Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

lieu de faire des prêts, il achète, ce qui est plus grave; il n'est plus reporteur, il devient spéculateur.

« Au lieu de prêter des fonds, il devint nécessaire d'acheter des « rentes, dont la place était encombrée. La première opération de ce « genre fut faite au mois de novembre, en participation avec divers «< banquiers réunis dans le dessein de venir au secours de la Bourse <«< très alarmée. Le Trésor y acquit un million de rentes au prix de «69 fr. Il en acheta encore successivement: 10 une partie de 325,500 fr. « à raison de 69 fr. 45, pour remplacer au dépôt fait à la Banque <«< une pareille quantité précédemment prise à l'effet de compléter « l'emprunt de 14,925,500 fr.; 20 de la compagnie des agents de « change, 651,000 fr., à 68 fr. 60; 3° et enfin des banquiers réunis, « 952,500, à 69 fr. 75; en tout 2,929,000 francs qui, au prix moyen « de 69 fr. 23, ont coûté 40,579,603 franes. A la fin de décembre, le << Trésor avait encore en prêts sur reports 6,562,725 francs. Cette <«<somme lui est rentrée dans le courant de janvier 1819. »

Quant aux rentes, elles sont restées dans les caisses du Trésor pendant un certain nombre d'années ; c'était comme une annulation pour partie de l'emprunt qu'on avait émis; M. Benoist, qui cherche à justifier l'opération, ajoute que la perte a été insignifiante.

<< On trouvera d'abord, dit-il, que le Trésor, par la facilité d'escompte « donnée aux acquéreurs de l'emprunt de 14,925,500 francs, avait perdu « 550,000 franes; qu'ensuite en rachetant, au prix moyen de 69 fr. 23, « 2,929,000 francs de rentes qu'on peut supposer avoir fait partie de ce «< même emprunt vendu par le gouvernement à raison de 66 fr. 50, « il a encore perdu 1,643,950 francs; total des pertes, 2,193,950 franes; « que, d'autre part, il a gagné sur les reports 983,534 fr. 20, et qu'en « résultat il a perdu 1,210,315 fr. 80; mais les rentes achetées étant « restées au Trésor, et ayant acquis, depuis, une valeur très supé<«rieure au prix qu'il en a payé, on ne peut pas dire que l'opération << en masse ait été pécuniairement désavantageuse. »

M. Roy ne fut pas aussi accommodant; il condamna l'opération (5 avril 1821). Quant à M. Casimir Périer, il fut très violent (7 mars 1822). « Je crois devoir, dit-il, demander une explication sur une « somme qui avait été portée comme bénéfice au budget de 1819 et <«< dont le compte ne se trouve nulle part. En 1818, 38 millions furent << tirés du Trésor et employés en achats de rentes et en opérations «de Bourse, faites par le ministre qui avait alors le portefeuille des <«< finances. On nous a bien dit que de ses opérations était résulté un « bénéfice, mais je demande où sont les pièces qui établissent la quo«tité de ce bénéfice.

<« On a dit qu'il se montait à un million; mais, comme les sommes ont

[ocr errors]

« été enlevées du Trésor par les ordres particuliers du ministre et « qu'elles sont sorties absolument de la marche ordinaire du Trésor, je << demande où sont les bordereaux des agents de change, où sont les << dates de l'entrée et de la sortie de ces fonds des caisses du Trésor. Si • ces pièces existent, je demande qu'on nous les communique.

« ....Je demande donc qu'on nous soumette les différents borde

«reaux, »>

D'autres députés furent aussi très sévères. M. Duvergier de Hauranne, au contraire, prit la défense du ministre.

Il est certain que le ministre s'était étrangement découvert; il avait fait sous sa responsabilité des opérations très compromettantes. On dit que Corvetto fut extrêmement troublé de toutes, ces attaques et que les accusations dont il fut l'objet furent la cause du dérangement de sa santé.

Telle a été l'intervention de Corvetto à la Bourse. Si on se reporte à l'époque dont il s'agit et si on étudie le mouvement des cours, on ne voit pas que Corvetto ait amélioré d'une façon sérieuse le crédit de la France par les achats qu'il a faits quand la rente était à 69 francs. Le crédit de la France s'est constamment amélioré pendant cette période; mais si on suit la courbe des cours, on ne voit pas que cette courbe corresponde à autre chose qu'à l'amélioration générale de la situation financière. Il est certain que les cours de la rente sont un indice de la solidité de cette situation; mais lorsqu'on les élève d'une manière factice, cela ne veut pas dire que la situation financière soit bonne; les opérations de cette nature n'ont qu'un effet très momentané. Si on faisait un tableau graphique du cours des rentes depuis le commencement du siècle jusqu'à nos jours, on trouverait d'abord, d'une façon générale, que cette représentation graphique est constituée par une ligne tremblée, parce qu'il ne peut pas y avoir de fixité absolue dans les cours; c'est une ligne ondulée. Les raisons qui font que les cours s'abaissent un peu au-dessous ou s'élèvent un peu au-dessus du niveau moyen dans un temps calme échappent à l'analyse. C'est une conséquence des besoins ou des abondances d'argent. On voit ensuite que le niveau de la ligne ondulée s'élève à certaines époques; ces époques sont celles où la situation financière s'est améliorée. Enfin, de temps en temps le dessin représente comme des précipices ou comme des pics très élevés, et ces mouvements viennent briser le calme niveau qui précède ou qui suit. Si l'on recherche les événements qui se sont produits, alors on s'aper çoit que ce sont des événements qui devaient agir nécessairement sur le prix des capitaux, soit parce qu'on devait nécessairement avoir des inquiétudes sur la bonne situation des finances, soit parce qu'il

y avait une nécessité de se procurer des fonds pour des besoins im

prévus et urgents.

Les opérations des spéculateurs ont des effets tout à fait passagers quelle que soit la fortune des spéculateurs, quelque importants que soient les capitaux des maisons de banques, quel que soit le crédit des syndicats, tous ceux qui spéculent sont toujours moins riches que tout le monde. Ils peuvent bien, lorsqu'ils apprécient avec sagacité la situation prochaine des affaires, devancer de quelques jours, peut-être d'un mois ou six semaines, le moment où les cours auraient atteint naturellement une certaine élévation; mais s'ils se sont trompés, s'ils ont élevé par des achats les cours et si le mouvement d'amélioration prévu par eux ne se produit pas, tout le monde ayant plus de titres. qu'eux, les cours finissent par s'abaisser. Leur influence est donc beaucoup moins grande qu'on ne le croit généralement; et, si cela est vrai des grands syndicats, des grandes compagnies, des banques qui peuvent agir en secret et engager, sans avoir à rendre de comptes à personne, des dizaines et quelquefois plusieurs centaines de millions, ne peut-on pas le dire avec plus de raison des gouvernements qui, dans leurs interventions, n'ont jamais employé de capitaux très considérables? Sous Corvetto, on mettait en mouvement 40 millions; sous Calonne, ce n'était que 11 millions; sous Mollien, c'est 30 millions; et, à une époque plus récente, il s'est agi de près de 170 millions; c'est beaucoup plus, mais c'est encore bien peu de chose. Ce sont là des sommes dont le montant n'approche pas de la quantité de capitaux que le public peut, à certains moments, prêter aux spéculateurs, car on considère que la Bourse de Paris a souvent mis à la disposition des agents de change, dans une seule liquidation, 700, 800 et 900 millions de francs pour être employés en reports. On peut en conclure que la surélévation artificielle des cours ne peut avoir aucun effet permanent et que les gouvernements, en intervenant à la Bourse, font toujours une œuvre vaine.

J'en ai fourni jusqu'à présent trois exemples dans l'histoire financière du siècle.

Pour compléter le tableau, j'ai à y faire entrer une quatrième affaire, la plus récente de toutes, je veux parler d'un placement de 165 millions de francs en reports fait à la Bourse de Paris, il y a quatre ans, en 1881, par le ministre des finances, afin de sauver la place, comme on le disait alors, d'un désastre irréparable.

Le 31 décembre 1881 et les jours suivants jusqu'au 4 janvier 1882, le ministre des finances a fait acheter au comptant 2,305,000 francs de rente 3 p. 100 amortissable, c'est-à-dire des rentes du dernier emprunt, sur lesquelles il avait été appelé quatre cinquièmes du prix d'émis

sion. Le Trésor a déboursé, pour se faire livrer les titres en question et les faire entrer dans son portefeuille, une somme de 52,900,000 francs.

Le même jour, il revendait les mêmes rentes à terme, s'obligeant à les livrer en liquidation de fin janvier. Il opérait cette revente avec un écart à son profit; après les avoir achetées au comptant au cours de 85 fr. 48 en moyenne, il les revendait à terme au cours de 85 fr. 80; la différence, soit 250,000 franes, constituait le bénéfice du placement fait, pendant un mois, des 52,900,000 francs déboursés, et ce bénéfice représentait un taux d'intérêt de 5 fr. 68 centimes pour 100, par an. C'était un report très avantageux, c'est-à-dire produisant un bel intérêt, qui devait être suivi d'autres reports pour des sommes plus considérables encore et à des taux divers.

Pourquoi le ministre avait-il fait une semblable opération et dans quelles conditions se trouvait la place de Paris lorsqu'il s'était décidé à l'entreprendre?

Il faut, pour le comprendre, remonter un peu plus haut et jeter un coup d'œil en arrière sur la situation économique de l'année 1881. Le public avait réalisé dans les affaires depuis quelque temps de larges bénéfices et avait accumulé des épargnes dont l'importance est difficile à déterminer, mais qui montaient à un chiffre certainement beaucoup plus élevé qu'à l'ordinaire. Or il y a un accident économique qui se produit toujours de la même façon et qui se reproduira probablement pendant bien des siècles sans changement, que l'expérience peut faire prévoir, mais qu'elle a toujours été hors d'état de prévenir, et que sans doute elle ne préviendra jamais, parce qu'il est le résultat d'une maladie morale qu'on ne pourrait guérir qu'en modifiant la nature humaine. Quand les habitants d'un pays ont accumulé des épargnes extraordinaires dont le montant dépasse ce que le train courant des affaires peut absorber aisément, ils sont pris de vertige; ils se mettent à la recherche de placements avec inquiétude, avec hâte, et bientôt avec une furie singulière. C'est comme une frénésie qui leur fait perdre le jugement et qui les livre, bourgeois, rentiers et paysans, capitalistes, petits et grands, à des courtiers véreux qui les dupent et qui les volent. Ils ne se rendent plus compte des conditions naturelles des affaires; ils n'écoutent plus les conseils de la prudence, et, comme des papillons, ils se brûlent à toutes les chandelles. Ils perdent le sentiment de la réalité et croient au surnaturel.

C'est un accident qui s'est produit bien des fois en Angleterre, quoiqu'on y comprenne mieux qu'en France tout ce qui se rattache au mouvement des capitaux et qu'on y ait fait de grandes affaires longtemps avant nous et sur une plus vaste échelle.

Depuis la fin du XVIIe siècle, il y a eu de l'autre côté du détroit beau

coup de mania, comme on appelle ces sortes d'entraînements. Pour offrir des placements aux capitalistes affolés, on y a créé des sociétés très singulières qui pullulaient on ne sait comment, qui sortaient de je ne sais quels bas-fonds comme par une génération spontanée et qu'on appelait les bubble companies, les compagnies éruptives. Le dictionnaire des noms de ces compagnies est amusant; les unes ont pour objet le sauvetage des bâtiments naufragés avec un chargement de métaux précieux; d'autres ont pour but le commerce des cheveux de femmes, d'autres sont constituées pour assurer toutes sortes de risques, comme par exemple le risque d'infidélité des femmes. dans le mariage. M. Bagehot, qui a fait dans son livre sur le Money Market la revue de ces sociétés éphémères, donne la palme de l'impudence au fondateur d'une Société dont l'objet ne se dit pas. Le promoteur invitait le public à souscrire des actions de dix livres sterling et s'engageait à révéler le secret de l'entreprise un mois après que la souscription aurait abouti. Il paraît que 1,000 personnes se sont rencontrées, pour donner chacune dix livres sterling afin d'être dans l'affaire de la combinaison inconnue. C'était le mystère en actions.

Avons-nous le droit d'ailleurs de nous étonner des folies anglaises, et ne pourrait-on pas trouver chez nous de nombreux exemples d'entrainements tout aussi inexplicables?

Nous avons connu depuis dix ans la inanie des compagnies de chemins de fer, celle des compagnies d'assurances, et quels chemins de fer! quelles assurances! N'avons-nous pas connu aussi celle de compaguies tout à fait comparables à la Compagnie du mystère anglais? Elles étaient fondées par des personnages qui s'étaient acquis une certaine réputation d'habileté ou de bonheur dans les affaires de spéculation. Elles se constituaient en banques, dont les actionnaires devenaient les associés des grands spéculateurs. Pour quelles affaires? on l'ignorait. On savait seulement qu'on mettait une mise dans le jeu de soi-disant habiles hommes.

De 1876 à 1880 le terrain avait été admirablement préparé pour l'explosion de 1881; mais on ne pouvait pas s'attendre au feu d'artifice d'affaires de cette étourdissante année. Sur tous les murs on lisait alors des affiches qui conviaient le public à des émissions. Les petits capitalistes étaient désolés, quand ils n'avaient pas pu se faire attribuer des actions au pair à la répartition. Pour s'en consoler, ils couraient à la Bourse et y achetaient à prime ce qu'ils n'avaient pas pu obtenir au pair. Ils revendaient avec bénéfice au bout de peu de jours. Des étages de spéculateurs se superposaient les uns aux autres; on se passait, en courant, de main en main, le flambeau de la hausse; tout le monde gagnait, tout le monde était content.

« VorigeDoorgaan »