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l'ordre; il lui manquait plusieurs prérogatives indispensables, et dont la privation amena, comme on le verra dans la suite, des convulsions destructives.

L'essai d'une république avait de la grandeur; toutefois, pour qu'il pût réussir, il aurait fallu peut-être sacrifier Paris à la France, et adopter des formes fédératives, ce qui,' nous l'avons dit, ne s'accorde ni avec le caractère ni avec les habitudes de la nation. D'un autre côté, l'unité du gouvernement républicain paraît impossible, contraire à la nature même des choses dans un grand pays. Mais, du reste, l'essai a surtout manqué par le genre d'hommes qui ont exclusivement occupé les emplois; le parti auquel ils avaient tenu pendant la terreur les rendait odieux à la nation: ainsi l'on jeta trop de serpents dans le berceau d'Hercule.

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La convention, instruite par l'exemple de l'assemblée constituante, dont l'ouvrage avait été renversé parce qu'elle l'avait abandonné trop tôt à ses successeurs, rendit les décrets du 5 et du 13 fructidor, qui maintenaient dans leurs places les deux tiers des députés existants; mais on convint cependant que l'un des tiers restants serait renouvelé dans dix-huit mois, et l'autre un an plus tard. Ce décret produisit une sensation terrible dans l'opinion, et rompit tout à fait le traité tacitement signé entre la convention et les honnêtes gens: on voulait pardonner aux conventionnels pourvu qu'ils renonçassent au pouvoir; mais il était naturel qu'ils voulussent le conserver au moins comme une sauvegarde. Les Parisiens furent un peu trop violents dans cette circonstance, et peut-être l'envie d'occuper toutes les places, passion qui commençait à fermenter dans les esprits, les aigrit-elle alors. On savait pourtant que des hommes très-estimables étaient désignés comme devant être directeurs; les conventionnels voulaient se faire honneur par de bons choix, et peut-être était-il sage d'attendre le terme fixé pour écarter légalement et graduellement le reste des députés; mais il se mêla des royalistes dans le parti qui ne voulait que s'approprier les places de la république; et, comme il est constamment arrivé depuis vingt-cinq ans, du moment où la cause de la révolution parut compromise, ceux qui la défen

daient eurent pour eux le peuple et l'armée, les faubourgs et les soldats. C'est alors que l'on vit s'établir entre la force populaire et la force militaire une alliance qui rendit bientôt celle-ci maîtresse de l'autre. Les guerriers français, si admirables dans la résistance qu'ils opposaient aux puissances coalisées, se sont faits, pour ainsi dire, les janissaires de la liberté chez eux; et, s'immiscant dans les affaires intérieures de la France, ils ont disposé de l'autorité civile, et se sont chargés d'opérer les diverses révolutions dont nous avons été les témoins.

Les sections de Paris, de leur côté, ne furent peut-être pas exemptes de l'esprit de faction, car la cause de leur tumulte n'était pas d'un intérêt public urgent, puisqu'il suffisait d'attendre dix-huit mois pour qu'il ne restât plus un conventionnel en place. L'impatience les perdit; elles attaquèrent l'armée de la convention le 13 vendémiaire, et l'issue ne fut pas douteuse. Le commandant de cette armée était le général Bonaparte son nom parut pour la première fois dans les annales du monde le 13 vendémiaire (4 octobre 1795). Il avait déjà contribué, mais sans être cité, à la reprise de Toulon, en 1793, lorsque cette ville se révolta contre la convention. Le parti qui renversa Robespierre l'avait destitué après le 9 thermidor; et, n'ayant alors aucune ressource de fortune, il présenta un mémoire aux comités du gouvernement pour aller à Constantinople former les Turcs à la guerre. C'est ainsi que Cromwell voulut partir pour l'Amérique, dans les premiers moments de la révolution d'Angleterre. Barras, depuis directeur, s'intéressait à Bonaparte, et le désigna dans les comités de la convention pour la défendre. On prétend que le général Bonaparte a dit qu'il aurait pris le parti des sections, si elles lui avaient offert de commander leurs bataillons. Je doute de cette anecdote; non que le général Bonaparte ait été, dans aucune époque de la révolution, exclusivement attaché à une opinion quelconque, mais parce qu'il a eu toujours trop bien l'instinct de la force pour avoir voulu se mettre du côté nécessairement alors le plus faible.

On craignait beaucoup à Paris que, le lendemain du 13 vendémiaire, le règne de la terreur ne fût rétabli. En effet ces mêmes

conventionnels qui avaient cherché à plaire quand ils se croyaient réconciliés avec les honnêtes gens, pouvaient se porter à tous les excès, en voyant que leurs efforts pour faire oublier leur conduite passée étaient sans fruit. Mais les vagues de la révolution commençaient à se retirer, et le retour durable du jacobinisme était déjà devenu impossible. Cependant il résulta de ce combat du 13 vendémiaire, que la convention se fit un principe de nommer cinq directeurs qui eussent voté la mort du roi; et, comme la nation n'approuvait en aucune manière cette aristocratie du régicide, elle ne s'identifia point avec ses magistrats. Un résultat non moins fâcheux de la journée du 13 vendémiaire, ce fut un décret du 2 brumaire qui excluait de tout emploi public les parents des émigrés, et tous ceux qui dans les sections avaient voté pour des projets liberticides. Telle était l'expression du jour, car en France, à chaque révolution, on rédige une phrase nouvelle, qui sert à tout le monde, pour que chacun ait de l'esprit ou du sentiment tout fait, si par hasard la nature lui avait refusé l'un et l'autre.

Le décret d'exclusion du 2 brumaire faisait une classe de proscrits dans l'État; ce qui certes ne vaut pas mieux qu'une classe de privilégiés, et n'est pas moins contraire à l'égalité devant la loi. Le directoire était le maître d'exiler, d'emprisonner, de déporter à son gré les individus désignés comme attachés à l'ancien régime, les nobles et les prêtres, auxquels on refusait le bienfait de la constitution en les plaçant sous le joug de l'arbitraire. Une amnistic accompagne d'ordinaire l'installation de tout gouvernement nouveau ; ce fut, au contraire, une proscription en masse qui signala celle du directoire. Quels dangers présentaient tout à la fois à ce gouvernement les prérogatives constitutionnelles qui lui manquaient, et la puissance révolutionnaire dont on avait été prodigue envers lui!

CHAPITRE XXI.

Des vingt mois pendant lesquels la république a existé en France, depuis le mois de novembre 1795 jusqu'au 18 fructidor (4 septembre 1797).

Il faut rendre justice aux directeurs, et plus encore à la puissance des institutions libres, sous quelque forme qu'elles soient admises. Les vingt premiers mois qui succédèrent à l'établissement de la république présentent une période d'administration singulièrement remarquable. Cinq hommes, Carnot, Rewbell, Barras, Lareveillère, Letourneur, choisis par la colère, et ne possédant pas pour la plupart des facultés transcendantes, arrivèrent au pouvoir dans les circonstances les plus défavorables. Ils entrèrent au palais du Luxembourg, qui leur était destiné, sans y trouver une table pour écrire, et l'État n'était pas plus en ordre que le palais. Le papier-monnaie était réduit presque au millième de sa valeur nominale; il n'y avait pas cent mille francs en espèces au trésor public; les subsistances étaient encore si rares, que l'on contenait à peine le mécontentement du peuple à cet égard; l'insurrection de la Vendée durait toujours; les troubles civils avaient fait naître des bandes de brigands, connus sous le nom de chauffeurs, qui commettaient d'horribles excès dans les campagnes; enfin, presque toutes les armées françaises étaient désorganisées.

En six mois le directoire releva la France de cette déplorable situation. L'argent remplaça le papier sans secousse; les proprié– taires anciens vécurent en paix à côté des acquéreurs de biens nationaux; les routes et les campagnes redevinrent d'une sûreté parfaite; les armées ne furent que trop victorieuses; la liberté de la presse reparut; les élections suivirent leur cours légal, et l'on aurait pu dire que la France était libre, si les deux classes des nobles et des prêtres avaient joui des mêmes garanties que les autres citoyens. Mais la sublime perfection de la liberté consiste en ceci, qu'elle ne peut rien faire à demi. Si vous voulez persécuter un seul homme dans l'État, la justice ne s'établira jamais

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pour tous; à plus forte raison, lorsque cent mille individus se trouvent placés hors du cercle protecteur de la loi. Les mesures révolutionnaires ont donc gâté la constitution dès l'établissement du directoire la dernière moitié de l'existence de ce gouvernement, qui a duré en tout quatre années, a été si misérable sous tous les rapports, qu'on a pu facilement attribuer le mal aux institutions elles-mêmes. Mais l'histoire impartiale mettra cependant sur deux lignes très-différentes la république avant le 18 fructidor, et la république après cette époque, si toutefois ce nom peut encore être mérité par les autorités factieuses qui se renversèrent l'une l'autre, sans cesser d'opprimer la masse sur laquelle elles retombaient.

Les deux partis extrêmes, les jacobins et les royalistes, attaquèrent le directoire dans les journaux, chacun à sa manière, pendant la première période directoriale, sans que le gouvernement s'y opposât, et sans qu'il en fût ébranlé. La société de Paris était d'autant plus libre, que la classe des gouvernants n'en faisait pas partie. Cette séparation avait et devait avoir sans doute beaucoup d'inconvénients à la longue; mais, précisément parce que le gouvernement n'était pas à la mode, tous les esprits ne s'agitaient pas, comme ils se sont agités depuis, par le désir effréné d'obtenir des places, et il existait d'autres objets d'intérêt et d'activité. Une chose surtout digne de remarque sous le directoire, ce sont les rapports de l'autorité civile avec l'armée. On a beaucoup dit que la liberté, comme elle existe en Angleterre, n'est pas possible pour un État continental, à cause des troupes réglées qui dépendent toujours du chef de l'État. Je répondrai ailleurs à ces craintes sur la durée de la liberté, toujours exprimées par ses ennemis, par ceux mêmes qui ne veulent pas permettre qu'une tentative sincère en soit faite. Mais on ne saurait trop s'étonner de la manière dont les armées ont été conduites par le directoire, jusqu'au moment où, craignant le retour de l'ancienne royauté, il les a lui-même malheureusement introduites dans les révolutions intérieures de l'État.

Les meilleurs généraux de l'Europe obéissaient à cinq directeurs,

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