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point à sacrifier par degrés toute sa popularité à la défense du trône. Il n'y a point sur cette terre de plus grandes épreuves pour la morale que les emplois politiques; car les arguments dont on peut se servir à ce sujet, pour concilier sa conscience avec son intérêt, sont sans nombre. Cependant le principe dont on ne doit guère s'écarter, c'est de porter ses secours aux faibles; il est rare qu'on se trompe en se dirigeant sur cette boussole.

M. Necker pensait que la plus parfaite sincérité envers les représentants du peuple était le meilleur calcul pour le roi; il lui conseillait de se servir de son veto pour refuser ce qui lui paraissait devoir être rejeté; de n'accepter que ce qu'il approuvait, et de motiver ses résolutions par des considérants qui pussent graduellement influer sur l'opinion publique. Déjà ce système avait produit quelque bien, et peut-être, s'il eût été constamment suivi, aurait-il encore évité beaucoup de malheurs. Mais il était si naturel que le roi fût irrité de sa situation, qu'il prêtait l'oreille avec trop de complaisance à tous les projets qui satisfaisaient ses désirs, en lui offrant de prétendus moyens pour une contre-révolution. Il est bien difficile à un roi, héritier d'un pouvoir qui depuis Henri IV n'avait pas été contesté, de se croire sans force au milieu de son royaume; et le dévoûment de ceux qui l'entourent doit exciter aisément ses espérances et ses illusions. La reine était encore plus susceptible de cette confiance; et l'enthousiasme de ses gardes du corps et des autres personnes de sa cour lui parut suffisant pour faire reculer le flot populaire, qui s'avançait toujours plus à mesure qu'on lui opposait d'impuissantes digues.

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Marie-Antoinette se présenta donc, comme Marie-Thérèse, aux gardes du corps à Versailles, pour leur recommander son auguste époux et ses enfants. Ils répondirent par des acclamations à cette prière, qui devait en effet les émouvoir jusqu'au fond de l'âme mais il n'en fallait pas davantage pour exciter les soupçons de cette foule d'hommes exaltés par les nouvelles perspectives que leur offrait la situation des affaires. L'on répétait à Paris, dans toutes les classes, que le roi voulait partir, qu'il voulait essayer une seconde fois de dissoudre l'assemblée; et le monarque se trouva

dans la plus périlleuse des situations. Il avait excité l'inquiétude comme s'il eût été fort, et néanmoins tous les moyens de se défendre lui manquaient.

Le bruit se répandit que deux cent mille hommes se préparaient à marcher sur Versailles pour amener à Paris le roi et l'assemblée nationale. Ils sont entourés, disait-on, des ennemis de la chose publique; il faut les conduire au milieu des bons patriotes. Dès qu'on a trouvé, dans des temps de troubles, une phrase un peu spécieuse, les hommes de parti, et surtout les Français, trouvent un plaisir singulier à la répéter; les arguments qu'on pourrait y opposer sont sans pouvoir sur leur esprit; car ce qu'il leur faut, c'est de penser et de parler comme les autres, afin d'être certains d'en être applaudis.

J'appris, le matin du 5 octobre, que le peuple marchait sur Versailles; mon père et ma mère y étaient établis. Je partis à l'instant pour aller les rejoindre, et je passai par une route peu fréquentée, sur laquelle je ne rencontrai personne. Seulement, en approchant de Versailles, je vis les piqueurs qui avaient accompagné le roi à la chasse, et je sus, en arrivant, qu'on lui avait envoyé un exprès pour le supplier de revenir. Singulier pouvoir des habitudes dans la vie des cours! le roi faisait les mêmes choses, de la même manière et à la même heure que dans les temps les plus calmes; la tranquillité d'âme que cela suppose lui a mérité l'admiration, quand les circonstances ne lui ont plus permis que les vertus des victimes. M. Necker monta très-vite au château pour se rendre au conseil; et ma mère, toujours plus effrayée par les nouvelles menaçantes qu'on apportait de Paris, se rendit dans la salle qui précédait celle où se tenait le roi, afin de partager le sort de mon père, quoi qu'il arrivât. Je la suivis, et je trouvai cette salle remplie d'un grand nombre de personnes, attirées là par des sentiments bien divers.

Nous vîmes passer Mounier, qui venait, fort à contre-cœur, exiger, comme président de l'assemblée constituante, la sanction royale pure et simple à la déclaration des droits. Le roi en avait, pour ainsi dire, littéralement admis les maximes; mais il attendait,

avait-il dit, leur application pour y apposer son consentement. L'assemblée s'était révoltée contre ce léger obstacle à ses volontés; car il n'y a rien de si violent en France que la colère qu'on a contre ceux qui s'avisent de résister sans être les plus forts.

Chacun se demandait, dans la salle où nous étions réunis, si le roi partirait ou non. On apprit d'abord qu'il avait commandé ses voitures, et que le peuple de Versailles les avait dételées ; ensuite, qu'il avait ordonné au régiment de Flandre, alors en garnison à Versailles, de prendre les armes, et que ce régiment s'y était refusé. Nous avons su depuis qu'on avait délibéré dans le conseil si le roi se retirerait dans une province; mais, comme le trésor royal manquait d'argent, que la disette de blé était telle, qu'on ne pouvait faire aucun rassemblement de troupes, et que l'on n'avait rien préparé pour s'assurer des régiments dont on croyait encore pouvoir disposer, le roi craignait de s'exposer à tout en s'éloignant; il était d'ailleurs convaincu que, s'il partait, l'assemblée donnerait la couronne au duc d'Orléans. Mais l'assemblée n'y songeait pas, même à cette époque; et, lorsque le roi consentit, dix-huit mois après, au voyage de Varennes, il dut voir qu'il n'avait eu aucune raison de crainte à cet égard. M. Necker n'était pas d'avis que la cour s'en allât ainsi sans aucun secours qui pût assurer le succès de cette démarche décisive; mais il offrit pourtant au roi de le suivre, s'il s'y décidait, prêt à lui dévouer sa fortune et sa vie, quoiqu'il sût bien quelle serait sa situation en conservant ses principes au milieu de courtisans qui n'en connaissent qu'un en politique comme en religion, l'intolérance.

Le roi ayant succombé à Paris sous le glaive des factieux, il est naturel que ceux qui ont été d'avis de son départ, le 5 octobre, s'en glorifient car on peut toujours dire ce qu'on veut des bons effets d'un conseil qui n'a pas été suivi. Mais, outre qu'il était peut-être déjà impossible au roi de sortir de Versailles, il ne faut point oublier que M. Necker, en admettant la nécessité de venir à Paris, proposait en même temps que le roi marchât désormais sincèrement avec la constitution, et ne s'appuyât que sur elle: sans cela l'on s'exposait, quoi qu'on fit, aux plus grands malheurs.

Le roi, tout en se déterminant à rester, pouvait encore prendre le parti de se mettre à la tête des gardes du corps, et de repousser la force par la force. Mais Louis XVI se faisait un scrupule religieux d'exposer la vie des Français pour sa défense personnelle; et son courage, dont on ne saurait douter quand on l'a vu périr, ne le portait jamais à aucune résolution spontanée. D'ailleurs, à cette époque, un succès même ne l'aurait pas sauvé; l'esprit public était dans le sens de la révolution; et c'est en étudiant le cours des choses qu'on parvient à prévoir, autant que cela est donné à l'esprit humain, les événements que les esprits vulgaires voudraient faire passer pour le résultat du hasard ou de l'action inconsidérée de quelques hommes.

Le roi se résolut donc à attendre l'armée, ou plutôt la foule parisienne, qui déjà s'était mise en marche; et tous les regards se tournaient vers le chemin qui était en face des croisées. Nous pensions que les canons pourraient d'abord se diriger contre nous, et cela nous faisait assez de peur; mais cependant aucune femme, dans une aussi grande circonstance, n'eut l'idée de s'éloigner.

Tandis que cette masse s'avançait sur nous, on annonçait l'arrivée de M. de la Fayette, à la tête de la garde nationale, et c'était sans doute un motif pour se tranquilliser. Mais il avait résisté longtemps au désir de la garde nationale, et ce n'était que par un ordre exprès de la commune de Paris qu'il avait marché, pour prévenir par sa présence les malheurs dont on était menacé. La nuit approchait, et la frayeur s'accroissait avec l'obscurité, lorsque nous vîmes entrer dans le palais M. de Chinon, qui depuis, sous le nom de duc de Richelieu, a si justement acquis une grande considération. Il était pâle, défait, vêtu presque comme un homme du peuple; c'était la première fois qu'un tel costume entrait dans la demeure des rois, et qu'un aussi grand seigneur que M. de Chinon se trouvait réduit à le porter. Il avait marché quelque temps de Paris à Versailles, confondu dans la foule, pour entendre les propos qui s'y tenaient, et il s'en était séparé à moitié chemin, afin d'arriver à temps pour prévenir la famille royale de ce qui se passait. Quel récit que le sien! Des femmes et des enfants armés de piques et

de faux se pressaient de toutes parts. Les dernières classes du peuple étaient encore plus abruties par l'ivresse que par la fureur. Au milieu de cette bande infernale, des hommes se vantaient d'a-voir reçu le nom de coupe-têtes, et promettaient de le mériter. La garde nationale marchait avec ordre, obéissait à son chef, et n'exprimait que le désir de ramener à Paris le roi et l'assemblée. Enfin M. de la Fayette entra dans le château, et traversa la salle où nous étions pour se rendre chez le roi. Chacun l'entourait avec ardeur, comme s'il eût été le maître des événements, et déjà le parti populaire était plus fort que son chef; les principes cédaient aux factions, ou plutôt ne leur servaient plus que de prétexte.

M. de la Fayette avait l'air très-calme; personne ne l'a jamais vu autrement : mais sa délicatesse souffrait de l'importance de son rôle; il demanda les postes intérieurs du château, pour en garantir la sûreté. On se contenta de lui accorder ceux du dehors. Ce refus était simple, puisque les gardes du corps ne devaient point être déplacés; mais le plus grand des malheurs faillit en résulter. M. de la Fayette sortit de chez le roi en nous rassurant tous chacun se retira chez soi après minuit; il semblait que c'était bien assez de la crise de la journée, et l'on se crut en parfaite sécurité, comme il arrive presque toujours quand on a longtemps éprouvé une grande crainte, et qu'elle ne s'est pas réalisée. M. de la Fayette, à cinq heures du matin, pensa que tous les dangers étaient passés, et s'en fia aux gardes du corps, qui avaient répondu de l'intérieur du château. Une issue qu'ils avaient oublié de fermer permit aux assassins de pénétrer. On a vu le même hasard favoriser deux conspirations en Russie, dans les moments où la surveillance était la plus exacte et les circonstances extérieures les plus calmes; il est donc absurde de reprocher à M. de la Fayette un événement si difficile à supposer. A peine en fut-il instruit, qu'il se précipita au secours de ceux qui étaient menacés, avec une chaleur qui fut reconnue dans le moment même, avant que la calomnie eût combiné ses poisons.

Le 6 octobre, de grand matin, une femme très-âgée, la mère du comte de Choiseul-Gouffier, auteur du charmant Voyage en

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