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faites pour l'éprouver. Si le roi avait passé la frontière, peut-être une constitution raisonnable serait-elle sortie de la lutte entre les deux partis. Il fallait avant tout, s'écriera-t-on, éviter la guerre civile. Avant tout, non; beaucoup d'autres fléaux sont encore plus à crandre. Des vertus généreuses se développent dans ceux qui combattent pour leur opinion, et il est plus naturel de verser son sang en la défendant, que pour l'un des milliers d'intérêts politiques, causes habituelles des guerres. Sans doute il est cruel de se battre contre ses concitoyens, mais il est bien plus horrible encore d'être opprimé par eux; et ce qu'il faut surtout éviter à la France, c'est le triomphe complet d'un parti. Car une longue habitude de la liberté est nécessaire, pour que le sentiment de la justice ne soit point altéré par l'orgueil de la puissance.

Le roi laissa en s'en allant un manifeste qui contenait les motifs de son départ; il rappelait les traitements qu'on lui avait fait éprouver, et déclarait que son autorité était tellement réduite, qu'il n'avait plus les moyens de gouverner. Au milieu de ces plaintes si légitimes, il ne fallait pas insérer quelques observations trop minutieuses sur le mauvais état du château des Tuileries : il est très-difficile aux souverains héréditaires de ne pas se laisser dominer par les habitudes, dans les plus petites comme dans les plus grandes circonstances de leur vie; mais c'est peut-être pour cela même qu'ils sont plus propres que les chefs électifs au règne des lois et de la paix. Le manifeste de Louis XVI finissait par cette assurance mémorable, qu'en recouvrant son indépendance, il voulait la consacrer à fonder la liberté du peuple français sur des bases inébranlables. Tel était le mouvement des esprits alors, que personne, ni le roi lui-même, n'envisageait comme possible le rétablissement d'une monarchie sans limites.

Dès que l'on sut dans l'assemblée que la famille royale avait été arrêtée à Varennes, on y envoya des commissaires, parmi lesquels étaient Péthion et Barnave. Péthion, homme sans lumières et sans élévation d'âme, vit le malheur des plus touchantes victimes sans en être ému; Barnave sentit une respectueuse pitié pour le sort de la reine en particulier; et, dès cet instant, lui, Duport,

Lameth, Regnault de Saint-Jean-d'Angély, Chapelier, Thouret, etc., réunirent tous leurs moyens à ceux de M. de la Fayette pour relever la monarchie renversée.

Le roi et sa famille firent, à leur retour de Varennes, leur entrée funèbre dans Paris; les habits de la reine et ceux du roi étaient couverts de poussière; les deux enfants de la race royale regardaient avec étonnement ce peuple entier qui se montrait en maître devant ses maîtres abattus. Madame Élisabeth paraissait au milieu de cette illustre famille comme un être déjà sanctifié, qui n'a plus rien de commun avec la terre. Trois gardes du corps, placés sur le siége de la voiture, se voyaient exposés à chaque instant au risque d'être massacrés, et des députés de l'assemblée constituante se mirent plusieurs fois entre eux et les furieux qui voulaient les faire périr. C'est ainsi que le roi retourna dans le palais de ses pères. Hélas! quel triste présage! et comme il fut accompli !

CHAPITRE XXII.

Révision de la constitution.

L'assemblée se vit forcée, par le mouvement populaire, à déclarer que le roi serait tenu prisonnier dans le château des Tuileries jusqu'à ce qu'on eût présenté la constitution à son acceptation. M. de la Fayette, comme chef de la garde nationale, eut le malheur d'être condamné à l'exécution de ce décret. Mais, si d'une part il plaçait des sentinelles aux portes du palais du roi, de l'autre il s'opposait avec une énergie consciencieuse au parti qui voulait faire prononcer sa déchéance. Il employa contre ceux qui la demandaient la force armée dans le Champ de Mars, et il prouva du moins ainsi que ce n'était point par des vues ambitieuses qu'il s'exposait à déplaire au monarque, puisqu'en même temps il provoquait contre lui-même la haine des ennemis du trône. Il me semble que la seule manière de juger avec équité le caractère d'un homme, c'est d'examiner s'il n'y a point de calcul personnel dans sa conduite: s'il n'y en a point, l'on peut blâmer sa ma

nière de voir, mais l'on n'en est pas moins obligé de l'estimer.

Le parti républicain est le seul qui se soit montré lors de l'arrestation du roi. Le nom du duc d'Orléans ne fut pas seulement prononcé; personne n'osa songer à un autre roi que Louis XVI; et du moins lui rendit-on l'hommage de ne lui opposer que des institutions. Enfin la personne du monarque fut déclarée inviolable on spécifia les cas dans lesquels la déchéance serait prononcée; mais, si l'on détruisait ainsi le prestige dont on doit entourer la personne du roi, on s'engageait d'autant plus à respecter la loi qui lui garantissait l'inviolabilité dans toutes les suppositions possibles.

L'assemblée constituante a toujours cru, bien à tort, qu'il y avait quelque chose de magique dans ses décrets, et qu'on s'arrê– terait, en tout, juste à la ligne qu'elle aurait tracée. Mais son autorité, sous ce rapport, ressemblait à celle du ruban qu'on avait tendu dans le jardin des Tuileries, pour empêcher le peuple de s'approcher du palais : tant que l'opinion fut favorable à ceux qui avaient tendu ce ruban, personne n'imagina de passer outre ; mals dès que le peuple ne voulut plus de la barrière, elle ne signifia plus rien.

On trouve dans quelques constitutions modernes, comme article constitutionnel : Le gouvernement sera juste, et le peuple obéissant. S'il était possible de commander un tel résultat, la balance des pouvoirs serait bien inutile; mais, pour arriver à mettre les bonnes maximes en exécution, il faut combiner les institutions de manière que chacun trouve son intérêt à les maintenir. Les doctrines religieuses peuvent se passer de l'intérêt personnel pour commander aux hommes, et c'est en cela surtout qu'elles sont d'un ordre supérieur; mais les législateurs, chargés des intérêts de ce monde, tombent dans une sorte de duperie quand ils font entrer les sentiments patriotiques comme un ressort nécessaire dans leur machine sociale. C'est méconnaître l'ordre naturel des événements que de compter sur les effets pour organiser la cause: les peuples ne deviennent pas libres parce qu'ils sont vertueux, mais parce qu'une circonstance heureuse, ou plutôt une volonté

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forte, les mettant en possession de la liberté, ils acquièrent les vertus qui en dérivent.

Les lois dont dépend la liberté civile et politique se réduisent à un très-petit nombre, et ce décalogue politique mérite seul le nom d'articles constitutionnels. Mais l'assemblée nationale a donné ce titre à presque tous ses décrets; soit qu'elle voulût ainsi se soustraire à la sanction du roi, soit qu'elle se fît une sorte d'illusion d'auteur sur la perfection et la durée de son propre ouvrage.

Les hommes sensés cependant parvinrent à faire diminuer le nombre des articles constitutionnels; mais une discussion s'éleva pour savoir si l'on ne déciderait pas que tous les vingt ans une nouvelle assemblée constituante se réunirait pour reviser la constitution qu'on venait d'établir, bien entendu que dans cet intervalle on n'y changerait rien. Quelle confiance dans la stabilité d'un tel ouvrage! et comme elle a été trompée !

Enfin l'on décréta qu'aucun article constitutionnel ne pourrait être modifié que sur la demande de trois assemblées consécutives. C'était se faire une étonnante idée de la patience humaine sur des objets d'une telle importance.

Les Français, d'ordinaire, ne voient guère dans la vie que le réel des choses, et ils tournent assez volontiers en dérision les principes, s'ils leur paraissent un obstacle au succès momentané de leurs désirs; mais l'assemblée constituante, au contraire, fut dominée par la passion des idées abstraites. Cette mode, tout à fait opposée à l'esprit de la nation, ne dura pas longtemps. Les factieux se servirent d'abord des arguments métaphysiques pour motiver les actions les plus coupables, et puis ils renversèrent bientôt après cet échafaudage, pour proclamer nettement l'empire des circonstances et le mépris des doctrines.

Le côté droit de l'assemblée avait eu souvent raison pendant le cours de la session, et plus souvent encore on s'était intéressé à lui, parce que le parti le plus fort l'opprimait et lui refusait la parole. Il n'est pas de pays où il soit plus nécessaire qu'en France de faire des règlements dans les assemblées délibérantes en faveur de la minorité; car on y a tant de goût pour la puis

faites pour l'éprouver. Si le roi avait passé la frontière, peut-être une constitution raisonnable serait-elle sortie de la lutte entre les deux partis. Il fallait avant tout, s'écriera-t-on, éviter la guerre civile. Avant tout, non; beaucoup d'autres fléaux sont encore plus à crandre. Des vertus généreuses se développent dans ceux qui combattent pour leur opinion, et il est plus naturel de verser son sang en la défendant, que pour l'un des milliers d'intérêts politiques, causes habituelles des guerres. Sans doute il est cruel de se battre contre ses concitoyens, mais il est bien plus horrible encore d'être opprimé par eux; et ce qu'il faut surtout éviter à la France, c'est le triomphe complet d'un parti. Car une longue habitude de la liberté est nécessaire, pour que le sentiment de la justice ne soit point altéré par l'orgueil de la puissance.

Le roi laissa en s'en allant un manifeste qui contenait les motifs de son départ; il rappelait les traitements qu'on lui avait fait éprouver, et déclarait que son autorité était tellement réduite, qu'il n'avait plus les moyens de gouverner. Au milieu de ces plaintes si légitimes, il ne fallait pas insérer quelques observations trop minutieuses sur le mauvais état du château des Tuileries: il est très-difficile aux souverains héréditaires de ne pas se laisser dominer par les habitudes, dans les plus petites comme dans les plus grandes circonstances de leur vie; mais c'est peut-être pour cela même qu'ils sont plus propres que les chefs électifs au règne des lois et de la paix. Le manifeste de Louis XVI finissait par cette assurance mémorable, qu'en recouvrant son indépendance, il voulait la consacrer à fonder la liberté du peuple français sur des bases inébranlables. Tel était le mouvement des esprits alors, que personne, ni le roi lui-même, n'envisageait comme possible le rétablissement d'une monarchie sans limites.

Dès que l'on sut dans l'assemblée que la famille royale avait été arrêtée à Varennes, on y envoya des commissaires, parmi lesquels étaient Péthion et Barnave. Péthion, homme sans lumières et sans élévation d'âme, vit le malheur des plus touchantes victimes sans en être ému; Barnave sentit une respectueuse pitié pour le sort de la reine en particulier; et, dès cet instant, lui, Duport,

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