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nos lois fût de la rétablir, soit au moyen de peines sévères contre les nouveaux genres de fraude que les événements de la Révolution ont fait naître, soit en faisant une distinction consolante des débiteurs malheureux dont la bonne foi serait certaine mais soutenir que l'on ne doit avoir aucune confiance, et que l'on ne doit prêter qu'à celui qui rendra un compte public de ses affaires, afin de pouvoir donner un gage spécial et certain, c'est démentir toutes les notions reçues jusqu'ici, c'est aller contre son but; c'est, après une tourmente dans laquelle tous les genres de crédit ont été anéantis ou ébranlés, mettre un obstacle insurmontable à ce qu'ils se rétablissent.

« Les auteurs de la loi de l'an VII ont commis une grande erreur, quand ils ont pensé que les causes d'immoralité avaient acquis tant de force, et qu'elles étaient en même temps devenues si générales, qu'il n'y avait plus d'autre ressource que celle de substituer à la confiance un système dans lequel elle ne fût pas nécessaire. Il ne faut pas établir les règles permanentes d'un Code civil sur des circonstances passagères.

« Pendant la Révolution, l'agiotage avait détruit et remplacé tous les genres d'industrie; son principal aliment était dans un papier-monnaie variable chaque jour et répandu sans mesure : spéculer d'abord sur la valeur casuelle de ce papier, pour spéculer ensuite avec le papier sur les marchandises de tout genre, sur les immeubles même, comme sur tous les effets mobiliers, tel était le mouvement rapide et périlleux imprimé à toutes les affaires. Les habitants des vil

étaient tous commerçants, c'est-à-dire agioteurs; et les habitants des campagnes ont aussi su employer ce moyen de profiter de leur position. Cependant, l'agiotage n'était que l'art de se tromper, celui d'enrichir l'un aux dépens de l'autre; au lieu que, dans les affaires industrielles et commerciales, l'objet et le résultat des transactions sont l'avantage réciproque de ceux qui contractent ensemble.

« Il n'était pas possible que tout à coup ce fléau disparût entièrement; un certain nombre d'années est nécessaire, après que toutes les bases des transactions ont été bouleversées par un papiermonnaie, pour que le cours des valeurs et des prix se fixe. Chacun a voulu maintenir les anciens prix des effets mobiliers ou immobiliers qu'il possédait; on a fait des efforts que la bonne foi n'eût pas dû permettre; mais chaque jour cette cause de variations dans le cours des prix disparaît. La tourbe des commerçants agioteurs a été victime de sa cupidité; le nombre des spéculateurs se réduit chaque jour à ceux qui se livrent aux genres d'industrie ou de commerce auxquels ils sont propres. Tout reprend cet équilibre dans lequel chacun des contractants peut apprécier ses engagements; et c'est cette connaissance mutuelle qui est le moyen le plus efficace pour démasquer les trompeurs, pour faire triompher la bonne foi, et pour rétablir ainsi la confiance.

« Comment l'opinion publique elle-même n'eûtelle pas été dépravée, lorsque tous les citoyens se livraient à des spéculations immorales? Mais autant l'opinion publique encourageait alors les trompeurs, autant elle doit démasquer et flétrir ceux dont la mauvaise foi ferait contraste avec le rétablissement de l'ordre.

« Lorsqu'un contrat devant notaires ou un jugement suffisaient pour créer et conserver l'hypothèque, il était un nombre infini de créances pour lesquelles on ne croyait même pas nécessaire de s'opposer à la vente des biens.

«S'il n'y avait point d'hypothèques sans inscriptions, la conséquence inévitable serait que bientôt presque toutes les propriétés foncières de la France se trouveraient inscrites sur les registres des hypothèques. Ainsi on organiserait une des plus grandes contributions qui puissent être établies.

SECTION VII.

Des pays de nantissement.

« Les partisans de la nouvelle loi citent l'exemple de divers pays connus sous le nom de pays de nantissement, où les hypothèques s'établissent par l'inscription sur des registres publics, et en y spécifiant les immeubles qui en sont grevés.

Il est vrai qu'une loi rendue en 1611 pour la Belgique, avait établi que nul droit réel, soit en tout par vente ou donation, soit en partie par hypothèque, ne pourrait s'établir que par les œuvres de loi, c'est-à-dire par un dessaisissement ou une mainmise devant les officiers publics.

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L'hypothèque étant ainsi assimilée à une aliénation, il était nécessaire de spécifier les immeubles qui en étaient l'objet..

« Il n'est personne qui soutienne que la loi de 1611 ait eu pour objet de créer un nouveau système d'hypothèque plus convenable à la prospérité publique : elle fut, au contraire, une mesure oppressive, pour assurer l'usurpation des seigneurs féodaux, qui, afin de multiplier leurs droits de mutation, parvinrent à faire décider que de simples hypothèques seraient considérées comme des aliénations effectives. Ainsi, d'une part, les créanciers exigeaient dans ces pays, comme dans tous les autres, que les débiteurs leur fournissent des hypothèques, et, de l'autre, les seigneurs exigeaient des droits de mutation, comme si ces débiteurs eussent aliéné leurs im meubles.

« Mais au moins, nous dit-on, il a résulté de ce régime que toutes les hypothèques étant spéciales et publiques, chaque débiteur a pu, dans les pays de nantissement, faire connaître sa situation, et que chaque créancier avait une pleine sûreté.

« Ce résultat n'est pas exact; et le régime des pays de nantissement avait d'ailleurs des conséquences funestes.

« On doit distinguer dans ces pays ceux où, par suite de cette idée d'aliénation et de gage effectif attachée à la stipulation d'hypothèques, on n'admettait ni les hypothèques légales, ni les hypothèques judiciaires, ni même celles pour conventions dont l'objet était indéterminé.

« Un pareil système est étranger à nos principes, trop contraire aux droits de propriété les plus sacrés, pour pouvoir être adopté.

« Dans l'autre partie des pays de nantissement, et de ce nombre étaient ceux situés dans le ressort du parlement de Paris, les formalités du nantissement n'étaient point exigées dans tous les cas où, soit en vertu de la loi, soit par jugement, les biens étaient hypothéqués sans qu'il fùt besoin d'actes notariés.

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«Et c'est cette vexation, cette gêne dans la circu- | lation, que l'on dit être une cause de la prospérité de la Belgique. Comme s'il n'était pas évident que la circulation eût été beaucoup plus libre, si les hypothèques n'eussent été soumises qu'aux règles résultant de la nature de cet engagement, comme s'il n'était pas notoire que la Belgique doit sa prospérité à la fertilité de son sol, aux facilités de transport que lui donnent ses canaux et ses rivières, et à son heureuse situation pour le commerce tant extérieur qu'intérieur.

. Il est vrai que, comme tous les genres d'oppression féodale, celle qui, relativement aux hypothèques, pesait sur la Belgique, s'était propagée dans d'autres contrées.

Ainsi, en Prusse, nul ne peut céder son domaine direct, ni le grever d'hypothèques, sans le consentement du seigneur, sous peine de félonie; et lors même qu'il a consenti à l'aliénation, on né peut pas en induire qu'il est permis d'hypothéquer. Cette prohibition a plusieurs causes, dont la principale est dans le droit qu'a le seigneur de succéder à la tenure, au défaut des descendants des personnes expressément comprises dans l'investiture originaire. Le grand intérêt qu'ont les seigneurs de connaître les dettes, a donné naissance à toutes les mesures prises pour que toutes les transactions des vassaux soient tellement publiques, qu'ils ne puissent soustraire leurs biens à la puissance féodale. Ainsi on y a fait dresser des registres publics sur lesquels sont portés les états de toutes les propriétés foncières, avec toutes les mutations. Les hypothèques étant, comme en Belgique, assimilées à de véritables aliénations, doivent aussi y être inscrites. Non-seulement il faut établir ainsi le nantissement ou gage effectif au profit du créancier, mais encore il faut que l'inscription soit précédée d'une publication judiciaire.

Jamais régime plus oppressif ne fut inventé: et loin d'avoir été imaginé comme un moyen de multiplier les transactions, il n'a eu, comme en Belgique, d'autre objet que de sacrifier l'industrie générale à la puissance et à la richesse des seigneurs de fiefs.

SECTION VIII.

MOTIFS DE LA PRÉFÉRENCE DUE A L'ANCIEN RÉGIME HYPOTHÉCAIRE.

1. Faculté de stipuler les hypothèques spéciales.

« Il est surprenant que les auteurs de la loi de l'an VII aient voulu établir de droit et forcément l'hypothèque spéciale, lorsque, sous les lois anciennes, il a toujours été libre aux parties d'en convenir, et lorsque, sous ce régime, la convention donnait au créancier le même rang et la même préférence qu'on veut lui procurer par une loi coërcitive.

thèque spéciale sans exiger qu'elle soit générale, les débiteurs ne manqueront pas de ne stipuler que l'hypothèque spéciale, et de convenir que les autres biens ne seront pas grevés de l'hypothèque générale. Ainsi le cours naturel des choses amènera cet ordre que l'on veut établir par contrainte; et la liberté, à laquelle il devrait naissance, en démontrerait l'utilité.

«Mais puisque le contraire est arrivé jusqu'ici, puisque chaque créancier, voulant avoir toutes les sûretés possibles, a constamment préféré la double hypothèque générale et spéciale à la simple hypothèque spéciale; puisque, même sous le régime nouveau, les créanciers ne manquent pas de se procurer l'avantage des hypothèques générales, soit en prenant pour leurs hypothèques, ou légales, ou judiciaires, ou indéterminées, des inscriptions sur tous les biens présents et sur ceux qui surviennent, soit en prenant pour les hypothèques conventionnelles et déterminées des inscriptions qui, sous le nom de spécialité, couvrent tous les biens qu'ils savent appartenir au débiteur, il vaut mieux laisser au débiteur la liberté d'emprunter, soit par hypothèque spéciale, soit par bypothèque à la fois générale et spéciale. Il ne faut pas croire qu'il grève sa fortune plus que ne l'exigeront sa position et la volonté de celui avec lequel il croit de son intérêt de traiter. 2° Faculté de stipuler l'hypothèque générale plus utile au débiteur.

« La liberté de stipuler l'hypothèque générale doit avoir, pour le débiteur, des effets plus avantageux que le régime proposé.

«Les hypothèques générales n'ont point été, jusqu'à la loi de l'an VII, un obstacle à ce qu'un débiteur pût trouver de nouveaux emprunts, parce qu'à l'égard des créanciers postérieurs sa déclaration, garantie par sa moralité ou par la peine du stelionat, donnait la sûreté dont communément ils se contentaient.

<< Mais s'il est une fois établi qu'il n'y a d'hypothèque sûre que celle qui est spéciale sur un bien franc, en vain le débiteur qui voudra faire un nouvel emprunt cherchera-t-il à prouver que le créancier antérieur a pris des hypothèques spéciales trop étendues. Celui qui prète n'entrera point dans ces discussions; et tout débiteur qui ne possédera que des immeubles sur lesquels auront été prises des inscriptions, soit excessives, soit convenables, soit même inutiles ou non existantes, ne pourra plus les présenter comme gage d'une nouvelle dette.

30 Privilége résultant de la plupart des prêts sur immeubles.

« Une dernière réflexion se présente. Quel est l'objet de presque tous les prêts sur les immeubles? L'expérience apprend que plus des sept huitièmes se font à des acquéreurs qui donnent une hypothèque privilégiée sur l'immeuble acquis: ce privilége donnait au prêteur une pleine sûreté; et si le débiteur voulait ensuite hypothéquer le même bien à un autre créancier, celui-ci reconnaissait, à la première inspection des titres de propriété, pour quelle somme cet immeuble était déjà grevé. C'est ainsi que, sans contrainte et en laissant à chacun le plein exercice de sa propriété, les prêteurs pouvaient, sous les anciennes lois, se mettre à l'abri de tout risque par des priviléges. Ce n'est pas au petit nombre de prêteurs non privilégiés que l'on peut sacrifier et les droits du débiteur sur ses biens présents et à venir, et les droits résultant des Si les créanciers se contentent d'une hypo-hypothèques légales et judiciaires.

« Plus ils sont dans l'opinion que ce moyen est préférable, et que ceux même qui pourraient prendre des hypothèques sur tous les biens des créanciers, reconnaitront bientôt qu'il est de leur intérêt de n'avoir qu'une hypothèque spéciale, et moins ils doivent s'armer d'une loi qui restreigne la liberté naturelle. C'est surtout dans les lois relatives à la propriété qu'il faut laisser chacun en disposer par les conventions qui lui conviennent, et que la loi ne doit pas intervenir pour défendre ce qui en soi n'a rien d'illicite, et encore moins pour interdire des stipulations de généralité d'hypothèques qui dérivent de la nature même des obligations.

4o Nul inconvénient dans le changement de loi. "Les partisans de la loi de l'an VII supposent que le retour à l'ancien régime hypothécaire aurait des inconvénients.

"

Le plus grand des maux, celui qu'il faut s'empresser de réparer, c'est l'atteinte portée au droit de propriété. On n'examinera point si le législateur pouvait faire une mainmise générale sur des droits antérieurement acquis, pour ne les rendre qu'à ceux qui rempliraient cette formalité; mais ce qui est évident, c'est que le retour aux anciens principes ne peut causer aucune secousse. Le Code civil ne statuant que pour l'avenir, tous les droits acquis par l'inscription seront maintenus. Les créanciers par hypothèque spéciale conserveront tout leur avantage, puisqu'il ne peut y avoir que des hypothèques postérieures, et puisque les droits dont sont déchus ceux qui, sous le régime de l'an VII, n'ont pas pris d'inscription ne seraient point rétablis.

5o L'opinion générale contraire à la loi du 11 brumaire an VII.

«La substitution de l'ancien régime hypothécaire à celui de l'an_VII a été proposée dans le projet de Code civil. Tous les tribunaux d'appel, au nombre de trente, et le tribunal de cassation, ont fait leurs observations. Neuf seulement ont exprimé le vœu de conserver la loi de l'an VII avec des modifications.

RÉSUMÉ.

« On a démontré que le nouveau système de publicité et de spécialité ne procure ni la connaissance de la fortune du débiteur, ni la sûreté du prêteur, ni la plénitude du crédit de l'emprunteur; que ce système ne préserve point des lenteurs et des frais de discussions; que les hypothèques légales, établies par des considérations d'ordre public, ne doivent pas dépendre d'une simple formalité; et que l'on doit, à cet égard, préférer un régime hypothécaire qui maintient tous les droits de propriété, et sous lequel la France s'était, pendant un grand nombre de siècles, élevée au plus haut degré de prospérité. »

Le citoyen Treilhard dit qu'il ne prend la parole que pour établir l'état de la question, et sans prétendre répondre dans le moment à une dissertation écrite et longtemps méditée.

L'hypothèque est l'affectation d'un immeuble au paiement d'une créance pour la sûreté du créancier.

Autrefois l'hypothèque s'acquérait de plein droit par un acte authentique ou par un jugement, et s'étendait sur tous les biens.

Il en résultait que le créancier, qui croyait s'être assuré un gage suffisant, se trouvait écarté par des créanciers antérieurs à lui, mais qu'il n'avait eu aucun moyen de connaître. Les créances hypothécaires étaient classées suivant leur ordre de date. Comme elles étaient ordinairement très-nombreuses, et que chaque créancier avait son procureur, l'ordre donnait lieu à des frais immenses, qui absorbaient le gage et en faisaient la proie des gens de justice.

On avait souvent réclamé contre un système aussi vicieux et dont les conséquences étaient aussi désastreuses. Sous Henri III, sous Henri IV, sous Louis XIV, on avait inutilement tenté d'en corriger les abus. Il ne s'était présenté qu'un remède, qu'on pouvait considérer comme un simple palliatif, c'était l'usage des lettres de ratification. Elles étaient scellées à la charge des opposi

tions, et ainsi elles éclairaient chaque créancier sur sa situation véritable; mais elles n'étaient pas pour lui un moyen de contracter avec sûreté. Tel est l'état de choses que la loi du 11 brumaire an VII a changé.

On s'est dit qu'il était nécessaire de rassurer enfin les citoyens honnêtes et de prendre des précautions contre ceux qui voudraient les tromper. A cet effet, on a décidé que l'hypothèque serait tout à la fois publique et spéciale, c'est-à-dire que le débiteur serait obligé de désigner l'immeuble qui deviendrait passible de la créance. Il suffit donc, pour vérifier les charges de l'immeuble, de se transporter au bureau des hypothèques, et d'y consulter les registres; car, comme l'hypothèque n'est acquise que du jour de l'inscription et non du jour de la date de l'acte, il est facile à chacun de savoir si l'immeuble se trouve chargé d'inscriptions, et quel est le montant de celle dont il est frappé. D'après ces renseignements, chacun se décide ou se refuse à traiter.

Voilà le régime qui existe actuellement : il est certainement préférable, pour les hommes de bonne foi, à celui qui l'a précédé.

Il faut maintenant examiner les objections qu'on y oppose.

On dit d'abord qu'on parvient à en éluder l'effet en ne formant les inscriptions qu'on veut dérober à la connaissance du prêteur, que dans l'intervalle de l'acte à l'inscription que lui-même il doit prendre.

Une imprudence aussi grande, aussi déshonorante, aussi facile à vérifier à l'instant même, ne peut pas être très-commune. Mais quand on supposerait qu'elle soit à craindre, rien n'empêche de la déjouer, en différant l'exécution de l'acte et la délivrance des deniers jusqu'après l'inscription du prêteur.

On objecte, en second lieu, que le nouveau système n'épargne pas aux parties les frais d'ordre auxquels elles étaient exposées sous l'ancien, puisqu'il y a toujours un ordre.

:

On se trompe la différence est immense quant aux frais entre un ordre qui s'étendait à tous les biens et qui se faisait avec une foule de créanciers, et celui qui n'a pour objet qu'un seul immeuble et qui n'a lieu qu'entre deux ou trois personnes.

On répond qu'un prêteur se contente rarement d'une hypothèque sur un immeuble d'une valeur à peu près équivalente à la somme qu'il donne; qu'il veut des sûretés beaucoup plus grandes; qu'ordinairement il exige pour un prêt de dix mille francs un immeuble du prix de cent mille francs; qu'ainsi la spécialité ne dispense pas de mettre en vente des biens beaucoup plus considérables que la créance, et n'épargne pas aux parties ces frais énormes qu'on reproche à l'ancien système.

Cette assertion, dit le citoyen Treilhard, est certainement hasardée. Un créancier ne veut qu'une sûreté suffisante. Il l'obtient dès que la valeur de l'immeuble excède le montant de la créance. Pour un prêt de dix mille francs, il exigerait tout au plus un gage de quinze à vingt mille francs. On reproche encore à la loi du 11 brumaire de ne permettre d'hypothèques que sur les biens actuels.

C'est une assurance de plus donnée aux gens honnêtes, et un moyen de moins pour la mauvaise foi. On ne traite jamais avec sûreté que sous la garantie des biens présents: les biens à venir sont trop incertains.

Mais, dit-on, pourquoi ces entraves? Les biens

sont-ils donc l'unique sûreté que cherche ordinairement un créancier? N'accorde-t-il pas autant de confiance à la bonne conduite, à la moralité?

La moralité, la bonne conduite, sont bien les meilleurs garants des obligations, mais les apparences sont souvent bien trompeuses; il est donc nécessaire que le créancier puisse en prendre de moins équivoques. Loin de nuire au crédit, on le fortifie au contraire, quand on met celui qui a besoin de fonds dans une situation telle qu'il ne puisse pas tromper sur l'état de sa fortune.

On oppose l'intérêt du commerce; on craint qu'il ne trouve point de fonds, si l'on habitue les prêteurs à ne chercher leur sûreté que dans un gage.

Ce ne serait peut-être pas un grand inconvénient que le commerce ne pût attirer à lui tous les capitaux consacrés à des prêts; que l'agriculture et des établissements qui ne sont pas moins intéressants pour la prospérité publique eussent la facilité d'obtenir une partie de ces secours.

Mais l'inconvénient qu'on oppose est imaginaire. Les personnes qui placent dans le commerce consentent à n'avoir point d'hypothèques, et s'en rapportent à la bonne conduite, à la bonne réputation du négociant auquel elles confient leur argent. L'hypothèque sur les immeubles n'est donc que pour ceux qui veulent un intérêt moindre et une sûreté plus grande.

On parle enfin de l'avantage des hypothèques légales.

Il y en a de peu considérables, tels que les frais de maladie, et quelques autres que le nouveau système admet sans inscription.

Il ne repousse point celles qui sont d'une plus haute importance, telle que l'hypothèque à laquelle la tutelle donne lieu; mais il veut qu'elles soient inscrites, afin que tout prêteur puisse les vérifier.

Le Conseil aura cependant à examiner s'il convient d'exiger que l'hypothèque prise sur les biens du tuteur, ou toute autre hypothèque légale, soit déterminée par l'inscription. S'il décide qu'elle doit l'être, le tuteur trouvera du crédit sur la partie de ses biens non grevés. Si l'inscription doit être indéterminée, il lui deviendra impossible d'emprunter, à moins que ce ne soit par la confiance qu'il inspirera personnellement. Ainsi le système de la loi du 11 brumaire remédie à tout, et ne compromet dans aucun cas la sûreté du prêteur.

Le consul Cambacérès dit que si le citoyen Treilhard a discuté avec avantage le système qui est dans son opinion, sous le double rapport de la publicité et de la spécialité des hypothèques, il a paru moins fort lorsqu'il a parlé des hypothèques légales.

Toutefois cette partie du système n'est pas la moins importante.

Il est du devoir du législateur de veiller à la sûreté de ces sortes d'hypothèques; elles se lient à l'intérêt public. L'Etat est intéressé à ce que les femmes ne perdent point leur dot, à ce que les mineurs ne soient pas dépouillés de leur patrimoine, à ce que les comptables ne puissent soustraire leurs biens à l'affectation dont ils doivent être frappés envers la République.

Or c'est ici le côté faible de la loi du 11 brumaire, car ne faisant plus résulter l'hypothèque de la nature de la dette, mais de la formalité de l'inscription, il s'ensuit que, si l'inscription n'a pas été formée, les intérêts des femmes, des mineurs, de la République, se trouvent compromis.

Dans la vue de corriger cet inconvénient par

rapport aux mineurs, on a imaginé d'obliger les personnes qui nomment le tuteur de veiller à ce qu'il soit formé des inscriptions sur ses biens, et de les rendre responsables du dommage que leur négligence, à cet égard, peut occasionner. Cette législation, qui soumet des citoyens à une responsabilité aussi embarrassante et aussi dispendieuse, pour avoir rempli des devoirs de parenté, d'amitié et de bon voisinage, n'est pas digne d'une nation civilisée.

Il en est de même des dispositions de la loi relatives à la dot. Elles rendent tous ceux qui ont signé le contrat de mariage responsables des inscriptions que le mari doit former sur ses propres biens. C'est ainsi qu'une simple formalité impose des obligations exorbitantes auxquelles la plupart des signataires se trouvent soumis sans le savoir. Et encore cette rigueur peut-elle être sans effet; car si les parents sont insolvables, et que le mari, d'accord avec eux, ne fasse pas les inscriptions, la dot n'a plus d'hypothèque.

On répondra qu'il est possible d'abolir cette solidarité incommode; qu'il restera toujours au père la ressource de vérifier sur les registres hypothécaires en quel état sont les affaires de l'homme auquel il destine sa fille.

Mais comment compulser soi-même ces volumineux registres ? on est forcé de s'en rapporter au certificat du conservateur, qui, par négligence ou par fraude, peul omettre des inscriptions.

A la vérité, celui à qui cette faute cause quelque dommage a son recours contre le cautionnement du conservateur: mais quelle faible garantie que celle d'un cautionnement aussi modique!

Toutes les difficultés qui embarrassent le nouveau système hypothécaire viennent de ce que les auteurs de la loi ne se sont occupés que de l'intérêt des acquéreurs et des prêteurs. Il fallait ménager et protéger également tous les intérêts, et ne pas sacrifier les uns à la sûreté des autres.

Le citoyen Bigot-Préameneu dit que le système existant dénature les hypothèques légales.

La loi les a créées et distribuées elle-même, afin qu'elles fussent indépendantes de toute convention, de toute formalité; qu'elles existassent de plein droit; qu'aucune négligence, qu'aucune fraude, ne pût en dépouiller. Elle les avait tirées, ainsi que les priviléges, de la nature des choses et du caractère de la dette; et cependant il suffit aujourd'hui d'un défaut d'inscription pour les faire perdre.

La femme, le mineur, n'out plus de sûreté si l'on omet de former des inscriptions; et cependant l'obligation de les faire est confiée précisément à ceux contre lesquels elles sont exigées, au tuteur et au mari.

On objecte qu'autrefois la femme et le mineur perdaient également leur hypothèque, faute d'opposition ou sceau des lettres de ratification.

Du moins ils ne la perdaient que sur l'immeuble qui était vendu ils la conservaient sur tous les autres biens.

On a proposé de faire examiner par un conseil de famille comment on peut asseoir l'hypothèque sur les biens du tuteur et du mari, et s'il ne convient pas de la rendre déterminée.

Il faudrait d'abord un procès pour en fixer le montant; et d'ailleurs il est de la nature des hypothèques légales d'être indéterminées.

Le citoyen Treilhard dit qu'il est moins embarrassé de répondre à ce qu'on vient de dire sur le danger auquel le système de la loi du 11 brumaire expose les mineurs de perdre leurs hypothèques faute d'inscription, lorsqu'il jette les

yeux sur le projet de Code civil, et qu'il y lit les deux articles suivants :

«

Art. 17.« Toutes personnes, même les mineurs, << les interdits, les femmes en puissance de mari, " et sans qu'elles aient besoin d'autorisation, les absents, les agents ou préposés du Gouverne"ment, et les administrateurs des communes et « de tous établissements publics, sont tenus, sous peine de déchéance, de former opposition entre les mains des conservateurs des hypothèques, « à l'effet de conserver leurs priviléges et hypothèques, sauf le recours, ainsi que de droit, « contre ceux qui, étant chargés de l'administration des biens, auraient négligé de former op<< position.

«

"

«

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Art. 18. « L'opposition des mineurs sur les im«< meubles de leur tuteur doit être faite par le subrogé-tuteur, à peine, contre ce dernier, d'être a responsable du préjudice qui résulterait du « défaut d'opposition. >>

«

Ces articles n'entraînent-ils pas tous les inconvénients qu'on reproche au nouveau système hypothécaire?

Leurs auteurs paraissent les désavouer aujourd'hui; mais ces dispositions sont infiniment sages. Il n'est pas aussi difficile qu'on le pense de former des inscriptions sur les biens d'un tuteur et d'un mari.

Le tuteur est un membre de famille nommé par les autres parents; ceux-ci connaissent sa fortune ils savent donc sur quels biens ils doivent former soit des inscriptions, dans le nouveau système hypothécaire, soit des oppositions, dans le système de l'édit dé 1771.

Ce sont aussi des parents qui assistent aux conventions matrimoniales; les biens du mari leur sont connus; ils leur sont même indiqués dans le contrat où est donc la difficulté de faire des inscriptions?

S'il est décidé que l'on déterminera la nature et la quotité de la dette pour laquelle ces inscriptions seront faites, ceux qui voudront traiter avec le tuteur ou avec le mari auront la sûreté la plus entière si elles sont indéterminées, on sera du moins averti que les biens ne sont pas libres, et pour traiter on examinera de plus près la moralité.

Les raisonnements qu'on a faits pour défendre le régime de 1771, ont tous également ce défaut qu'ils sont dans l'hypothèse de la vente, et qu'ils ne prouvent rien pour celle du prêt. Mais par rapport à la vente même, on ne lève pas la difficulté; car s'il n'a pas été formé d'oppositions, les lettres de ratification purgent les hypothèques du mineur et de la femme. Or il n'est pas plus difficile de former des inscriptions que de former des oppositions.

En un mot, le citoyen Treilhard admet sans inscription l'hypothèque légale pour quelques créances légères, et qui de leur nature doivent emporter privilége.

Il admet également l'hypothèque légale pour les autres créances susceptibles de la produire; mais il veut que le public en soit averti par des inscriptions.

Et qu'on ne dise pas que le système de la loi du 11 brumaire gêne la liberté qui doit naturellement appartenir à tout propriétaire, de donner en gage la totalité de ses biens. Le propriétaire conserve cette faculté. La loi a seulement combiné ses dispositions sur les cas les plus ordinaires; car communément un créancier n'exige qu'une hypothèque suffisante pour répondre de là dette.

Le Premier Consul observe que le citoyen Treilhard ne répond pas à ce qui a été dit sur

l'inconvénient d'exposer les citoyens à être trompés par de faux certificats des conservateurs.

Le citoyen Treilhard dit qu'il n'est pas impossible qu'un conservateur se prête à cette fraude, mais que le législateur ne doit pas être arrêté par des inconvénients aussi rares, aussi extraordinaires, et qu'il est aussi difficile de prévenir qu'il le serait d'empêcher le vol des deniers déposés chez un notaire. Si l'on se jetait dans les hypothèses, il faudrait donc prévoir aussi l'infidélité possible de l'huissier qui, dans le système de l'édit de 1771, se trouverait chargé de signifier l'opposition.

Le citoyen Berlier dit que le cautionnement du conservateur ne constitue pas la limite de la garantie qu'il peut devoir aux parties lésées par son fait; son cautionnement est le gage, mais non la mesure des actions qu'on a contre lui, et qu'on peut exercer sur le surplus de ses biens.

A la vérité, la totalité de ses biens pourrait ne point répondre à l'étendue du dommage causé, et laisser celui qui l'a souffert en éviction.

Mais on peut croire que, pour son propre intérêt, le conservateur évitera soigneusement de manquer à des devoirs dont l'inobservation pourrait entraîner sa ruine absolue.

Voilà pour les cas généraux, et il est bien difficile de le supposer en collusion; car, quelque bénéfice frauduleux qu'il voulut faire faire à un tiers, il en deviendrait, par sa responsabilité, le payeur personnel.

Ainsi et à moins de pousser la supposition jusqu'à le voir s'expatrier avec les sommes dont on aurait acheté sa criminelle complaisance, il faut abandonner l'objection.

Or si l'objection se réduit à cela, il faut convenir qu'elle est peu frappante: d'abord elle repose sur un crime, et les crimes ne se présument point; en second lieu, il n'est pas dans la nature de se livrer à de criminelles combinaisons dont le résultat immédiat serait une ruine certaine ou l'expatriation enfin il n'y aurait plus d'institutions civiles, si l'on rejetait celles où la fraude peut s'introduire; et celle dont il s'agit est peut-être celle qui, par son organisation particulière, en est la moins susceptible.

Le consul Cambacérès dit que le législateur n'en serait pas moins imprévoyant, s'il se dissimulait qu'il est dangereux d'abandonner l'intérêt des citoyens à la fidélité d'un employé qui, souvent, est sans fortune, et n'a pas même la propriété du cautionnement qu'il fournit.

Le citoyen Réal, au nom des membres de la section qui n'ont point partagé l'opinion présentée par le citoyen Bigot - Préameneu, fait l'exposé suivant.

Il est ainsi conçu :

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Lorsque la section de législation, continuant son examen du projet de Code civil, cst arrivée à cette partie du projet où ses auteurs, sous les titres VI, VII et VIII, en traitant des priviléges, hypothèques, lettres de ratification et ventes forcées, substituent au système actuel qu'ils abrogent, le système établi par l'édit de 1771, la première question qui s'est présentée à la discussion, et qui devait naturellement précéder tout examen, a été celle de savoir si ce changement absolu de système, si l'abrogation du régime actuellement en vigueur, était d'absolue nécessité. « Cette question avait été également, et préalablement à toute autre, agitée par un grand nombre de tribunaux ; et les tribunaux de Cassation, de Paris, de Lyon, Bruxelles, Rouen, Caen, Douai, Grenoble et Montpellier, sc hâtèrent de

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