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membres les plus distingués? L'abbé Maury, qui était bien loin d'occuper un premier rang dans le clergé de France, défendait ses abbayes sous le nom du bien public; et un capitaine de cavalerie, anobli depuis vingt-cinq ans, M. de Casalès, fut le champion des priviléges de la noblesse dans l'Assemblée constituante. On a vu depuis ce même homme se rattacher l'un des premiers à la dynastie de Bonaparte; et le cardinal Maury, ce me semble, s'y est assez prêté. L'on peut donc croire, dans cette occasion comme dans toute autre, que de nos jours les avocats des préjugés sont souvent très-disposés à transiger pour des intérêts personnels, La majorité de la noblesse, se sentant délaissée en 1789 par les talents et les lumières, proclamait indiscrètement la nécessité d'employer la force contre le parti populaire. Nous verrons si cette force existait alors; mais on peut dire d'avance que, si elle n'existait pas, c'était une grande imprudence que d'en menacer.

CHAPITRE XVIII.

De la conduite du tiers état pendant les deux premiers mois de la session des états généraux.

Quelques individus de la noblesse et du clergé, les premiers de leur pays, inclinaient fortement, comme nous l'avons dit, pour le parti populaire; beaucoup d'hommes éclairés se trouvaient parmi les députés du tiers état. Il ne faut pas juger de la France d'alors par celle d'aujourd'hui : vingt-cinq ans de périls continuels en tout genre ont malheureusement accoutumé les Français à n'employer leurs facultés qu'à la protection d'eux-mêmes; mais on comptait en 1789 un grand nombre d'esprits supérieurs et philosophiques. Pourquoi donc, dira-t-on, ne pas s'en tenir au régime sous lequel ils s'étaient formés ainsi? Ce n'était pas le gouvernement, mais les lumières du siècle qui avaient développé tous ces talents, et ceux qui se les sentaient éprouvaient le besoin de les exercer : toutefois l'ignorance du peuple à Paris, et plus encore dans les provinces, cette ignorance, résultat d'une longue op

presssion et du peu de soin que l'on prenait de l'éducation des dernières classes, menaçait la France de tous les maux dont elle a été depuis accablée. Il y avait peut-être autant d'hommes marquants chez nous que parmi les Anglais; mais la masse de bon sens dont une nation libre est propriétaire n'existait point en France. La religion fondée sur l'examen, l'instruction publique, les élections et la liberté de la presse, sont des sources de perfectionnement qui avaient agi depuis plus de cent ans en Angleterre. Le tiers état voulait que les Français fussent enrichis d'une partie de ces biens; l'esprit public appuyait son désir avec énergie : mais le tiers état, étant le plus fort, ne pouvait avoir qu'un mérite, celui de la modération, et malheureusement il ne voulut pas se le donner.

Deux partis existaient dans les députés de cet ordre : l'un avait pour chefs principaux Mounier et Malouet ; et l'autre Mirabeau et Sieyes. Le premier voulait une constitution en deux chambres, et conservait l'espoir d'obtenir ce changement de la noblesse et du roi par les voies de la conciliation; l'autre était plutôt dirigé par les passions que par les opinions, bien que l'avantage des talents pût lui être attribué.

Mounier était le chef de l'insurrection calme et réfléchie du Dauphiné; c'était un homme passionnément raisonnable, plus éclairé qu'éloquent, mais constant et ferme dans sa route tant qu'il lui fut possible d'en choisir une. Malouet, dans quelque situation qu'il se soit trouvé, a toujours été guidé par sa conscience. Je n'ai pas connu d'âme plus pure; et, si quelque chose lui a manqué pour agir efficacement, c'est qu'il avait traversé les affaires sans se mêler avec les hommes, se fiant toujours à la démonstration de la vérité, sans réfléchir assez aux moyens de l'introduire dans la conviction des autres.

Mirabeau, qui savait tout et qui prévoyait tout, ne voulait se servir de son éloquence foudroyante que pour se faire place au premier rang, dont son immoralité l'avait banni. Sieyès était l'oracle mystérieux des événements qui se préparaient: il a, on ne saurait le nier, un esprit de la première force et de la plus

grande étendue; mais cet esprit a pour guide un caractère trèssujet à l'humeur; et, comme on pouvait à peine arracher de lui quelques paroles, elles comptaient, par leur rareté même, comme des ordres ou des prophéties. Pendant que les privilégiés discutaient leurs pouvoirs, leurs intérêts, leurs étiquettes, enfin tout ce qui ne concernait qu'eux, le tiers état les invitait à s'occuper en commun de la disette et des finances. Sur quel terrain avantageux les députés du peuple ne se plaçaient-ils pas, quand ils sollicitaient pour de semblables motifs la réunion de tous les députés ! Enfin le tiers état se lassa de ses vains efforts, et les factieux se réjouirent de ce que leur inutilité semblait démontrer la nécessité de recourir à des moyens plus énergiques.

Malouet demanda que la chambre du tiers se déclarât l'assemblée des représentants de la majorité de la nation. Il n'y avait rien à dire à ce titre incontestable. Sieyès proposa de se constituer purement et simplement l'assemblée nationale de France, et d'inviter les membres des deux ordres à se réunir à cette assemblée : ce décret passa, et ce décret était la révolution elle-même. Combien n'importait-il donc pas de le prévenir! Mais tel fut le succès de cette démarche, qu'à l'instant les députés de la noblesse du Dauphiné et quelques prélats accédèrent à l'invitation de l'assemblée; son ascendant croissait à toute heure. Les Français sentent où est la force mieux qu'aucun peuple du monde ; et, moitié par calcul, moitié par enthousiasme, ils se précipitent vers la puissance, et l'augmentent de plus en plus en s'y ralliant."

Le roi, comme on le verra dans le chapitre suivant, se détermina beaucoup trop tard à intervenir dans la crise; mais, par une maladresse ordinaire au parti des privilégiés, toujours faible sans cesser d'être confiant, le grand maître des cérémonies imagina de faire fermer la salle où se rassemblait le tiers état, pour y placer l'estrade et le tapis nécessaires à la réception du roi. Le tiers état crut, ou fit semblant de croire qu'on lui défendait de se rassembler; les troupes qui s'avançaient de toutes parts autour de Versailles mettaient les députés dans la situation du monde la plus avantageuse. Le danger était assez apparent pour leur donner l'air

du courage; et ce danger cependant n'était pas assez réel pour que les hommes timides y cédassent. Tout ce qui composait l'assemblée nationale se réunit donc dans la salle du Jeu-de-Paume, pour prêter serment de maintenir ses droits ce serment n'était pas sans quelque dignité; et, si le parti des privilégiés avait été plus fort dans le moment où on l'attaquait, et que le parti national se fût montré plus sage après le triomphe, l'histoire aurait consacré ce jour comme l'un des plus mémorables dans les annales de la liberté.

CHAPITRE XIX.

Des moyens qu'avait le roi, en 1789, pour s'opposer à la révolution.

La véritable opinion publique, celle qui plane au-dessus des factions, est la même depuis vingt-sept ans en France; et toute autre direction, étant factice, ne saurait avoir qu'une influence momentanée.

L'on ne pensait point dans ce temps à renverser le trône, mais on ne voulait pas que la loi fût faite par ceux qui devaient l'exécuter; car ce n'est pas dans les mains du roi, mais dans celles de ses ministres, que l'autorité des anciens gouvernements arbitraires est remise. Les Français ne se soumettaient pas volontiers alors à la singulière humilité qu'on prétend exiger d'eux maintenant, celle de se croire indignes d'influer, comme les Anglais, sur leur propre sort. Que pouvait-on objecter à ces vœux presque universels de la France, et jusqu'à quel point un roi consciencieux devait-il s'y refuser? Pourquoi se charger à lui seul de la responsabilité de l'État, et pourquoi les lumières qui lui seraient venues d'une assemblée de députés, composée comme le parlement anglais, n'auraient-elles pas valu pour lui celles qu'il tirait de son conseil ou de sa cour? Pourquoi mettre enfin à la place des devoirs mutuels entre le souverain et son peuple la théorie renouvelée des Juifs sur le droit divin? Mais, sans la discuter ici, on ne saurait nier au moins qu'il ne faille de la force pour maintenir cette

théorie, et que le droit divin n'ait besoin d'une armée terrestre pour se manifester aux incrédules. Or, quels étaient alors les moyens dont l'autorité royale pouvait se servir?

Deux partis raisonnables seulement restaient à prendre : triompher de l'opinion, ou traiter avec elle. La force, la force! s'écrièrent ces hommes qui croient s'en donner, seulement en prononçant ce mot. Mais en quoi consiste la force d'un souverain, si ce n'est dans l'obéissance de ses troupes? Or l'armée, dès 1789, partageait en grande partie les opinions populaires contre lesquelles on voulait l'employer. Elle n'avait presque pas fait la guerre depuis vingt-cinq ans, et c'était une armée de citoyens, imbue des sentiments de la nation, et qui se faisait honneur de s'y associer. Si le roi s'était mis à sa tête, dira-t-on, il en aurait disposé. Le roi n'avait pas reçu une éducation militaire, et tous les ministres du monde, y compris le cardinal de Richelieu, ne sauraient suppléer, à cet égard, à l'action personnelle d'un monarque. On peut écrire pour lui, mais non commander une armée à sa place, surtout quand il s'agit de l'employer dans l'intérieur. La royauté ne peut être conduite comme la représentation de certains spectacles, où l'un des acteurs fait les gestes pendant que l'autre prononce les paroles. Mais, quand la plus énergique volonté des temps modernes, celle de Bonaparte, se serait trouvée sur le trône, elle se serait brisée contre l'opinion publique au moment de l'ouverture des états généraux. La politique était alors un champ nouveau pour l'imagination des Français; chacun se flattait d'y jouer un rôle chacun voyait un but pour soi dans les chances multipliées qui s'annonçaient de toutes parts; cent ans d'événements et d'écrits divers avaient préparé les esprits aux biens sans nombre que l'on se croyait prêt à saisir. Lorsque Napoléon a établi le despotisme en France, les circonstances étaient favorables à ce dessein; on était lassé de troubles, on avait peur des maux horribles qu'on avait soufferts, et que le retour des mêmes factions pouvait ramener; d'ailleurs l'enthousiasme public était tourné vers la gloire militaire; la guerre de la révolution avait exalté l'orgueil national. L'opinion, au contraire, sous Louis XVI, ne s'attachait qu'aux

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