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DE PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE.

Numéro 66. — Décembre 1835.

Histoire.

PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE

EN ALLEMAGNE.

On commence maintenant à comprendre que la Religion tout entière repose sur la tradition, c'est-à-dire sur l'histoire, et non sur le raisonnement. Aussi faut-il reconnaître que si depuis quelque tems on a mieux apprécié le Christianisme et l'influence bienfaisante de l'Eglise sur les destinées des peuples, c'est aux découvertes historiques qu'on en est redevable, et surtout aux progrès de cette partie de la science historique que l'on appelle Philosophie de l'Histoire. Et cependant cette science est encore peu avancée, peu connue en France. Nous avons souvent, dans les Annales, rendu justice au mérite de quelques-uns de nos historiens actuels, nous avons signalé la justesse de leurs jugemens, l'élévation ou la profondeur de leurs vues, et surtout leurs recherches infatigables; mais nous avons fait observer aussi que leur esprit était antichrétien, ou sceptique, par conséquent étroit, obscur, faux. C'est en Allemagne qu'il faut aller rechercher les écrivains qui ont annoncé, préparé, effectué en partie, cette réhabilitation de la science historique, en y examinant avec plus d'attention et de respect l'action de Dieu sur ce monde, les rapports qu'il a eus avec ses créatures. Connaître ces travaux et les populariser en France, c'est ce que doivent désirer tous ceux qui s'occupent d'histoire et qui s'intéressent à la Religion. C'est aussi ce qui nous a décidés à donner une suite d'articles sur cette importante question. Nos lecteurs y trouveN. 66. 1835. - 2° édition 1846.

TOME XI.

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ront, ce que plusieurs nous ont déjà demandé, la connaissance des progrès qui ont eu lieu en Allemagne, dans cette partie de la philosophie qui s'occupe de l'histoire: Entre tous ceux qui ont contribué à donner une impulsion meilleure aux études historiques, il faut citer FRÉDÉRIC SCHLEGEL et son bel ouvrage sur la Philosophie de l'Histoire. Malheureusement cet ouvrage n'est pas encore traduit en français. Aussi nous croyons que nos abonnés liront avec plaisir la partie qui traite de philosophie de l'histoire du Paganisme, et du caractère historique de quelques peuples anciens, laquelle a été traduite sur l'original par un de nos amis, M. E. BORÉ. Nous recommandons ces articles à l'attention et aux réflexions de nos lecteurs'.

Dans la Bible, ce n'est pas la chronologie qu'il faut rechercher, Mais la vraie connaissance de l'homme. Le système libéral de l'histoire regarde l'homme comme un animal ennobli Le système religieux le regarde comme fait à l'image de Dieu. - C'est là la base historique de l'histoire. -Changemens qu'il y introduit. Théorie légitime de l'histoire. Comment l'homme est véritablement progressif. Triade psychologique dans l'homme. Application de ces principes à l'histoire.

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«Notre but n'est pas ici de commenter la table Mosaïque des peuples, déjà commentée de cent manières contraires, et toujours interprétée différemment selon les vues systématiques et prédominantes de chaque historien. Cette table, regardée communément comme la base nécessaire de toute exposition historique, ne peut néanmoins, d'après la méthode fausse et arbitraire qui domine, subordonner à ses récits les dates historiques admises, sans les forcer plus ou moins; et c'est ce qui prouve que tel n'est point son véritable but, ni la profondeur du sens historique qu'elle contient. Nous rencontrons, dans ces archives sacrées de la vérité divine, un autre principe qui les pénètre plus profondément, et qui, très-applicable à l'histoire universelle, et à la pbilosophie, est en même tems d'une haute simplicité, et embrasse toutes choses. Ce principe remonte à l'origine du premier homme; il est placé en tête de la révélation, comme le principe originaire et fondamental; et il n'est que l'idée de l'image divine empreinte dans l'homme, idée d'où dérivent sa nature →Voir la notice insérée sur cet 'auteur dans le n. 51, t. ix, p. 241.

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propre, les conditions de sa vie, et sa fin dernière. Maintenant, comme ce même principe se retrouve au fond de tout développement humain, il est nécessaire, avant de terminer l'époque antique, et de passer à notre seconde partie, de le considérer de plus près, et d'en rendre compte d'une manière suffisamment détaillée.

De l'une ou l'autre idée qu'on adopte sur l'homme, naissent deux points de vue historiques principaux, ou plutôt deux grands partis qui se partagent le domaine scientifique de l'histoire et de la critique. Que dans ces deux partis de tout tems opposés, il ne faille point comprendre l'écrivain exclusivement retranché dans le détail des faits, sans porter plus loin ses vues sur tout l'ensemble, ou encore tels autres esprits qui, toujours chancelant dans leurs pensées, ne saisissent rien avec clarté, et n'ont aucnne idée fixe; c'est ce qui ressort de la nature même des autres choses, et ce qui ne demande aucune explication ultérieure.

Ainsi, ou l'homme est un animal seulement ennobli, puís insensiblement dressé à la raison, et s'élevant enfin jusqu'au génie ; et alors toute l'histoire de la civilisation ne fait que retracer les progrès qui l'élèvent de degré en degré sur l'échelle de la perfection infinie. On pourrait, en un certain sens, et sous le rapport scientifique, appeler ceci le système libéral de l'histoire du monde, système qui peutêtre n'a jamais été déduit avec une si grande rigueur mathématique et aussi clairement que par un fameux penseur français', tout épris de cette idée, et qui dans son tems fut le martyr de ce même principe.

Dans cette double considération de la vie humaine, et dans ce conflit d'opinions sur la manière de saisir et de pénétrer les conditions générales de l'humanité, il s'agit bien moins de ces dogmes où chacun, suivant l'attrait de sa conscience, et pour ses besoins spirituels, comme pour ses espérances dernières, puise la lumière, la grâce, la force et le calme nécessaires, que de cet article unique de foi sur l'homme et sur le principe qui constitue son existence propre, sa nature intime, et sa haute vocation, ce qu'admettent

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Nos lecteurs reconnaîtront, facilement ici le fameux J.-J. Rousseau. Son système a été jugé presque dans le même sens dans le n. 6, tome 1, p. 351 des Annales.

l'une et l'autre opinion, et d'où résultent le système religieux, ou, si j'ose l'appeler de la sorte, la religion de l'histoire, comme aussi son irréligion.

Cette idée de la perfectibilité indéfinie de l'humanité a quelque chose de fort spécieux pour la raison; et tant qu'on la regarde seulement comme un penchant et une faculté possible, elle renferme évidemment un grand fond de vérité; si ce n'est cependant qu'elle traîne d'ordinaire à sa suite une corruptibilité équivalente. Mais, appliquée à la généralité et à l'ensemble de l'histoire, cette opinion ne porte véritablement sur aucun principe juste; puisque l'idée si fausse d'un animal capable de perfectionnement et d'un développement sans bornes, n'en est point un; et ainsi dans la science en général, comme dans la vie et dans l'histoire, il n'y a de véritable principe que celui qui remonte à Dieu. De plus, l'histoire manque alors d'une fin; car une pure progression dans l'infini ne peut être appelée de ce nom; elle ne donne ni but déterminé, ni terme positif. Quant à l'application de l'idée de perfectibilité à la masse des faits historiques, on y rencontre d'énormes difficultés, vu qu'elle ne suit pas constamment la loi abstraite d'un développement indéfiniment progressif; en effet, elle s'offre et se manifeste souvent, et cela, non pas chez quelques nations détachées, mais dans toute une grande période historique, comme une loi qui s'accomplit d'après des voies naturelles. Ce fait qui lui est contraire, demeure, à proprement parler, toujours inexplicable pour ce système de rationalisme historique, ou, s'il vient à être éclairci, il ne peut encore se concilier avec cette exposition libérale. Mais, ainsi que l'homme et l'humanité se jettent souvent, par un écart excentrique, hors de la voie et de la perfectibilité infinie qu'elle lui trace mathématiquement, ou viennent encore à rétrograder d'une manière sensible, comme il arrive dans des tems marqués, aux planètes de notre horizon céleste; de même l'historien penseur et philosophe, qui procède par ce principe, se place en dehors de notre sphère; et la marche qu'il fait prendre aux événemens et aux siècles, au mépris des premières règles fondamentales, n'aboutit qu'à lui causer un dépit historique extrême, qui du présent s'étend bien avant dans l'avenir, et se répand à la fois sur tout le passé, qu'il juge ensuite, aux fausses lueurs de l'esprit du tenis, si passionné, et

avec cette amertume libérale, perverse et si partiale que n'éclaire point la douce et pleine lumière de la vérité '.

Mais l'homme n'est pas seulement un animal ennobli, capable d'intelligence, et même de s'élever à la hauteur du génie; la prérogative qui le distingue proprement, comme ce qui constitue son essence, sa nature et sa fin, c'est d'être fait à l'image de Dieu. Ceci nous donne une base historique tout autre que la précédente; car, dès-lors, l'histoire générale de l'humanité n'a plus d'autre objet, ni d'autre but que de montrer la réparation de l'image divine en l'homme, et ce qui conduit à cette même réparation.

Que néanmoins, tout en supposant et en admettant cette origine sublime de l'homme, l'image de Dieu ait été altérée, rompue et violemment troublée dans le fond intime de sa conscience, ainsi que tout le reste de l'humanité; c'est une vérité que nous n'emprunterons point aux dogmes de la religion positive, parce que le sentiment intérieur de chacun, les expériences particulières de la vie, et un coup-d'œil général sur l'univers, peuvent déterminer et confirmer suffisamment notre conviction. De même il n'est personne qui, après s'être assuré positivement de la vérité de ce principe, que l'homme est une copie de la divinité, vérité dont les fragmens demi détruits des annales du monde antique déposent à chaque page, et dont le signe non encore totalement effacé se révèle au sentiment qui scrute le cœur humain, et qui en saisit les replis profonds et mystérieux, il n'est personne, dis-je, qui se trouble dans son espérance, ou qui puisse désespérer entièrement de la possibilité de la réparation, bien que cette image divine paraisse être ou soit en effet profondément ruinée dans l'homme. Sachant d'après notre nature et par notre expérience propre combien l'œuvre de la réparation est pénible, quelles difficultés il faut vaincre, et avec quelle facilité ce qu'un heureux effort avait fait obtenir est promptement perdu, si l'histoire de l'humanité ou du monde nous offre un état apparent ou réel de stagnation ou d'un mouvement rétrograde sensible, nous serons beaucoup plus à portée d'en juger la cause avec précision et

' Voyez un passage fort remarquable sur le même sujet de Niebuhr, t. 1, p. 92.

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