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intérêts purement philosophiques; elle avait été formée par les livres, qui proposaient un grand nombre d'améliorations pour l'ordre civil, administratif et judiciaire; on vivait depuis longtemps dans une profonde paix ; la guerre même était hors de mode depuis Louis XVI. Tout le mouvement des esprits consistait dans le désir d'exercer des droits politiques, et toute l'habileté d'un homme d'État se fondait sur l'art de ménager cette opinion.

Lorsqu'on peut gouverner un pays par la force militaire, la tâche des ministres est simple, et de grands talents ne sont pas nécessaires pour se faire obéir; mais si, par malheur, on a recours à cette force, et qu'elle manque, alors l'autre ressource, celle de captiver l'opinion, n'existe plus; car on l'a perdue pour jamais dès qu'on a vainement tenté de la contraindre. Examinons, d'après ces principes, les plans proposés par M. Necker, et ceux qu'on fit adopter au roi, en sacrifiant ce ministre,

CHAPITRE XX.

De la séance royale du 23 juin 1789.

Le conseil secret du roi différait entièrement de son ministère ostensible; il y avait bien quelques ministres de l'avis du conseil secret, mais le chef reconnu de l'administration, M. Necker, était précisément celui contre lequel les privilégiés dirigeaient leurs efforts.

En Angleterre, la responsabilité des ministres met obstacle à ce double gouvernement des affidés du roi et de ses agents officiels. Aucun acte du pouvoir royal n'étant exécuté sans la signature d'un ministre, et cette signature pouvant coûter la vie à celui qui la donne à tort, quand le roi serait entouré de chambellans qui prêcheraient le pouvoir absolu, aucun de ces chambellans mêmes ne se risquerait à faire, comme ministre, ce qu'il soutiendrait comme courtisan. Il n'en était pas ainsi de la France on faisait venir, à l'insu du ministre principal, des régiments allemands, parce qu'on n'était pas assez sûr des régiments français; l'on se

persuadait qu'avec cette troupe étrangère on viendrait à bout de l'opinion, dans un pays tel qu'était alors l'illustre France.

Le baron de Breteuil, qui aspirait à remplacer M. Necker, était incapable de comprendre autre chose que l'ancien régime; et encore, dans l'ancien régime, ses idées ne s'étaient jamais étendues au delà des cours, soit en France, soit dans les pays étrangers où il avait été envoyé comme ambassadeur. Il avait revêtu son ambition des formes de la bonhomie; il serrait la main à la manière anglaise à tous ceux qu'il rencontrait, comme s'il eût dit à chacun : « Je voudrais être ministre; quel mal cela vous fait-il? » A force de répéter qu'il voulait être ministre, on y avait consenti, et il avait aussi bien gouverné qu'un autre, quand il ne s'agissait que de signer le travail ordinaire que les commis apportaient tout fait à leurs chefs. Mais, dans la grande circonstance dont je vais parler, il fit, par ses conseils, un mal affreux à la cause du roi. Son gros son de voix ressemblait à de l'énergie; il marchait à grand bruit en frappant du pied, comme s'il avait voulu faire sortir de terre une armée, et toutes ses manières décidées faisaient illusion à ceux qui avaient foi à leurs propres désirs.

Quand M. Necker disait au roi et à la reine: Êtes-vous assurés de l'armée ? on croyait voir dans ce doute un sentiment factieux : car l'un des traits qui caractérisent le parti des aristocrates en France, c'est d'avoir pour suspecte la connaissance des faits. Ces faits, qui sont opiniâtres, se sont en vain soulevés dix fois contre les espérances des privilégiés : toujours ils les ont attribués à ceux qui les ont prévus, mais jamais à la nature des choses. Quinze jours après l'ouverture des états généraux, avant que le tiers état se fût constitué assemblée nationale, lorsque les deux partis ignoraient encore leur force réciproque, et qu'ils s'adressaient tous les deux au gouvernement pour requérir son appui, M. Necker présenta au roi un tableau de la situation de la monarchie. « Sire, » lui dit-il, je crains qu'on ne vous trompe sur l'esprit de votre » armée : la correspondance des provinces nous fait croire qu'elle »> ne marchera pas contre les états généraux. Ne la faites donc » point approcher de Versailles, comme si vous aviez l'intention

» de l'employer hostilement contre les députés. Le parti populaire >> ne sait point encore positivement quelle est la disposition de >> cette armée. Servez-vous de cette incertitude même pour main» tenir votre autorité dans l'opinion; car, si le fatal secret de » l'insubordination des troupes était connu, comment serait-il >> possible de contenir les esprits factieux? Ce dont il s'agit main» tenant, sire, c'est d'accéder aux vœux raisonnables de la France: » daignez vous résigner à la constitution anglaise; vous n'éprou>> verez personnellement aucune contrainte par le règne des lois; >> car jamais elles ne vous imposeront autant de barrières que vos » propres scrupules; et, en allant au devant des désirs de votre > nation, vous accorderez encore aujourd'hui ce que peut-être » elle exigera demain. »

A la suite de ces observations, M. Necker remit le projet d'une déclaration qui devait être donnée par le roi un mois plus tôt que le 23 juin, c'est-à-dire longtemps avant que le tiers état se fût déclaré assemblée nationale, avant le serment du Jeu-de-Paume, enfin avant que les députés eussent pris aucune mesure hostile. Les concessions du roi avaient alors plus de dignité. La déclaration, telle que l'avait rédigée M. Necker, était presque mot pour mot semblable à celle qui fut donnée par Louis XVIII à Saint-Ouen le 2 mai 18141, vingt-cinq années après l'ouverture des états généraux. N'est-il pas permis de croire que le cercle sanglant de ces vingt-cinq années n'aurait pas été parcouru, si l'on avait consenti dès le premier jour à ce que la nation voulait alors et ne cessera point de vouloir?

Un moyen ingénieux assurait le succès de la proposition de M. Necker. Le roi devait ordonner le vote par tête en matière d'impôts, et ce n'était que sur les intérêts, sur les affaires et les priviléges de chaque ordre, qu'ils étaient appelés à délibérer séparément avant que la constitution fût établie. Le tiers état, ne s'étant point encore assuré du vote par tête, eût été reconnaissant de l'ob

C'est dans ce même lieu, Saint-Ouen, que mon père a passé sa vie. Je ne puis m'empêcher, tout puéril qu'est ce rapprochement, d'en être frappée.

tenir en matière d'impôts, ce qui était de toute justice car se figure-t-on des états généraux dans lesquels la majorité, c'est-àdire les deux ordres privilégiés, qui comparativement ne payaient presque rien, auraient décidé des taxes que la minorité, le tiers état, devait acquitter en entier ? Le roi déclarait aussi, dans le projet de M. Necker, que, relativement à l'organisation future des états généraux, il ne sanctionnerait qu'un corps législatif en deux chambres. Venaient ensuite différentes propositions populaires en finances et en législation, qui auraient achevé de concilier l'opinion en faveur de la déclaration royale. Le roi l'adopta tout entière, et dans le premier moment il est sûr qu'il l'approuvait. M. Necker fut cette fois au comble de l'espérance; car il se flattait de faire accepter ce plan sagement combiné à la majorité des députés du tiers, quoique les plus exagérés fussent disposés à repousser tout ce qui viendrait de la cour.

Tandis que M. Necker exposait volontiers sa popularité en se déclarant le défenseur d'une chambre haute, les aristocrates se croyaient au contraire dépouillés par cette institution. Chaque parti, depuis vingt-cinq ans, a repoussé et regretté tour à tour la constitution anglaise, suivant qu'il était vainqueur ou vaincu. La reine dit, en 1792, au chevalier de Coigny : « Je voudrais qu'il m'en eût coûté un bras, et que la constitution anglaise fût établie en France. » Les nobles n'ont cessé de l'invoquer quand on les a dépouillés de toute leur existence; et le parti populaire, sous Bonaparte, se serait sûrement trouvé très-heureux de l'obtenir. On dirait que la constitution anglaise, ou plutôt la raison, en France, est comme la belle Angélique dans la comédie du Joueur : il l'invoque dans sa détresse, et la néglige quand il est heureux.

M. Necker attachait la plus grande importance à ce que le roi ne perdît pas un instant pour interposer sa médiation au milieu des débats des trois ordres. Mais le roi se tranquillisait sur la popularité de son ministre, croyant qu'il serait toujours temps d'y avoir recours s'il le fallait. C'était une grande erreur : M. Necker pouvait aller jusqu'à tel point, il pouvait mettre telles bornes aux prétentions des députés du tiers, en leur accordant telle chose

qu'ils ne se croyaient pas encore sûrs d'obtenir; mais, s'il avait abjuré ce qui faisait sa force, la nature même de ses opinions, il aurait eu moins d'influence que tout autre homme.

Un parti dans les députés du tiers, celui dont Mounier et Malouet étaient les chefs, se concertait avec M. Necker; mais l'autre voulait une révolution, et ne se contentait pas de recevoir ce qu'il aimait mieux conquérir. Pendant que M. Necker luttait avec la cour en faveur de la liberté nationale, il défendait l'autorité royale et les nobles eux-mêmes contre le tiers état; toutes ses heures et toutes ses facultés étaient consacrées à prémunir le roi contre les courtisans, et les députés contre les factieux.

N'importe, dira-t-on, puisque M. Necker n'a pas réussi, c'est qu'il n'a pas été assez habile. Depuis treize années, cinq de ministère et huit de retraite, M. Necker s'était soutenu au plus haut point de la faveur populaire; il en jouissait encore à un tel degré, que la France entière fut soulevée à la nouvelle de son exil. En. quoi donc a-t-il jamais rien perdu par sa faute? et comment, je ne saurais assez le répéter, peut-on rendre un homme responsable des malheurs qui sont arrivés pour n'avoir pas suivi ses conseils ?" Si la monarchie a été renversée parce que le système contraire au sien a été adopté, n'est-il pas probable qu'elle eût été sauvée, si le roi ne s'était pas écarté de la route dans laquelle il avait marché depuis le retour de M. Necker au ministère ?

Un jour très-prochain était choisi pour la séance royale, lorsque les ennemis secrets de M. Necker déterminèrent le roi à faire un voyage à Marly, séjour où l'opinion publique se faisait encore moins entendre qu'à Versailles. Les courtisans se placent d'ordinaire entre le prince et la nation, comme un écho trompeur qui altère ce qu'il répète. M. Necker raconte que le soir du conseil d'État dans lequel la séance royale devait être fixée pour le lendemain, un billet de la reine engagea le roi à sortir du conseil, et la délibération fut renvoyée au jour suivant. Alors deux magistrats de plus furent admis à la discussion, ainsi que les deux princes frères du roi. Ces magistrats ne connaissaient que les anciennes formes, et les princes, jeunes alors, se confiaient trop dans l'armée.

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