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lequel on ne peut découvrir aucun plan, hors celui de faire massacrer la moitié de la nation par l'autre. Car il était si facile d'être considéré par les jacobins comme faisant partie de l'aristocratie proscrite, que la moitié des habitants de la France encourait le soupçon qui suffisait pour conduire à la mort.

L'assassinat de la reine et de madame Élisabeth causa peut-être encore plus d'étonnement et d'horreur que l'attentat commis contre la personne du roi; car on ne saurait attribuer à ces forfaits épouvantables d'autre but que l'effroi même qu'ils inspiraient. La condamnation de MM. de Malesherbes, de Bailly, de Condorcet, de Lavoisier, décimait la France de sa gloire; quatre-vingts personnes étaient immolées chaque jour, comme si le massacre de la SaintBarthélemi dût se renouveler goutte à goutte. Une grande difficulté s'offrait à ce gouvernement, si l'on peut l'appeler ainsi ; c'est qu'il fallait à la fois se servir de tous les moyens de la civilisation pour faire la guerre, et de toute la violence de l'état sauvage pour exciter les passions. Le peuple et même les bourgeois n'étaient point atteints par les malheurs des classes élevées; les habitants de Paris se promenaient dans les rues comme les Turcs pendant la peste, avec cette seule différence que les hommes obscurs pouvaient assez facilement se préserver du danger. En présence des supplices, les spectacles étaient remplis comme à l'ordinaire; on publiait des romans intitulés : Nouveau voyage sentimental, l'Amitié dangereuse, Ursule et Sophie; enfin, toute la fadeur et toute la frivolité de la vie subsistaient à côté de ses plus sombres fureurs.

Nous n'avons point tenté de dissimuler ce qu'il n'est pas au pouvoir des hommes d'effacer de leur souvenir; mais nous nous hâtons, pour respirer plus à l'aise, de rappeler dans le chapitre suivant les vertus qui n'ont pas cessé d'honorer la France, même à l'époque la plus horrible de son histoire.

CHAPITRE XVII.

De l'armée française pendant la terreur; des fédéralistes et de la Vendée.

La conduite de l'armée française pendant le temps de la terreur a été vraiment patriotique. On n'a point vu de généraux traîtres à leur serment envers l'État ; ils repoussaient les étrangers, tandis qu'ils étaient eux-mêmes menacés de périr sur l'échafaud au moindre soupçon suscité contre leur conduite. Les soldats n'appartenaient point à tel ou tel chef, mais à la France. La patrie ne consistait plus que dans les armées; mais là du moins elle était encore belle, et ses bannières triomphantes servaient, pour ainsi dire, de voile aux forfaits commis dans l'intérieur. Les étrangers étaient forcés de respecter le rempart de fer qu'on opposait à leur invasion; et, bien qu'ils se soient avancés jusqu'à trente lieues de Paris, un sentiment national, encore dans toute sa force, ne leur permit pas d'y arriver. Le même enthousiasme se manifestait dans la marine; l'équipage d'un vaisseau de guerre, le Vengeur, foudroyé par les Anglais, répétait comme en concert le cri de vive la république! en s'enfonçant dans la mer, et les chants d'une joie funèbre semblaient retentir encore du fond de l'abîme.

L'armée française ne connaissait pas alors le pillage, et ses chefs marchaient quelquefois comme les plus simples soldats à la tête de leurs troupes, parce que l'argent leur manquait pour acheter des chevaux dont ils auraient eu besoin. Dugommier, général en chef de l'armée des Pyrénées, à l'âge de soixante ans, partit de Paris à pied pour aller rejoindre ses troupes sur les frontières d'Espagne. Les hommes que la gloire des armes a tant illustrés depuis se distinguaient aussi par leur désintéressement. Ils portaient sans rougir des habits usés par la guerre, et plus honorables cent fois que les broderies et les décorations de toute espèce dont, plus tard, on les a vus chamarrés.

Les républicains honnêtes, mêlés à des royalistes, résistèrent

avec courage au gouvernement conventionnel, à Toulon, à Lyon, et dans quelques autres départements, Ce parti fut appelé du nom de fédéralistes; mais je ne crois pas cependant que les girondins ou leurs partisans aient jamais conçu le projet d'établir un gouvernement fédératif en France. Rien ne s'accorderait plus mal avec le caractère de la nation, qui aime l'éclat et le mouvement: il faut pour l'un et l'autre une ville qui soit le foyer des talents et des richesses de l'empire. On peut avoir raison de se plaindre de la corruption d'une capitale, et de tous les grands rassemblements d'hommes en général; telle est la condition de l'espèce humaine; mais on ne saurait guère ramener en France les esprits à la vertu que par les lumières et le besoin des suffrages. L'amour de la considération ou de la gloire, dans ses differents degrés, peut seul faire remonter graduellement de l'égoïsme à la conscience. D'ailleurs l'état politique et militaire des grandes monarchies qui environnent la France exposerait son indépendance, si l'on affaiblissait sa force de réunion. Les girondins n'y ont point songé; mais, comme ils avaient beaucoup d'adhérents dans les provinces, où l'on commençait à acquérir des connaissances en politique, par le simple effet d'une représentation nationale, c'est dans les provinces que l'opposition aux tyrans factieux de Paris s'est montrée.

C'est vers ce temps aussi qu'a commencé la guerre de la Vendée, et rien ne fait plus d'honneur au parti royaliste que les essais de guerre civile qu'il fit alors. Le peuple de ces départements sut résister à la convention et à ses successeurs pendant près de six années, ayant à sa tête des gentilshommes qui tiraient leurs plus grandes ressources de leur âme. Les républicains comme les royalistes ressentaient un profond respect pour ces guerriers citoyens Lescure, la Rochejaquelein, Charette, etc. quelles que fussent leurs opinions, accomplissaient un devoir auquel tous les Français, dans ce temps, pouvaient se croire tenus également. Le pays qui a été le théâtre de la guerre vendéenne est coupé par des haies destinées à enclore les héritages. Ces haies paisibles servirent de boulevards aux paysans devenus soldats;

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ils soutinrent un à un la lutte la plus dangeureuse et la plus hardie. Les habitants de ces campagnes avaient beaucoup de vénération pour les prêtres, dont l'influence a fait du bien alors. Mais, dans un État où la liberté subsisterait depuis longtemps, l'esprit public n'aurait besoin d'être excité que par les institutions politiques. Les Vendéens ont, il est vrai, demandé dans leur détresse quelques secours à l'Angleterre; mais ce n'étaient que des auxiliaires, et non des maîtres qu'ils acceptaient; car leurs forces étaient de beaucoup supérieures à celles qu'ils empruntaient des étrangers. Ils n'ont donc point compromis l'indépendance de leur patrie. Aussi les chefs de la Vendée sont-ils considérés même par le parti contraire; ils s'expriment sur la révolution avec plus de mesure que les émigrés d'outre-Rhin. Les Vendéens, s'étant battus pour ainsi dire corps à corps avec les Français, ne se persuadent pas aisément que leurs adversaires n'aient été qu'une poignée de · rebelles qu'un bataillon aurait pu faire rentrer dans le devoir; et, comme ils ont eu recours eux-mêmes à la puissance des opinions, ils savent ce qu'elles sont, et reconnaissent la nécessité de transiger avec elles.

Un problème encore reste à résoudre : c'est comment il se peut que le gouvernement de 1793 et 1794 ait triomphe de tant d'ennemis. La coalition de l'Autriche, de la Prusse, de l'Espagne, de l'Angleterre, la guerre civile dans l'intérieur, la haine que la convention inspirait à tout ce qui restait encore d'hommes honnêtes hors des prisons, rien n'a diminué la résistance contre laquelle les étrangers ont vu leurs efforts se briser. Ce prodige ne peut s'expliquer que par le dévoûment de la nation à sa propre cause. Un million d'hommes s'armèrent pour repousser les forces des coalisés; le peuple était animé d'une fureur aussi fatale dans l'intérieur qu'invincible au dehors. D'ailleurs l'abondance factice, mais inépuisable, du papier-monnaie, le bas prix des denrées, l'humiliation des propriétaires, qui en étaient réduits à se condamner extérieurement à la misère, tout faisait croire aux gens de la classe ouvrière que le joug de la disparité des fortunes allait enfin cesser de peser sur eux; cet espoir insensé doublait les

forces que la nature leur a données; et l'ordre social, dont le secret consiste dans la patience du grand nombre, parut tout à coup menacé. Mais l'esprit militaire, n'ayant pour but alors que la défense de la patrie, rendit le calme à la France en la couvrant de son bouclier. Cet esprit a suivi sa noble direction jusqu'au moment où, comme nous le verrons dans la suite, un homme a tourné contre la liberté même des légions sorties de terre pour la défendre.

CHAPITRE XVIII.

De la situation des amis de la liberté hors de France, pendant le règne de la terreur.

Il est difficile de raconter ces temps horribles sans se rappeler vivement ses propres impressions, et je ne sais pas pourquoi l'on combattrait ce penchant naturel; car la meilleure manière de représenter des circonstances si extraordinaires, c'est encore de montrer dans quel état elles mettaient les individus au milieu de la tourmente universelle.

L'émigration, pendant le règne de la terreur, n'était plus une mesure politique. L'on se sauvait de France pour éhapper à l'échafaud, et l'on n'y pouvait rester qu'en s'exposant à la mort, pour éviter la ruine. Les amis de la liberté étaient plus détestés par les jacobins que les aristocrates eux-mêmes, parce qu'ils avaient lutté de près les uns contre les autres, et que les jacobins craignaient les constitutionnels, auxquels ils croyaient une influence encore assez forte sur l'esprit de la nation. Ces amis de la liberté se trouvaient donc presque sans asile sur la terre. Les royalistes purs ne manquaient point à leurs principes en se battant avec les armées étrangères contre leur pays; mais les constitutionnels ne pouvaient adopter une telle résolution; ils étaient proscrits par la France, et mal vus par les anciens gouvernements de l'Europe, qui ne les connaissaient guère que par les récits des Français aristocrates, leurs ennemis les plus acharnés.

Je cachais chez moi, dans le pays de Vaud, quelques amis de la

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