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Une fatalité malheureuse plaça le règne de Louis XVI dans une époque où de grands talents et de hautes lumières étaient nécessaires pour lutter avec l'esprit du siècle, ou pour faire, ce qui valait mieux, un pacte raisonnable avec cet esprit.

Le parti des aristocrates, c'est-à-dire les privilégiés, sont persuadés qu'un roi d'un caractère plus ferme aurait pu prévenir la révolution. Ils oublient qu'ils ont eux-mêmes commencé les premiers, et avec courage et raison, l'attaque contre le pouvoir royal; et quelle résistance ce pouvoir pouvait-il leur opposer, puisque la nation était alors avec eux? Doivent-ils se plaindre d'avoir été les plus forts contre le roi, et les plus faibles contre le peuple? Cela devait être ainsi.

Les dernières années de Louis XV, on ne saurait trop le répéter, avaient déconsidéré le gouvernement; et, à moins qu'un roi militaire n'eût dirigé l'imagination des Français vers les conquêtes, rien ne pouvait détourner les différentes classes de l'État des réclamations importantes que toutes se croyaient en droit de faire valoir. Les nobles étaient fatigués de n'être que courtisans ; le haut clergé désirait plus d'influence encore dans les affaires; les parlements avaient trop et trop peu de force politique pour se contenter de n'être que juges; et la nation, qui renfermait les écrivains, les capitalistes, les négociants, un grand nombre de propriétaires, et une foule d'individus employés dans l'administration, la nation comparait impatiemment le gouvernement d'Angleterre, où le talent conduisait à tout, avec celui de France, où l'on n'était rien que par la faveur ou par la naissance. Ainsi donc, toutes les paroles et toutes les actions, toutes les vertus et toutes les passions, tous les sentiments et toutes les vanités, l'esprit public et la mode, tendaient également au même but.

On a beau parler avec dédain du caractère français, il veut énergiquement ce qu'il veut. Si Louis XVI eût été un homme de génie, disent les uns, il se fût mis à la tête de la révolution : il l'aurait empêchée, disent les autres. Qu'importent ces suppositions? il est impossible que le génie soit héréditaire dans aucune famille. Or, un gouvernement qui ne pourrait se défendre contre les

vœux de la nation que par le génie supérieur de ses rois, serait dans un terrible danger de succomber.

En examinant la conduite de Louis XVI, on y trouvera sûrement des fautes, soit que les uns lui reprochent de n'avoir pas assez habilement défendu son pouvoir illimité, soit que les autres l'accusent de n'avoir pas cédé sincèrement aux lumières du siècle; mais ses fautes ont été tellement dans la nature des circonstances, qu'elles se renouvelleraient presque autant de fois que les mêmes combinaisons extérieures se représenteraient.

Le premier choix que fit Louis XVI, pour diriger le ministère, ce fut M. de Maurepas. Certes ce n'était pas un philosophe novateur que ce vieux courtisan; il ne s'était occupé, durant quarante ans d'exil, que du regret de n'avoir pas su prévenir sa disgrâce ; aucune action courageuse ne la lui avait méritée; une intrigue manquée était le seul souvenir qu'il eût emporté dans sa retraite, et il en sortit tout aussi frivole que s'il ne se fût pas un instant éloigné de cette cour, l'objet unique de ses pensées. Louis XVI ne choisit M. de Maurepas que par un sentiment de respect pour la vieillesse, sentiment très-honorable dans un jeune roi.

Cet homme, cependant, pour qui les termes mêmes qui désignent le progrès des lumières et les droits des nations étaient un langage étranger, se vit tellement entraîné par l'opinion publique, à son insu, que le premier acte qu'il proposa au roi fut de rappeler les anciens parlements, bannis pour s'être opposés aux abus du règne précédent. Ces parlements, plus convaincus de leur force par leur rappel même, résistèrent constamment au ministre de Louis XVI, jusqu'au moment où ils aperçurent que leur propre existence politique était compromise par les mouvements qu'ils avaient provoqués.

Deux hommes d'État du plus rare mérite, M. Turgot et M. de Malesherbes, furent aussi choisis par ce même M. de Maurepas, qui sûrement n'avait aucune idée en commun avec eux; mais la rumeur publique les désignait pour des emplois éminents, et l'opinion se fit encore une fois obéir, bien qu'elle ne fût représentée par aucune assemblée légale.

M. de Malesherbes voulait le rétablissement de l'édit de Henri IV en faveur des protestants, l'abolition des lettres de cachet, et la suppression de la censure qui anéantit la liberté de la presse. Il y a plus de quarante années que M. de Malesherbes soutenait cette doctrine; il aurait suffi de l'adopter alors pour préparer par les lumières ce qu'il a fallu depuis céder à la violence.

M. Turgot, ministre non moins éclairé, non moins ami de l'humanité que M. de Malesherbes, abolit la corvée, proposa de supprimer, dans l'intérieur, les douanes qui tenaient aux priviléges particuliers des provinces, et se permit d'énoncer courageusement la nécessité de soumettre les nobles et le clergé à payer leur part des impôts dans la même proportion que le reste de la nation. Rien n'était plus juste et plus populaire que cette mesure; mais elle excita le mécontentement des privilégiés : M. Turgot leur fut sacrifié. C'était un homme roide et systématique, tandis que M. de Malesherbes avait un caractère doux et conciliant: mais ces deux citoyens généreux, dont les manières étaient différentes, bien que leurs opinions fussent semblables, éprouvèrent le même sort; et le roi, qui les avait appelés, peu de temps après renvoya l'un et rebuta l'autre, dans le moment où la nation s'attachait le plus fortement aux principes de leur administration.

C'était une grande faute que de flatter l'esprit public par de bons choix, pour l'en priver ensuite; mais M. de Maurepas nommait et renvoyait les ministres d'après ce qui se disait à la cour. L'art de gouverner consistait pour lui dans le talent de dominer le maître, et de contenter ceux qui l'entouraient. Les idées géné– rales, en aucun genre, n'étaient de son ressort; il savait seulement ce qu'aucun ministre ne peut ignorer, c'est qu'il faut de l'argent pour soutenir l'État, et que les parlements devenaient tous les jours plus difficiles sur l'enregistrement des impôts.

Sans doute ce qu'on appelait alors en France la constitution de l'État, c'est-à-dire l'autorité du roi, renversait toutes les barrières, puisqu'elle faisait taire, quand on le voulait, les résistances du parlement par un lit de justice. Le gouvernement de France a été constamment arbitraire, et de temps en temps despote;

mais il était sage de ménager l'emploi de ce despotisme, comme toute autre ressource, car tout annonçait que bientôt elle serait épuisée.

Les impôts, et le crédit, qui vaut en un jour une année d'impôts, étaient devenus tellement nécessaires à la France, que l'on redoutait avant tout des obstacles à cet égard. Souvent, en Angleterre, les communes unissent, d'une façon inséparable, un bill relatif aux droits de la nation avec un bill de consentement aux subsides. Les corporations judiciaires, en France, ont essayé quelque chose de semblable : quand on leur demandait l'enregistrement de nouveaux tributs, bien que cet enregistrement pût leur être enjoint, elles accompagnaient leur acquiescement ou leur refus de remontrances sur l'administration appuyées par l'opinion publique. Cette nouvelle puissance acquérait chaque jour plus de force, et la nation s'affranchissait, pour ainsi dire, par ellemême. Tant que les classes privilégiées avaient seules une grande existence, on pouvait gouverner l'État comme une cour, en maniant habilement les passions ou les intérêts de quelques individus; mais, lorsqu'une fois la seconde classe de la société, la plus nombreuse et la plus agissante de toutes, avait senti son importance, la connaissance et l'adoption d'un plus grand système de conduite devenaient indispensables.

Depuis que la guerre ne se fait plus avec les soldats conduits par les grands vassaux, et que les rois de France ont besoin d'impôts pour payer une armée, le désordre des finances a toujours été la source des troubles du royaume. Le parlement de Paris, vers la fin du règne de Louis XV, commençait à faire entendre qu'il n'avait pas le droit d'accorder les subsides, et la nation approuvait toujours sa résistance à cet égard; mais tout rentrait dans le repos et l'obéissance dont le peuple français avait depuis si longtemps l'habitude, quand le gouvernement marchait sur ses roulettes accoutumées, sans rien demander à aucune corporation qui pût se croire indépendante du trône. Il était donc clair que, dans les circonstances d'alors, le plus grand danger pour le pouvoir du roi était de manquer d'argent; et c'est d'après cette conviction que

M. de Maurepas proposa de nommer M. Necker directeur général

du trésor royal.

Étranger et protestant, il était tout à fait hors de la ligne des choix ordinaires; mais il avait montré une si grande habileté en matière de finances, soit dans la compagnie des Indes, dont il était membre, soit dans le commerce, qu'il avait pratiqué luimême vingt ans, soit dans ses écrits, soit enfin dans les divers rapports qu'il avait constamment entretenus avec les ministres du roi, depuis le duc de Choiseul jusqu'en 1776, époque de sa nomination, que M. de Maurepas fit choix de lui, seulement pour qu'il attirât de l'argent au trésor royal. M. de Maurepas n'avait pas réfléchi sur la connexion du crédit public avec les grandes mesures d'administration; il croyait donc que M. Necker pourrait rétablir la fortune de l'État comme celle d'une maison de banque, en faisant des spéculations heureuses. Rien n'était plus superficiel qu'une telle manière de concevoir les finances d'un grand empire. La révolution qui se manifestait dans les esprits ne pouvait être écartée du foyer même des affaires qu'en satisfaisant l'opinion par toutes les réformes qu'elle désirait; il fallait aller au-devant d'elle, de peur qu'elle ne s'avançât trop rudement. Un ministre des finances ne saurait être un jongleur qui fait passer et repasser de l'argent d'une caisse à l'autre, sans avoir aucun moyen réel d'augmenter la recette ou de diminuer la dépense. On ne pouvait remettre l'équilibre entre l'une et l'autre qu'à l'aide de l'économie, des impôts ou du crédit; et ces diverses ressources exigeaient l'appui de l'opinion publique. Examinons maintenant de quels moyens un ministre devait se servir pour la captiver.

CHAPITRE IV.

Du caractère de M. Necker comme homme public.

Monsieur Necker, citoyen de la république de Genève, avait cultivé dès son enfance la littérature avec beaucoup de soin; et lorsqu'il fut appelé par sa situation à se vouer aux affaires de com

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