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une conséquence, a rendu nécessaires des formes constitutionnelles quelconques, pour assurer la publicité dans les finances et garantir les engagements contractés. Comment le crédit pourrait-il se fonder sur les maîtresses, les favoris, ou les ministres qui changent à la cour des rois du jour au lendemain ? Quel père de famille confierait sa fortune à cette loterie ?

M. Necker cependant a su, le premier et le seul parmi les ministres, obtenir du crédit en France sans aucune institution nouvelle. Son nom inspirait une telle confiance, que très-imprudemment même, les capitalistes de l'Europe ont compté sur lui comme sur un gouvernement, oubliant qu'il pouvait perdre sa place d'un instant à l'autre. Les Anglais et les Français s'accordaient pour le citer, avant la révolution, comme la plus forte tête financière de l'Europe. L'on regardait comme un miracle d'avoir fait cinq ans la guerre sans augmenter les impôts, et seulement en assurant l'intérêt des emprunts sur des économies. Mais, quand l'esprit de parti vint tout empoisonner, on imagina de dire qu'il y avait du charlatanisme dans le système de finances de M. Necker. Singulier charlatanisme que celui qui repose sur l'austérité du caractère, et fait renoncer au plaisir de s'attacher beaucoup de créatures en donnant facilement l'argent levé sur le peuple! Les juges irrécusables des talents et de l'honnêteté d'un ministre des finances, ce sont les créanciers de l'État.

Pendant l'administration de M. Necker, les fonds publics montèrent, et l'intérêt de l'argent baissa jusqu'à un taux dont on n'avait point eu d'exemple en France. Les fonds anglais, au contraire, subirent dans le même temps une dépréciation considérable, et les capitalistes de tous les pays s'empressèrent de concourir aux emprunts ouverts à Paris, comme si les vertus d'un homme avaient pu tenir lieu de la fixité des lois.

M. Necker, a-t-on dit, a fait des emprunts, ce qui devait ruiner les finances. Et de quel moyen l'Angleterre s'est-elle servie pour arriver au degré de richesse qui lui a permis de soutenir avec éclat vingt-cinq ans de la plus terrible guerre ? Les emprunts dont l'intérêt n'est pas assuré ruineraient l'État, s'ils étaient longtemps

praticables : mais heureusement ils ne le sont pas; car les créanciers sont très-avisés sur ce qui les touche, et ne prêtent volontairement que sur des gages positifs. M. Necker, afin d'assurer l'intérêt et le fonds d'amortissement nécessaires à la garantie des payements, attachait une réforme à chaque emprunt; et il résultait de cette réforme une diminution de dépense plus que suffisante pour le payement des intérêts. Mais cette méthode si simple, de retrancher sur ses dépenses pour augmenter ses revenus, ne paraît pas assez ingénieuse aux écrivains qui veulent montrer des vues profondes en traitant des affaires publiques.

L'on a dit aussi que les emprunts viagers dont M. Necker a fait quelquefois usage pour attirer les capitaux, favorisaient le penchant des pères à consumer d'avance la fortune qu'ils devaient laisser à leurs enfants. Cependant il est généralement reconnu que l'intérêt viager, tel que M. Necker l'avait combiné, est une spéculation tout comme l'intérêt perpétuel. Les meilleurs pères de famille plaçaient sur les trente têtes à Genève, dans l'intention d'augmenter leur bien après eux. Il y a des tontines viagères en Irlande; il en existait depuis longtemps en France. Il faut se servir de différents genres de spéculations pour captiver les diverses manières de voir des capitalistes; mais on ne saurait mettre en doute si un père de famille peut, lorsqu'il veut régler sa dépense, s'assurer une grande augmentation de capital en plaçant une partie de ce qu'il possède à un intérêt très-haut, et en épargnant chaque année une portion de cet intérêt. Au reste, on est honteux de répéter des vérités si généralement répandues parmi tous les financiers de l'Europe. Mais, quand en France les ignorants des salons ont attrapé sur un sujet sérieux une phrase quelconque dont la rédaction est à la portée de tout le monde, ils s'en vont la redisant à tout propos; et ce rempart de sottise est très-difficile à renverser.

Faut-il répondre aussi à ceux qui accusent M. Necker de n'avoir pas changé le système des impôts, et supprimé les gabelles en soumettant les pays d'états qui en étaient exempts à une contribution sur le sel? Il ne fallait pas moins que la révolution pour détruire les priviléges particuliers des provinces. Le ministre qui

aurait osé les attaquer n'aurait produit qu'une résistance nuisible à l'autorité du roi, sans obtenir aucun résultat utile. Les privilégiés étaient tout-puissants en France il y a quarante ans, et l'intérêt seul de la nation était sans force. Le gouvernement et le peuple, qui sont pourtant deux parties essentielles de l'État, ne pouvaient rien contre telle ou telle province, tel ou tel corps; et des droits bigarrés, héritages des événements passés, empêchaient le roi même de rien faire pour le bien général.

M. Necker, dans son ouvrage sur l'administration des finances, a montré tous les inconvénients du système inégal d'impôts qui régnait en France; mais c'est une preuve de plus de sa sagesse que de n'avoir entrepris à cet égard aucun changement pendant son premier ministère. Les ressources qu'exigeait la guerre ne permettaient de s'exposer à aucune lutte intérieure; car, pour innover en matière de finances, il fallait être en paix, afin de pouvoir captiver le peuple en diminuant la masse des impôts alors qu'on en aurait changé la nature.

Si les uns ont blâmé M. Necker d'avoir laissé subsister l'ancien système des impôts, d'autres l'ont accusé d'avoir montré trop de hardiesse en imprimantle Compte rendu au roi sur la situation de ses finances. M. Necker était, comme je l'ai dit, dans des circonstances à peu près semblables à celles du chancelier de l'Hôpital. Il n'a pas fait un pas dans la carrière politique, sans que les novateurs lui reprochassent sa prudence, et les partisans de tous les anciens abus sa témérité. Aussi l'étude de ses deux ministères est-elle peutêtre la plus utile que puisse faire un homme d'État. On y verra la route de la raison tracée entre les factions contraires, et des efforts toujours renaissants pour amener une transaction sage entre les vieux intérêts et les nouvelles idées.

La publicité du Compte rendu avait pour but de suppléer en quelque manière aux débats de la chambre des communes d'Angleterre, en faisant connaître à tous le véritable état des finances. C'était porter, disait-on, atteinte à l'autorité du roi, que d'informer la nation de l'état des affaires. Si l'on n'avait eu rien à demander à cette nation, on aurait pu lui cacher la situation du trésor royal;

mais le mouvement des esprits ne permettait pas qu'on pût exiger la continuation de taxes très-onéreuses, sans montrer au moins l'usage qu'on en avait fait, ou qu'on en voulait faire. Les courtisans criaient contre les mesures de publicité en finances, les seules propres à fonder le crédit, et néanmoins'ils sollicitaient avec une égale véhémence, pour eux et les leurs, tout l'argent que ce crédit même pouvait à peine fournir. Cette inconséquence s'explique toutefois par la juste crainte qu'ils éprouvaient de voir le jour entrer dans les dépenses qui les concernaient; car la publicité de l'état des finances avait aussi un avantage important, celui d'assurer au ministre l'appui de l'opinion publique dans les divers retranchements qu'il était nécessaire d'effectuer. L'économie offrait de grands moyens en France à l'homme courageux qui, comme M. Necker, voulait y avoir recours. Le roi, quoiqu'il n'eût point de luxe pour lui-même, était d'une telle bonté, qu'il ne savait rien refuser à ceux qui l'entouraient; et les grâces de tout genre excédaient sous son règne, quelque austère que fût sa conduite, les dépenses mêmes de Louis XV. M. Necker devait considérer comme son premier devoir, et comme la principale ressource de l'État, la diminution des grâces; il se faisait ainsi beaucoup d'ennemis à la cour et parmi les employés des finances; mais il remplissait son devoir car le peuple alors était réduit par les impôts à une détresse dont personne ne s'occupait, et que M. Necker a proclamée et soulagée le premier. Souffrir pour ceux qu'on ne connaissait pas, et refuser à ceux que l'on connaissait, était un effort pénible, mais dont la conscience faisait une loi à celui qui l'a toujours prise pour guide.

A l'époque du premier ministère de M. Necker, la classe la plus nombreuse de l'État était surchargée de dîmes et de droits féodaux, dont la révolution l'a délivrée; les gabelles et les impôts que supportaient certaines provinces, et dont d'autres étaient affranchies, l'inégalité de la répartition, fondée sur les exemptions des nobles et du clergé, tout concourait à rendre la situation du peuple infiniment moins heureuse qu'elle ne l'est maintenant. Chaque année les intendants faisaient vendre les derniers meubles de la misère,

parce que plusieurs contribuables se trouvaient dans l'impossibilité d'acquitter les taxes qu'on leur demandait : dans aucun État de l'Europe le peuple n'était traité d'une manière aussi révoltante. A l'intérêt sacré de tant d'hommes se joignait aussi celui du roi, qu'il ne fallait pas exposer aux résistances du parlement pour l'enregistrement des impôts. M. Necker rendait donc un service signalé à la couronne, lorsqu'il soutenait la guerre par le simple fruit des économies, et le ménagement habile du crédit : car de nouvelles charges irritaient la nation, et popularisaient le parlement en lui donnant l'occasion de s'y opposer.

Un ministre qui peut prévenir une révolution en faisant le bien doit suivre cette route, quelle que soit son opinion politique. M. Necker se flattait donc de retarder, du moins encore pendant plusieurs années, par l'ordre dans les finances, la crise qui s'approchait ; et, si l'on avait adopté ses plans en administration, il se peut que cette crise même n'eût été qu'une réforme juste, graduelle et salutaire.

CHAPITRE VI.

Des plans de M. Necker en administration.

Le ministre des finances, avant la révolution, n'était pas seulement chargé du trésor public; ses devoirs ne se bornaient pas à mettre de niveau la recette et la dépense : toute l'administration du royaume était encore dans son département; et, sous ce rapport, le bien-être de la nation entière ressortissait au contrôleur général. Plusieurs, branches de l'administration étaient singulièrement négligées. Le principe du pouvoir absolu se combinait avec des obstacles sans cesse renaissants dans l'application de ce pouvoir. Il y avait partout des traditions historiques dont les provinces voulaient faire des droits, et que l'autorité royale n'admettait que comme des usages. De là vient que l'art de gouverner était une espèce d'escamotage dans lequel on tâchait d'extorquer de la nation le plus possible pour enrichir le roi, comme si la

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