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compter sur cet enthousiasme qui fait la force des citoyens armés.

Beaucoup de républicains pensent que, si Louis XVI eût triomphé le 10 août, les étrangers seroient arrivés à Paris, et y auroient rétabli l'ancien despotisme, devenu plus odieux encore par le moyen même dont il auroit tenu sa force. Il est possible que les choses fussent arrivées à cette extrémité; mais qui les y avoit conduites? L'on peut toujours dans les troubles civils rendre un crime politiquement utile; mais c'est par les crimes précédens qu'on parvient à créer cette infernale nécessité.

On vint me dire que tous mes amis qui faisoient la garde en dehors du château, avoient été saisis et massacrés. Je sortis à l'instant pour en savoir des nouvelles ; le cocher qui me conduisoit fut arrêté sur le pont par des hommes qui, silencieusement, lui faisoient signe qu'on égorgeoit de l'autre côté. Après deux heures d'inutiles efforts pour passer, j'appris que tous ceux qui m'intéressoient vivoient encore ; mais

que la plupart d'entre eux étoient contraints à se cacher, pour éviter les proscriptions dont ils étoient menacés. Lorsque j'allois les voir le soir à pied dans les maisons obscures où ils avoient pu trouver asile, je rencontrois des

hommes armés couchés devant les portes, assoupis par l'ivresse, et ne se réveillant à demi que pour prononcer des juremens exécrables. Plusieurs femmes du peuple étoient aussi dans le même état, et leurs vociférations avoient quelque chose de plus odieux encore. Dès qu'on apercevoit une patrouille destinée à maintenir l'ordre, les honnêtes gens fuyoient pour l'éviter; car, ce qu'on appeloit maintenir l'ordre, c'étoit contribuer au triomphe des assassins, et les préserver de tout obstacle.

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L'on ne peut se résoudre à continuer de tels tableaux. Encore le 10 août sembloit-il avoir pour but de s'emparer du gouvernement, afin de diriger tous ses moyens contre l'invasion des étrangers; mais les massacres qui eurent lieu vingt-deux jours après le renversement du trône, n'étoient qu'une débauche de forfaits. On a prétendu que la terreur qu'on éprouvoit à Paris, et dans toute la France, avoit décidé les François à se réfugier dans les camps. Singulier moyen que la peur pour recruter une armée! Mais une telle supposition est une offense faite à la nation. Je tâcherai de montrer dans le chapitre suivant, que c'est malgré le crime, et non par son affreux secours, que les François ont repoussé les étrangers qui vouloient leur imposer la loi.

A des criminels succédoient des criminels plus détestables encore. Les vrais républicains ne restèrent pas un jour les maîtres après le 10 août. Dès que le trône qu'ils attaquoient fut

renversé, ils eurent à se défendre eux-mêmes; ils n'avoient montré que trop de condescendance envers les horribles instrumens dont on s'étoit servi pour établir la république; mais les jacobins étoient bien sûrs de finir par les épouvanter de leur propre idole, à force de forfaits; et l'on eût dit que les scélérats les plus intrépides en fait de crimes essayoient la tête de Méduse sur les différens chefs de parti, afin de se débarrasser de tous ceux qui n'en pouvoient supporter l'aspect.

Les détails de ces horribles massacres repoussent l'imagination, et ne fournissent rien à la pensée. Je m'en tiendrai donc à raconter ce que j'ai vu moi-même à cette époque; peut-être estce la meilleure manière d'en donner une idée.

Pendant l'intervalle du 10 août au 2 septembre, de nouvelles arrestations avoient lieu à chaque instant. Les prisons étoient combles; toutes les adresses du peuple qui, depuis trois ans, annonçoient d'avance ce que les chefs de parti avoient résolu, demandoient la punition des traîtres; et ce nom s'étendoit aux classes comme aux individus, aux talens comme à la fortune, à l'habit comme aux opinions; enfin, à tout ce que les lois protégent, et que l'on vouloit anéantir.

Les troupes des Autrichiens et des Prussiens avoient déjà passé la frontière, et l'on répétoit de toutes parts que, si les étrangers avançoient, tous les honnêtes gens de Paris seroient massacrés. Plusieurs de mes amis, MM. de Narbonne, Montmorency, Baumets, étoient personnellement menacés, et chacun d'eux se tenoit caché dans la maison de quelque bourgeois. Mais il falloit chaque jour changer de demeure, parce que la peur prenoit à ceux qui donnoient un asile. On ne voulut pas d'abord se servir de ma maison, parce qu'oncraignoit qu'elle n'attirât l'attention; mais d'un autre côté, il me sembloit qu'étant celle d'un ambassadeur, et portant sur la porte le nom d'hôtel de Suède, elle pourroit être respectée, quoique M. de Staël fût absent. Enfin, il n'y eut plus à délibérer, quand on ne trouva plus personne qui osât recevoir les proscrits. Deux d'entre eux vinrent chez moi; je ne mis dans ma confidence qu'un de mes gens dont j'étois sûre. J'enfermai mes amis dans la chambre la

plus reculée, et je passai la nuit dans les appartemens qui donnoient sur la rue, redoutant à chaque instant ce qu'on appeloit les visites domiciliaires.

Un matin, un de mes domestiques, dont je

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