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Dans ce moment Manuel arriva il fut trèsétonné de me voir dans une si triste position; et, répondant aussitôt de moi jusqu'à ce que commune eût décidé de mon sort, il me fit quitter cette terrible place, et m'enferma avec ma femme de chambre dans son cabinet.

Nous reståmes là six heures à l'attendre, mourant de faim, de soif et de peur. La fenêtre de l'appartement de Manuel donnoit sur la place de Grève, et nous voyions les assassins revenir des prisons avec les bras nus et sanglans, et poussant des cris horribles.

Ma voiture chargée étoit restée au milieu de la place, et le peuple se préparoit à la piller, lorsque j'aperçus un grand homme en habit de garde national, qui monta sur le siége, et défendit à la populace de rien dérober. Il passa deux heures à défendre mes bagages, et je ne pouvois concevoir comment un si mince intérêt l'occupoit au milieu de circonstances si effroyables. Le soir cet homme entra dans la chambre où l'on me tenoit renfermée, accompagnant Manuel. C'étoit le brasseur Santerre, si cruellement connu depuis; il avoit été plusieurs fois témoin, et distributeur dans le faubourg Saint-Antoine où il demeuroit, des approvisionnemens de blé envoyés par mon père

dans les temps de disette, et il en conservoit de la reconnoissance. D'ailleurs ne voulant pas, comme il l'auroit dû en sa qualité de commandant, courir au secours des prisonniers, garder ma voiture lui servoit de prétexte. Il voulut s'en vanter auprès de moi, mais je ne pus m'empêcher de lui rappeler ce qu'il devoit faire dans un pareil moment. Dès que Manuel me revit, il s'écria avec beaucoup d'émotion : Ah! que je suis bien aise d'avoir mis hier vos deux amis en liberté ! En effet, il souffroit amèrement des assassinats qui venoient de se commettre, mais il n'avoit déjà plus le pouvoir de s'y opposer. L'abîme s'entr'ouvroit derrière les pas de chaque homme qui acquéroit de l'autorité; et, dès qu'il reculoit, il y tomboit.

Manuel, à la nuit, me ramena chez moi dans sa voiture; il auroit craint de se dépopulariser en me conduisant de jour. Les réverbères n'étoient point allumés dans les rues, mais on rencontroit beaucoup d'hommes avec des flambeaux dont la lueur causoit plus d'effroi' que l'obscurité même. Souvent on arrêtoit Manuel pour lui demander qui il étoit ; mais, quand il répondoit, Le procureur de la commune,

cette dignité révolutionnaire étoit respectueusement saluée.

Arrivée chez moi, Manuel me dit qu'on m'expédieroit un nouveau passe-port sans qu'il me fût permis d'emmener aucune autre personne pour me suivre que ma femme de chambre. Un gendarme devoit me conduire jusqu'à la frontière. Le lendemain Tallien, le même qui délivra vingt mois après la France de Robespierre au 9 thermidor, vint chez moi, chargé par la commune de m'accompagner jusqu'à la barrière. A chaque instant on apprenoit de nouveaux massacres. Plusieurs personnes, trèscompromises alors, étoient dans ma chambre; je priai Tallien de ne pas les nommer; il s'y engagea et tint sa promesse. Je montai dans ma voiture avec lui, et nous nous quittâmes sans avoir pu nous dire mutuellement notre pensée ; la circonstance glaçoit la parole sur les lèvres.

Je rencontrai, encore dans les environs de Paris quelques difficultés dont je me tirai; mais, en s'éloignant de la capitale, le flot de la tempête sembloit s'apaiser, et dans les montagnes du Jura rien ne rappeloit l'agitation épouvantable dont Paris étoit le théâtre. Cependant on entendoit dire partout aux François qu'ils vou

loient repousser les étrangers. Je l'avouerai, dans cet instant je ne voyois d'étrangers que les assassins, sous les poignards desquels j'avois laissé mes amis, la famille royale, et tous les honnêtes gens de France.

CHAPITRE XI.

Les étrangers repoussés de France en 1792.

LES prisonniers d'Orléans avoient subi le sort des prisonniers de Paris, les prêtres avoient été massacrés au pied des autels, la famille royale étoit captive au Temple; M. de la Fayette, fidèle au vou durable de la nation, la monarchie constitutionnelle, avoit quitté son armée plutôt que de prêter un serment contraire à celui qu'il venoit de jurer au roi. Une convention nationale étoit convoquée, et la république fut proclamée en présence des rois victorieux, dont les armées n'étoient qu'à qua→ rante lieues de Paris. Cependant la plupart des officiers françois étoient émigrés; ce qu'il restoit de troupes n'avoit jamais fait la guerre, et l'administration étoit dans un état affreux. Il avoit de la grandeur dans une telle résolution, prise au milieu des plus grands périls; bientôt elle fit revivre dans tous les cœurs l'intérêt que l'on prenoit à la nation françoise; et si, rentrés dans leurs foyers, les guerriers vainqueurs eussent renversé les révolutionnaires, encore

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