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effet quand on savait qu'un génie actif et bienfaisant veillait à la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat ? la paix, ce bien si désiré, personne n'ignorait qu'elle était l'objet de ses voeux les plus ardents. On se flattait que la victoire et la modération écarteraient tous les obstacles qui s'opposaient à son retour, et cette espérance ne tarda pas à se réaliser. Dans moins d'un an l'Europe entière fut pacifiée; elle le serait encore si une puissance, jalouse du bonheur des autres nations et de la prospérité de la France en particulier, n'avait violé le traité le plus solennel.

Mais ce manque de foi, tout en excitant dans le cœur des Français le mépris, l'indignation et le désir d'une juste vengeance, n'avait point troublé le bonheur intérieur de la République tant qu'on avait cru qu'il s'agissait entre les deux puissances d'une guerre franche et loyale, telle qu'elle doit se faire entre les nations civilisées. Tous les citoyens se confiant dans la sagesse et l'habileté du chef de l'Etat, et dans la valeur de nos guerriers, continuaient à jouir de la tranquil lité à laquelle nous sommes accoutumés depuis le 18 brumaire. Tous les délits politiques étaient pardonnés. Chacun jouissait pour soi-même et pour ses propriétés d'une sécurité d'autant plus douce, qu'on en avait été privé plus longtemps.

On reconnaissait l'auteur de tant de bienfaits; on faisait des vœux pour sa conservation; mais, comme si on se fut fait illusion sur la fragilité de la vie humaine, ou qu'on eût cru que le bienfaiteur d'une nation devait être immortel comme son nom, bien peu de personnes portaient leur pensée au delà de la durée de son existence.

Peut-être est-il dans la nature du cœur de l'homme de craindre d'altérer sa propre félicité en osant en envisager le terme. Quoi qu'il en soit, c'était une idée commune et chère à la généralité des citoyens, même avant que le vœu public en fùt émis, que la magistrature suprême devait être fixée à perpétuité sur la tête du Premier Consul; mais on ne s'occupait point de prévoir entre les mains de qui elle passerait après lui, ni les commotions politiques que ce changement pourrait occasionner.

Ainsi la masse de la nation avait vécu dans cette dangereuse imprévoyance jusqu'à ce que la découverte des horribles attentats médités par le gouvernement anglais contre sa personne, nous ait avertis des espérances que nos ennemis fondaient sur l'assassinat de ce grand homme, sur les agitations intérieures et sur les changements de systèmes politiques auxquels l'élection de son successeur pouvait donner lieu. Alors tous les esprits se sont réveillés sur le danger qui nous menaçait l'attachement, inséparable de sentiment de la reconnaissance pour celui qui a fait succéder un état de prospérité à l'état d'angoisses et d'inquiétudes dans lequel nous avions vécu pendant plusieurs années, a d'abord fait frémir tous les cœurs du danger personnel qu'il a couru: mais à ce sentiment a succédé celui de l'intérêt de tous.

En continuant de faire des voeux pour la conservation des jours du héros à qui la France doit sa gloire et la félicité dont elle jouit, tous les hommes pensants ont senti que le mode prescrit par le sénatus-consulte organique de la Constitution, pour pourvoir à son remplacement en cas de mort, n'offrait pas une garantie suffisante de la tranquillité de l'Etat. De toutes parts les citoyens éclairés, réunis dans les colléges électoraux, dans les autorités constituées et même dans les camps, ont exprimé le vœu de voir prendre des mesures

constitutionnelles pour donner à notre gouvernement une stabilité telle que la perte mème de son chef actuel ne pût en entraîner la ruine, et que par conséquent le succès des crimes médités contre sa personne fut inutile à nos ennemis.

Interprète de ce vœu véritablement national, notre collègue Curée vous en a développé les motifs avec autant de force de raison que d'éloquence, et vous a proposé le moyen de le remplir. C'est cette proposition que la commission dont je suis l'organe a examinée par votre ordre, et qu'elle a adoptée à l'unanimité.

Elle a pour objet de décerner la dignité d'Empereur des Français au premier magistrat actuel de la République, et de la déclarer héréditaire dans sa famille.

Votre commission, frappée des diverses considérations qui vous ont été présentées par tous les orateurs qui ont parlé en faveur de cette mesure, a pensé qu'elle offrait le seul moyen de donner de la stabilité à notre gouvernement, d'assurer la tranquillité de l'Etat, et de garantir, pour la génération présente et celles qui lui succéderont, la jouissance des résultats avantageux de la Révolution.

Le temps des illusions politiques est passé. Il serait déraisonnable de ne pas profiter des leçons que l'histoire et l'expérience ont laissées sur la nature du gouvernement qui convient le mieux à notre situation, à nos habitudes, à nos mœurs, et à l'étendue de notre territoire.

Les orateurs qui ont parlé sur cette question vous ont démontré, avec toute la force du raisonnement et des faits de l'histoire, que c'était le gouvernement d'un seul et héréditaire : nous allons essayer de le prouver par le simple exposé de notre propre expérience.

De quelque perfectibilité que l'esprit humain soit jugé susceptible, lorsqu'il s'agit de fixer le sort. d'une nation entière, il est toujours imprudent d'abandonner des moyens éprouvés pour en employer de nouveaux, sous prétexte qu'on les présume meilleurs. Mais à l'époque où les Français venaient de secouer le joug d'une monarchie corrompue, et où l'enthousiasme de la liberté animait tous les esprits, il était excusable, il était même digne des âmes généreuses de croire qu'il était possible d'établir parmi nous un gouvernement déinocratique. Le malheureux essai que nous en avons fait a dû détromper tout homme de bonne foi. Combien de maux ne nous a-t-il pas coûtés!

Tous les citoyens frémissent encore au seul souvenir du gouvernement du comité de salut public. Jamais la tyrannie ne pesa d'une manière plus dure sur un Etat que pendant son existence. La France fut couverte de prisons et d'échafauds; et quand ce gouvernement fut obligé d'abandonner son sceptre de fer, il fut remplacé par un autre dont la faiblesse ne fut pas moins funeste à la France que ne l'avait été la cruauté de celui qui l'avait précédé.

Vint ensuite le Directoire exécutif. Nous ne chercherons pas à déprécier ici les services qu'il a rendus à la France. Il en a peut-être rendu plus que ne le comportait le mode de son organisation, et qu'on ne devait l'espérer dans les circonstances difficiles où il fut installé. Mais ce gouvernement, d'une constitution essentiellement faible, et bientôt épuisé par le jeu des passions des individus qui le composaient, passa rapidement de l'enfance à la décrépitude. N'ayant pas assez de force pour comprimer les factions, il eut recours au système perfide des contre-poids pour se servir alternativement de l'une contre l'autre. De là naquirent

les funestes réactions qui ensanglantèrent la plupart des départements méridionaux, jusqu'à l'époque où il devint lui-même victime des partis qu'il avait créés pour en faire les instruments de ses vengeances et de son ambition.

Telle est l'histoire des gouvernements démocratiques qu'on a tenté d'établir parmi nous jusqu'à l'avénement de Bonaparte au consulat. On n'y voit que tyrannie, faiblesse et instabilité.

A la vérité on a prétendu qu'on n'avait pu consolider ces divers gouvernements, parce que les constitutions qui les avaient établis avaient été l'ouvrage des partis ou des circonstances; mais alors nous demandons comment on pourra se flatter de faire une constitution stable, et qui ait l'assentiment général, ou du moins qui soit respectée par tous, lorsqu'il s'agira de régler les principes d'un gouvernement dont l'essence est, suivant les publicistes, d'être plus sujet qu'aucun autre aux agitations intestines et même aux guerres civiles, parce qu'il tend continuellement à changer de forme. On le pourra, dit notre collègue Carnot, lorsqu'un homme revêtu d'un grand pouvoir, et ayant acquis, par ses services éclatants, un grand ascendant sur l'esprit de la nation, voudra user à cet effet de son influence sur l'opinion générale, comme Bonaparte pouvait le faire après la si gnature du traité d'Amiens. Quoi! notre collègue croit de bonne foi qu'un homme, quelque puissant qu'il soit, peut établir sur des bases solides un gouvernement essentiellement sujet à des troubles intestins? Mais cela implique contradictions! Oui, sans doute, il formera bien une constitution; il en deviendra même, si l'on veut, le premier magistrat; mais par celá seul qu'elle sera populaire, il sera en butte aux attaques de l'ambition qui voudra le supplanter; et si l'on ne peut pas se servir de son ouvrage pour le renverser, on attaquera son ouvrage lui-même, on en fera plier les principes dans le sens le plus favorable aux changements qu'on aura projetés; on les violera; et pendant toutes ces agitations, les magistrats, étant plus occupés de veiller à leur propre défense que de gouverner, laisseront introduire l'anarchie dans la République, et nous offriront nécessairement bientôt l'exemple des vices des gouvernements que nous avons éprouvés. Et qu'on ne prétende pas que nous faisons ici des suppositions dénuées de fondement; elles sont établies sur l'expérience. Nous avons vu le Directoire exécutif et les partis avec lesquels il était en opposition invoquer tour à tour et violer les mêmes principes constitutionnels, suivant que cela convenait à leurs intérêts. Ici on adoptait les élections faites par la majorité; là on les repoussait pour adopter celles de la minorité; aussi le système des scissions s'était-il établi dans les assemblées électorales de tous les départements. Cela ne tenait pas seulement à la faute des gouvernants; cela tenait à la Constitution elle-même, qui ouvrait le champ à tous les ambitieux, et donnait par conséquent lieu à la formation de leurs partis.

Si l'on dit que les Etats-Unis d'Amérique nous offrent maintenant l'exemple d'une république sagement constituée, et qui n'est exposée à aucune des secousses dont nous venons de parler, nous répondrons, comme notre collègue Delpierre l'a déjà fait avec beaucoup de force et de raison, qu'il n'y a aucune comparaison à faire entre un peuple encore presque neuf, dont la majorité, éparse sur un territoire immense, et s'occupant presque uniquement d'agriculture conserve toute la simplicité de ses mœurs primi

tives, et une nation parvenue depuis longtemps au plus haut degré de civilisation et où le besoin des richesses s'est introduit avec le luxe, et la corruption des mœurs avec le luxe et le besoin des richesses. Dans celle-ci le commerce, l'industrie, le luxe et la dissipation, sont autant de causes continuelles qui détruisent l'égalité des fortunes; et de cette inégalité naissent les ambitions et les moyens de les satisfaire aux dépens de la liberté et de la tranquillité publiques, lorsque le champ leur est ouvert par la constitu tion même de l'Etat, et qu'il n'y a pas un pouvoir assez vigoureux pour les contenir. Dans l'autre, au contraire, la simplicité des mœurs tend constamment à conserver cette égalité, ou du moins à ne pas la rendre nécessaire à la tranquillité de l'Etat, et à modérer les désirs ambitieux des individus. Cependant malgré les circonstances et le mérite personnel du président actuel des Etats-Unis; malgré les services importants qu'il a rendus et qu'il vient de rendre encore à son pays, l'approche de l'époque où l'on doit nommer à ses fonctions a excité déjà des brigues et des cabales qui ont fixé l'attention publique. Puissent les habitants de ces heureuses contrées s'en tenir longtemps à ces moyens encore peu dangereux ! Mais ne nous flattons pas que nous serions en général assez dégagés d'ambition pour les imiter en pareil cas.

Quoi qu'il en soit, la fâcheuse expérience que nous avons faite du gouvernement démocratique eut du moins cet avantage, qu'en l'an vi elle nous ramena au système nécessaire, et dont nous éprouvons de si heureux effets, de l'unité de pouvoir et d'action dans les mains du Premier Ĉonsul. Mais comme si les hommes qui se sont écartés de la vérité étaient condamnés à parcourir le cercle de toutes les erreurs avant de revenir au point qu'ils ont eu l'imprudence de quitter, notre retour au système de gouvernement le plus convenable à la France ne fut qu'incomplet. On méconnut la nécessité de l'hérédité du pouvoir dans la même famille; les événements et la force des choses nous y ramènent aujourd'hui ; et ce sont nos ennemis qui nous la font sentir par leurs attentats réitérés contre la personne du magistrat suprême dont l'autorité tutélaire, dans l'ordre actuel des choses, serait nécessairement suspendue après sa mort, au moins pendant tout le temps indispensable pour élire ou confirmer son

successeur.

Cette circonstance seule suffirait pour nous éclairer sur le défaut de stabilité de notre gouvernement, tant qu'il sera fondé sur le système électif, quand même les dangers et les inconvénients de ce système ne nous seraient pas connus. Car si, comme personne n'en doute, nos ennemis craignent surtout le génie de Bonaparte, ses talents et même sa fortune, ils craignent aussi la nation, qu'ils aimeraient mieux voir se déchirer de ses propres mains que de courir contre elle les chances des combats. Ils ne fondent donc pas seulement leurs espérances sur la mort du Premier Consul, ils les fondent aussi sur les rivalités que l'ambition pourrait exciter après sa mort entre nos guerriers, dont ils sont incapables d'apprécier le désintéressement et le dévouement à la patrie; ils comptent sur les troubles intérieurs, sur les guerres intestines qui en seraient la suite inévitable, si leurs affreux calculs se réalisaient, et sur les ébranlements politiques de toute espèce que les passions ambitieuses ne manqueraient pas d'exciter dans cette circonstance dont l'idée seule est alarmante, et dont ils

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s'empresseraient de profiter pour l'accomplissement de leurs funestes projets.

Il n'y a que l'hérédité qui puisse les déjouer et prévenir les dangers que des exemples assez récents ne nous permettent pas de regarder comme chimériques. Quel est l'homme qui, pensant aux déchirements que le système électif à fait éprouver à la Pologne, ne craindrait pas d'exposer son pays à de si grands malheurs ? Si les faits ne parlaient pas encore plus haut que les autorités, nous rappellerions ici aux partisans de ce système les arguments irrésistibles que Mably, dont ils ne contestent pas sans doute l'attachement aux principes de la liberté, adressait à la confédération de Bar, pour lui prouver qu'il importait à la Pologne de rendre sa couronne héréditaire, parce que, disait-il, indépendamment du silence des lois et des troubles intérieurs durant un interrègne, par une action réciproque l'élection amène un mauvais règne, et un mauvais règne prépare une élection vicieuse.

En vain dira-t-on que les agitations politiques tiennent le peuple éveillé sur ses droits, et préviennent les abus du pouvoir. Les Français, éternellement en proie aux mêmes désordres, se lasseraient de défendre une ombre de république qui deviendrait à charge à tous les citoyens, et ne produirait que des despotes et des esclaves.

Ainsi les Anglais, dans l'avant-dernier siècle, après bien des efforts inutiles pour établir chez eux la démocratie, fatigués des agitations que ces essais infructueux leur avaient causées, se virent forcés de se reposer dans le gouvernement même qu'ils avaient proscrit.

Les Français ne sont point réduits à cette fàcheuse nécessité. Non, ce ne sera point en faveur d'une dynastie dégénérée, transfuge, et traître à la patrie, que nous rétablirons l'hérédité; et quelle que soit notre admiration pour le héros que la reconnaissance publique y appellera, nous ne lui sacrifierons point, comme on l'a dit, notre liberté pour prix de ses services. Jamais un vou contraire aux principes sacrés de la souveraineté du peuple ne sortirà au sein du Tribunat, et celui que nous nous proposons d'émettre en ce moment n'a pour objet que de consolider les institutions qui seules peuvent garantir à la nation l'exercice de ses droits.

Est-ce donc sacrifier la liberté publique que de donner au gouvernement que le peuple a institué la stabilité nécessaire pour garantir l'Etat des secousses qui amèneraient infailliblement le retour de l'anarchie et du despotisme? Interrogez tous les Français, et demandez-leur à quelle époque ils ont été réellement le plus libres depuis 1792; ils vous répondront tous, oui tous, sauf les malfaiteurs et les perturbateurs de l'ordre public, que le gouvernement est remis dans les mains d'un seul, c'est-à-dire depuis le 18 brumaire an VIII. Eh bien! que proposons-nous? c'est de consolider ou de perpétuer cet ordre de choses car il ne s'agit pas de conférer à qui que ce soit le pouvoir absolu. Ce vœu impie ne peut entrer dans le cœur d'aucun de nous; et quand même nous serions assez lâches pour le former, il serait repoussé avec indignation par tous les Français: il le serait, n'en doutons pas, par celui-là même en faveur de qui nous l'aurions formé.

Non, il n'est plus au pouvoir d'aucune puissance humaine de rétablir désormais le despotisme en France autrement que par la lassitude de l'anarchie. La nation a repris l'exercice de sa souveraineté ; elle ne se dessaisira point de ses droits, qui trouveront toujours des défenseurs

dans le Sénat, dans le Corps législatif, dans le Tribunat et dans le Gouvernement lui-même, qui saura les respecter et les maintenir.

Ainsi tout ce qui existe sera conservé ou amélioré; la nation continuera d'exercer sa souveraineté par l'organe des représentants qu'elle aura choisis pour l'interprétation et la conservation des lois fondamentales de l'Empire, pour la confection des lois civiles et criminelles, et pour le consentement des contributions publiques. Voilà les institutions dont le maintien et le perfectionnement sont l'objet de nos vœux. S'il en est quelques autres que la sage prévoyance du Sénat juge nécessaires pour la gloire et la sûreté de l'Etat, ou pour la garantie de la liberté civile, elles seront dignes de lui et du peuple pour l'intérêt duquel elles auront été créées.

Mais que parle-t-on de noblesse et de priviléges héréditaires? Quel serait le Français, quel serait surtout le membre des premières autorités qui ne se trouverait pas suffisamment honoré du beau titre de citoyen? Non, il n'y aura plus parmi nous d'autre distinction que celle que donneront les vertus et les talents, d'autre considération que celle qu'on acquerra par les services personnels; et n'est-ce pas, nous le répétons encore, pour maintenir cès précieux avantages de la Révolution, que nous voulons consolider le Gouvernement qui seul peut nous les garantir? N'avons-nous pas démontré qu'ils seraient perdus sans retour si, par suite de troubles inévitables sous un gouvernement faible et précaire, nous étions encore précipités dans une anarchie dont il est trop certain que nous ne pourrions sortir que pour retomber dans les bras du despotismne? Croit-on qu'un autre gouvernement que celui qui doit son élévation et qui devra son affermissement à l'ordre des choses qui nous a procuré ces avantages, serait aussi intéressé à les conserver, et que celui-ci voudra risquer de détruire la première base de son existence? Il est impossible de le présumer; comment peut-on donc méconnaître le véritable objet de notre you?

Mais, dit-on, l'unité et l'hérédité du Gouvernement ne sont rien moins qu'un gage de stabilité, car l'Empire romain dura moins que la République. Cette assertion, en ce qui regarde l'unité, est un paradoxe qui n'a pas besoin d'être réfuté; car c'est une vérité généralement reconnue et constatée par l'expérience de tous les temps, qu'un gouvernement est d'autant plus fort qu'il est concentré, et que sa stabilité dépend principalement de sa force. Quant à ce qui concerne l'hérédité, il était difficile de choisir un exemple plus favorable au système que nous défendons; car il est évident que la faiblesse et l'instabilité du gouvernement, sous les empereurs romains, tenaient surtout à ce que cette dignité était élective, et à ce que le mode de succession à l'autorité suprême était une source continuelle de révolutions qui entretenaient sans cesse l'inquiétude dans l'âme des gouvernants, et qui favorisaient toutes les entreprises ambitieuses qu'on voulait former contre eux. On sait que ce fut la politique ambitieuse de Stilicon qui, dans l'espérance de s'emparer du trône que se partageaient les fils de Théodose, provoqua ou du moins favorisa l'irruption des barbares dans la Gaule, où ils accablerent la puissance romaine, qui, depuis cette époque, tomba en décadence jusqu'à sa ruine définitive.

Nous nous serions abstenus de ces détails, s'ils n'eussent été nécessaires pour détruire une assertion fondée sur des faits d'où dérivent évidem

les funestes réactions qui ensanglantèrent la plupart des départements méridionaux, jusqu'à l'époque où il devint lui-même victime des partis qu'il avait créés pour en faire les instruments de ses vengeances et de son ambition.

Telle est l'histoire des gouvernements démocratiques qu'on a tenté d'établir parmi nous jusqu'à l'avénement de Bonaparte au consulat. On n'y voit que tyrannie, faiblesse et instabilité.

A la vérité on a prétendu qu'on n'avait pu consolider ces divers gouvernements, parce que les constitutions qui les avaient établis avaient été l'ouvrage des partis ou des circonstances; mais alors nous demandons comment on pourra se flatter de faire une constitution stable, et qui ait l'assentiment général, ou du moins qui soit respectée par tous, lorsqu'il s'agira de régler les principes d'un gouvernement dont l'essence est, suivant les publicistes, d'être plus sujet qu'aucun autre aux agitations intestines et même aux guerres civiles, parce qu'il tend continuellement à changer de forme. On le pourra, dit notre collègue Carnot, lorsqu'un homme revêtu d'un grand pouvoir, et ayant acquis, par ses services éclatants, un grand ascendant sur l'esprit de la nation, voudra user à cet effet de son influence sur l'opinion générale, comme Bonaparte pouvait le faire après la si. gnature du traité d'Amiens. Quoi! notre collègue croit de bonne foi qu'un homme, quelque puissant qu'il soit, peut établir sur des bases solides un gouvernement essentiellement sujet à des troubles intestins? Mais cela implique contradictions! Oui, sans doute, il formera bien une constitution; il en deviendra même, si l'on veut, le premier magistrat; mais par celá seul qu'elle sera populaire, il sera en butte aux attaques de l'ambition qui voudra le supplanter; et si l'on ne peut pas se servir de son ouvrage pour le renverser, on attaquera son ouvrage lui-même, on en fera plier les principes dans le sens le plus favorable aux changements qu'on aura projetés; on les violera; et pendant toutes ces agitations, les magistrats, étant plus occupés de veiller à leur propre défense que de gouverner, laisseront introduire l'anarchie dans la République, et nous offriront nécessairement bientôt l'exemple des vices des gouvernements que nous avons éprouvés. Et qu'on ne prétende pas que nous faisons ici des suppositions dénuées de fondement; elles sont établies sur l'expérience. Nous avons vu le Directoire exécutif et les partis avec lesquels il était en opposition invoquer tour à tour et violer les mêmes principes constitutionnels, suivant que cela convenait à leurs intérêts. Ici on adoptait les élections faites par la majorité; là on les repoussait pour adopter celles de la minorité; aussi le système des scissions s'était-il établi dans les assemblées électorales de tous les départements. Cela ne tenait pas seulement à la faute des gouvernants; cela tenait à la Constitution elle-même, qui ouvrait le champ à tous les ambitieux, et donnait par conséquent lieu à la formation de leurs partis.

Si l'on dit que les Etats-Unis d'Amérique nous offrent maintenant l'exemple d'une république sagement constituée, et qui n'est exposée à aucune des secousses dont nous venons de parler, nous répondrons, comme notre collègue Delpierre l'a déjà fait avec beaucoup de force et de raison, qu'il n'y a aucune comparaison à faire entre un peuple encore presque neuf, dont la majorité, éparse sur un territoire immense, et s'occupant presque uniquement d'agriculture, conserve toute la simplicité de ses mœurs primi

tives, et une nation parvenue depuis longtemps au plus haut degré de civilisation et où le besoin des richesses s'est introduit avec le luxe, et la corruption des mœurs avec le luxe et le besoin des richesses. Dans celle-ci le commerce, l'industrie, le luxe et la dissipation, sont autant de causes continuelles qui détruisent l'égalité des fortunes; et de cette inégalité naissent les ambitions et les moyens de les satisfaire aux dépens de la liberté et de la tranquillité publiques, lorsque le champ leur est ouvert par la constitu tion même de l'Etat, et qu'il n'y a pas un pouvoir assez vigoureux pour les contenir. Dans l'autre, au contraire, la simplicité des mœurs tend constamment à conserver cette égalité, ou du moins à ne pas la rendre nécessaire à la tranquillité de l'Etat, et à modérer les désirs ambitieux des individus. Cependant malgré les circonstances et le mérite personnel du président actuel des Etats-Unis; malgré les services importants qu'il a rendus et qu'il vient de rendre encore à son pays, l'approche de l'époque où l'on doit nommer à ses fonctions a excité déjà des brigues et des cabales qui ont fixé l'attention publique. Puissent les habitants de ces heureuses contrées s'en tenir longtemps à ces moyens encore peu dangereux! Mais ne nous flattons pas que nous serions en général assez dégagés d'ambition pour les imiter en pareil cas.

Quoi qu'il en soit, la fâcheuse expérience que nous avons faite du gouvernement démocratique eut du moins cet avantage, qu'en l'an vi elle nous ramena au système nécessaire, et dont nous éprouvons de si heureux effets, de l'unité de pouvoir et d'action dans les mains du Premier Consul. Mais comme si les hommes qui se sont écartés de la vérité étaient condamnés à parcourir le cercle de toutes les erreurs avant de revenir au point qu'ils ont eu l'imprudence de quitter, notre retour au système de gouvernement le plus convenable à la France ne fut qu'incomplet. On méconnut la nécessité de l'hérédité du pouvoir dans la même famille; les événements et la force des choses nous y ramènent aujourd'hui ; et ce sont nos ennemis qui nous la font sentir par leurs attentats réitérés contre la personne du magistrat suprême dont l'autorité tutélaire, dans l'ordre actuel des choses, serait nécessairement suspendue après sa mort, au moins pendant tout le temps indispensablé pour élire ou confirmer son

successeur.

Cette circonstance seule suffirait pour nous éclairer sur le défaut de stabilité de notre gouvernement, tant qu'il sera fondé sur le système électif, quand même les dangers et les inconvénients de ce système ne nous seraient pas connus. Car si, comme personne n'en doute, nos ennemis craignent surtout le génie de Bonaparte, ses talents et même sa fortune, ils craignent aussi la nation, qu'ils aimeraient mieux voir se déchirer de ses propres mains que de courir contre elle les chances des combats. Ils ne fondent donc pas seulement leurs espérances sur la mort du Premier Consul, ils les fondent aussi sur les rivalités que l'ambition pourrait exciter après sa mort entre nos guerriers, dont ils sont incapables d'apprécier le désintéressement et le dévouement à la patrie; ils comptent sur les troubles intérieurs, sur les guerres intestines qui en seraient la suite inévitable, si leurs affreux calculs se réalisaient, et sur les ébranlements politiques de toute espèce que les passions ambitieuses ne manqueraient pas d'exciter dans cette circonstance dont l'idée seule est alarmante, et dont ils

s'empresseraient de profiter pour l'accomplissement de leurs funestes projets.

Il n'y a que l'hérédité qui puisse les déjouer et prévenir les dangers que des exemples assez récents ne nous permettent pas de regarder comme chimériques. Quel est l'homme qui, pensant aux déchirements que le système électif à fait éprouver à la Pologne, ne craindrait pas d'exposer son pays à de si grands malheurs? Si les faits ne parlaient pas encore plus haut que les autorités, nous rappellerions ici aux partisans de ce système les arguments irrésistibles que Mably, dont ils ne contestent pas sans doute l'attachement aux principes de la liberté, adressait à la confédération de Bar, pour lui prouver qu'il importait à la Pologne de rendre sa couronne héréditaire, parce que, disait-il, indépendamment du silence des lois et des troubles intérieurs durant un interrègne, par une action réciproque l'élection amène un mauvais règne, et un mauvais règne prépare une élection vicieuse.

En vain dira-t-on que les agitations politiques tiennent le peuple éveillé sur ses droits, et préviennent les abus du pouvoir. Les Français, éternellement en proie aux mêmes désordres, se lasseraient de défendre une ombre de république qui deviendrait à charge à tous les citoyens, et ne produirait que des despotes et des esclaves.

Ainsi les Anglais, dans l'avant-dernier siècle, après bien des efforts inutiles pour établir chez eux la démocratie, fatigués des agitations que ces essais infructueux leur avaient causées, se virent forcés de se reposer dans le gouvernement même qu'ils avaient proscrit.

Les Français ne sont point réduits à cette fàcheuse nécessité. Non, ce ne sera point en faveur d'une dynastie dégénérée, transfuge, et traître à la patrié, que nous rétablirons l'hérédité; et quelle que soit notre admiration pour le héros que la reconnaissance publique y appellera, nous ne lui sacrifierons point, comme on l'a dit, notre liberté pour prix de ses services. Jamais un vou contraire aux principes sacrés de la souveraineté du peuple ne sortirà au sein du Tribunat, et celui que nous nous proposons d'émettre en ce moment n'a pour objet que de consolider les institutions qui seules peuvent garantir à la nation l'exercice de ses droits.

Est-ce donc sacrifier la liberté publique que de donner au gouvernement que le peuple a institué la stabilité nécessaire pour garantir l'Etat des secousses qui amèneraient infailliblement le retour de l'anarchie et du despotisme? Interrogez tous les Français, et demandez-leur à quelle époque ils ont été réellement le plus libres depuis 1792; ils vous répondront tous, oui tous, sauf les malfaiteurs et les perturbateurs de l'ordre public, que le gouvernement est remis dans les mains d'un seul, c'est-à-dire depuis le 18 brumaire an VIII. Eh bien! que proposons-nous? c'est de consolider ou de perpétuer cet ordre de choses: car il ne s'agit pas de conférer à qui que ce soit le pouvoir absolu. Ce vœu impie ne peut entrer dans le cœur d'aucun de nous; et quand même nous serions assez lâches pour le former, il serait repoussé avec indignation par tous les Français: il le serait, n'en doutons pas, par celui-là même en faveur de qui nous l'aurións formé.

Non, il n'est plus au pouvoir d'aucune puissance humaine de rétablir désormais le despotisme en France autrement que par la lassitude de l'anarchie. La nation a repris l'exercice de sa souveraineté; elle ne se dessaisira point de ses droits, qui trouveront toujours des défenseurs

dans le Sénat, dans le Corps législatif, dans le Tribunat et dans le Gouvernement lui-même, qui saura les respecter et les maintenir.

Ainsi tout ce qui existe sera conservé ou amélioré; la nation' continuera d'exercer sa souveraineté par l'organe des représentants qu'elle aura choisis pour l'interprétation et la conservation des lois fondamentales de l'Empire, pour la confection des lois civiles et criminelles, et pour le consentement des contributions publiques. Voilà les institutions dont le maintien et le perfectionnement sont l'objet de nos vœux. S'il en est quelques autres que la sage prévoyance du Sénat juge nécessaires pour la gloire et la sûreté de l'Etat, ou pour la garantie de la liberté civile, elles seront dignes de lui et du peuple pour l'intérêt duquel elles auront été créées.

Mais que parle-t-on de noblesse et de priviléges héréditaires? Quel serait le Français, quel serait surtout le membre des premières autorités qui ne se trouverait pas suffisamment honoré du beau titre de citoyen? Non, il n'y aura plus parmi nous d'autre distinction que celle que donneront les vertus et les talents, d'autre considération que celle qu'on acquerra par les services personnels; et n'est-ce pas, nous le répétons encore, pour maintenir ces précieux avantages de la Révolution, que nous voulons consolider le Gouvernement qui seul peut nous les garantir? N'avons-nous pas démontré qu'ils seraient perdus sans retour si, par suite de troubles inévitables sous un gouvernement faible et précaire, nous étions encore précipités dans une anarchie dont il est trop certain que nous ne pourrions sortir que pour retomber dans les bras du despotismne? Croit-on qu'un autre gouvernement que celui qui doit son élévation et qui devra son affermissement à l'ordre des choses qui nous a procuré ces avantages, serait aussi intéressé à les conserver, et que celui-ci voudra risquer de détruire la première base de son existence? Il est impossible de le présumer; comment peut-on donc méconnaître le véritable objet de notre vœu?

Mais, dit-on, l'unité et l'hérédité du Gouvernement ne sont rien moins qu'un gage de stabilité, car l'Empire romain dura moins que la République. Cette assertion, en ce qui regarde l'unité, est un paradoxe qui n'a pas besoin d'être réfuté; car c'est une vérité généralement reconnue et constatée par l'expérience de tous les temps, qu'un gouvernement est d'autant plus fort qu'il est concentré, et que sa stabilité dépend principalement de sa force. Quant à ce qui concerne l'hérédité, il était difficile de choisir un exemple plus favorable au système que nous défendons; car il est évident que la faiblesse et l'instabilité du gouvernement, sous les empereurs romains, tenaient surtout à ce que cette dignité était élective, et à ce que le mode de succession à l'autorité suprême était une source continuelle de révolutions qui entretenaient sans cesse l'inquiétude dans l'âme des gouvernants, et qui favorisaient toutes les entreprises ambitieuses qu'on voulait former contre eux. On sait que ce fut la politique ambitieuse de Stilicon qui, dans l'espérance de s'emparer du trône que se partageaient les fils de Théodose, provoqua ou du moins favorisa l'irruption des barbares dans la Gaule, où ils accablèrent la puissance romaine, qui, depuis cette époque, tomba en décadence jusqu'à sa ruine définitive.

Nous nous serions abstenus de ces détails, s'ils n'eussent été nécessaires pour détruire une assertion fondée sur des faits d'où dérivent évidem

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