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de la France était l'une des causes de la révolution. Londres n'a jamais exercé le même ascendant sur l'Angleterre, parce que les grands seigneurs anglais vivaient beaucoup plus dans les provinces que les grands seigneurs français. Enfin on a prétendu que le premier ministre de Louis XVI, M. Necker, avait des principes républicains, et qu'un homme tel que le cardinal de Richelieu aurait su prévenir la révolution. Le comte de Strafford, ministre favori de Charles Ier, était d'un caractère ferme et même despotique; il avait, de plus que le cardinal de Richelieu, l'avantage d'être un grand et brave militaire, ce qui donne une meilleure grâce à l'exercice du pouvoir absolu. M. Necker a joui de la plus grande popularité qu'aucun homme ait eue en France; le comte de Strafford a toujours été l'objet de l'animosité du peuple, et tous les deux cependant ont été renversés par la révolution, et sacrifiés par leur maître : le premier, parce que les communes le dénoncèrent; le second, parce que les courtisans exigèrent son renvoi.

Enfin (c'est ici la plus remarquable des différences) on n'a cessé de reprocher à Louis XVI de n'avoir pas monté à cheval, de n'avoir pas repoussé la force par la force, et d'avoir craint la guerre civile avant tout. Charles Ier l'a commencée, avec des motifs sans doute très-plausibles, mais enfin il l'a commencée. Il quitta Londres, se rendit dans la province, et se mit à la tête d'une armée qui défendit l'autorité royale jusqu'à la dernière extrémité. Charles Ier ne voulut pas reconnaître la compétence du tribunal qui le condamna; Louis XVI ne fit pas une seule protestation contre ses juges. Charles Ier était infiniment supérieur à Louis XVI par son esprit, sa figure et ses talents militaires; tout fait contraste entre ces deux monarques, excepté leur malheur.

Il existait cependant un rapport dans les sentiments, qui seul peut expliquer la ressemblance des destinées : c'est que Charles Ier aimait au fond du cœur le catholicisme proscrit par l'opinion dominante en Angleterre, et que Louis XVI aussi souhaitait de maintenir les anciennes institutions politiques de la France. Ce rapport a causé la perte de tous les deux. C'est dans l'art de conduire

l'opinion, ou d'y céder à propos, que consiste la science de gouverner dans les temps modernes.

CHAPITRE XIV.

Guerre entre la France et l'Angleterre. M. Pitt et M. Fox.

Pendant plusieurs siècles, les rivalités de la France et de l'Angleterre ont fait le malheur de ces deux pays. C'était un combat de puissance; mais la lutte causée par la révolution ne peut être considérée sous le même rapport. S'il y a eu, depuis vingt-trois ans, des circonstances où l'Angleterre aurait pu traiter avec la France, il faut convenir aussi qu'elle a eu pendant ce temps de grandes raisons de lui faire la guerre, et plus souvent encore de se défendre contre elle. La première rupture, qui éclata en 1793, était fondée sur les motifs les plus justes. Si la convention, en se rendant coupable du meurtre de Louis XVI, n'avait point professé et propagé des principes subversifs de tous les gouvernements, si elle n'avait point attaqué la Belgique et la Hollande, les Anglais auraient pu ne pas prendre plus de part à la mort de Louis XVI, que Louis XIV n'en prit à celle de Charles Ier. Mais, au moment où le ministère renvoya l'ambassadeur de France, la nation anglaise souhaitait la guerre plus vivement encore que son gou

vernement.

Je crois avoir suffisamment développé, dans les chapitres précédents, qu'en 1791, pendant la durée de l'assemblée constituante, et même en 1792, sous l'assemblée législative, les puissances étrangères ne devaient pas accéder à la convention de Pilnitz. Ainsi donc, si la diplomatie anglaise s'est mêlée de ce grand acte politique, elle est intervenue trop tôt dans les affaires de France, et l'Europe s'en est mal trouvée, puisque c'est ainsi qu'elle a donné d'immenses forces militaires aux Français. Mais, au moment où l'Angleterre a déclaré formellement la guerre à la France, en 1793, les jacobins s'étaient tout à fait emparés du pouvoir, et non

seulement leur invasion en Hollande, mais leurs crimes et les principes qu'ils proclamaient, faisaient un devoir d'interrompre toute communication avec eux. La persévérance de l'Angleterre, à cette époque, l'a préservée des troubles qui menaçaient son repos intérieur, lors de la révolte de la flotte et de la fermentation des sociétés populaires; et, de plus, elle a soutenu l'espoir des honnêtes gens, en leur montrant quelque part sur cette terre la morale et la liberté réunies à une grande puissance. Si l'on avait vu la nation anglaise envoyer des ambassadeurs à des assassins, la vraie force de cette île merveilleuse, la confiance qu'elle inspire, l'aurait abandonnée.

Il ne s'ensuit pas de cette manière de voir que l'opposition qui voulait la paix, et M. Fox qui, par ses étonnantes facultés, représentait un parti à lui seul, ne fussent inspirés par des sentiments très-respectables. M. Fox se plaignait, et avec raison, de ce que l'on confondait sans cesse les amis de la liberté avec ceux qui l'ont souillée; et il craignait que la réaction d'une tentative si malheureuse n'affaiblît l'esprit de liberté, principe vital de l'Angleterre. En effet, si la réformation eût échoué il y a trois siècles, que serait devenue l'Europe? Et dans quel état serait-elle maintenant, si l'on enlevait à la France tout ce qu'elle a gagné par sa réforme politique ?

M. Pitt rendit, à cette époque, de grands services à l'Angleterre, en tenant d'une main ferme le gouvernail des affaires. Mais il penchait trop vers l'amour du pouvoir, malgré la simplicité parfaite de ses goûts et de ses habitudes; ayant été ministre trèsjeune, il n'avait pas eu le temps d'exister comme homme privé, et d'éprouver ainsi l'action de l'autorité sur ceux qui dépendent d'elle. Son cœur ne battait pas pour le faible, et les artifices politiques, qu'on est convenu d'appeler machiavélisme, ne lui inspiraient pas tout le mépris qu'on devait attendre d'un génie tel que le sien. Néanmoins son admirable éloquence lui faisait aimer les débats d'un gouvernement représentatif: il tenait encore à la liberté par le talent, car il était ambitieux de convaincre, tandis que les hommes médiocres n'aspirent qu'à commander. Le ton sarcastique

de ses discours était singulièrement adapté aux circonstances dans lesquelles il s'est trouvé; lorsque toute l'aristocratie des sentiments et des principes triomphait à l'aspect des excès populaires, l'énergique ironie de M. Pitt convenait au patricien qui jette sur ses adversaires l'odieuse couleur de l'irréligion et de l'immoralité.

La clarté, la sincérité, la chaleur de M. Fox, pouvaient seules échapper à ces armes tranchantes. Il n'avait point de mystère en politique, parce qu'il regardait la publicité comme plus nécessaire encore dans les affaires des nations que dans tout autre rapport. Lors même qu'on n'était pas de son avis, on l'aimait mieux que son adversaire; et, quoique la force de l'argumentation fût le caractère distinctif de son éloquence, on sentait tant d'âme au fond de ses raisonnements, que l'on en était ému. Son caractère portait l'empreinte de la dignité anglaise, comme celui de son antagoniste; mais il avait une candeur naturelle, à laquelle le contact avec les hommes ne saurait porter atteinte, parce que la bienveillance du génie est inaltérable.

Il n'est pas nécessaire de décider entre ces deux grands hommes, et personne n'oserait se croire capable d'un tel jugement. Mais la pensée salutaire qui doit résulter des discussions sublimes dont le parlement anglais a été le théâtre, c'est que le parti ministériel a toujours eu raison, quand il a combattu le jacobinisme et le despotisme militaire; mais toujours tort, et grand tort, quand il s'est fait l'ennemi des principes libéraux en France. Les membres de l'opposition, au contraire, ont dévié des nobles fonctions qui leur sont attribuées, quand ils ont défendu les hommes dont les forfaits perdaient la cause de l'espèce humaine; et cette même opposition a bien mérité de l'avenir, quand elle a soutenu la généreuse élite des amis de la liberté qui, depuis vingt-cinq ans, se dévoue à la haine des deux partis en France, et qui n'est forte que d'une grande alliance, celle de la vérité.

Un fait peut donner l'idée de la différence essentielle qui existe entre les torys et les whigs, entre les ministériels et l'opposition, relativement aux affaires de France. L'esprit de parti réussit à dénaturer les plus belles actions, tant que vivent encore ceux qui

les ont faites; mais il n'en est pas moins certain que l'antiquité n'offre rien de plus beau que la conduite du général la Fayette, de sa femme et de ses filles, dans les prisons d'Olmutz 1.

Le général était dans ces prisons pour avoir, d'une part, quitté la France après l'emprisonnement du roi, et, de l'autre, pour s'être refusé à toute liaison avec les gouvernements qui faisaient la guerre à son pays; et l'admirable madame de la Fayette, à peine sortie des cachots de Robespierre, ne perdit pas un jour pour venir s'enfermer avec son mari, et s'exposer à toutes les souffrances qui ont abrégé sa vie. Tant de fermeté dans un homme depuis si longtemps fidèle à la même cause, tant d'amour conjugal et filial dans sa famille, devaient intéresser le pays où ces vertus sont natives. Le général Fitz Patrick demanda donc que le ministère anglais intercédât auprès de ses alliés pour en obtenir la liberté du général la Fayette. M. Fox plaida cette cause; et cependant le parlement anglais entendit le discours sublime dont nous allons transcrire la fin, sans que les députés d'un pays libre se levassent tous pour accéder à la proposition de l'orateur, qui n'aurait dû être, dans cette occasion, que leur interprète. Les ministres s'opposèrent à la motion du général Fitz Patrick, en disant, comme à l'ordinaire, que la captivité du général la Fayette concernait les puissances du continent, et que l'Angleterre, en s'en mêlant, violerait le principe général qui lui défend de s'immiscer dans l'administration intérieure des pays étrangers. M. Fox combattit admirablement cette réponse, dès lors astucieuse. M. Windham, secrétaire de la guerre, repoussa les éloges que M. Fox avait donnés au général la Fayette, et ce fut à cette occasion que M. Fox lui répondit ainsi : « Le secrétaire de la guerre a parlé, et ses principes sont dés>> ormais au grand jour. Il ne faut jamais pardonner à ceux qui

On peut trouver les détails les plus exacts à cet égard dans l'excellent ouvrage de M. Emmanuel de Toulongeon, intitulé: Histoire de France depuis 1789. I importe aux étrangers qu'on leur fasse connaître les écrits véridiques sur la révolution; car jamais on n'a publié, sur aucun sujet, un aussi grand nombre de livres et de brochures où le mensonge se soit replié de tant de manières pour tenir lieu du talent et satisfaire à mille genres de vanités.

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