Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

Littérature Religieuse.

SAINT FRANÇOIS DE SALES..

Deuxième Article

Le style, c'est l'homme, ne peut se dire que de l'écrivain religieux.

[ocr errors][merged small]
[merged small][ocr errors]

de saint François de Sales.
Sa doctrine sur l'amour de Dieu.
la langue française. Auteurs contemporains.

cules inédits.

[ocr errors][merged small][merged small]

Le style, c'est l'homme : ce principe, tant de fois cité à faux, ne s'applique qu'à certains génies privilégiés qui ont su dans leurs ouvrages confondre l'homme et l'écrivain. Cette fusion n'est pas aussi facile et aussi commune qu'on pourrait le croire. Pour livrer ainsi son âme à nu devant le public, il faut une sorte de candeur dans le sentiment, et de naïveté dans la pensée, qui ne se rencontre guère au sein de nos civilisations compliquées. Depuis que la littérature est une profession, depuis qu'elle s'est faite l'esclave et non la reine de l'opinion, depuis que la langue en vieillissant a appris à travestir et à farder la pensée au lieu de la dévoiler et de la traduire, depuis qu'une préoccupation trop curieuse et trop savante de la forme a fait oublier le fond même des idées, le style, ce n'est plus l'homme, ce n'en est plus qu'une contrefaçon.

1 OEuvres complètes de saint François de Sales, nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée d'un grand nombre de pièces inédites, ornée de son portrait et d'nn fac-simile de son écriture, 16 vol. in-8, à 2 fr. 50 c. le volume. 1835, à Paris, chez J.-J. Blaise, libraire-éditeur, rue Férou-SaintSulpice, n. 24.

2 Voir le 1er article dans le n. 62 ci-dessus, p. 92.

Il en était autrement dans ces tems de foi et d'imagination naïves, où le style était toujours d'accord avec l'homme, parce que l'homme était toujours d'accord avec lui-même : c'est ce qui donne aux premiers poèmes chantés sur le berceau des peuples, un charme pareil à celui qui s'attache à ces airs simples et joyeux qui ont bercé notre enfance. Il est de ces écrivains qui, dans des tems plus avancés, ont su conserver cette primeur et cette virginité d'expression qui semblent n'appartenir qu'à la jeunesse du monde. Aussi, nous avons pour eux un amour de prédilection. Les autres sont nos maîtres, ceux-là seuls sont nos amis, et nous les admettons au foyer domestique, au partage de nos joies et de nos douleurs; nous les appelons des livres intimes. Cependant, il faut le reconnaître, même dans les ouvrages qui ont le plus de laisser-aller et d'abandon, il y a de l'art, et comme en général ils sont plutôt destinés à nos plaisirs qu'à notre instruction, la forme l'emporte encore trop souvent sur le fond: le style, c'est l'homme, mais ce n'est pas tout l'homme.

Il n'y a qu'une conviction forte et désintéressée, il n'y a que la foi religieuse qui puisse élever l'écrivain au-dessus de toute préoccupation mondaine, et donner à son style comme à sa pensée cette simplicité sublime, et cette bonne foi qui ne sont que la conscience appliquée à la littérature. Comme il n'écrit que pour s'édifier lui-même, ou pour édifier les autres, et nullement pour les charmer par de vaines paroles, il ne craint pas de blesser par une expression trop énergique où trop vulgaire les oreilles délicates. Il répand son âme en confession devant ses frères comme il le ferait devant Dieu; pour lui, ce n'est pas une œuvre d'art, c'est une œuvre de salut. Voyez les premiers Pères de l'Église, quoiqu'ils aient écrit dans des langues travaillées par une longue civilisation, énervées par la corruption et le mauvais goût, ils ont su en triompher à force de naturel et de génie ; ils ont soufflé en elles, si je puis m'exprimer ainsi, l'esprit divin dont ils étaient animés, et leur ont ainsi rendu la vie et la fraîcheur qu'elles avaient perdues au milieu des saturnales de la pensée humaine, et en lisant les Chrysostome, les Basile, les Jérôme, les Augustin, on ne peut s'empêcher de s'écrier: oui, le style e'est l'homme.

Les Pères de l'Église ont eu pour héritiers de leur foi, de leur gé

nie, de leur style, ces apôtres du moyen-âge, qui, par leur science et leur sainteté, ont continué la mission des premiers disciples du Christ. Je ne parle pas de ces théologiens opiniâtres, de ces champions de la dialectique, qui ont fait retentir les écoles de leurs vaines disputes, mais de ces hommes doux et humbles de cœur, qui ont prêché avec amour une religion d'amour, et ont répandu sur les peuples agenouillés à leurs pieds, avec les semences de la divine parole, les parfums de leur vertu et de leur douce éloquence; je parle de ces auteurs ascétiques qui ont exhalé dans des pages brûlantes ou onctueuses leur âme, ivre de saintes délices, je parle des saint Thomas, des saint Bernard, des Bonaventure, des Gerson, des Tauler, des sainte Thérèse, des A-Kempis, des François de Sales.

Avoir parlé de la personne de François de Sales, c'est avoir parlé de son style, car nul n'a su mieux fondre sa pensée et sa parole, nul n'a écrit avec plus de désintéressement et de bonne foi, nul ne s'est moins préoccupé de ce qu'on appelle la forme littéraire; qu'on en juge par ce qu'il en dit lui-même avec tant d'humilité dans une de ses préfaces. « Je ne fay pas profession d'estre escrivain, car la pesan»teur de mon esprit et la condition de ma vie exposée au service et » à l'abord de plusieurs ne le me sçauroient permettre'. Un des premiers génies de l'époque, un des pères de la langue française, le continuateur de saint Augustin, le précurseur de Fénelon, ne se croyait pas un écrivain!

"

[ocr errors]

"Son style naïf, dit l'évêque de Cambrai, montre une simplicité » aimable, qui est au-dessus de toutes les grâces de l'esprit profane. » Vous voyez un homme qui, avec une grande pénétration, et une » parfaite délicatesse pour juger du fond des choses, et pour connaî» tre le cœur humain, ne songeait qu'à parler en bon homme, pour » consoler, pour soulager, pour éclairer, pour perfectionner son pro» chain. Personne ne connaissait mieux que lui la haute perfection, >> mais il se rapetissait pour les petits, et ne dédaignait jamais rien. » Celui qui parlait de la pesanteur de son esprit, qui aurait eu

Préface du Traité de l'Amour de Dieu, p. 12..

[ocr errors]

avec

presque honte de passer pour un écrivain, est cependant un des plus délicieux auteurs que je connaisse. Le style, chez lui, c'était l'homme, mais l'homme devenu ange, s'il est permis de parler ainsi, l'homme avec tout ce que la nature peut donner de séduction, tout ce que l'étude et la religion peuvent ajouter de perfection et de grâce au plus heureux génie. Comme l'imagination de François de Sales est riche et brillante, son style coule à pleins bords avec une intarissable abondance, et quoiqu'il dédaigne souverainement, ainsi qu'il le dit lui-même, les conceptions d'une éloquence altière et bien empanachée. il sème sur son passage, et d'une main distraite, les plus riantes images, les plus belles fleurs de la poésie. Comme son cœur est doué d'une vive et exquise sensibilité, il se fait jour violemment, ou avec douceur, à travers l'expression; il l'anime, il la colore, il la transforme, il secoue les langes dans lesquels la langue française est encore emprisonnée, et lui communique je ne sais quelle ardeur virile, je ne sais quelle sève de jeunesse qu'elle n'avait pas encore, et que depuis elle a perdue. Enfin, comme la sensibilité est tempérée dans le saint évêque par une soumission d'enfant aux vérités et aux pratiques de la foi, par une piété aussi austère pour lui-même qu'indulgente pour les autres, il conserve au milieu du plus grand luxe de sa pensée et des plus impétueuses saillies de son imagination, ce calme et cette chasteté du chrétien, qui prêtent, sans qu'il y songe, un nouvel attrait à son style. Je ne puis mieux comparer l'éloquence de François de Sales qu'à un beau fleuve qui prend sa source dans les hautes et pures régions, et qui, descendu dans la plaine, élargit ses rives, afin de réfléchir une plus grande étendue du ciel, se pare, en passant, des fleurs de la prairie qu'il entraîne dans son cours, et ne porte en tribut à la mer que des ondes limpides et parfumées.

[ocr errors]

Quant à la doctrine de François de Sales, elle avait pour principe et pour fin l'amour de Dieu. Pouvait-elle en avoir une autre, cette âme tendre, expansive, qui, à l'aurore de la vie, dans tout l'éclat de la jeunesse et du talent, avait renoncé aux amours terrestres qui lui souriaient avec tant de charme, pour s'attacher à la beauté toujours ancienne et toujours nouvelle, qui avait échangé la coupe de la fortune et des plaisirs que sa lè

vre n'avait pas même effleurée contre le calice du Jardin des Olives. La Religion devait à François de Sales des dédommagemens, et il les a trouvés dans l'amour de Dieu. Afin de remplacer la jeune vierge que son père lui destinait, une autre Vierge lui tendit la main du haut des cieux, pour l'aider à y monter; au lieu de cette famille dont il eût été le chef et l'idole, il se fit le père de toutes les âmes souffrantes et délaissées. Dans sa pieuse exaltation, il choisit pour texte de ses méditations et de ses écrits le Cantique des Cantiques, comme le seul langage qui puisse répondre aux chastes élans de son âme. Il sonde avec une pudique audace la mystérieuse obscurité de ce chant d'hyménée; il explique, il commente, il développe ces symboles passionnés de l'amour divin avec un luxe d'images, une vivacité de sentiment, une variété et une complaisance dans les détails, qui scandaliseraient, si, en lisant François de Sales, il était encore possible de se croire sur la terre. Pourquoi, en parlant de Dieu et du bonheur de l'aimer, est-il sans cesse ramené vers les affections et les joies de la famille? Pourquoi se plaît-il tant à parler de l'épouse qui soupire après son bien-aimé, de la mère qui sourit à son enfant suspendu à sa mamelle? N'est-ce que cette aimable simplicité de la foi qui, pareille à la candeur de l'enfance, parle de tout sans mystère et sans embarras? Ne serait-ce pas plutôt un dernier soupir d'une âme ardente qui s'était purifiée sans s'éteindre dans la prière et dans les larmes ?.... Écoutons-le raconter lui-même, avec son style inimitable, les ravissemens de l'amour divin.

«L'avette va voletant çà et là au printemps sur les fleurs; non à » l'aventure, mais à dessein; non pour se recréer seulement à voir la » gaye diapreure du païsage, mais pour chercher le miel, lequel ayant » trouvé elle le succe et s'en charge; puis le portant dans sa ruche, » elle l'accommode artistement en séparant la cire, et d'icelle faisant lé » bornal, dans lequel elle reserve le miel pour l'hyver suivant. Or, » telle est l'ame devote en la méditation. Elle va de mystere en mys» tere, non point à la volée ny pour se consoler seulement à voir » l'admirable beauté de ces divins objets; mais destinement et à » dessein pour trouver des motifs d'amour ou de quelque celeste » affection; et les ayant trouvez elle les tire à soy, elle les savoure,

« VorigeDoorgaan »