Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

tion de Pascal, et tout ce qui les avait frappés dans la première lecture approfondie qu'ils en avaient faite, ils considérèrent comme un devoir la publication de cette édition.

Nous en jouissons enfin; elle est dans nos mains, et c'est la seule que les admirateurs de Pascal reconnaîtront désormais. Comme l'a dit un homme d'esprit et de savoir, jusqu'ici nous avions des Pensées; maintenant nous possédons un ouvrage. Chacun des fragmens de l'auteur a été pour l'éditeur un texte en quelque sorte sacré nulle addition, nulle soudure; à peine quelques notes de loin en loin, mais, suivant la remarque d'un autre excellent juge en ces matières; si le manque de transition se laisse encore apercevoir, la simplicité du plan, la vigueur originelle du dessein de Pascal, sont telles que ce défaut n'apparaît nullement dans la suite et la progression des idées.

Veut-on un exemple? j'ouvre le chapitre de la grandeur de l'homme, et dans la nouvelle édition, je lis:

Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tête, car ce n'est que l'expérience qui nous apprend que sa tête est plus nécessaire que les pieds; mais je ne puis concevoir l'homme saus pensée; ce serait une pierre ou une brute.

C'est donc la pensée qui fait l'être de l'homme, et sans quoi on ne peut le concevoir. «< Qu'est-ce qui sent du plaisir en nous? Est-ce la main ? Est-ce le bras? Est-ce la chair? Est-ce le sang? On verra qu'il faut que ce soit quelque chose d'immatériel (alinea manquant dans le Ms). (t. 11, p. 83.) » L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser. Une vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt; et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien.- Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever, non de l'espace et de la durée que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale (Manque dans le Ms).

« L'homme est visiblement fait pour penser; c'est toute sa dignité et tout son mérite, et tout son devoir est de penser comme il faut; or l'ordre de la pensée est de commencer par soi, et par son auteur et sa fin. (p. 84.)

[ocr errors]

1 Gazette de France, feuilleton du 3 février. Nous devons ajouter ici que depuis lors M. Faugère a fait paraître en 1844 deux volumes intitulés : Pensées, fragmens et lettres de Blaise Pascal, publies pour la première fois conformément aux manuscrits originaux en grande partie inedits. C'est la seule édition calquée sur le manuscrit; nous corrigeons les citations de M. Frantin d'après cette édition, car c'est la seule qu'il faille citer désor mais.

» La pensée de l'homme est une chose admirable et incomparable par sa nature. Il fallait qu'elle eût d'étranges défauts pour être méprisable. Mais elle en a de tels, que rien n'est plus ridicule. Qu'elle est grande par sa nature! Qu'elle est basse par ses défauts! (p. 85.)

מ

Malgré la vue de toutes nos misères qui nous touchent, qui nous tiennent à la gorge, nous avons un instinct que nous ne pouvons réprimer, qui nous élève.

D

La grandeur de l'homme est si visible qu'elle se tire même de sa misère. Car ce qui est nature aux animaux, nous l'appelons misère en l'homme, par où nous reconnaissons que la nature étant aujourd'hui pareille à celle des animaux, il est déchu d'une meilleure nature, qui lui était propre autrefois.

>>

Qui se trouve malheureux de n'être pas roi, sinon un roi dépossédé ? Trouvait-on Paul-Emile malheureux de n'être plus consul?... La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable, c'est donc être misérable que de se connaître misérable; mais c'est être grand que de connaître qu'on est misérable. Toutes ces misères-là même prouvent sa grandeur. Ce sont misères de grand seigneur, misères d'un roi dépossédé. (p. 81, 82.)

» Nous avons une si grande idée de l'âme de l'homme que nous ne pouvons souffrir d'en être méprisés, et de n'être pas dans l'estime d'une âme; et toute la félicité des hommes consiste dans cette estime.

>> La plus grande bassesse de l'homme est la recherche de la gloire, mais c'est cela même qui est la plus grande marque de son excellence... L'homme estime si grande la raison de l'homme que, quelqu'avantage qu'il ait sur la terre, s'il n'est placé avantageusement aussi dans la raison de l'homme, il n'est pas content. C'est la plus belle place du monde, etc., etc.'.

Certes, il est difficile de nier la parenté intime, tranchons le mot, l'étroite connexité de toutes ces pensées. Eh bien ! prenez PortRoyal, et vous verrez que la 3o et la 4o y sont classées, l'une dans le chapitre XXIII, l'autre dans le chap. IX de cette édition; vous verrez de plus que les autres fragmens que vous venez de lire ne s'enchaînent point du tout les uns aux autres, et ne se suivent aucunement. La pensée que l'homme n'est qu'un roseau pensant est à deux pages de distance de la pensée sur l'immortalité de l'âme, et rien ne lie ces deux idées entre elles.

Prenez Bossut c'est pis encore. Le troisième fragment appartient à la première partie de son travail, et le quatrième à la seconde. Ceux de ces fragmens qui sont le moins séparés sont placés dans la première partie, mais sous deux divisions différentes. Enfin tous, excepté un, lui paraissent se rapporter à 'T. 1, p. 80-85 de l'édition de M. Faugère.

une conception purement philosophique et morale, comme celle des pensées de la Rochefoucauld, par exemple, et nullement à une conception religieuse.

Et pourtant ceci n'est point chose facultative et indifférente il y va de l'intelligence de tout le livre de Pascal. Aux yeux de l'auteur des Pensées, déchéance et réhabilitation, voilà tout l'homme, toute la religion. Voilà l'unique vérité qui importe à chacun de nous; hors de là, il n'estime pas que toute la philosophic vaille une heure de peine. C'est au service exclusif de cette unique vérité, que Pascal avait dévoué son génie. C'est pour la faire valoir, c'est pour qu'elle rayonnât de toute sa lumière dans les intelligences paralysées par l'indifférence ou obscurcies par le doute, qu'il avait pris la plume, et non pour la vanité de faire un livre. Cette idée fondamentale, qui seule donne le mot de la grande énigme de l'homme, de son origine et de sa fin, obsédait en quelque sorte Pascal; elle lui apparaissait partout, dans ses méditations, dans ses lectures, dans ses observations les plus diverses. Elle est au fond de presque chacune de ses Pensées, et la plupart s'y rattachent par quelque lien secret pour qui sait le lire et l'entendre.

Le nouvel éditeur ( et ce point serait capital à lui seul ) a restitué à cette idée-mère toute sa prédominance. Toutefois la justesse de son esprit a su le préserver d'un autre écueil, celui d'une unité trop systématique et trop absolue. Il a reconnu que, dans les papiers de Pascal, se trouvaient plusieurs fragmens antérieurs peut-être et certainement étrangers à son grand travail apologétique. Telles sont les réflexions sur la géométrie en général, sottement mutilées par le géomètre Bossut; tel le discours sur les différences de l'esprit géométrique, de l'esprit de justesse et de celui de finesse. Quelques pensées détachées de littérature, ou de morale purement humaine, n'auraient pu sans effort et sans témérité se voir introduites dans le corps de l'ouvrage. M. Frantin a eu la sagesse de rejeter ces fragmens et ces pensées à la fin de son volume.

Mais il n'en a point usé de même, ni pour le discours sur la condition des grands, ni pour l'entretien sur Epictète et Montaigue, ni pour l'écrit de Pascal sur les miracles, et nous l'en félicitons sincère

ment.

TOME XI. N. 61. 1835.- 2 édition. 1846.

2

Sans doute le morceau sur la condition des grands, simple allocution au duc de Roannez ( le même qui eut tant de part à la première édition des Pensées), n'était point destiné à l'apologétique projeté par Pascal. Mais les idées qui constituent le fond de ce discours appartiennent visiblement à la haute conception chrétienne qui inspirait cet ouvrage. Elles y auraient incontestablement trouvé place, et leur absence y ferait lacune. Qu'importe donc le cadre sous lequel ces idées nous ont été transmises, si elles font corps avec les pensées de Pascal sur les opinions populaires, si elles développent et complètent ces pensées? La forme dramatiquement familière de tout ce morceau rompt au contraire avec bonheur l'uniformité forcée d'une série de considérations aussi graves que celles dont se compose le livre de Pascal.

Cette justification s'applique avec plus de plénitude encore à l'en.. tretien sur Epictète et Montaigne. Ce beau parallèle résume trop bien les sept chapitres sur l'homme et toute la philosophie religieuse de Pascal, pour que M. Frantin dût hésiter à s'en emparer, à en épurer le texte (comme il l'a fait en conférant les variantes, et en préférant toujours les leçons les plus heureuses), et à en faire comme le couronnement de tout ce qui précède. Il est vrai qu'ici le rédacteur est Fontaine ou Sacy, comme tout à l'heure c'était Nicole. Mais, si la sagesse de Pascal a eu ce point de ressemblance avec la sagesse socratique, qu'elle a été recueillie et conservée par des amis, nul du moins n'a suspecté la fidélité de leur mémoire, et l'éloquente originalité de la parole de Pascal perce encore dans ces échos affaiblis, avec une si incomparable énergie, qu'on ne citerait dans tout Sacy et dans tout Nicole rien qui approche de la vigueur de style de ces deux

morceaux.

Les pensées sur les miracles et celles sur la mort ne souffraient pas même cette objection superficielle; car ici la rédaction est bien de Pascal. Elles n'avaient point été directement écrites pour son grand ouvrage, mais à l'occasion de faits tout domestiques la mort d'Étienne Pascal, son père, et le fameux miracle de la sainte Epine, opéré sur Mlle Périer, nièce de l'auteur. Cependant il se trouvait là, surtout dans les pensées sur la mort, de si belles choses et d'une application si générale, que Bossut, comme Port-Royal, en avait consacré l'incor

poration dans le livre des Pensées; toute édition qui eût supprimé ces deux chapitres eût à bon droit passé pour incomplète.

:

Il est un reproche pourtant que nous ferons à M. Frantin c'est de n'avoir pas religieusement conservé à chaque fragment, si je l'ose dire, son individualité, tout en le rapprochant de tel autre qu'il ne fait que continuer. J'aurais aimé que chacun des chiffons de papier trouvés sur le bureau de Pascal eût gardé, non plus son isolement, mais sa place distincte, en obtenant toujours, à la suite du fragment auquel il se rattache, un alinéa séparé. Il y aurait eu là un respect superstitieux, si l'on veut, pour ces débris d'une grande pensée; mais, quand il s'agit d'un Pascal, de pareils scrupules nous plaisent, et nous n'estimons point qu'il soit sans intérêt d'avoir cette pensée telle qu'il nous l'a réellement laissée, mâle, profonde, éloquente, mais sans cesse brisée par les hoquets de la maladie et les paroxysmes de la douleur.

Aussi bien laissons là toutes ces chicanes, et jouissons du beau et consciencieux labeur dont le fruit nous est offert. Le travail d'un éditeur n'est point assez prisé de nos jours. On ne tient pas assez de compte à un homme capable de penser par lui-même, de ce qu'il a dépensé de tems et de dévoûment à rechercher, à éclaircir, à épurer la pensée d'un autre. On ne sent pas assez tout ce qu'il faut de patiente ardeur et de minutieux discernement pour une pareille tâche. Au 16° siècle, au tems des sérieux et longs travaux, une édition suffisait à créer une réputation littéraire; au 19°, au tems des travaux fashionnables, nous pouvons prédire à M. Frantin qu'on lui saura bien moins de gré d'avoir restauré Pascal, que s'il eût écrit tel roman de la veille ou tel feuilleton du jour; mais aussi on s'en souviendra plus longtems.

Nous n'avons parlé d'ailleurs que de l'édition proprement dite, et le discours préliminaire, quelque court qu'il soit, mériterait à lui seul un examen approfondi. Il y a là sur la philosophie de Pascal, considéré soit comme psychologue, soit comme le précurseur de la réaction dont nous sommes témoins contre Descartes, tout un point de vue complétement neuf et singulièrement fécond, qui donne à la publication du livre des Pensées une actualité inattendue.

Ce discours préliminaire a je ne sais quoi de simple et de solen

« VorigeDoorgaan »