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de son culte l'assemblée constituante s'est cru plus de profondeur de vues en divisant le clergé, en établissant le schisme, et détachant ainsi de la cour de Rome ceux qui s'enrôlaient sous les bannières de la révolution. Mais à quoi servaient de tels prêtres ? Les catholiques n'en voulaient pas, et les philosophes n'en avaient pas besoin; c'était une sorte de milice discréditée d'avance, qui ne pouvait que nuire au gouvernement qu'elle soutenait. Le clergé constitutionnel révoltait tellement les esprits, qu'il fallut employer la violence pour le fonder : trois évêques étaient nécessaires pour sacrer les schismatiques, et leur communiquer ainsi le pouvoir d'ordonner d'autres prêtres à leur tour; sur ces trois évêques, dont la fondation du nouveau clergé dépendait, deux, au dernier moment, furent près de renoncer à la bizarre entreprise que la religion et la philosophie condamnaient également.

L'on ne saurait trop le répéter: il faut aborder sincèrement toutes les grandes idées, et se garder de mettre des combinaisons machiavéliques dans l'application de la vérité; car les préjugés fondés par le temps ont encore plus de force que la raison même, dès qu'on emploie de mauvais moyens pour l'établir. Il importait aussi, dans le débat encore subsistant entre les priviléges et le peuple, de ne jamais mettre les partisans des vieilles institutions dans une situation qui pût inspirer aucune espèce de pitié; et l'assemblée constituante excitait ce sentiment en faveur des prêtres, du moment qu'elle les privait de leurs propriétés viagères, et qu'elle donnait ainsi à la loi un effet rétroactif. Jamais on ne peut oublier ceux qui souffrent; la nature humaine, à cet égard, vaut mieux qu'on ne croit.

Mais qui enseignera la religion et la morale aux enfants, dira-ton, s'il n'y a point de prêtres dans les écoles? Ce n'était certainement pas le haut clergé qui remplissait ce devoir; et quant aux curés, ils sont plus nécessaires aux soins des malades et des mourants qu'à l'enseignement même, excepté dans ce qui concerne la connaissance de la religion. Le temps est passé où, sous le rapport de l'instruction, les prêtres étaient supérieurs aux autres hommes. Il faut établir et multiplier les écoles dans lesquelles, comme en

Angleterre, on apprend aux enfants pauvres à lire, écrire et compter; il faut des colléges pour enseigner les langues anciennes, et des universités pour porter plus loin encore l'étude de ces belles langues et celle des hautes sciences. Mais le moyen le plus efficace de fonder la morale, ce sont les institutions politiques; elles excitent l'émulation, et forment la dignité du caractère : on n'enseigne point à l'homme ce qu'il ne peut apprendre que par luimême. On ne dit aux Anglais dans aucun catéchisme qu'il faut aimer leur constitution; il n'y a point de maître de patriotisme dans les écoles; le bonheur public et la vie de famille inspirent plus efficacement la religion que tout ce qu'il reste d'anciennes coutumes destinées à la maintenir.

CHAPITRE XIV.

De la suppression des titres de noblesse.

Le moins impopulaire des deux ordres privilégiés en France, c'est peut-être encore le clergé ; car, le principe moteur de la révolution étant l'égalité, la nation se sentait moins blessée par les préjugés des prêtres que par les prétentions des nobles. Cependant rien n'est plus funeste, on ne saurait trop le répéter, que l'influence politique des ecclésiastiques dans un État, tandis qu'une magistrature héréditaire dont les souvenirs de la naissance fassent partie est un élément indispensable de toute monarchie limitée. Mais la haine du peuple contre les gentilshommes ayant éclaté dès les premiers jours de la révolution, la minorité de la noblesse dans l'assemblée constituante aurait voulu détruire ce germe d'inimitié, et s'unir en tout à la nation. Un soir donc, dans un moment de fermentation, un membre fit la proposition d'abolir tous les titres. Aucun noble du parti populaire ne pouvait se refuser à l'appuyer, sans avoir l'air d'une vanité ridicule; néanmoins il serait fort à désirer que les titres, tels qu'ils existaient, n'eussent été supprimés qu'en étant remplacés par la pairie et par les distinctions qui ¿manent d'elle. Un grand publiciste anglais a dit, avec raison,

que toutes les fois qu'il existe dans un pays un principe de vie quelconque, le législateur doit en tirer parti. En effet, comme rien n'est si difficile que de créer, il faut le plus souvent greffer une institution sur une autre.

L'assemblée constituante traitait la France comme une colonie dans laquelle il n'y aurait point eu de passé; mais, quand il y en a un, on ne peut empêcher qu'il n'ait son influence. La nation française était fatiguée de la noblesse de second ordre; mais elle avait, mais elle aura toujours du respect pour les noms historiques. C'était de ce sentiment qu'il fallait se servir pour établir une chambre haute, et tâcher de faire tomber, par degrés, en désuétude, toutes ces dénominations de comtes et de marquis, qui, lorsqu'elles ne s'attachent ni à des souvenirs ni à des fonctions politiques, ressemblent plutôt à des sobriquets qu'à des titres.

L'une des plus singulières propositions de ce jour fut celle de renoncer aux noms des terres que plusieurs familles portaient depuis des siècles, pour obliger à reprendre les noms patronymiques. Ainsi les Montmorenci se seraient appelés Bouchard; la Fayette, Mottié ; Mirabeau, Riquetti. C'était dépouiller la France de son histoire, et nul homme, quelque démocrate qu'il-fût, ne voulait ni ne devait renoncer ainsi à la mémoire de ses aïeux. Le lendemain du jour où ce décret fut porté, les journalistes imprimèrent, dans le récit des séances, Riquetti l'aîné, au lieu du comte de Mirabeau. Il s'approcha furieux des écrivains qui assistaient à l'assemblée, et leur dit: Avec votre Riquetti vous avez désorienté l'Europe pendant trois jours. Ce mot encouragea chacun à reprendre le nom de son père; il eût été difficile de l'empêcher sans une inquisition bien contraire aux principes de l'assemblée', car on ne doit pas cesser de rappeler qu'elle ne s'est jamais servie des moyens du despotisme pour établir la liberté.

M. Necker seul, dans le conseil d'État, proposa au roi de refuser sa sanction au décret qui anéantissait la noblesse, sans établir le patriciat à sa place; et, son opinion n'ayant pu prévaloir, il eut le courage de la publier. Le roi avait résolu de sanctionner indistinctement tous les décrets de l'assemblée: son système était de

se faire considérer, à dater du 6 octobre, comme en état de captivité; et ce fut seulement pour obéir à ses scrupules religieux qu'il ne voulut pas dans la suite apposer son nom aux décrets qui proscrivaient les prêtres soumis à la puissance du pape.

M. Necker, au contraire, désirait que le roi fît un usage sincère et constant de sa prérogative; il lui représentait que, s'il reprenait un jour toute sa puissance, il serait toujours le maître de déclarer qu'il avait été prisonnier depuis son arrivée à Paris; mais que, s'il ne la reprenait pas, il perdrait de sa considération et surtout de sa force dans la nation, en ne faisant pas usage de son veto pour arrêter les décrets inconsidérés de l'assemblée, décrets dont elle se repentait souvent, dès que la fièvre de la popularité était apaisée. L'objet important pour la nation française, comme pour toutes les nations du monde, c'est que le mérite, les talents et les services puissent élever aux premiers rangs de l'État. Mais vouloir organiser la France d'après les principes de l'égalité abstraite, c'était se priver d'un ressort d'émulation si analogue au caractère des Français, que Napoléon, qui s'en est saisi à sa manière, les a dominés surtout par là. Le mémoire que M. Necker fit publier à l'époque de la suppression des titres, dans l'été de 1790, était terminé par les réflexions suivantes :

« En poursuivant dans les plus petits détails tous les signes de >> distinction, on court peut-être le risque d'égarer le peuple sur >> le véritable sens de ce mot égalité, qui ne peut jamais signi» fier, chez une nation civilisée et dans une société déjà subsis» tante, égalité de rang ou de propriété. La diversité des travaux >> et des fonctions, les différences de fortune et d'éducation, l'é» mulation, l'industrie, la gradation des talents et des connais»sances, toutes ces disparités productrices du mouvement social » entraînent inévitablement des inégalités extérieures; et le seul >> but du législateur est, en imitation de la nature, de les réunir » toutes vers un bonheur égal, quoique différent dans ses formes » et dans ses développements.

>> Tout s'unit, tout s'enchaîne dans la vaste étendue des com>> binaisons sociales; et souvent les genres de supériorité qui pa

>> raissent un abus aux premiers regards de la philosophic, sont >> essentiellement utiles pour servir de protection aux différentes

lois de subordination, à ces lois qu'il est si nécessaire de dé» fendre, et qu'on attaquerait avec tant de moyens, si l'habitude Det l'imagination cessaient jamais de leur servir d'appui. »

J'aurai par la suite l'occasion de faire remarquer que, dans les divers ouvrages publiés par M. Necker pendant l'espace de vingt ans, il a toujours annoncé d'avance les événements qui ont eu lieu depuis; tant la sagacité de son esprit était pénétrante ! Le règne du jacobinisme a eu pour cause principale l'enivrement sauvage d'un certain genre d'égalité; il me semble que M. Necker signalait ce danger, lorsqu'il écrivait les observations que je viens de citer.

CHAPITRE XV.

De l'autorité royale telle qu'elle fut établie par l'assemblée constituante.

C'était déjà un grand danger pour le repos social, que de briser tout à coup la force qui résidait dans les deux ordres privilégiés de l'État. Néanmoins, si les moyens donnés au pouvoir exécutif eussent été suffisants, on aurait pu suppléer par des institutions réelles à des institutions fictives, si je puis m'exprimer ainsi. Mais l'assemblée, se défiant toujours des intentions des courtisans, organisa l'autorité royale contre le roi, au lieu de la combiner pour le bien public. Le gouvernement était entravé de telle sorte, que ses agents, qui répondaient de tout, ne pouvaient agir sur rien. Le ministère avait à peine un huissier à sa nomination; et, dans son examen de la constitution de 1791, M. Necker a montré que le pouvoir exécutif d'aucune république, y compris les petits cantons suisses, n'était aussi limité dans son action constitutionnelle que le roi de France. L'éclat apparent de la couronne et son impuissance réelle jetaient les ministres et le monarque lui-même dans une anxiété toujours croissante : certes il ne faut pas que

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