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prême par intervalles. Mais parce qu'un remède violent a sauvé un malade, doit-on lui administrer chaque jour un remède violent? Les Fabius, les Cincinnatus, les Camille, sauvèrent la liberté romaine par le pouvoir absolu; mais c'est qu'ils se dessaisirent de ce pouvoir aussitôt qu'ils le purent ils l'auraient tuée par le fait même s'ils l'eussent gardé. César fut le premier qui voulut le conserver: il en fut la victime; mais la liberté fut anéantie pour jamais. Ainsi tout ce qui a été dit jusqu'à ce jour sur le pouvoir absolu prouve seulement la nécessité d'une dictature momentanée dans les crises de l'Etat, mais non celle d'un pouvoir permanent et inamovible.

Ce n'est point par la nature de leur gouvernement que les grandes républiques manquent de stabilité; c'est parce qu'étant improvisées au sein des tempêtes, c'est toujours l'exaltation qui préside à leur établissement. Une seule fut l'ouvrage de la philosophie organisée dans le calme, et cette république subsiste pleine de sagesse et de vigueur. Ce sont les Etats-Unis de l'Amérique septentrionale qui offrent ce phénomène, et chaque jour leur prospérité reçoit des accroissements qui étonnent les autres nations.

qu'on sait que la liberté de la presse est tellement anéantie, qu'il n'est pas possible de faire insérer dans un journal quelconque la réclamation la plus respectueuse et la plus modérée?

Sans doute il n'y aurait pas à balancer sur le choix d'un chef héréditaire, s'il était nécessaire de s'en donner un. Je serais absurde de vouloir mettre en parallèle avec le Premier Consul les prétendants d'une famille tombée dans un juste mépris, et dont les dispositions vindicatives et sanguinaires ne sont que trop connues. Le rappel de la maison de Bourbon renouvellerait les scènes affreuses de la Révolution, et la proscription s'étendrait infailliblement, soit sur les biens, soit sur les personnes de la presque totalité des citoyens. Mais l'exclusion de cette dynastie n'entraine point la nécessité d'une dynastie nouvelle. Espère-t-on, en élevant cette dynastie, hâter l'heureuse époque de la paix génerale? Ne sera-ce pas plutôt un nouvel obstacle? A-t-on commencé par s'assurer que les autres grandes puissances de l'Europe adhéreront à ce nouveau titre? Et si elles n'y adhèrent pas, prendra-t-on les armes pour les y contraindre? Ou, après avoir rabaissé le titre de Consul au-dessous de celui d'Empereur, se contentera-t-on d'être Consul pour les puissances étrangères, tandis qu'on sera

mettra-t-on pour un vain titre la sécurité et la prospérité de la nation entière?

Il paraît donc infiniment douteux que le nouvel ordre de choses puisse offrir plus de stabilité que l'état présent il n'est pour le Gouvernement qu'une seule manière de se consolider, c'est d'être juste, c'est que la faveur ne l'emporte pas auprès de lui sur les services; qu'il y ait une garantie contre les déprédations et l'imposture. Loin de moi toute application particulière, toute critique de la conduite du Gouvernement; c'est contre le pouvoir arbitraire en lui-même que je parle, et non contre ceux entre les mains desquels ce pouvoir peut résider.

Ainsi il était réservé au nouveau monde d'apprendre à l'ancien qu'on peut subsister paisible-Empereur pour les seuls Français ? Et comproment sous le régime de la liberté et de l'égalité. Oui, j'ose poser en principe que lorsqu'on peut établir un nouvel ordre de choses, sans avoir à redouter l'influence des fonctions, comme a pu le faire le Premier Consul, principalement après la paix d'Amiens, comme il peut le faire encore, il est moins difficile de former une république sans anarchie qu'une monarchie sans despotisme. Comment concevoir une limitation qui ne soit point illusoire dans un gouvernement dont le chef a toute la force exécutive dans les mains, et toutes les places à donner? On a parlé d'institutions que l'on dit propres à produire cet effet: mais avant de proposer l'établissement du monarque, n'auraiton pas dû s'assurer préalablement, et montrer à ceux qui doivent voter sur la question que de pareilles institutions sont dans l'ordre des choses possibles? que ce ne sont pas de ces abstractions métaphysiques qu'on reproche sans cesse au système contraire? Jusqu'ici on n'a rien inventé pour tempérer le pouvoir suprême, que ce qu'on nomme des corps intermédiaires ou privilégiés : serait-ce d'une nouvelle noblesse qu'on voudrait parler par ce mot d'institutions? Mais le remède n'est-il pas pire que le mal? car le pouvoir absolu n'ôte que la liberté, au lieu que l'institution des corps privilégiés ôté tout à la fois et la liberté et l'égalité; et quand même dans les premiers temps les grandes dignités ne seraient que personnelles, on sait assez qu'elles finiraient toujours, comme les grands fiefs d'autrefois, par devenir héréditaires.

A ces principes généraux j'ajouterai quelques observations particulières. Je suppose que tous les Français donnent leur assentiment à la mesure proposée mais sera-ce bien le vœu libre des Français, que celui qui résultera de registres où chacun est obligé de signer individuellement son vote? Qui ne sait quelle est en pareil cas l'influence de l'autorité qui préside? De toutes les parties de la France éclate, dit-on, le désir des citoyens pour le rétablissement d'une monarchie héréditaire : mais n'est-on pas autorisé à regarder comme factice une opinion concentrée presque exclusivement jusqu'ici parmi les fonctionnaires publics, lorsqu'on sait les inconvénients qu'il y aurait à manifester une opinion contraire, lors

La liberté fut-elle donc montrée à l'homme pour qu'il ne pût jamais en jouir? fut-elle sans cesse offerte à ses vœux comme un fruit auquel il ne peut porter la main sans être frappé de mort? Ainsi la nature, qui nous fait de cette liberté un besoin si pressant, aurait voulu nous traiter en marâtre ! Non, je ne puis consentir à regarder ce bien si universellement préféré à tous autres, sans lequel tous les autres ne sont rien, comme une simple illusion. Mon cœur me dit que la liberté est possible, que le régime en est facile et plus stable qu'aucun gouvernement arbitraire, qu'aucune oligarchie.

Cependant, je le répète, toujours prêt à sacrifier mes plus chères affections aux intérêts de la commune patrie, je me contenterai d'avoir fait entendre encore cette fois l'accent d'une âme libre; et mon respect pour la loi sera d'autant plus assuré, qu'il est le fruit de longs malheurs, et de cette raison qui nous commande impérieusement aujourd'hui de nous réunir en faisceau contre l'ennemi implacable des uns comme des autres, de cet ennemi toujours prêt à fomenter nos discordes, et pour qui tous les moyens sont légitimes, pourvu qu'il parvienne à son but d'oppression universelle et de domination sur toute l'étendue des mers. Je vote contre la proposition.

Carrion-Nisas. Je demande à relever immédiatement quelques erreurs de fait commises par le citoyen Carnot.

Le Président. Vous répondrez à la fin de la séance. C'est le tour de parole du citoyen Faure. Faure. Tribuns, avant de vous présenter mes

observations sur la motion d'ordre qui vous fut soumise à l'ouverture de la séance d'hier, je vous dois compte des idées qu'a fait naître en moi la réclamation de notre collègue Carnot.

N'ayant pu disposer une réponse préparée à des objections qui m'étaient inconnues, je me contenterai d'opposer quelques faits, bien convaincu que si quelque chose m'est échappé, les orateurs qui parleront après moi y suppléeront compléte

ment.

Ai-je besoin de m'arrêter à cette observation faite par notre collègue, qu'il n'a point voté le consulat à vie? Ce vote a réuni plusieurs millions de suffrages; il mérite autant de respect de la part de chacun de nous, que le peuple à mis d'empressement à le souscrire.

Quant à l'hérédité, la proposition faite à cet égard est commandée par la nécessité la plus réelle et la plus urgente, celle de nous mettre à l'abri de toutes secousses et convulsions; et les puissances étrangères sont trop intéressées à la tranquillité de l'Europe pour voir avec peine une institution qui contribuera si efficacement à l'assurer, et qui d'ailleurs est le résultat de l'exercice du droit sacré appartenant à chaque nation, de se donner telle forme de gouvernement qui lui plaît.

Que notre collègue cesse donc d'être agité par la crainte sur les résultats de l'hérédité.

Nous avons essayé plusieurs régimes dans le cours de la Révolution; il n'est aucun d'eux qui n'ait produit les effets les plus funestes.

Qui peut avoir oublié cette époque affreuse où un comité décemviral couvrit la France de prisons et d'échafauds?

Qui peut avoir oublié ce temps où l'on disposait de la vie des hommes sur de simples blancseings?

Qui peut avoir oublié cette autre époque où le directoire ne put empêcher les réactions qui eurent lieu dans le midi, et qui y firent verser des torrents de sang?

Qui peut avoir oublié ces agitations de l'an VII qui manquèrent de nous précipiter une seconde fois dans le gouffre de 1793, et qui eussent de nouveau ensanglanté la France, sans l'heureuse journée du 18 brumaire?

J'ai passé rapidement sur ces divers temps auxquels on ne peut songer sans horreur; et si, comme j'aime à le croire, notre collègue ne regrette aucun d'eux, pourquoi vient-il réclamer contre des institutions qui seules peuvent empêcher le retour de tant de malheurs?

Je me hâte d'examiner la motion d'ordre.

Le véritable intérêt de la France et les services immenses rendus par le héros à qui les Français ont confié leur destinée, ne nous permettent pas d'hésiter à l'adopter.

L'expérience des siècles a démontré mieux que la théorie des plus profonds publicistes combien, lorsqu'il s'agit du gouvernement d'un seul, l'hérédité du pouvoir dans la famille du gouvernant est préférable à tout autre mode.

Tout autre mode en effet entraînerait à sa suite les inconvénients les plus graves.

Il suffit, pour être convaincu, de connaître l'histoire de l'Empire romain et celle de plusieurs Etats modernes.

« Si la monarchie tombe en choix, dit Bodin « dans son Traité de la République, chacun y vou«dra aspirer, et entre plusieurs égaux il est im« possible qu'il n'y ait pas de grandes factions qui « diviseront les sujets et formeront des partisans; « et quand ils ne seraient pas égaux en mérite et « en biens, encore présumeront-ils l'être, et ils

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« ne voudront obéir l'un à l'autre. Les plus mé«< chants et ambitieux ou les plus téméraires ha<< sarderont tout pour se faire nommer, et si le plus vertueux est élu, sa vie est en danger des « autres compétiteurs plus puissants. »>

Bodin ne manque pas de citer une époque où il y eut à la fois trente empereurs romains élus en divers lieux. « Tout l'Empire était, dit-il, en guerre et combustion à qui l'emporterait. »

"

Le mode de succession qui fut constamment suivi parmi nous dans la troisième race paraît le mieux combiné pour prévenir les troubles et les dissensions.

La première proposition qui vous est faite est de consacrer l'hérédité de la magistrature suprême dans la famille de Bonaparte, ou, ce qui est la même chose, de donner au Gouvernement la plus grande stabilité possible.

Ce n'est point ici l'avantage de quelques hommes qu'il faut considérer,c'est celui d'une nation entière placée au premier rang par sa population, sa bravoure, ses lumières et la fécondité de son génie, qui ne peut être comparée qu'à celle de son territoire.

La nation française a repris les pouvoirs que les aïeux de la famille des Bourbons avaient reçus d'elle.

Tout l'invité à les transmettre à la famille du grand homme qui la gouverne.

Combien de fois n'a-t-on pas répété que le peuple n'existe point pour les princes, que les princes ont été créés par le peuple et pour le peuple!

Il n'est point de nation assez insensée pour déléguer ses pouvoirs dans le dessein de faire son propre malheur. En mettant à sa tête un magistrat suprême, elle lui impose la condition expresse ou tacite de lui laisser toute l'étendue de liberté dont le sacrifice n'est pas nécessaire pour assurer sa tranquillité au dedans et au dehors, et de garantir à chaque citoyen la jouissance paisible de ses propriétés, ainsi que tous les avantages qu'il a droit d'attendre de ses talents, de son commerce et de son industrie.

Malheur aux princes qui ont oublié ces éternelles vérités! Tôt ou tard la justice divine a puni par leur chute leurs coupables erreurs.

C'est ainsi que les dynasties ont péri.

La dynastie de Hugues Capet nous en offre un nouvel exemple.

Une famille qui, depuis douze ans rejetée par la nation française, veut ressaisir un sceptre qu'elle s'est montrée incapable de conserver; qui, après avoir soulevé l'Europe entière contre nous, liée encore aujourd'hui avec nos plus cruels ennemis, ne cherche qu'à rallumer le flambeau des discordes civiles, et détruirait une partie du peuple pour donner des fers à l'autre; une telle famille nous avertit qu'il est temps de songer aux moyens les plus propres à faire disparaître jusqu'à la moindre lueur de ses chimériques espérances.

Jetons un coup d'œil rapide sur les motifs puissants qui doivent nous déterminer en faveur de la famille de Bonaparte. Ils vont se présenter naturellement en rapprochant la situation où la France se trouve aujourd'hui de celle où elle était lors de la Révolution.

A l'époque de la Révolution, la France était sans considération ni crédit; le Gouvernement avait perdu toute confiance.

Maintenant le crédit public a reparu; l'Etat est plus considéré qu'il ne le fut jamais, et la confiance sans bornes dont jouit le Gouvernement actuel est le digne prix de ses soins.

En 1789, la France languissait dans un état de faiblesse qui la rendait, chez l'étranger, un objet d'humiliation et de mépris.

Aujourd'hui la France, comblée de gloire, voit ses bornes reculées au nord et au midi. Respectée de toutes les nations qui savent apprécier la véritable grandeur, elle partage la magnanimité de son chef, qui n'a vaincu que pour assurer à l'Europe le bonheur et la paix.

En 1789, la France était encore plongée dans ce chaos de lois barbares qui rappelaient ces temps d'ignorance et d'anarchie où elles étaient

nées.

Aujourd'hui le chaos a fait place à la lumière; la France jouit du Code civil fondé sur des principes si purs, que la sagesse même semble les avoir dictés; monument qui seul suffirait pour illustrer à jamais le génie qu'on vit présider à cet important ouvrage.

A l'époque de la Révolution, on n'aperçoit plus nulle règle, nul ensemble, nulle vigueur dans les diverses branches de l'administration civile et militaire; on ne voyait rien enfin qui n'annonçât une ruine totale, déplorable effet de la caducité des empires.

Aujourd'hui, grâce aux tendres sollicitudes d'un Gouvernement paternel, la France a recouvré cette fraîcheur de jeunesse, cette santé vigoureuse qui lui promet les plus brillantes destinées.

Tant de biens si précieux sont dus à Bonaparte. Quel serait le fruit du retour des Bourbons? Bientôt nos lois actuelles seraient détruites, et les plus belles espérances des générations futures évanouies; bientôt on verrait reparaître l'hydre féodale et tout ce qu'elle a jamais enfanté de plus injuste et de plus odieux.

A sa suite seraient rappelés ces trois cent soixante coutumes et usages locaux qui divisaient les provinces et mème des villes et bourgs en autant d'Etats partiels, et ne servaient qu'à favoriser une autre hydre non moins hideuse, celle de la chicane.

Les acquéreurs de biens nationaux ne tarderaient pas à se voir dépouillés de leurs domaines. Bientôt enfin la France n'offrirait qu'un théâtre sanglant de proscriptions et de confiscations.

Détournons les yeux de tous ces fléaux, et reposons-les avec satisfaction sur une famille dont le chef a créé tant de prodiges en si peu d'années, et qui sera toujours intéressée à maintenir les institutions auxquelles elle devra son élévation. Nous ne serons privés d'aucun des avantages qui furent l'objet des premiers vœux de la nation française.

La distinction des ordres est irrévocablement éteinte. Les talents et les vertus sont encouragés dans chaque citoyen, puisque avec eux chacun peut arriver aux premières places. Voilà ce que demandaient ces cahiers fameux où le peuple déposa ses anciens griefs.

On demandait aussi l'abolition de tout privilége tenant au régime féodal. Nos nouvelles lois ont conservé pour ce vœu un respect si religieux, que le Code civil déclare solennellement que la servitude imposée sur un héritage n'établit aucune prééminence d'un fonds sur l'autre : « Car, disait l'orateur du Gouvernement en exposant les motifs de cette disposition, il ne peut plus être question de ces priviléges qui prirent naissance dans le régime à jamais aboli des fiefs. >>

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On demandait qu'aucun culte ne fût persécuté, que personne ne fût privé des emplois publics sur le fondement que la religion à laquelle il était attaché n'était point celle du plus grand

nombre. Ce juste désir n'est-il pas rempli? Le Gouvernement n'a-t-il pas prouvé quel prix il y attache, dans toutes les occasions où le mérite a réclamé d'honorables récompenses?

On demandait que les jugements criminels ne fussent plus rendus en secret, qu'il y eût un débat publie où les accusés pourraient se faire entendre, qu'ils eussent le droit d'appeler le ministère d'un défenseur et d'invoquer la déclaration des témoins justificatifs.

Ces précieux avantages, si vainement désirés avant la Révolution, n'en sont-ils pas le fruit, et ne nous seront-ils pas conservés pour toujours?

On demandait enfin qu'il y eût un corps représentatif chargé de décréter les lois au nom du peuple, et sans lequel surtout le peuple ne pût être grevé d'aucun nouvel impôt. Ce corps existe, et ne continuera-t-il pas d'exister? Ne s'est-on pas même occupé dernièrement à lui donner un nouveau lustre ?

Je pourrais citer beaucoup d'autres bienfaits que nous a procurés la Révolution, et dont nous ne cesserons point de jouir, que dis-je! dont au contraire nous serons d'autant plus assurés, qu'ils distingueront d'autant mieux la nouvelle dynastie de l'ancienne.

Ce changement pouvait-il s'opérer sous de plus heureux auspices?

Les autres dynasties commencèrent dans des temps d'ignorance et de préjugés.

Celle-ci s'élève lorsque les préjugés sont bannis et dans un siècle de lumières.

Trente millions d'hommes sont gouvernés par le plus grand des héros, et l'Etat qu'il gouverne est le plus beau des empires.

Quel autre titre que celui d'Empereur pourrait dignement répondre à l'éclat d'une si haute magistrature?

Ce titre fut honoré dans le neuvième siècle par un prince qui donna son nom à la famille des Carlovingiens. Le portrait que les historiens nous en ont tracé semblerait avoir été fait pour l'homme extraordinaire du dix-neuvième siècle. Je ne suis en ce moment que l'écho des écrivains les plus célèbres; ils s'expriment ainsi : « Ni la paix, ni « la guerre, ni l'été, ni l'hiver, ne furent pour « lui des temps de repos, et l'activité de notre imagination peut à peine suivre celle de ses << opérations (1)." »

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Il pensait que la force ne sert qu'à vaincre, « et qu'il faut des lois pour gouverner. Il cultiva « et protégea les lettres et les arts, car la véritable grandeur n'existe point sans cela (2). »

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«Il voulut tout voir et tout faire autant que « les circonstances et les ressources de son génie <«<le lui permettaient, et ce fut ce qui donna tant de vigueur et tant d'énergie à ses entreprises (3).» « Vaste dans ses desseins, simple dans l'exécution, personne n'eut à un plus haut degré « l'art de faire les plus grandes choses avec fa«cilité, et les difficiles avec promptitude. Jamais << prince ne sut mieux braver les dangers, jamais prince ne les sut mieux éviter. Il se joua de « tous les périls, et particulièrement de ceux « qu'éprouvent presque toujours les grands con« quérants, c'est-à-dire des conspirations. Son « génie se répandit dans toutes les parties de « l'Empire (4). »

«

« Comme ses vues embrassaient également l'ave

(1) Gibbon. Hénault. (3) Schmidt. Montesquieu.

<< nir et le présent, il ne voulut pas faire le bon«heur de ses contemporains aux dépens de la << nation qui lui succéderait. Sous lui, les Fran«<çais eux-mêmes furent leurs propres législa«teurs (1). »>

Quel portrait fut plus frappant et plus susceptible d'application?

Il ne s'agit ici que d'une comparaison entre les qualités personnelles de deux héros.

Les prodiges opérés par Bonaparte n'en comportent aucune leur étendue ne peut être égalée que par celle de notre gratitude et de notre attachement.

Les sentiments qui de toutes parts se manifestent pour sa personne lui font éprouver combien il est doux de travailler au bonheur d'un tel peuple; et lorsque nos descendants voudront connaître les événements les plus glorieux pour le nom français, leurs regards se fixeront sur le siècle de Bonaparte.

Je vote l'adoption des propositions contenues dans la motion d'ordre.

Le Président. Le citoyen Arnould est maintenant le premier inscrit.

Arnould. Citoyens tribuns, avant d'entrer en matière, je ne puis me défendre de réflexions pénibles, ni d'exprimer toute ma surprise de l'opinion de notre collègue Carnot.

Quelle est donc cette fâcheuse destinée qui poursuit notre collègue dans toutes les périodes de sa vie politique, lui qui, placé au Directoire pour y prévenir d'infàmes complots, paraît encore à peine persuadé des liaisons conspiratrices de Pichegru au 18 fructidor, liaisons qui ont renouvelé les proscriptions, et mis la France en péril, si elle n'eût été sauvée par le héros du 18 brumaire? Et aujourd'hui, notre collègue retarde l'émission d'un vœu que réclame la nation française, et que commandent la terreur du passé et les craintes de l'avenir.

Fatales perceptions, que celles qui nous réduisent à opiner ou à agir continuellement en sens contraire des intérêts d'une grande nation!

J'aborde la question importante qui nous occupe. Ce que j'ai à dire et la suite de la discussion répondront aux erreurs de notre collègue comme publiciste relativement au pouvoir impérial romain, et au représentatif des modernes.

Citoyens tribuns, il est des instants décisifs pour les glorieuses destinées des empires comme

le sort des individus. Ce moment, ne le laissons pas échapper dans la nuit des siècles. L'impatience de tous les Français, l'ardeur héroïque des guerriers, la garantie des institutions civiles et militaires, la permanente périodicité de la représentation nationale, les acclamations qui partent de tous les points de l'Empire français pour fixer l'hérédité du pouvoir exécutif en France dans la famille du Premier Consul Bonaparte, tout nous commande de déférer au désir national en concourant, en vertu de notre prérogative, au vote de cette hérédité!

Je n'ajouterai, citoyens tribuns, aux grands et beaux développements qui vous ont déjà été présentés, que des considérations générales, mais également décisives.

Ces considérations embrassent trois points fondamentaux.

Les Bourbons sont-ils à jamais déchus du pouvoir exécutif en France?

Le pouvoir exécutif en France sera-t-il hérédi

(1) Mably.

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taire dans la famille du Premier Consul Napoleon Bonaparte?

Quelle garantie obtient la nation dans le changement de dynastie ?

Et d'abord.

Les Bourbons sont-ils à jamais déchus du pouvoir exécutif en France? Je répète avec tous les Français Oui! oui! Et en effet, qui peut prendre intérêt au rétablissement d'une famille qui s'est dégradée aux yeux de l'Europe entière, soit en abandonnant par impéritie et par lâcheté le gouvernement et le sol français, soit en appelant pendant quinze années le meurtre et le carnage sur la nation française, soit en contemplant froidement et activant même sur nos frontières et sur nos côtes le massacre du petit nombre de leurs partisans égarés? Qui peut désormais en France s'armer pour les derniers des Bourbons condamnés à mendier l'or de l'Angleterre, et mème à le gagner, en livrant à cet ennemi éternel du nom français notre armée, nos flottes, nos villes, nos champs, nos moissons, notre commerce, et toutes nos institutions civiles, militaires et politiques? Je ne dis pas: nul ne peut rien effectuer en France en faveur des derniers Bourbons dégradés; mais je dis nul n'est disposé, sous aucun rapport d'intérêt ni de préjugé, à rien désirer pour une dynastie qui se complaît dans le mépris universel. Les Français réconciliés eux-mêmes, accessibles aux idées généreuses de leur antique renommée militaire, les Français, doivent à jamais méconnaître d'indignes chefs qui les ont cruellement abandonnés à une affreuse misère chez l'étranger.

D'un autre côté, ces mêmes Français réconciliés comme propriétaires, et disposés à faire partie des nouvelles institutions, sont également appelés sous de nouveaux chefs magnanimes à recommencer les hautes destinées de la France, et à les voir porter au plus haut degré de gloire.

Quant à la nation française, considérée dans l'universalité des citoyens, les dernières conspirations et les révélations qu'elles nous ont procurées dans les menaces des derniers Bourbons, doivent suffisamment apprendre ce que la généralité des citoyens devait obtenir si les complots eussent été réalisés; et dans la conviction de la politique exterminatrice des derniers des Bourbons, les huit millions d'acquéreurs de domaines nationaux, les nombreux fonctionnaires publics successivement employés depuis 1789 dans tout le système administratif ou de la représentation nationale, et les 500 mille guerriers, illustres défenseurs de la patrie, tous repoussent inexorablement l'affreuse anarchie, et deux siècles d'horribles guerres civiles qu'entraînerait le retour au système féodal.

Les Capétiens n'ont jamais voulu sincèrement en affranchir la nation, non plus qu'assurer la permanence et la périodicité des états généraux ou de la représentation nationale.

"

«Sous Charles VI, c'est au milieu des exécu«tions dont Paris et la France voyaient tous les jours renouveler l'infâme spectacle, que ce roi, « supprimant les officiers municipaux de la capi«tale, défendit aux bourgeois, sous peine de la « vie, toute espèce d'assemblée, les priva de leurs « droits de commune, rétablit les impôts qui « avaient été levés par son père, sans le consen<< tement des Etats, et donna à ses élus et à ses « conseillers des aides un pouvoir arbitraire (1). »

(1) Mably, Observations sur l'histoire de France.

Les leçons de l'histoire, comme l'intérêt national, sanctionnent donc lá déchéance des Bourbons.

Le pouvoir exécutif en France doit-il étre héréditaire dans la famille du Premier Consul Bonaparte?

Je ne connais rien de plus précis ni de plus concluant sur les avantages qu'à le système d'hérédité sur le système électif que ce que dit sur la France même l'un des députés aux états géné raux d'Orléans et de Blois, en 1560 et 1588 (1). «En toutes monarchies électives, dit-il, il y a «< un danger qui advient toujours; c'est qu'après « la mort du roi, l'Etat demeure en pure anar<«< chie, sans roi, sans seigneur, sans gouverne«ment, et au hasard de sa ruine, comme le na<< vire sans patron, et qui doit son naufrage au « premier vent; cependant les voleurs et meur«triers assassinent comme il leur plaît, avec es<< pérance d'impunité. Aussi lisons-nous que « pendant les élections des sultans d'Egypte, le « pauvre peuple et les meilleures villes de tout le pays étaient saccagés par les mameluks: si on dit que cependant on établira un gouverneur, je dis qu'il n'y aura pas moins de difficulté qu'à « faire un roi.

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«Mais posons le cas qu'il se fasse sans con<«<tredit, sans assembler les états, auxquels appar«<tient de nommer le gouverneur, qui sera ga«rant de sa foi? Qui l'empêchera d'envahir l'Etat, <«<l'ayant en sa puissance? Qui est-ce qui le dé« sarmera s'il ne veut? On a vu comme s'y porta « Gustave, père de Jean de Suède, qui de gou« verneur se fit roi sans attendre l'élection. Et on « laisse le gouvernement au Sénat, comme il se « fait en Pologne, et se faisait à Rome ancienne«ment le danger n'est pas moindre que cepen« dant les plus forts ne s'emparent des forteres«ses. Quant aux guerres des Romains et puis des << Allemands, advenues pour les élections des «< empereurs, toutes leurs histoires ne sont plei«nes d'autre chose, où chacun peut voir le pi« teux spectacle des villes saccagées, des pro<< vinces pillées et fourragées des uns ou des au<< tres.

«Encore y a-t-il un autre inconvénient, c'est « que le plus beau domaine public est tourné en « particulier, comme il s'est fait du domaine Saint« Pierre et de l'empire d'Allemagne; car les prin« ces élus, sachant bien qu'ils ne peuvent laisser « l'Etat à leurs enfants, font leur profit du public « par venditions et donations. »

Mais l'hérédité reconnue comme système préférable pour la stabilité du Gouvernement français, quel homme illustre, quelle famille accréditée en Europe doit être élevée à cette éminente dignité?

Tribuns! Français! Je répondrais comme le pape Zacharie le fit à Pépin: Celui-là qui porte avec gloire tout le poids des affaires d'une grande nation est seul digne du rang suprême (2).

Ce grand homme, l'histoire l'a déjà nommé, c'est Napoléon Bonaparte. Les contemporains le béniront, et il sera l'admiration de la postérité la plus reculée, encore moins par la gloire qu'il s'est acquise que pour l'avoir fait tourner à la pacification de la France et au repos de l'Europe. Bonaparte a mérité et justifié le titre d'Empereur ou de victorieux, que la nation va se complaire à lui décerner avec la stipulation fondamentale d'héré

(1) Jean Bodin.

(2) Anciennes Annales des Francs, et Annales de Fulde, Dom Bouquet.

dité dans sa famille, dont les membres sont illustrés par d'importants services dans l'armée, dans les négociations et dans les délibérations publi

ques.

Quant à la garantie pour la nation.

Cette garantie réside sur une base fondamentale; sa participation au pouvoir législatif, et le droit inalienable qu'elle exerce par ses délégués, de délibérer publiquement l'impôt, de le voter et de requérir toutes pièces originales des recettes et des dépenses publiques, pour motiver, dans tous les temps, la confiance.

Je dis participation inalienable au pouvoir législatif et au vote libre et public de l'impôt, parce que ce droit, les Francs l'apportèrent des forêts de Germanie, et qu'ils l'exercèrent même sous le gouvernement conquérant et politique de Clovis et de Charlemagne.

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Mais Charlemagne oublia d'affermir la puis«sance publique sur une base inébranlable. Il fallait, par une loi fondamentale, fixer l'ordre « de la succession au trône, rendre inviolable « l'autorité souveraine, et proscrire à jamais le « partage de la monarchie. Il fallait déclarer, par <«< une loi solennelle, que tous pouvoirs n'existant «que pour l'intérêt commun, cet intérêt s'oppose « à leur aliénabilité. Quelles effroyables calamités « ce petit nombre de lois constitutives eût épar«< gnées aux générations suivantes (1)! »

Je dis aussi inalienable, parce qu'après que le systême féodal, fruit de l'imprévoyance de Charlemagne et de l'incapacité de ses successeurs, commença à se briser, les Français cherchèrent à reconquérir leurs droits à la puissance législative et au vote libre de l'impôt, d'abord par des priviléges de bourgeoisie, ensuite par l'affranchissement des communes, par des états provinciaux ou particuliers; enfin par l'admission des députés de toutes les classes de citoyens aux états généraux.

Je dis encore inalienable, parce que si les derniers Bourbons ont été cent dix-huit ans sans convoquer d'états généraux, le comble des abus et des malheurs publics, et les grandes catastrophes dont ils sont justement les victimes, démontreront à la postérité qu'on ne viole pas impunement les droits sacrés qu'a une nation libre au pouvoir législatif et au vote libre de l'impôt.

Je dis enfin droit inaliénable, parce que toutes les classes de citoyens chargèrent, en 1789, expressément leurs députés aux états généraux de prononcer la permanence et la périodicité du pouvoir législatif, et que toutes les instructions s'accordèrent à demander le vote annuel et libre de l'impôt.

Cette garantie, que la nation s'est toujours réservée, et qu'elle exerce dans ce moment, se consolide donc en rendant héréditaire le pouvoir exécutif en France dans une famille dont les services, la gloire et la fortune ont pour origine ce principe fondamental de la liberté française; principe exercé ou réclamé, dans la prospérité comme dans l'adversité, pendant treize cents ans; principe cimenté de nouveau aujourd'hui durant quinze années, par les triomphes des héros et le sang d'un million de Français.

Enfin la garantie de la nation dans l'exercice du pouvoir législatif, et le vote annuel et libre de l'impôt étant identique avec les titres qui conduisent au rang suprême Napoléon Bonaparte et sa

(1) Résumé des cahiers et pouvoirs aux états généraux de 1789. Discours préliminaire.

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