Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub
[ocr errors]

Le parti qui se donnait pour défenseur du trône parlaît avec beaucoup de dédaîn de l'autorité du roi d'Angleterre; il voulait faire considérer comme un attentat la pensée de réduire un roi de France au misérable sort du monarque britannique. Non-seulement cette manière de voir était erronée, mais peut-être même n'était-elle inspirée que par des calculs égoïstes; car, dans le fait, ce n'est pas le roi, mais les nobles, et surtout les nobles de seconde classe, qui, selon leur manière de voir, devaient perdre à n'être que les citoyens d'un pays libre.

Les institutions anglaises n'auraient diminué ni les jouissances du roi, ni l'autorité dont il voulait et pouvait user. Ces institutions ne portaient pas atteinte non plus à la dignité des premières familles historiques de France; au contraire, en les plaçant dans la chambre des pairs, on leur donnait des prérogatives plus assurées, et qui les séparaient plus distinctement du reste de leur ordre. Ce n'étaient donc que les privilégiés de la seconde classe de la noblesse, et la puissance politique du haut clergé, qu'il fallait sacrifier. Les parlements aussi craignaient de perdre les pouvoirs contestés auxquels ils avaient eux-mêmes renoncé, mais qu'ils regrettaient toujours; peut-être même prévoyaient-ils d'avance l'institution des jurés, cette sauvegarde de l'humanité dans l'exercice de la justice. Mais, encore une fois, les intérêts des corps n'étaient point unis à ceux de la prérogative royale, et, en voulant les rendre inséparables, les privilégiés ont entraîné le trône dans leur propre chute. Leur intention n'était sûrement pas de renverser la monarchie, mais ils ont voulu que la monarchie triomphât par eux et avec eux; tandis que les choses en étaient venues au point qu'il fallait sacrifier sincèrement et clairement ce qui était impossible à défendre, pour sauver ce qui pouvait être maintenu.

Telle était l'opinion de M. Necker; mais elle n'était point partagée par les nouveaux membres du conseil du roi. Ils proposèrent divers changements, tous conformes aux passions de la majorité des privilégiés. M. Necker lutta plusieurs jours contre les nouveaux adversaires qu'on lui opposait, avec une énergie éton→

nante dans un ministre qui désirait certainement de plaire au roi et à sa famille. Mais il était si convaincu de la vérité de ce qu'il affirmait, qu'il montra dans cette circonstance une décision imperturbable. Il prédit la défection de l'armée, si l'on avait besoin d'y avoir recours contre le parti populaire ; il annonça que le roi perdrait tout son ascendant sur le tiers état, par l'esprit dans lequel on voulait rédiger la déclaration; enfin il indiqua respectueusement qu'il ne pouvait prêter son appui à un projet qui n'était pas le sein, et dont les suites, selon lui, seraient funestes.

On ne voulait pas condescendre aux conseils de M. Necker; mais on aurait souhaité que sa présence à la séance royale fît croire aux députés du peuple qu'il approuvait la démarche adoptée par le conseil du roi. M. Necker s'y refusa en envoyant sa démission. Cependant, disaient les aristocrates, une partie du plan de M. Necker était conservée; sans doute il restait, dans la déclaration du 23 juin, quelques-unes des concessoins que la nation désirait: la suppression de la taille, l'abolition des priviléges en matière d'impôts, l'admission de tous les citoyens aux emplois civils et militaires, etc.; mais en un mois les choses avaient bien changé : on avait laissé le tiers état grandir assez pour qu'il ne fût plus reconnaissant des concessions qu'il était certain d'obtenir. M. Necker voulait que le roi commençât par accorder la délibération par tête en matière d'impôts, dès les premiers mots de son discours; alors le tiers état aurait cru que la séance royale avait pour but de soutenir ses intérêts, et cela aurait suffi pour le captiver. Mais, dans la rédaction nouvelle qu'on avait fait accepter au roi, le premier article cassait tous les arrêtés que le tiers état avait pris comme assemblée nationale, et qu'il avait consacrés par le serment du Jeu-de-Paume. Avant tous ces engagements contractés par le tiers état envers l'opinion, M. Necker avait proposé la séance royale : était-il sage d'accorder beaucoup moins au parti populaire, quand il était devenu plus puissant encore, dans l'espace de temps que la cour avait perdu en incertitudes?

L'à-propos est la nymphe Égérie des hommes d'Etat, des généraux, de tous ceux qui ont affaire à la mobile nature de l'espèce

humaine. Un coup d'autorité contre le tiers état n'était pas possible le 23 juin 1789, et c'était plutôt aux nobles que le roi devait commander: car le point d'honneur des nobles peut consister dans l'obéissance; c'est un des statuts de l'ancienne chevalerie que de se soumettre aux rois comme à des chefs militaires; mais l'obéissance implicite du peuple n'est que de la sujétion, et l'esprit du siècle n'y portait plus. Le trône ne peut être solidement appuyé, de nos jours, que sur le pouvoir de la loi.

Le roi ne devait pas sacrifier la popularité qu'il avait acquise en accordant le doublement du tiers : elle valait mieux pour lui que toutes les promesses de ses courtisans. Mais il la perdit par sa déclaration du 23 juin; et, quoique cette déclaration contînt de trèsbonnes choses, elle manqua totalement son effet. Les premières paroles révoltèrent le tiers état, et dès ce moment il n'écouta plus tout ce qu'il aurait bien accueilli, s'il avait pu croire que le monarque voulait défendre la nation contre les prétentions des privilégiés, et non les privilégiés contre les intérêts de la nation.

CHAPITRE XXI.

Des événements causés par la séance royale du 23 juin 1789.

Les prédictions de M. Necker ne furent que trop réalisées; et cette séance royale, contre laquelle il s'était élevé avec tant de force, eut des suites plus déplorables encore que celles qu'il avait prévues. A peine le roi fut-il sorti de la salle, que le tiers état, resté seul en permanence, déclara qu'il continuerait ses délibérations sans avoir égard à ce qui venait de se passer. Le mouvement était donné; la séance royale, loin d'atteindre le but qu'on se proposait, avait augmenté l'élan du tiers état, en lui offrant l'occasion d'un nouveau triomphe.

Le bruit de la démission de M. Necker se répandit, et toutes les rues de Versailles furent remplies à l'instant par les habitants de la ville, qui proclamaient son nom, Le roi et la reine le firent

appeler le soir même de la séance royale, et lui demandèrent tous les deux, au nom du salut de l'Etat, de reprendre sa place; la reine ajouta que la sûreté de la personne du roi était attachée à ce qu'il restât ministre. Pouvait-il ne pas obéir? La reine s'engagea solennellement à ne plus suivre que ses conseils; telle était alors sa résolution, parce que le mouvement populaire l'avait émue: mais, comme elle était toujours convaincue que toute limite donnée à l'autorité royale était un malheur, elle devait nécessairement tomber sous l'influence de ceux qui pensaient comme elle.

Le roi, l'on ne saurait trop le dire, avait toutes les vertus nécessaires pour être un monarque constitutionnel, car un tel monarque est plutôt le magistrat suprême que le chef militaire de son pays. Mais, quoiqu'il eût beaucoup d'instruction, et qu'il lût surtout avec intérêt les historiens anglais, le descendant de Louis XIV avait de la peine à se départir de la doctrine du droit divin. Elle est considérée en Angleterre comme un crime de lèsemajesté, puisque c'est d'après un pacte avec la nation que la dynastie actuelle a été appelée au trône. Mais, bien que Louis XVI ne fût nullement porté par son caractère à désirer le pouvoir absolu, ce pouvoir était un préjugé funeste, auquel, malheureusement pour la France et pour lui, il n'a jamais renoncé tout à fait.

M. Necker, vaincu par les instances que le roi et la reine daignèrent lui faire, promit de rester ministre, et ne parla plus que de l'avenir; il ne dissimula point les dangers de la situation des affaires; néanmoins il dit qu'il se flattait encore d'y remédier, pourvu qu'on ne fit pas venir les troupes autour de Paris, si l'on n'était pas certain de leur obéissance; dans ce cas, il demandait à quitter le ministère, ne pouvant plus que faire des vœux pour le roi dans sa retraite.

Il ne restait que trois moyens pour prévenir la crise politique dont on était menacé : l'espoir que le tiers état fondait encore sur les dispositions personnelles du roi; l'inquiétude vague du parti que prendraient les troupes, inquiétude qui pouvait encore con

tenir les factieux; enfin la popularité de M. Necker. Nous allons voir comment ces ressources furent perdues en quinze jours, par les conseils du comité auquel la cour s'abandonnait en secret.

En retournant de chez le roi à sa maison, M. Necker fut porté en triomphe par le peuple. De si vifs transports sont encore présents à mon souvenir, et raniment en moi l'émotion qu'ils m'ont causée dans ces beaux temps de jeunesse et d'espérance. Toutes ces voix, qui répétaient le nom de mon père, me semblaient celles d'une foule d'amis qui partageaient ma respectueuse tendresse. Le peuple ne s'était encore souillé d'aucun crime; il aimait son roi, il le croyait trompé, et chérissait le ministre qu'il considérait comme son défenseur; tout était bon et vrai dans son enthousiasme. Les courtisans ont tâché de faire croire que M. Necker avait préparé cette scène. Quand on l'aurait voulu, comment auraiton pu faire naître, par de sourdes menées, de semblables mouvements dans une telle multitude? La France entière s'y associait; les adresses des provinces arrivaient de toutes parts, et c'étaient alors des adresses qui exprimaient le vœu général. Mais un des grands malheurs de ceux qui vivent dans les cours, c'est de ne pouvoir se faire l'idée de ce que c'est qu'une nation. Ils attribuent tout à l'intrigue, et cependant l'intrigue ne peut rien sur l'opinion publique. On a vu, durant le cours de la révolution, des factieux agiter tel ou tel parti; mais, en 1789, la France était presque unanime; et vouloir lutter contre ce colosse par la seule puissance des dignités aristocratiques, c'était se battre avec des jouets contre des armes.

La majorité du clergé, la minorité de la noblesse, tous les députés du tiers, se rendirent auprès de M. Necker, à son retour de chez le roi; sa maison pouvait à peine contenir ceux qui s'y étaient réunis, et c'est là qu'on voyait ce qu'il y a de vraiment aimable dans le caractère des Français, la vivacité de leurs impressions, leur désir de plaire, et la facilité avec laquelle un gouvernement peut les captiver ou les révolter, selon qu'il s'adresse bien ou mal au génie d'imagination dont ils sont susceptibles. J'entendais mon père conjurer les députés du tiers de ne pas porter trop loin leurs

« VorigeDoorgaan »