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que estime, et l'on ne pouvait même s'empêcher d'avoir pitié de la contrainte imposée à sa supériorité naturelle, Sans cesse dans le même discours il faisait la part de la popularité et celle de la raison; il essayait d'obtenir de l'assemblée un décret monarchique avec des phrases démagogiques, et souvent il exerçait son amertume contre le parti des royalistes, alors même qu'il voulait faire passer quelques-unes de leurs opinions; enfin on voyait manifestement qu'il se débattait toujours entre son jugement et son besoin de succès. Il était payé secrètement par le ministère pour défendre les intérêts du trône; néanmoins, quand il montait à la tribune, il lui arrivait souvent d'oublier les engagements qu'il avait pris, et de céder à ce bruit des applaudissements dont le prestige est presque irrésistible. S'il eût été consciencieux, peut-être avait-il assez de talent pour faire naître dans l'assemblée un parti indépendant du peuple et de la cour; mais trop d'intérêts personnels entravaient son génie pour qu'il pût s'en servir librement. Ses passions l'enveloppaient de toutes parts, comme les serpents du Laocoon, et l'on voyait sa force dans la lutte sans pouvoir espérer son triomphe.

CHAPITRE XIII.

Des décrets de l'assemblée constituante relativement au clergé.

Le reproche le plus sérieux qu'on ait fait à l'assemblée constituante, c'est d'avoir été indifférente au maintien de la religion en France; et de là viennent les déclamations contre la philosophie, qui ont remplacé toutes celles dont la superstition fut jadis l'objet. On doit justifier les intentions de l'assemblée constituante à cet égard, en examinant le motif de ses décrets. Les privilégiés ont pris en France un moyen de défense commun à la plupart des hommes, celui de rattacher une idée générale à leurs intérêts particuliers. Ainsi les nobles disaient que la valeur est l'héritage exclusif de la noblesse; et les prêtres, que la religion ne saurait se passer des biens du clergé : ces deux assertions sont également

fausses. On s'est battu admirablement en Angleterre et en France depuis qu'il n'y existe plus un corps de noblesse; et la religion rentrerait dans tous les cœurs français, si l'on ne voulait pas sans cesse confondre les articles de foi avec les questions politiques, et la richesse du haut clergé avec l'ascendant simple et naturel des curés sur les gens du peuple.

Le clergé, en France, faisait partie des quatre pouvoirs législatifs; et, du moment qu'on jugeait nécessaire de changer cette bizarre constitution, il fallait que le tiers des propriétés du royaume ne restât pas entre les mains des ecclésiastiques : c'est comme ordre que le clergé possédait une telle fortune, et qu'il l'administrait collectivement. Les biens des prêtres et les établissements religieux ne pouvant être soumis au genre de lois civiles qui assurent l'héritage des pères aux enfants, du moment que la constitution de l'État changeait, il n'eût pas été sage de laisser au clergé des richesses qui pouvaient lui servir à regagner l'influence politique dont on voulait le priver. La justice exigeait qu'on maintînt les possesseurs dans leur jouissance viagère; mais que devait-on à ceux qui ne s'étaient pas faits prêtres encore, surtout quand le nombre des ecclésiastiques surpassait de beaucoup ce que le service public peut rendre nécessaire? Donnerait-on pour motif qu'on ne doit jamais changer ce qui était? Dans quel moment le fameux ce qui était at-il dû s'établir pour toujours? Quand aucune amélioration n'a-telle plus été possible?

Depuis la destruction des Albigeois par le fer et le feu, depuis les supplices des protestants sous François Ier, le massacre de la Saint-Barthélemi, la révocation de l'édit de Nantes et la guerre des Cévennes, le clergé français a constamment prêché et prêche encore l'intolérance; or la liberté des cultes ne pouvait se concilier avec les opinions des prêtres qui protestent contre elle, si on leur laissait une existence politique, ou si leur grande fortune les mettait en état de reconquérir cette existence qu'ils ne cesseront jamais de regretter. L'Église ne recule pas plus que les émigrés n'avancent; il faut conformer les institutions à cette certitude.

Quoi ! dira-t-on encore, le clergé anglais n'est-il pas propriétaire? Les ecclésiastiques anglais, étant de la religion réformée, ont été dans le sens de la réforme politique lorsque les derniers Stuarts voulurent rétablir le catholicisme en Angleterre. Il n'en est pas de même du clergé français, ennemi naturel des principes de la révolution. Le clergé anglais n'a d'ailleurs aucune influence sur les affaires d'État; il est beaucoup moins riche que ne l'était celui de France, puisqu'il n'existe en Angleterre ni couvent, ni abbaye, ni rien de semblable. Les prêtres anglais se marient, et font ainsi partie de la société. Enfin le clergé français a longtemps hésité entre l'autorité du pape et celle du roi; et lorsque Bossuet a soutenu ce qu'on appelle les libertés de l'Église gallicane, il a, dans sa politique sacrée, conclu l'alliance de l'autel et du trône, mais en la fondant sur les maximes de l'intolérance religieuse et du despotisme royal.

Lorsque les prêtres en France sont sortis de la vie retirée pour se mêler de la politique, ils y ont porté presque toujours un genre d'audace et de ruse très-défavorable au bien du pays. L'habileté d'esprit qui distingue des hommes obligés de bonne heure à concilier deux choses opposées, leur état et le monde, cette habileté est telle, que depuis deux cents ans ils se sont constamment insinués dans les affaires, et la France a presque toujours eu pour ministres des cardinaux et des évêques. Les Anglais, malgré la libéralité de principes qui dirige leur clergé, n'admettent point les ecclésiastiques du second ordre dans la chambre des communes, et il n'y a pas d'exemple qu'un membre du haut clergé soit devenu ministre d'État depuis la réformation. Il en était de même à Gênes, dans un pays très-catholique; et le gouvernement et les prêtres se sont également bien trouvés de cette prudente séparation.

Comment le système représentatif serait-il conciliable avec la doctrine, les habitudes et les richesses du clergé français, tel qu'il était autrefois? Une analogie frappante devait engager l'assemblée constituante à ne plus le reconnaître comme propriétaire. Les rois possédaient des domaines considérés jadis comme inaliénables; et certes ces propriétés étaient aussi légitimes que tout autre héritage

paternel. Cependant, en France comme en Angleterre, et dans tous les pays où les principes constitutionnels sont établis, les rois ont une liste civile, et l'on regarderait comme funeste à la liberté qu'ils pussent posséder des revenus indépendants de la sanction nationale. Pourquoi donc le clergé serait-il à cet égard mieux traité que la couronne? Pourquoi la magistrature ne réclamerait-elle pas des propriétés à plus forte raison que le clergé, si le but du payement en fonds de terre était d'affranchir ceux qui en jouissent de l'ascendant du gouvernement?

Qu'importent, dira-t-on, les inconvénients ou les avantages des propriétés du clergé ? on n'avait pas le droit de les prendre. Cette question est épuisée par les excellents discours prononcés dans l'assemblée constituante sur ce sujet; il a été démontré que les corps ne possédaient point au même titre que les individus, et que l'État ne pouvait maintenir l'existence de ces corps qu'autant qu'ils n'étaient point contraires aux intérêts publics et aux lois constitutionnelles. Lorsque la réformation s'établit en Allemagne, les princes protestants attribuèrent une partie des biens de l'Église soit aux dépenses de l'État, soit aux établissements de bienfaisance; et plusieurs princes catholiques, en diverses autres occasions, ont de même disposé de ces biens. Les décrets de l'assemblée constituante, sanctionnés par le roi, devaient certainement avoir aussi bien force de loi que la volonté des souverains dans le seizième siècle et les suivants. Les rois de France touchaient les revenus des bénéfices pendant qu'ils étaient vacants. Les ordres religieux, qu'il faut distinguer, dans cette question, du clergé séculier, ont souvent cessé d'exister; et l'on ne concevrait pas, comme l'a dit l'un des plus spirituels orateurs que nous ayons entendus dans la session dernière, M. de Barante: « On ne concevrait pas » comment les biens des ordres qui ne sont plus seraient dus à » ceux qui ne sont pas. » Les trois quarts des biens des prêtres leur ont été donnés par la couronne, c'est-à-dire par l'autorité souveraine d'alors, non pas comme une faveur personnelle, mais pour assurer le service divin. Comment donc les états généraux, conjointement avec le roi, n'auraient-ils pas eu le droit de changer

la manière de pourvoir à l'entretien du clergé? Mais les fondateurs particuliers, dira-t-on, ayant destiné leur héritage aux ecclésiastiques, était-il permis d'en détourner l'emploi? Quel moyen a l'homme d'imprimer l'éternité à ses résolutions? Peut-on aller chercher dans la nuit des temps les titres qui n'existent plus pour les opposer à la raison vivante? Quel rapport y a-t-il entre la religion et les chicanes continuelles dont la vente des biens nationaux est l'objet ? Les sectes particulières en Angleterre, et notamment celle des méthodistes qui est très-nombreuse, fournissent avec ordre et spontanément aux dépenses de leur culte. Oui, dira-t-on ; mais les méthodistes sont très-religieux, et les habitants de la France ne feraient point de sacrifice d'argent pour leurs prêtres. Cette incrédulité ne s'est-elle pas introduite précisément par le spectacle des richesses ecclésiastiques et des abus qu'elles entrafnaient? Il en est de la religion comme des gouvernements: quand vous voulez maintenir de force ce qui n'est plus en rapport avec le temps, vous dépravez le cœur humain au lieu de l'améliorer. Ne trompez pas les faibles; n'irritez pas non plus une autre espèce d'hommes faibles, les esprits forts, en excitant les passions politiques contre la religion; séparez bien l'une des autres, et les sentiments solitaires ramèneront toujours aux pensées élevées.

Un grand tort, dont il semble cependant qu'il devait être facile à l'assemblée constituante de se préserver, c'est la funeste invention d'un clergé constitutionnel: exiger des prêtres un serment contraire à leur conscience, et, lorsqu'ils s'y refusent, les persécuter par la privation d'une pension, et plus tard même par la déportation, c'était avilir ceux qui prêtaient ce serment, auquel étaient attachés des avantages temporels.

L'assemblée constituante ne devait point songer à se faire un clergé à sa dévotion, et donner ainsi lieu, comme on l'a fait depuis, à tourmenter les ecclésiastiques attachés à leur ancienne croyance. C'était mettre l'intolérance politique à la place de l'intolérance religieuse. Une seule résolution ferme et juste devait être prise par des hommes d'État dans cette circonstance; il fallait imposer à chaque communion le devoir d'entretenir les prêtres

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