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que la volonté du testateur, statuant pendant sa vie, en connaissance de cause, sur certains objets pour le cas de mort, sans violer le principe de la justice, reçoive son exécution. Le testateur peut donc disposer de sa propriété par des raisons d'affection comme par des motifs moraux d'aide, de bienfaisance ou d'utilité. » (Voy. p. 469-470.)

Stahl fonde également le droit de succession sur les liens de famille, et surtout sur les liens existant entre les père et mère et leurs enfants, dont il est une émanation nécessaire. (Philosophie du droit, §§ 90 et suiv.)

1235. Ainsi qu'on vient de le voir, les auteurs qui ont traité la matière qui nous occupe ont dirigé leur attention principalement, nous pourrions dire presque exclusivement, sur deux questions, savoir: 1o Y a-t-il une succession ab intestat ? c'est-à-dire existe-t-il des personnes auxquelles appartient le droit de prendre les biens du défunt de préférence à tous les autres ? 2o L'homme a-t-il le droit de disposer de ses biens pour le temps où il ne sera plus?

Mais il y a un point qu'ils ont laissé de côté, qui nous paraît le point culminant, dominant tous les autres et dont les autres questions ne sont que les corollaires; c'est la question de savoir si, en droit naturel, la personnalité juridique ou le patrimoine du défunt, pris comme universalité juridique (l'hæreditas in abstracto), doit être continuée après son décès.

La continuation de la personnalité juridique du défunt, représentée par son patrimoine considéré comme un ensemble de droits actifs et passifs, n'est pas seulement permise, mais elle est commandée par le droit naturel. Cette règle, dont nous essayerons de démontrer philosophiquement la vérité, a reçu la sanction de l'histoire; elle a été admise toujours et par toutes les législations. Si, comme nous l'avons dit au no 1233, les lois qui règlent la transmission des biens après décès varient infiniment en ce qui concerne l'ordre des successions, la capacité de l'héritier, la liberté de disposer par acte de dernière volonté, etc., elles s'accordent toutes à considérer le patrimoine du défunt comme un ensemble de droits actifs et passifs, comme une universalité juridique qui passe au successeur avec les obligations qui grevaient le défunt. Cette longue et respectable autorité de l'histoire

aurait dû faire hésiter ceux qui ont avancé trop légèrement que par la mort du propriétaire tous ses biens deviennent vacants et appartiennent au premier occupant.

1236. L'homme n'est pas un être isolé; il ne vit et ne peut vivre que dans la société; sa vie est liée à celle de ses semblables par de nombreux rapports. Il est sujet de droits et d'obligations, et cet ensemble de droits et d'obligations constitue sa personnalité ou son être juridique. L'existence de l'homme comme personne ou être juridique ne finit pas avec sa vie. Les actes de sa vie, comme être juridique, influent sur les droits et sur les intérêts matériels et moraux de ses semblables, et la liaison entre ses actes d'une part et les droits et les intérêts de ses semblables d'autre part subsiste après sa mort. Il peut avoir contracté des engagements qui ne sont pas encore exécutés lors de son décès. Toute obligation crée pour le débiteur la nécessité de l'exécuter, pour le créancier le droit d'en demander l'exécution. La mort ne libère pas le débiteur. Quiconque est obligé personnellement est tenu de remplir ses engagements sur tous ses biens; la loi civile. sanctionne ce précepte du droit naturel (code civil, art. 2092). Les biens que le défunt possédait et les droits qu'il avait acquis contre d'autres personnes sont grevés de ses obligations et en sont la garantie; les obligations en sont inséparables. Dire que les obligations de l'homme s'éteignent avec sa vie, ce serait porter atteinte aux droits et à la liberté des vivants, qui auraient un intérêt à l'accomplissement de ces mêmes obligations; ce serait les priver des moyens qu'ils se seraient créés de satisfaire à leurs besoins matériels ou moraux. Enlever au patrimoine du défunt ses biens ou les déclarer vacants pour les livrer au premier occupant en laissant subsister ses obligations, ce serait rendre illusoires les droits de ses créanciers. Déclarer les obligations éteintes par la mort, ce serait rendre impossibles toutes ses transactions civiles dans la société ; l'humanité n'aurait pas de lendemain; elle vivrait au jour le jour comme les animaux. Tel achète et paye aujourd'hui une maison; avant la délivrance, le vendeur meurt; l'acheteur a perdu le prix, et la maison devient chose vacante! Tel prête aujourd'hui, l'emprunteur meurt demain ; la somme prêtée est perdue! Une société vivant sous l'empire de règles semblables ressemblerait à l'état de nature.

Il faut donc nécessairement laisser subsister après la mort de l'homme tous les droits comme toutes les obligations qui ne s'attachent pas exclusivement à sa personne; en un mot, sa personnalité juridique, comme s'il existait encore. Cette universalité ou cet ensemble de son patrimoine actif et passif constitue la succession ou la continuation de la personne du défunt. Tant que cette succession n'a encore été recueillie par personne; elle est vacante (hæreditas jacens) et représente le défunt hæreditas non HÆREDIS personam, sed DEFUNCTI sustinet, dit le fr. 34, D., De acquirendo rerum dominio, 41, 1.

1237. La continuation de la personne juridique du défunt est incompatible avec la thèse consistant à dire que ses biens deviennent vacants après sa mort; mais elle n'est pas nécessairement en contradiction avec la doctrine qui attribue les successions à l'État. Car l'État, comme toute autre personne, et au même titre que toute autre personne, peut entrer dans le patrimoine actif et passif du défunt.

1238. La succession in abstracto est donc fondée en droit naturel. Mais qui doit la recueillir? Sera-ce l'État ou celui que la volonté du défunt a désigné, ou y a-t-il des personnes qui, pour des raisons spéciales d'équité, sont appelées à la recueillir de préférence à toutes les autres? Sur cette question, la voix de la rigoureuse raison se prononce moins impérieusement que sur la première. Rappelons ici une analogie que l'organisation du système des successions présente avec l'organisation de la propriété.

Plusieurs auteurs, pour réfuter la légitimité de l'institution de la propriété, se sont attaqués particulièrement aux différentes manières d'acquérir la propriété ; ils les ont analysées toutes, en démontrant qu'aucune n'est de nature à justifier le principe de la propriété individuelle. Mais c'est déplacer la question. Le principe de la légitimité de la propriété ne peut pas résulter des manières dont elle pourrait s'acquérir; mais parce que le principe de la propriété en lui-même est juste, la loi doit l'organiser et déterminer les manières dont elle peut s'acquérir.

Il en est de même de la succession. C'est parce qu'elle est juste en principe que la loi civile doit résoudre le problème de son organisation. D'après quelles règles?

1239. Et d'abord, le défunt peut-il lui-même désigner son successeur? En d'autres termes, la succession testamentaire estelle fondée en droit naturel? Sans doute. La raison même le commande. Si la nécessité de la continuation de la personne juridique est établie en principe, qui a plus de droit, plus d'intérêt que le défunt lui-même à choisir le continuateur de sa personne? Son intérêt moral survit à l'homme; le culte de la mémoire est de tous les pays, de tous les siècles; les lois le sanctionnent en protégeant la mémoire des morts contre les outrages des vivants (code civil, art. 1047; code pénal belge de 1867, art. 450, alinéa 2), et en autorisant la révision des procès criminels pour réhabiliter la mémoire de la victime d'une erreur judiciaire (code d'instruct. crim., art. 447). Le défunt a un intérêt moral, un intérêt d'honneur à laisser une mémoire sans tache, à acquitter toutes ses dettes civiles ou naturelles, à réparer les injustices qu'il a pu commettre pendant sa vie, et que la mort l'a empêché d'effacer. C'est à lui-même qu'il faut laisser la désignation de la personne à qui il confie la continuation de son être juridique, et le choix des moyens par lesquels il croit devoir compléter son existence interrompue.

1240. Si le défunt n'a pas testé, force est à la loi de tester pour lui, afin que le précepte juridique qui commande la continuation de la personne juridique s'accomplisse. Elle doit organiser la succession ab intestat, selon la volonté présumée du défunt, en appelant à sa succession ceux qu'il y eût probablement appelés lui-même s'il en eût disposé. C'est ainsi que le droit romain et les auteurs du code envisagent la succession ab in

testat.

Mais, indépendamment de la volonté présumée du défunt, y a-t-il des personnes qui ont un droit préférable à d'autres de recueillir la succession?

Nous n'entrerons pas dans un examen approfondi de cette question; nous nous bornons à renvoyer aux motifs d'équité par lesquels les auteurs, même ceux qui n'admettent pas que la succession soit fondée en droit naturel, décident que la succession doit être déférée à la famille du défunt. Cette solution ne peut pas être mathématiquement prouvée par le raisonnement, c'est vrai. Mais la raison n'est pas la seule source de toutes les vérités

philosophiques. L'homme est aussi doué de sentiments instinctifs, qui ne se raisonnent et ne se discutent pas, et aucun raisonnement ne résiste à la force d'un sentiment instinctif et spontané. Le droit, qui a pour mission de réaliser dans le monde extérieur un ordre de choses qui garantisse à l'homme sa liberté et l'accomplissement de ses devoirs, doit être fondé essentiellement sur la nature humaine. Il y a au fond de la conscience humaine une voix qui s'élève pour le droit de la famille. Cette voix de la conscience humaine a dominé pendant des siècles, elle n'a rien perdu de sa force.

II. INTRODUCTION HISTORIQUE.

1241. Nous ne pouvons ici qu'esquisser à grands traits les caractères des diverses législations dans lesquelles les auteurs du code ont puisé leurs matériaux; chaque subdivision du titre des Successions sera précédée d'une introduction historique plus détaillée.

En cette matière, comme dans plusieurs autres, deux législations d'origine différente se sont partagé l'ancienne France, le droit romain et le droit coutumier, d'origine germanique.

A. Du droit romain.

1242. Les pays de droit écrit étaient régis par la législation romaine de Justinien, modifiée seulement en peu de points par l'influence du droit coutumier ou par la jurisprudence. Les idées fondamentales du droit romain étaient celles-ci :

Chacun est maître de ses biens; il peut en disposer comme il veut, même pour le temps où il ne sera plus, sauf quelques restrictions qui ont été introduites plus tard au profit des enfants, auxquels il fallait laisser une partie des biens (la légitime). Ce principe était déjà énoncé dans la loi des XII Tables, en ces termes : « Pater familias uti legassit super pecunia tutelave suæ rei, ita jus esto.» La volonté du testateur doit être respectée avant tout; sa succession appartient à ceux qu'il a institués par un testament. A défaut de testament, la loi appelle les héritiers d'après la volonté présumée du défunt, et elle appelle ceux que le défunt lui-même aurait probablement appelés s'il eût fait un testament.

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