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fondre en larmes et pressa Mohammed d'aller aussitôt implorer en faveur d'Abd-Allah la clémence d'Ali. Mohammed courut auprès du khalife et intercéda pour obtenir la grâce du fils de Zobair; mais le généreux prince déclara que l'amnistie qu'il venait d'accorder comprenait tous ses adversaires, sans aucune exception (*).

Vainqueur d'Aïescha, Ali devait avoir bientôt un ennemi plus puissant à combattre : Moawiah, fils d'AbouSofian, n'avait pas oublié qu'au temps de l'idolâtrie, son père commandait aux tribus du Hedjaz. Ces tribus venaient de conquérir une partie de l'ancien monde, et Moawiah aspirait à ressaisir, au nom de l'islamisme, le pouvoir qu'au nom des dieux du paganisme avaient exercé ses ancêtres. Souple, rusé, inébranlable dans son ambition, il s'était créé, dans la Syrie qu'il gouvernait depuis quinze ans, des partisans nombreux et dévoués. Trop confiant dans son bon droit, Ali s'était cru assez fort, en arrivant au trône, pour changer tous les gouverneurs de province dont la foi lui paraissait douteuse. Moawiah se trouvait le premier porté sur la liste en vain le fils d'Abbas avait donné à son parent le sage conseil de déguiser son ressentiment jusqu'au jour où il pourrait s'y livrer sans contrainte; Ali avait cédé à des avis dictés par la trahison. « Le jour où j'allai offrir au

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qu'il fallait laisser Moawiah en toute « sécurité dans la Syrie, et que les << troubles une fois apaisés, je me chargerais de l'enlever à Damas pour << le conduire à Médine. Non, répondit Ali, entre lui et moi il n'y « aura que l'épée : une mort prompte « n'est pas à redouter si elle est glo« rieuse (*). » Ainsi emporté par un fanatisme de gloire et de loyauté, le khalife, avant même d'avoir vaincu Talha et Zobair, avait poussé à une prompte révolte le plus dangereux de ses rivaux. Non-seulement Moawiah méprisa l'ordre qui le rappelait à Médine, mais il fit suspendre dans la mosquée de Damas la robe sanglante que portait Othman le jour de son assassinat, et chaque fois qu'il faisait la prière au peuple, il appelait sur la tête d'Ali la vengeance du ciel, et l'accusait hautement d'avoir suscité les factieux qui s'étaient souillés du meurtre de leur khalife.

Excités par ces prédications chaque jours renouvelées, les Syriens ne tardèrent pas à prendre les armes, et bientôt soixante mille soldats formèrent à Moawiah une armée puissante que commandait le vainqueur de l'Égypte, Amrou-ben-el-As, alors gouverneur de la Palestine. Ali, triomphant à la bataille du Chameau, avait réuni, de son côté, dans l'Irak et la Perse, soixante-dix mille combattants. Les deux armées se rencontrèrent dans les plaines de Siffin, près de la ville de Racca, sur la rive occidentale de l'Euphrate (**); on était alors dans les

khalife l'hommage que je lui devais << à tant de titres, a dit Abd-Allah-ben« Abbas, je le trouvai en conférence « intime avec Moghaïra. Après le dé« part de cet officier, je demandai au « khalife quel avait été le sujet de leur entretien; Ali me répondit: Il y a quelques jours, Moghaïra me donnait « le conseil de confirmer Moawiah et (*) Voyez Aboulféda, Ann. moslem., p. 286. « les autres gouverneurs dans leur dignité jusqu'au jour où, m'ayant tous prêté serment, je me verrais sans « contestation assis dans la chaire de « Médine; cet avis ne me plaisait pas. Aujourd'hui, Moghaïra est revenu près de moi et s'est rangé à mon

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(*) Voyez M. Quatremère, loc, laud.

(**) « Théophane donne à cette place le nom de Sapphin, Exπpiv. C'est au milieu de ce territoire désert que se trouvait la ville de Sergiopolis: il s'étendait, toujours d'après Théophane (p. 288), depuis Barbalissus jusqu'à Césarium sur l'Euphrate. Barbalissus était situé non loin du fleuve, à une petite distance de l'antique Hierapolis; les Arabes la nomment Balès; c'était une

premiers mois de la trente-septième année de l'hégire. Au moment de compromettre la vie de tant de guerriers, parmi lesquels se trouvait un grand nombre des anciens compagnons du prophète, les deux partis tentèrent un accommodement. Plusieurs entrevues eurent lieu, dans lesquelles, ainsi qu'il arrive souvent, les haines, loin de se calmer, se rallumèrent avec une fureur nouvelle. On en vint aux mains; et tel était l'acharnement des deux armées, telle était l'égalité de leurs forces et de leur courage, que pendant l'espace de cent dix jours, il y eut quatre-vingt-dix combats, dans lesquels aucune des deux causes ne put complétement triompher. Cependant les Alides avaient eu le plus souvent l'avantage sous leur drapeau combattait un vieillard révéré, l'un de ces premiers Musulmans qui, au combat de Bedr, avaient préparé à l'islamisme ses brillantes destinées : c'était Amarben-Iaser, qui, ainsi que nous l'avons vu, commandait la cavalerie au combat du Chameau; il avait alors atteint l'âge de quatre-vingt-dix ans, et sa main tremblante avait peine à soutenir le poids de sa lance. Le prophète, d'après la tradition, avait prédit que le meurtre d'Amar-ben-Iaser serait, pour ceux qui s'en rendraient coupables, le signe qu'ils servaient une mauvaise cause; aussi sa mort jeta le découragement parmi les Omeyyades, et les Alides, de leur côté, en tirèrent une prompte vengeance. Leur khalife, prenant avec lui douze mille soldats d'élite, se précipita sur l'armée des Syriens avec une telle fureur, qu'il rompit tous les rangs et pénétra jusqu'au centre de leur ordre de bataille, y portant la terreur ou la mort. Tout fuyait devant le fils d'Abou-Taleb, qui s'indignait de ne pas trouver d'ennemi digne de son place très-ancienne. Sa position indique que celle de Césarium devait être bien plus au midi; mais rien ne peut faire connaître cette dernière d'une manière plus précise. Cet endroit n'est mentionné dans aucun autre auteur. M. de Saint-Martin, notes pour l'Histoire du Bas-Empire, vol. II, p. 373.

courage. « Eh quoi! s'écriait-il, j'égorgerai les soldats de Moawiah comme un vil troupeau, et il ne viendra pas les défendre en personne. Épargnons désormais le sang de tant d'Arabes; combattons seul à seul, et que Dieu très-haut donne la victoire à la bonne cause. » Ce défi étonne les Syriens et les arrête; Amrou presse Moawiah de l'accepter. Mais le fils d'Abou-Sofian n'avait garde de risquer contre un si rude jouteur ses projets ambitieux et sa vie.

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Ne sais-tu pas, dit-il en lançant à Amrou un regard de colère, que personne n'est jamais descendu dans la lice où combattait Ali sans y mesurer la terre sous les coups de ce grand pourfendeur de guerriers? As-tu le désir de ne plus me trouver sur ton chemin, et veux-tu te frayer une route au trône sur mon cadavre? - Loin de moi, répondit Amrou, la pensée d'ambitionner le rang suprême; mais je crains que ton refus n'ait une fâcheuse influence sur l'esprit de tes partisans: les soldats sont moins prêts à affronter la mort si leur chef la redoute.» Les combats suivants prouvèrent combien était fondée la prévision d'Amrou (*).

En trois mois de combats, dit Aboulféda, les Syriens avaient perdu quarante-cinq mille hommes, et les partisans d'Ali vingt-cinq mille, parmi lesquels on comptait vingt-six guerriers qui avaient assisté au combat de Bedr. La dernière lutte, qui fut la plus sanglante, mit les Omeyyades à deux doigts de leur perte: c'était pendant la nuit qu'Ali, voulant mettre fin à cette longue querelle, avait attaqué le camp de Moawiah. L'épée au poing, il frappait sans relâche, et à chaque ennemi qui tombait, il s'écriait d'une voix terrible: Allah akbar, Dieu est grand. Quatre cents fois on entendit sa voix retentir dans les

ténèbres, et quatre cents cadavres marquaient son passage. Électrisés par son courage, ses soldats le suivent et font des prodiges à leur tour. Pres

() Voyez Aboulféda, Ann. moslem., t. 1o, p. 312.

sés de toutes parts, décimés par le fer, les Omeyyades ne résistent plus; ils se débandent, ils vont être anéantis, lorsque Amrou donne à Moawiah le conseil de faire arborer le Coran au haut des piques, et de ramener ses soldats ainsi armés à la rencontre de l'ennemi - Voici le livre de Dieu, crient les Syriens, qu'il soit juge entre vous et nous. En vain Ali veut renverser ce nouvel obstacle: ses troupes refusent de le suivre, la victoire lui échappe, le combat devient une conférence, où l'adresse, la ruse, la trahison vont triompher du bon droit et de la force.

On a vivement reproché à Ali d'avoir ainsi trahi sa cause en reportant sur le terrain de la discussion une question vidée sur le champ de bataille. Avant de l'accuser, il faudrait savoir s'il lui était possible de refuser l'appel à ce code religieux et politique où, dans toute occasion solennelle, les Musulmans croient découvrir les jugements de la Providence. Les quatre premiers khalifes ne fondèrent pas de dynastie. Élus par les compagnons du prophète, ils gouvernaient par sa parole et ne pouvaient se soustraire à l'envahissante obsession des hommes qui les avaient portés au pouvoir, quand ces hommes parlaient au nom du livre saint dont l'Arabie venait de recevoir la doctrine. Ali, moins qu'un autre, aurait pu résister au principe religieux que lui opposait son adroit rival. L'homme qui, le premier, avait embrassé la religion de l'islam ou de la soumission, ne pouvait avoir recours à l'argument du sabre quand on invoquait la loi de Dieu. Îl hésita toutefois, et ne se soumit qu'en se voyant menacé par ses propres soldats d'être traité comme l'avait été Othman, son prédécesseur. La trêve fut signée, et Moawiah, toujours par les conseils d'Amrou, demanda qu'on nommåt deux arbitres chargés de découvrir dans le Coran ou la Sonna, c'est-à-dire l'ensemble des traditions rassemblées par les compagnons de Mahomet, quel était celui des deux prétendants qui avait mission de gou

verner les fidèles. Non-seulement Ali fut obligé de consentir à remettre ainsi en question des droits acquis depuis tant d'années, mais il n'eut même pas la liberté de choisir pour mandataire l'un des hommes qui avaient sa confiance. L'esprit de révolte s'était glissé dans son camp à la suite des conférences qui avaient lieu entre les deux armées, et y avait fait de rapides progrès. El-Aschtar et le fils d'Abbas furent ainsi repoussés par les factieux, qui, sous prétexte de ne confier des pouvoirs aussi étendus qu'à un homme également impartial pour les deux rivaux, nommèrent, contre la volonté d'Ali, obligé de céder à une défection presque générale, un Arabe, brave sans doute, puisqu'il avait puissamment contribué à la conquête de la Perse, mais dont le khalife avait eu plus d'une fois occasion de pressentir les mauvaises dispositions à son égard. Abou-Mouça, c'était son nom, devint donc le mandataire des Alides, tandis que les Omeyyades confiaient la défense de leurs espérances au conquérant de l'Égypte, Amrou-ben-El-as, aussi fin politique qu'il était habile guerrier. Ce choix une fois fait, les deux compétiteurs se retirerent, l'un à Coufa, l'autre à Damas, tandis que leurs mandataires, chacun accompagné de quatre cents hommes, se réunirent dans la petite ville de Daoumat-elDjandal (*), pour y traiter des inté

(*) Cette place, d'après Aboulféda, est située entre la Syrie et l'Irak, à sept journées de Damas et à treize de Médine. Niebuhr la regarde comme faisant encore partie du Nedjd (Descript. de l'Arab., t. II, p. 205). D'après Iakouti (Rommel, p. 93), elle est située dans une plaine large de cinq parasanges, au couchant de laquelle se trouvent des sources qui arrosent quelques

plantations de palmiers. Un château, entouré de fortes murailles, la protége. Il est probable qu'on peut identifier Daonmat-elDjandal avec la ville dont parlent Étienne de Byzance sous le nom de Aoupába módıç Apabias, et Ptolémée (liv. V, ch. 19), sous celui de Aoupaita. D'après ce dernier, elle est située sur les confins de l'Arabie déserte et de la Mésopotamie. Dès la neuvième année

rêts importants dont ils se trouvaient chargés. Tous les yeux étaient fixés sur cette place, jusqu'alors sans célébrité, mais où se pressaient maintenant les personnages les plus influents de l'empire, impatients de connaître la décision qui allait donner un chef à l'État. Amrou ne démentit pas, dans cette occasion, l'espoir que faisait concevoir aux partisans de Moawiah, son adresse bien connue. Ses dehors de franchise, sa feinte affliction des malheurs que causait à l'Arabie une fâcheuse rivalité, lui valurent les sympathies de son collègue. Par le peu d'importance qu'il semblait attacher à conserver la couronne à Moawiah, il parvint à inspirer à AbouMouça le désir de repousser à la fois les prétentions des deux rivaux pour reporter le choix de l'islamisme sur un homme dont l'avénement pourrait obtenir une adhésion générale. Ce point important une fois fixé, on dressa au milieu de la plaine une estrade élevée, du haut de laquelle les arbitres devaient formuler leur jugement: Arabes qui m'écoutez,» s'écria le mandataire d'Ali, qui, sur les instances d'Amrou, s'était décidé à parler le premier, « deux compétiteurs ont, par leur querelle, ensanglanté l'empire: eh bien, je les déclare tous « deux déchus de leurs droits, quels « qu'ils fussent, et je les dépose du khalifat en la même forme et de la • même manière que j'ôte cet anneau ⚫ de mon doigt. Puis, joignant le geste aux paroles, il déposa son anneau sur la tribune. Amrou, qui n'attendait que cet instant, éleva aussitôt la voix Arabes qui m'écoutez, dit-il à son tour, « vous venez d'en« tendre mon collègue, en vertu de ses " pouvoirs, déposer Ali du khalifat: « en vertu des miens, je confirme l'ex« clusion d'Ali, et de même que je - mets à mon doigt cet anneau, symbole de la puissance, je revêts du

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de l'hégire, Mahomet avait envoyé, contre les habitants de Daoumat-el-Djandal, Khaled, fils de Walid, qui les avait soumis au tribut.

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khalifat, comme seul successeur du prophète, Moawiah, fils d'Abou-So<< fian. >>

Un long tumulte suivit cet étrange jugement; les partisans d'Ali crièrent au scandale et à l'impiété; AbouMouça, poursuivi de leurs invectives et n'osant plus retourner près du prince dont il avait si mal soutenu les intérêts, se réfugia à la Mecque. Quant à Amrou, il revint triomphant à Damas, où il salua Moawiah du titre de seul commandeur des croyants. Dès lors, dit Aboulféda, la puissance d'Ali s'affaiblit aussi rapidement que s'augmenta celle de son rival. Telle est, en effet, l'inconstance des partis, que les mêmes hommes qui avaient obligé Ali à s'arrêter au milieu de sa victoire, lorsque Moawiah en avait appelé à la loi religieuse, lui faisaient un crime maintenant d'avoir cédé à leurs exigences, et compromis ainsi le caractère indélébile de successeur du prophète. Connus sous le nom de Khouaridj ou schismatiques, ces hommes semblaient n'avoir pour but que de se soustraire à tout lien politique ou religieux. Refusant à la fois de reconnaître Moawiah et Ali, ils protestaient au nom de l'ancienne indépendance arabe, et ne trouvaient pas que la gloire fût une suffisante compensation de la liberté. Au nombre de quatre mille, ils vinrent camper dans les environs de Coufa, dont ils avaient quitté les murs, et là, non-seulement ils repoussèrent toutes les tentatives de conciliation par lesquelles le khalife essaya de les ramener à l'obéissance, mais ils mirent à mort plusieurs envoyés chargés de leur porter des paroles de paix. Il fallait à la fois venger ces meurtres injustifiables et couper court à une défection qui s'étendait chaque jour davantage : Ali prit les armes, et à la tête d'un corps d'armée considérable, défit complétement cette secte menaçante; ce fut à Nahrwan sur les bords du Tigre, qu'ils reçurent le châtiment de leur trahison. Peu d'entre eux échappèrent, et ce succès assura du moins au gendre de Mahomet la tranquille posses

sion de la Mésopotamie et de la Perse. Quant à l'Égypte, Moawiah venait d'y envoyer Amrou à la tête d'une nombreuse armée. Cette province était alors gouvernée par le frère d'Aïescha, Mohammed-ben-Abou-Bekr qui, résistant à l'influence de sa sœur, était toujours resté un des plus fidèles partisans d'Ali. Dès qu'il eut connaissance de l'attaque projetée contre lui, il fit demander du secours au khalife, qui lui envoya quelques troupes d'élite commandées par El-Aschtar; malheureusement ce chef, empoisonné par les ordres de Moawiah, mourut en mettant le pied sur le territoire de l'Égypte. Frappées dans la personne de leur commandant, ces troupes furent aisément coupées par Amrou, qui marcha sur Alexandrie et mit en fuite le peu de soldats dont pouvait disposer Mohammed. Resté seul, le frère d'Aïescha s'enfonça dans le désert pour échapper à la poursuite de ses ennemis; mais il fut pris et livré à un partisan des Omeyyades nommé Moawiah-ben-Khodaïdj, qui eut la barbarie de le faire brûler après l'avoir enfermé dans la peau d'un âne. Ce fut alors, mais trop tard, qu'Aïescha se repentit d'avoir combattu un prince aussi généreux qu'il était brave, pour favoriser de ses voeux et de son influence un homme dont les agents pouvaient se livrer à de si coupables excès; il n'y eut pas de jours depuis lors, disent les chroniqueurs arabes, où elle n'adressât au ciel dans ses prières, des malédictions contre Amrou et Moawiah, demandant à Dieu de les faire consumer par les flammes de l'enfer, eux au nom desquels on avait brûlé le fils d'Abou-Bekr, le beaufrère du prophète.

Une fois maître de la Syrie et de l'Egypte, Moawiah tourna ses armes à la fois contre l'Irak et le Hedjaz. Un jour, ses généraux s'emparaient d'Anbar et dépouillaient la ville de toutes ses richesses; une autre fois ils se rendaient maîtres de Médine, la remplissaient de carnage et pénétraient jusque dans le Yémen. Les partisans d'Ali étaient comme frappés de stupeur ou d'aveuglement. La fatalité

s'était prononcée contre eux, le malheur et la trahison s'attachaient à leurs pas; ils fuyaient sans combattre devant une destinée qui leur semblait inévitable, et la tradition arabe nous a conservé des plaintes touchantes qu'Ali faisait entendre à ce sujet du haut de la chaire de Coufa: « Ne vous ai-je pas appelés nuit et jour au combat, disait-il à ses anciens compagnons de gloire, et n'ai-je pas toujours été prêt à y marcher à votre tête? Si vous m'aviez écouté, loin d'attendre l'attaque de l'ennemi, nous l'aurions prévenu c'est lui qui aurait souffert les pertes que nous déplorons; mais vous avez été saisis d'un esprit de vertige, ou plutôt d'une crainte pusillanime qui vous livre sans défense aux coups de vos adversaires. Si je vous appelle aux armes dans le cœur de l'hiver, vous craignez les rigueurs du froid; si c'est en été, vous ne pouvez supporter l'ardeur du soleil; tous les temps sont mauvais pour vous dès qu'il s'agit de combattre, car ce n'est ni le froid ni la chaleur que vous craignez, c'est l'épée de l'ennemi; et cependant vos femmes sont insultées, vos troupeaux enlevés, et on dit que je ne sais pas faire la guerre. Qui donc la connaîtrait mieux que moi ! Moi qui, au sortir de l'enfance, ai commencé à combattre pour le triomphe de l'islamisme, je ne saurais plus la guerre maintenant que j'ai soixante ans! Mais hélas! il faut pour savoir vaincre, commander à des soldats qui sachent obéir (*). »

Tandis qu'Ali, ne régnant de fait que sur une partie de la Mésopotamie et de la Perse, déplorait ainsi la perte d'un pouvoir acquis par des titres bien légitimes, trois hommes appartenant à cette secte d'indépendants connus sous le nom de Khouaridj, juraient de rendre le repos à l'empire en ôtant la vie aux compétiteurs dont les préten.

(*) Tiré du Kamel d'Abou'l-Abbas-Mohammed-ben-Iezid, surnommé Mabarred, et cité par Reiske dans ses Adnotationes historicæ ad Abulfedee annalium tomum primum, p. 67 et 68.

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