure ou aucune autre aient à se plaindre de cette destinée nouvelle qui leur est acquise, et qu'elles rempliront tôt ou tard. Or, cela vaut un peu mieux que les ingrates spéculations de l'esprit ou du cœur, spéculations où se perdent tous les jours les jeunes gens aux intentions les plus droites et aux talens les plus distingués.

Et cependant loin de moi de vouloir blâmer toutes les femmes qui écrivent; loin de décourager celles qui veulent ou peuvent écrire. J'en conviens, c'est là une belle et royale occupation, et je ne suis pas étonné de voir s'y consacrer celles surtout à qui leur fortune a fait de longs loisirs, et celles qui aiment le travail, la solitude et la réflexion. Oh! je serai le premier à applaudir à leurs travaux, soit que s'attachant à montrer combien la vertu vaut mieux que la prospérité, ou combien le repentir peut racheter de fautes, comme dans Thomas Morus, ou Henri Percy, elles signent magnifiquement PRINCESSE DE CRAON, soit quelles préfèrent cacher un nom très-connu dans la magistrature, tout en semant de bonnes pensées et de bons exemples, dans Eudolie ou la jeune malade, Zoé ou la femme coquette, Roseline ou la nécessité de la religion pour le bonheur de la femme.

Ainsi, que Mlle. Mazure comprenne bien ma pensée : écrire pour le public, devenir femme-auteur, cela peut être bon ou

« VorigeDoorgaan »