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lations extérieures. Votre commission ne reproduira pas des détails que vous avez trop bien saisis pour qu'il soit nécessaire de vous les rappeler, et qui d'ailleurs ont été trop heureusement placés dans leur véritable jour, pour qu'une nouvelle exposition n'en altérât pas l'exactitude et l'intérêt. Nous n'avons pas besoin de nous attacher à chacun de ces griefs en particulier pour démêler les sentiments et pour expliquer la conduite du gouvernement autrichien. Ce que nous avons dû soupçonner est aujourd'hui proclamé par l'évidence. Le cabinet de Vienne, épuisé par de longs. efforts, frappé par les plus cruels revers, s'était vu forcé de signer la paix; mais lorsqu'il en proférait les serments, il ne voulait que se ménager une trève et le temps de réparer ses forces, pour engager avec la France une lutte nouvelle. Elle devait donc, cette opiniâtre inimitié, résister à la générosité comme à la victoire; rien ne pouvait donc ni l'adoucir, ni la subjuguer.

Ce n'est pas la première fois que l'Autriche se joue des traités: elle fausse aujourd'hui la paix de Lunéville, comme elle viola celle de CampoFormio. A peine son vainqueur avait-il quitté l'Europe, qu'elle s'élança de nouveau dans le champ de bataille; ses succès ne durèrent pas plus que l'absence du héros : un seul jour lui arracha les conquêtes d'une année. Cette mémorable bataille de Marengo, dont l'Europe entendit la nouvelle dans le recueillement de l'admiration, ne put inspirer à notre ennemi le désir sincère de la paix. Un armistice avait été accordé à son armée vaincue et presque prisonnière; une convention solennelle avait été négociée en son nom à Paris il osa refuser sa ratification. L'indignation du Gouvernement français se fit entendre; l'Autriche offrit, pour gage de sa bonne foi, plusieurs des forteresses de l'Allemagne, Hé bien ! Messieurs, ce gage trompeur était entre nos mains, un négociateur autrichien se trouvait à Lunéville. Il fallut encore que le sort des armes prononçât! N'est-elle pas suffisamment caractérisée, la haine de cet implacable ennemi de la France? il commence la guerre avec le projet de lui enlever plusieurs de ses provinces; lorsqu'il obtient des succès momentanés, il se garde bien d'en profiter pour faire entendre des paroles de paix; quand enfin il la sollicite, ce n'est qu'après une longue suite de défaites, et avec l'intention formelle de la rompre dès qu'il se croira assez fort pour retouruer au combat.

Rapprochons, Messieurs, ces diverses circonstances, de la détermination actuelle de l'Autriche, et le secret de la longue intelligence de nos ennemis nous sera complétement révélé. On ne saurait voir ici le commencement d'une guerre nouvelle celle qui se rallume, c'est la même qui éclata il y a treize ans, et qui, dans l'intention de l'Autriche et de l'Angleterre, ne fut jamais que suspendue, et non terminée. L'Autriche, plus exposée à nos coups, se retira la première du champ de bataille. Cette apparente défection n'éleva aucun nuage entre elle et le cabinet de SaintJames. Il n'est plus permis de douter que son consentement formel n'ait autorisé son allié à rechercher, à l'abri de la paix, les avantages d'une suspension d'armes. Il ne tarda pas à affecter luimême des dispositions pacifiques, et le traité d'Amiens fut conclu

La cessation momentanée des hostilités promettait plusieurs avantages au gouvernement britannique. Il abusait ainsi, sur ses véritables projets, la nation qui faisait entendre des murmures contre la prolongation de la guerre. Il se promettait

que la sécurité de la France, égalant sa bonne foi, lui ménagerait, lors d'une nouvelle agression, ces profits odieux qu'il s'est si souvent procurés en commençant la guerre sans l'avoir déclarée. Il se flattait qu'une partie de nos forces navales deviendrait sa proie aussi facilement que les capitaux de notre commerce; enfin, en paraissant concourir au repos général de l'Europe, il cachait plus profondément ce mystère de perfidie qui l'unissait à la cour de Vienne.

A présent, Messieurs, il est facile d'expliquer cette rupturé, qui n'excita pas moins notre étonnement que notre indignation. Que l'Angleterre ne fût pas sincèrement réconciliée avec la France, ce ne pouvait être là un motif de surprise; mais il était difficile de concevoir comment le cabinet de Saint-James s'était décidé à négliger le secours de toute alliance continentale, à attirer sur lui seul tout le poids de nos forces, et à provoquer le rétablissement de notre marine, en mettant le Gouvernement français dans une position telle, qu'il devait en faire l'objet principal de ses efforts ét de ses dépenses.

Tout est éclairci pour nous; l'Angleterre était l'avant-garde de cette coalition, qui prend enfin le parti de nous attaquer avec toutes ses forces. Si la Grande-Bretagne a commencé par se mesurer seule avec nous, c'est que sa position insulaire et sa prépondérance maritime lui inspiraient une orgueilleuse confiance, surtout pour la première époque de la guerre. Elle ne comptait pas sur cette activité prodigieuse qui a su, en si peu de temps, lancer des flottes sur toutes les mers, créer et réunir cette immense flottille, dont l'importance a été jugée par les alarmes de ceux qu'elle menaçait.

Vous l'avez remarqué, Messieurs à mesure que nos préparatifs ont augmenté la terreur de l'Angleterre, ses ministres, sacrifiant une partie de leur secret au besoin de calmer l'opinion, se sont montrés plus disposés à encourager l'espoir d'alliances continentales. Enfin, quand le danger est devenu plus pressant, lors de la dernière session du parlement, ils sont allés jusqu'à se faire accorder cinq millions sterling pour des subsides à employer dans l'année; et si l'opposition leur a demandé de quel effet pourrait être l'intervention de la Russie sans celle de l'Autriche, ils n'ont paru embarrassés que de cacher leur assurance.

Ces faits s'accordent tous pour produire la même conviction; ils sont récents, ils sont connus de l'Europe entière. Le cabinet de Vienne se flatte-til donc de les ensevelir dans l'oubli, lorsqu'il allègue je ne sais quels prétextes relatifs aux améliorations que les habitants de quelques portions de l'Italie ont désirées dans leur existence politique? Le traité de Lunéville les avait trouvés et laissés sous l'influence de la France, en leur garantissant de la manière la plus formelle le droit de se donner le gouvernement qui leur conviendrait le mieux. Certes, la France était bien autorisée à faire entrer cette maxime dans le droit public de l'Europe: assez d'énergie, de constance et de succès l'avaient consacrée.

Elle n'ignore pas non plus la force de nos armes, cette puissance qui envoie de si loin ses soldats provoquer une guerre dans laquelle son intervention est si étrange. La distance qui sépare l'Empire français de l'Empire russe réduit leurs relations à une extrême simplicité, et prévient entre eux tout sujet de véritable discussion. Quelle est la portion de territoire qu'ils pourraient se disputer? Vit-on même jamais ces flottes, qui rapprochent les ennemis les plus distants, balancer la fortune de deux pavillons? Ces puissances son

tellement destinées à rester étrangères l'une à l'autre, qu'à l'époque où le cours des événements les a mises dans le cas de signer un traité de paix, on a dù se borner à stipuler le rétablissement de la bonne intelligence. Elle a cessé depuis plus d'un an, et jusqu'à ce jour on ne l'a su de part et d'autre que par l'absence des agents diplomatiques.

Si la Russie se décide aujourd'hui à d'ouvertes hostilités, quel motif peut donc l'y engager? Elle a manifesté des alarmes pour l'équilibre politique de l'Europe. Oui, l'équilibre politique fut menacé lorsque, cinquante ans après le traité de Westphalie, la Russie survint, pour ainsi dire, dans le système de l'Europe. L'équilibre politique fut déraugé vers le milieu du dix-huitième siècle, quand la Russie, profitant de l'aveuglement dont l'Autriche avait frappé le Gouvernement français, s'unit à elle pour combattre Frédéric II, que le cabinet de Versailles attaquait lui-même au mépris de toutes les considérations qui devaient l'en détourner. La Russie prouvait-elle mieux sa sollicitude pour l'équilibre de l'Europe en minant l'indépendance de la Suède, qui ne fut sauvée que par la révolution de 1772, ou en préparant l'anéantissement de la Pologne par ce premier partage, dans lequel tous les observateurs apercurent le germe des plus terribles commotions? Est-ce donc aussi pour assurer l'équilibre de l'Europe, que la Russie a employé contre la PorteOttomane et la force des armes, et les ressources de l'intrigue, et la persévérance des envahissements? A une époque qui ne saurait être effacée du souvenir de personne, en 1791, le même ministre qui gouverne en ce moment la GrandeBretagne jeta un cri d'alarme contre la Russie. Il ne fallut rien moins que l'opposition la plus forte dans l'opinion, et même dans le parlement, pour l'empêcher de courir aux armes, afin de défendre contre la Russie l'équilibre de l'Europe. De quoi s'agissait-il alors? d'obtenir quelque adoucissement en faveur de la Turquie dans les conditions de la paix. Que devrait donc dire le ministre, aujourd'hui que l'empereur de Russie se fait obéir à Constantinople non moins facilement qu'à Pétersbourg?

Mais il est passé le temps, des combinaisons politiques; il a fait place au concert des passions haineuses. Il faut l'avouer, la plus parfaite harmonie règne à cet égard entre la Russie et l'Angleterre. Il ne faut, pour preuve de ce merveilfeux accord, que la mission mème de ce négociateur qu'on affectait d'annoncer à l'Europe comme l'ange de la paix, qui devait sans cesse et partir et rester, dont le voyage fut si tardif, dont le retour fut si précipité,

Vous n'avez pas oublié, Messieurs, quelles étaient alors les angoisses de l'Angleterre. Ses flottes erraient sur toutes les mers pour savoir où avaient paru les flottes françaises. Chaque jour elle voyait arriver sur nos côtes de nouveaux bataillons. Les bâtiments nécessaires pour transporter plusieurs armées étaient réunis dans les ports les mieux situés pour le départ de l'expédition; tout était pret; on n'attendait plus que celui dont la victoire ne se sépara jamais; mais au milieu des plus formidables préparatifs, son cœur n'avait pas un seul instant démenti le vou de la paix. On s'attacha à entretenir cette généreuse espérance tant que l'Autriche ne fut pas prête à jeter le gage de la bataille. J'en atteste votre mémoire, Messieurs à peine avions-nous appris que le négociateur russe avait rétrogradé, que nous connaissions les mouvements des troupes autri

chiennes. Ainsi l'on n'affichait le désir de la paix que pour mieux préparer la guerre; tandis qu'on annonçait la noble ambition de rendre la tranquillité à l'Europe, on se disposait à l'ensanglanter.

Il est impossible de se le dissimuler, Messieurs : l'Angleterre a obtenu un grand avantage, mais est-ce sur nous, ou sur ses propres alliés?

Notre auguste monarque, se préparant à punir le parjure des Anglais, aimait à croire que les calamités de la guerre ne s'étendraient pas sur le continent. Il avait été si généreux! pouvait-il supposer la perfidie? Il est si puissant! devait-il imaginer qu'on osât le défier? Qu'une coalition conduite comme un complot vienne interrompre l'exécution de ses projets, il n'en résulte pas qu'ils soient abandonnés. La totalité de ses forces ne sera pas dirigée contre l'Angleterre, mais il saura bien lui disputer la mer en même temps que soumettre les provinces de ses alliés. Peutêtre même lui ménage-t-elle d'autres triomphes. N'a-t-elle pas proféré la flatteuse menace d'employer une partie de ses troupes sur le continent?

Enfin, pour peu que les chances de la guerre continentale répondent aux espérances que nous sommes autorisés à former, ne sera-t-il pas dé cidé dès lors que la fortune de l'Angleterre devra fléchir sous l'ascendant de la France?

Si donc le gouvernement britannique diminue momentanément ses dangers, s'il détourne la foudre sur ses alliés, ce n'est que de leur aveuglement qu'il doit triompher. Comment se fait-il que l'Autriche ait oublié si vite tant de revers? Comment arrive-t-il qu'elle méconnaisse complétement la différence des époques? Lorsqu'elle adopta ce sytème d'inimitié éternelle, de négociations fallacieuses, de guerres sans cesse interrompues et rallumées, elle pouvait regarder le temps comme un précieux auxiliaire. Tout était variable en France, excepté le courage des armées. Des troubles sans cesse renaissants menaçaient chaque jour d'anéantir le résultat des plus belles victoires. Chaque instant donnait lieu de craindre que tous les ressorts de l'administration ne se brisassent à la fois. Trop bien instruits de nos maux, auxquels ils n'étaient pas étrangers, nos ennemis se consolaient de la perte d'une bataille par l'espoir ou la nouvelle d'une instruction. Mais qu'ont de commun ces temps avec ceux où nous sommes parvenus? d'éternelles agitations ont fait place à là tranquillité la plus profonde; la fureur du changement s'est convertie en esprit de perfectionnement. L'énergie que la nation avait puisée dans les troubles civils se porte tout entière sur les travaux utiles. Le sentiment des jouissances privées est d'autant plus vif, qu'elles avaient été plus longtemps et plus douloureusement suspendues. Tous les jours, d'une extrémité de l'Empire à l'autre, on adresse des vœux au ciel pour celui qui a rendu à l'Etat sa splendeur, aux citoyens le repos et la confiance dans l'avenir. Nos ennemis n'ont plus à épier le jeu des factions, à espérer dans les orages: ce serait l'erreur la plus grossière de la plus étrange crédulité.

Ne pouvant s'abuser à ce point sur l'état de l'Empire, ils doivent connaître mieux encore les armées qui leur ont laissé d'immortels souvenirs. Le courage bouillant qui les a signalées dans la guerre de l'indépendance ne s'est pas refroidi. Jamais l'ardeur ne fut plus grande, jamais la confiance des troupes en elles-mêmes et dans leurs chefs ne fut portée plus loin. Ils existent dans toute leur force, les sentiments qui ont

produit ces exploits, ces prodiges que l'Europe n'oubliera de longtemps. Toutes les probabilités se réunissent pour nous promettre des triomphes plus brillants encore, s'il est possible. Jamais ces guerriers, qui ont conquis l'admiration du monde, n'auront été enflammés par des passions plus généreuses, entraînés par des motifs plus puissants sur le cœur des braves. Ils vont combattre sous les yeux de leur monarque qu'ils aiment comme ils aiment la patrie et la gloire; ils vont combattre sous les yeux de celui que ses ennemis mêmes ont nommé le premier capitaine de son siècle.

Il est un autre titre, Messieurs, qu'il n'a pas moins mérité, et dont il s'est montré encore plus jaloux, c'est celui de pacificateur. Le vainqueur de Montenotte, d'Arcole et de Rivoli, pouvait conduire son armée au Capitole. Il préféra de s'arrêter à Tolentino pour donner la paix au Souverain Pontife. Le général constamment victorieux, qui avait soumis le Frioul, la Carniole, la Carinthie, la Styrie, devait être tenté de faire encore une marche de deux journées pour entrer dans la capitale de l'Autriche. Il aima mieux adres ser à l'archiduc Charles ce langage de paix et de philantropie auquel répondront d'âge en âge les bénédictions de la postérité. Dès qu'il eut pris en main les rênes du Gouvernement, quelle fut sa première démarche? Il proposa la paix. Après avoir essuyé des refus, après avoir surpassé par la victoire la plus éclatante jusqu'à l'espérance nationale, il se montra toujours prêt à négocier. Déjà nous avons eu occasion de vous faire remarquer quelle patience il manifesta en accordant successivement à l'Autriche les divers armistices qui précédèrent le traité de Lunéville, quel empressement il mit à accueillir les premières paroles de paix qui échappèrent au cabinet de Saint-James. De plus fortes épreuves devaient encore mieux constater à quel point l'amour de la paix est invariable dans le cœur de Sa Majesté. Depuis la violation du traité d'Amiens, nous avons eu plusieurs fois à frémir en voyant des parricides menacer ses jours, et nous avons été réduits à ne pas douter que le gouvernement britannique n'eût encouragé ces affreuses tentatives. L'Empereur n'a-t-il pas étouffé le plus juste ressentiment pour prêter uniquement l'oreille à la voix de l'humanité? Jamais on ne réclama ses droits avec plus d'éloquence et de magnanimité que dans cette lettre au roi d'Angleterre, dont la lecture vous pénétra d'un religieux attendrissement. Les mêmes sentiments ont inspiré Sa Majesté dans ses dernières relations avec l'Autriche. Déjà mille circonstances s'accordaient pour déceler des intentions hostiles: l'Empereur s'efforçait de douter; il demandait des explications au cabinet de Vienne, il revenait à la charge pour obtenir de nouveaux éclaircissements; il essayait de lui ouvrir les yeux sur ses véritables intérêts; il pressait tous les Etats voisins de joindre leurs représentations aux siennes; il allait jusqu'à imposer silence à sa fierté pour opposer encore les instances de la raison à des allégations injurieuses, lorsque les armées de l'Autriche, envahissant la Bavière, ont anéanti toute autre ressource que celle des

armes.

Elle aura donc été infructueuse pour la paix, cette modération héroïque; cependant elle ne demeurera pas stérile. L'Empereur en trouvera la récompense dans la reconnaissance de son peuple. Plus le monarque a montré de sollicitude pour lui épargner les sacrifices qu'exige la guerre, plus la nation déploiera de zèle et d'énergie pour

défendre la cause du trône et de l'Empire. Ceux qui nous provoquent, ce sont les mêmes ennemis que nous avons déjà forcés de reconnaître notre indépendance. Ils conspirent aujourd'hui contre la gloire de l'Empereur et la splendeur de la France. L'Empereur et la France, plus unis que jamais par les liens de la bienveillance et de la fidélité, de l'amour et de l'admiration, opposeront à une agression odieuse l'irrésistible alliance de la force et du génie.

Ces sentiments, Messieurs, nous les partageons avec tous les Français; c'est à nous qu'il appartient d'en porter jusqu'au trône les touchants témoignages. La commission dont j'ai l'honneur d'être l'organe, vous propose d'arrêter qu'il sera rédigé une adresse à S. M. l'Empereur et Roi, pour lui exprimer l'indignation que ses fidèles sujets ont éprouvée à la nouvelle des démarches hostiles de l'Autriche et de la Russie, la reconnaissance dont ils ont été pénétrés en apprenant tout ce que Sa Majesté a tenté pour leur éviter les sacrifices inséparables d'une nouvelle guerre, la disposition où ils sont de multiplier les actes du dévouement le plus chaleureux pour venger le prince et la patrie, pour abréger la guerre par des succès décisifs, et pour mettre l'Empereur en état de dicter à ses ennemis une paix glorieuse et durable.

M. Jaubert (de la Gironde). Messieurs, ne semblait-il pas que les derniers événements politiques devaient prévenir pour longtemps tout nouveau déchirement en Europe?

Les ennemis de la France ont-ils donc déjà oublié que le génie qui l'avait sauvée avait aussi rétabli les principes fondamentaux de l'ordre public et social! Qui a dout éque si l'Empereur Napoléon n'avait surpassé en modération les plus illustres conquérants, il n'eût pu introduire les plus grands changements en Europe?

La liberté des mers, l'équilibre du continent, c'étaient-là tous les voeux de la France.

Voilà pourquoi, au lieu d'entrer en triomphe à Rome, le général Bonaparte écrivit au chef de l'Église cette lettre mémorable, qui dès lors annonça que le plus grand des guerriers était aussi le plus grand homme d'Etat, et qu'il travaillait plus pour son siècle et la postérité que pour sa gloire personnelle.

Ce furent les mêmes principes qui dictèrent la paix de Campo-Formio, firent pardonner à l'Autriche ses nouveaux attentats, amenèrent le traité de Lunéville, et servirent de base au traité d'Amiens.

Mais les intérêts des peuples ne sont pas toujours le mobile des gouvernements; les princes qui ne tiennent pas les rènes de leur empire ne sont que trop souvent les jouets et les victimes de l'intrigue de leurs ministres.

Nous en voyons, Messieurs, de terribles exemples.

La France exécutait scrupuleusement les traités. Quelle a été la conduite des cabinets de Londres et de Vienne?

L'ordre que le cabinet de Londres donnait ostensiblement de rendre le Cap de Bonne-Espérance aux Hollandais était suivi presque au mêine instant de l'ordre secret de le retenir.

Les orateurs de son parlement avouent que l'Angleterre est connue des autres cours par son extrême égoïsme; mais sans rappeler ses anciens excès, n'est-il pas connu de toute l'Europe que depuis sa nouvelle agression contre la France, tous les actes du cabinet de Londres ne forment qu'une succession d'attentats contre le droit des

gens, témoin la violation de la neutralité maritime, la théorie absurde du blocus, et cette con. duite atroce envers les frégates espagnoles?

Qu'a fait l'Autriche?

Conservée deux fois sur ses trones, jouissant même de nouvelles concessions qui lui avaient été faites, dans l'objet de rehausser la dignité du chef de l'empire germanique, elle n'avait qu'à se féliciter du rang qu'elle occupait.

Tout à coup et au milieu des plus affectueuses protestations de bon voisinage et d'amitié, lorsque le coup fatal va être porté à l'Angleterre, elle développe ses bataillons et occupe la Bavière.

L'Autriche viole donc la foi des traités; elle manque à sa dignité en se mettant aux gages d'un gouvernement qui outrage tous les príncipes, et elle déchire de ses propres mains le pacte germanique.

On voit à présent pourquoi, dans un temps où il semblait qu'elle n'avait aucun titre à ambitionner, elle en a pris un nouveau, au grand étonnement de l'Europe. C'est que dès lors le cabinet de Vienne avait la conscience du sort qui l'attendait, et que, décidé à rompre tous les liens qui l'attachaient au corps de l'Empire, il sentait que les droits s'effaçaient là où les devoirs étaient mé

connus.

Enfin l'Autriche n'oublie-t-elle pas ses intérêts, lorsqu'elle paraît unir sa destinée à cette nation moitié européenne, moitié asiatique, qui peut un jour lui faire payer bien cher son aveugle intervention?

Quel est donc ce nouvel intérêt qui a pu déterminer le cabinet de Saint-Pétersbourg à oublier nos procédés et à changer ses maximes?

La fille de Pierre 1er avait publié, en 1745, toute la reconnaissance qu'elle devait au cabinet de Versailles, pour avoir condescendu à ce qu'elle portât le titre d'Impériale.

L'impératrice Catherine s'était réunie à la France pour proclamer les principes de la navigation. Ceux que l'Empereur Napoléon veut faire revivre ne sont autres que les axiomes qui avaient été reconnus dans tous les temps, et qui furent consacrés par la France et la Russie dans le traité de 1787.

Cependant le successeur de Catherine fait aujourd'hui cause commune avec le gouvernement anglais, qui ne combat que pour s'arroger la domination exclusive des mers contre la France, qui ne résiste que pour maintenir l'indépendancé des pavillons.

Chose étrange l'Angleterre incendie l'Europe sous prétexte de défendre le système continental. et la Russie et l'Autriche s'avancent vers le midi du continent pour faire triompher le despotisme que les Anglais exercent sur les mers.

Oui, oui, les cabinet de Londres, de Pétersbourg et de Vienne n'invoquent que de vains prétextes. Les preuves irrécusables en sont consignées dans l'exposé si remarquable par sa précision, sa force, sa dignité, de la conduite réciproque de la France et de l'Autriche depuis la paix de Lunéville, présentée à Sa Majesté par son ministre des relations extérieures.

Nous ne sommes encore en guerre avec l'Autriche que parce que la guerre est le principal élément de sa fortune, et que son influence politique ne peut exister que par les discordes dù continent.

Les ministres de Pétersbourg et de Vienne sont accoutumés à céder à l'or des Anglais.

Les anciens projets des princes de Russie sont

connus

Quant à l'Autriche, les princes de cette maison sont encore agités par leur haine héréditaire contre la France, par la crainte qu'ils ont de sa ruine, par le fol espoir de réunir quelques débris d'un trône qu'ils regardent comme prêt à s'écrouler, et par leur ambition sans cesse renaissante de joindre la Bavière à leurs Etats.

Ainsi, la France est audacieusement menacée; le territoire de ses alliés est envahi, la confusion règne dans toute l'Allemagne; il n'y a pas à délibérer l'Empereur des Français doit à l'honneur national, à la sûreté de nos frontières et à sa gloire de repousser la force par la force.

Cette guerre commence par un prodige... Comment appeler autrement cette apparition subite et instantanée de l'armée de la Manche sur les bords du Rhin?

Les calamités inséparables de la guerre ne peuvent être trop déplorées : mais quelle consolation pour le peuple français que d'avoir vu tous les efforts, tous les sacrifices que son Empereur a faits pour la prévenir !

La guerre n'aurait pas éclaté avec l'Angleterre, si le cabinet de Londres n'avait voulu qu'une chose, la paix.

Qui de nous ne se souvient avec émotion des tendres sollicitudes que l'Empereur manifestait, lorsqu'au nom de la justice et de l'humanité il serenfermait dans l'exécution du traité d'Amiens? Qui de nous n'a pas été pénétré de la plus profonde sensibilité, lorsque l'Empereur exprimait de si énergiques regrets sur le mal qu'une nouvelle guerre maritime ferait au commerce, et que par une temporisation si difficile pour un si grand caractère, il diminuait, plus qu'on ne pouvait l'espérer, le nombre des victimes?

Ses dispositions étaient les mêmes, lorsque le continent de l'Europe a paru_s'ébranler.

Enfin, la longanimité de l'Empereur a été telle que des serviteurs fidèles des Français qui aiment ardemment leur pays, se sont demandé s'il était vrai que Bonaparte se fût laissé tromper ou prévenir.

Pour nous, Messieurs, rendons grâce à un prince qui n'a connu que la victoire, qui est né pour régner sur la plus belle des nations de l'univers, et qui sait arrêter l'élan de sa grande âme, lorsqu'il s'agit d'épargner le sang des hommes.

Notre confiance ne peut être déçue; notre sécurité ne peut être troublée.

L'histoire a-t-elle jamais parlé d'une force militaire pareille à celle qui fait aujourd'hui notre appui et notre orgueil ?

Je ne parle pas du nombre de nos guerriers; il est im nense; mais quelle composition est celle de nos armées! Quels soldats! Quels capitaines ! Presque tous n'auront qu'à reconnaître les champs où ils ont vaincu.

L'âme s'élève, s'agrandit, le cœur s'émeut, lorsqu'on voit ce grand homme environné des héros qu'il a formés, et animant par sa présence ces milliers de braves qu'un seul de ses regards rend capables de tous les prodiges.

Dans l'intérieur chacun fera son devoir. Cette cause est celle de la nation tout entière.

Il ne s'agit de rien moins que de savoir si la France sera assujettie à subir des conditions avilissantes, si notre pavillon sera humilié, si les Anglais n'oseront pas mettre pour condition à la paix maritime, qu'ils auront encore un commis saire à Dunkerque, si nous ne pourrons recevoir les étrangers dans nos ports qu'avec la permission de l'Angleterre, si des puissances qui nous séparent de nos ennemis ne seront pas subjuguées,

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si nous ne devons pas laisser établir dans l'Adriatique un nouveau pouvoir qui rompe l'équilibre de la Méditerranée, si enfin nous ne serons pas condamnés à souffrir que le titre et les droits de grande nation nous soient ignominieusement enlevés.

Chacun fera son devoir: la voix du sauveur de la France pénètre dans tous les cœurs tous les vœux, toutes les volontés s'uniront aux efforts de l'armée; aucun sacrifice ne sera pénible. La garde nationale, qui ne se forma en 1789 que pour procurer à la nation les garanties que Napoléon lui a depuis assurées, sera fière de la glorieuse destination qu'elle est appelée à remplir. Enfin l'Empereur a fait un appel à l'honneur: les Français y répondront par leur reconnaissance, et qu'il soit permis de le dire, par leur respectueuse et inviolable affection pour la personne sacrée de Sa Majesté.

Non, Messieurs, le résultat ne peut être incertain. La paix sera rendue au monde; la liberté des mers sera entière; les principes sociaux seront à l'abri de nouveaux déchirements; l'Europe sera assise sur des bases fermes et inébranlables, nos alliés seront garantis de toute insulte; les traités de Westphalie et de Munster seront remplacés par des capitulations analogues à la nouvelle position du continent. La Russie restera près du pôle, et pour l'exemple des principes et la sûreté des nations, il faudra bien que l'Autriche, qui rompt la confédération pour se rendre complice des pirateries du cabinet de Londres, trouve son jugement dans ces paroles remarquables, consignées par l'empereur Charles IV dans la fameuse bulle d'or Omne regnum in se ipsum divisum desolabitur; nam principes ejus facti sunt socii furum.

Je vote pour le projet de la commission.

M. Auguste Jubé. Messieurs, cinq ans ne se sont pas encore écoulés depuis que le Gouvernement français, scellant du sceau de la victoire la paix continentale, promettait à ses nouveaux alliés sa généreuse assistance. Les yeux tournés vers les efforts réunis de trois Etats pour assurer l'indépendance de leur pavillon, il vous disait: « Les puissances du Nord, injustement attaquées, «ont droit de compter sur la France. Le Gouver«nement français vengera avec elles une injure «< commune à toutes les nations, sans perdre « jamais de vue qu'il ne doit combattre que pour «la paix et pour le bonheur du monde. »

Depuis cette glorieuse époque, un seul instant n'a point été perdu pour remplir cet engagement magnanime. Toutes les ressources ont été réunies; ce qui existait a été employé ; ce qui manquait a été créé, et l'océan étonné a vu nos phalanges victorieuses travailler à briser le joug qui tient ses ondes asservies.

Mais, aveuglement! les puissances les plus intéressées aux succès de notre entreprise en suspendent l'exécution. Etrange garantie que celle qui a pour but d'assurer la honte de leur pavillon, et de cimenter cet avilissement par le sang de leurs soldats!

Philippe de Macédoine ne regardait comme imprenables que les places où son or ne pouvait pénétrer. L'histoire des temps où nous vivons dira peut-être combien sont chancelants sur leurs trônes les princes dont les ministres sont accessibles à l'or de l'Angleterre, de l'Angleterre qui ne s'applaudira pas longtemps d'avoir ainsi détourné sur d'autres têtes la foudre prête à écraser la sienne.

Bien loin d'imiter l'inébranlable persévérance

de l'héritier du trône et de la politique du grand Frédéric, l'Autriche, constante dans sa jalouzie, le Czar, infidèle aux leçons de son aïeule, sacrifient leur propre cause aux intérêts du cabinet de Saint-James, et veulent tenter encore les hasards de la guerre. Mais les champs que foulent déjà les armées françaises sont couverts de leurs trophées; tout y parle de leur gloire : les appeler à de nouveaux combats, c'est leur assurer de nouvelles victoires.

Quel spectacle en effet, Messieurs, que cette armée innombrable comme ces troupes de barbares, disciplinée comme une légion romaine, qui voit à sa tête tant de généraux dont la France s'honore, et au-dessus d'eux un chef dont ils s'honorent eux-mêmes!

Ah! ce n'est point par une vaine présomption que nous devançons la voix de la renommée! Qui ne peut prédire comme nous les merveilles de la campagne qui s'ouvre au moment où l'on s'occupait autrefois de l'emplacement des quartiers d'hiver? Qui ne peut calculer toutes les chances qu'offre la réunion de la science militaire possédée au degré le plus éminent, de la bravoure la mieux éprouvée, de la considération la plus imposante dont puisse jouir une tête couronnée, et de cette fortune constante que le ciel n'accorde qu'à ceux qu'il a en même temps favorisés des qualités les plus accomplies? Quand un tel chef ne tire l'épée que pour l'indépendance de sa nation ou pour la défense de ses alliés, et qu'il a pour soldats des Français, il n'est pas de succès auxquels ses armes ne puissent prétendre.

Prince qui, pour le plus noble des motifs, allez encore affronter de nouveaux dangers, vous qui (pour me servir des expressions de ce Romain illustre, non moins recommandable par son dévouement à sa patrie que par son éloquence) avez livré plus de combats que les autres n'en ont lu, qui avez appris l'art de la guerre, non par l'expérience des vieux capitaines, mais par la vôtre, non par des exemples étrangers, mais par vos propres victoires, non par le nombre de vos campagnes, mais par une suite brillante et non interrompue de triomphes, croyez que le peuple français ne restera point spectateur oisif de la lutte honorable où vous entraîne la mauvaise foi de ses ennemis. L'élite de sa jeunesse rougirait d'une langueur inutile; elle volera sur vos pas, sur les traces de ces autres Français généreux réunis sous vos étendards, et que vous avez si souvent guidés dans le chemin de la gloire. Le peuple entier, répondant à l'appel que lui fait Votre Majesté, reprendra ces armes fatales aux coalitions réunies contre son indépendance. Il ne souffrira point que, par la moindre lenteur dans le paiement des contributions, la solde, les vivres, l'habillement, l'armement de tant de braves puissent cesser un moment d'être assurés, et que la rapidité de vos opérations militaires puisse en être retardée. Elle sait, cette grande nation, que les calamités de la guerre ne peuvent être rejetées sur vos ennemis qu'en déployant cette énergie que doivent lui inspirer la justice de sa cause, la valeur de vos troupes, et le génie qui s'est chargé de leur direction.

Prince, vous avez justifié sa confiance et mérité son amour. Votre personne est un dépôt sacré dont lui répond la valeur de nos armées, et sans la conservation duquel il n'y a point de victoire qui ne devienne à ses yeux un échec irréparable. Songez que tous vos projets, conçus pour sa gloire, que dis-je? pour le bonheur du monde, ont besoin, pour être exécutés, de tout

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