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irrégulier, il faut évidemment avoir l'existence naturelle et civile au moment précis de l'ouverture de la succession, c'est-à-dire au moment où la mort frappe la personne qui laisse cette succession.

Or, quoique ce soit seulement par sa naissance que l'enfant forme vraiment une personne distincte et se trouve avoir son existence propre dans la société, on sait qu'on regarde fictivement comme déjà né l'enfant qui n'est encore que conçu, lorsque son intérêt le demande. Il suffit donc, pour succéder, d'avoir été conçu quand est morte la personne de cujus successione agitur (1). Cela suflit, pourvu toutefois que l'enfant soit ensuite né viable; car l'enfant qui naît constitué de manière à ne pas pouvoir continuer de vivre, ne doit pas être compté, et la loi ne le compte pas, comme ayant pris place dans la société.

II. 52. Mais comment saura-t-on si l'enfant qui naît après l'ouverture d'une succession était ou non conçu à l'époque de cette ouverture? Appliquera-t-on la règle de l'art. 312, qui déclare que les gestations peuvent être de 180 jours seulement ou s'étendre jusqu'à 300 jours, et qui veut qu'on présume la gestation la plus courte ou la plus longue, selon que l'exige l'intérêt de l'enfant? Si cette règle pouvait s'appliquer, il n'y aurait plus d'embarras : l'enfant serait réputé avoir été conçu avant l'ouverture de la succession, avant le décès du de cujus, toutes les fois qu'il naîtrait dans les 300 jours depuis ce décès; et ce serait seulement quand il naîtrait après ces 300 jours que sa conception serait déclarée postérieure au décès. Mais l'art. 312 ne peut pas, selon nous, recevoir son application ici.

Cet article, en effet, ne dit pas qu'une gestation de 300 jours devra se présumer au profit de l'enfant dans toutes les circonstances où son intérêt le demandera; mais seulement quand il s'agira de sa légitimité, quand la question sera de savoir s'il est légitime ou bàtard. Ainsi, quand l'enfant serait illégitime avec une gestation ordinaire de 275 jours (neuf mois) et qu'il doit au contraire se trouver légitime avec une gestation plus longue, de 280, 290 ou 300 jours, c'est cette gestation plus longue que l'art. 312 commande de supposer. Mais rien ne permet de donner effet à cette supposition dans toute autre circonstance.

Donc, la présomption de l'art. 312 devra s'appliquer quelquefois en matière de succession, mais non pas toujours: elle devra s'appliquer quand la question de succession se trouvera jointe pour l'enfant à la question de légitimité. Ainsi, qu'une femme veuve accouche le 298° jour après le décès de son mari, l'enfant sera déclaré conçu avant le décès de ce mari et lui succédera; car la question de savoir s'il est héritier est aussi celle de savoir s'il est légitime: l'enfant est légitime et héritier, ou bien il est bâtard et étranger à la succession, c'est tout un ou tout autre. De même, si le lendemain de la mort du mari, le père de celui-ci mourait à son tour, l'enfant viendrait à la succession de ce dernier, sans qu'on pût prétendre qu'il n'était pas conçu quand

(1) On a l'habitude de sous-entendre les mots successione agitur et de dire substantivement le DE CUJUS pour signifier l'individu de la succession duquel il s'agit.

le de cujus est mort; car dire qu'il n'était pas conçu alors, ce serait dire qu'il ne l'était pas quand est mort le mari de sa mère et que dès lors il n'est pas légitime. Il en serait ainsi encore si tout autre parent de l'enfant était mort après son père.

53. Et il ne serait pas même nécessaire que le père de cet enfant (ou du moins celui qui est légalement présumé tel parce qu'il est l'époux de la mère) fût mort lors de l'ouverture de la succession du parent; il suffirait que le père eût été avant cette ouverture, et eût continué d'être jusqu'au 180 jour avant la naissance, dans l'impossibilité physique de cohabiter avec sa femme. Ainsi, le mari s'est embarqué au Havre pour les Indes le 1er mars 1840, et n'en est revenu que le 30 juin, après une absence de 4 mois ou 122 jours; la femme est accouchée le 20 décembre, 295 jours après le départ du mari et 173 jours après son retour; c'est le 2 mars ou l'un des jours suivants que le parent de cujus est décédé... Eh bien ! l'enfant, d'après la loi, était conçu à la mort de ce parent, et il viendra à sa succession. En effet, d'après la loi, il n'y a pas de gestation plus courte que 179 jours révolus; or le mari de la mère n'étant revenu de son voyage que 173 jours avant la naissance, l'enfant était donc conçu avant son retour; d'un autre côté, on ne peut pas soutenir qu'il ait été conçu pendant l'absence du mari (ce qui en ferait un enfant adultérin), puisque le mari n'étant parti que 295 jours avant la naissance, il reste encore, pour arriver à 300, un intervalle de 5 jours, où se place la conception légitime de l'enfant. C'est donc dans les cinq derniers jours de février que la conception se trouve placée par la loi ; or, le parent de cujus n'étant mort que dans les premiers jours de mars, il s'ensuit que l'enfant était conçu quand la succession s'est ouverte. La certitude légale, ou mieux la présomption légale, de la conception de l'enfant antérieure au décès du de cujus est donc, ici encore, une conséquence de la légitimité de cet enfant.

54. En un mot, la règle de l'art. 312 s'appliquera en matière de succession, et l'aptitude d'un enfant à succéder, comme ayant été conçu lors de l'ouverture, sera légalement présumée, quand elle sera la conséquence de la légitimité présumée de cet enfant. Mais lorsqu'il n'y aura aucun rapport entre la question de capacité de succéder et la légitimité, il nous parait impossible d'invoquer les présomptions de l'art. 312, malgré l'autorité de plusieurs auteurs et arrêts (1).

III.— 55. Ces auteurs et les arrêts cités disent en substance : que l'incertitude presque invincible de la durée des grossesses demandait que le législateur réglât ce point par des présomptions applicables à tous. les cas possibles; que les motifs de ces présomptions sont les mêmes en matière de succession qu'en matière de filiation; qu'enfin la successibilité est une conséquence de la légitimité. Puis, une fois que cette doctrine est ainsi établie pour les successions, on ajoute qu'il y aurait contradiction à s'en écarter pour les donations et testaments; qu'il

(1) Toullier (IV-95), Delvincourt, Duranton (VI-72), Malpel (n° 28), Vazeille (no 7), Belost-Jolimont (obs. 1); Paris, 19 juill. 1819; Rej., 8 fév. 1821; Rej., 28 nov. 1833 (Dev., 34, 1, 668).

serait arbitraire et irrationnel de refuser à un enfant, en le prétendant incapable, la donation ou le legs ouverts à telle époque, alors qu'on lui accorderait une succession ouverte au même moment.

Ces raisons sont-elles bien solides? Sans doute la durée des gestations ne peut pas nous être connue avec une précision mathématique; mais il est incontestable que souvent les gens de l'art peuvent l'indiquer à quelques jours près. Quoi qu'il en soit, dire que la loi devait régler ce point par une présomption générale et applicable en toutes circonstances, c'est faire de la législation et non du droit : nous n'avons pas à rechercher ce que le législateur devait faire, mais seulement ce qu'il a fait... Dire ensuite qu'on avait les mêmes motifs d'appliquer cette présomption pour les questions de succession que pour les questions de filiation, c'est énoncer une erreur palpable aux yeux d'une législation morale; il est clair que la question de savoir si tel enfant sera légitime ou bâtard est autrement importante, et pour l'enfant d'abord, et aussi pour la société entière, que celle de savoir s'il recueillera ou non quelques écus; et il est assurément bien facile de concevoir qu'une loi, dans l'intérêt des mœurs, présume facilement la conception qui doit imprimer aux enfants la légitimité, en se préoccupant peu de présumer celle qui ne doit leur donner qu'un peu d'argent de plus... Dire, enfin, que la successibilité est une conséquence de la légitimité, d'où l'on conclut que la présomption établie pour celleci vient forcément tomber sur celle-là, c'est abonder dans notre sens, et justifier la doctrine que nous avons présentée plus haut. Oui, quelquefois la successibilité sera la conséquence logique de la légitimité; quelquefois, de ce que l'enfant sera reconnu légitime, il s'ensuivra qu'il était conçu au moment que telle succession s'est ouverte. Mais il n'en sera pas ainsi dans tous les cas. Prenons un exemple (nous le copions sur l'un des arrêts ci-dessus): Une femme veuve, remariée en secondes noces depuis deux ou trois ans, et qui avait doux filles de son premier lit, voit mourir l'une d'elles, dont la succession est prise par elle-même pour un quart et par l'autre fille pour trois quarts (art. 751); le 298 jour depuis la mort de sa fille, elle accouche d'un enfant qui se trouve frère utérin de la défunte. Quel rapport y a-t-il, dans ce cas et autres semblables, entre la successibilité de l'enfant et sa légitimité? Aucun; car il n'est successible qu'autant que la grossesse de sa mère a duré 298 jours, tandis qu'il sera toujours légitime, si courte qu'ait été cette grossesse. Ce prétendu rapport nécessaire, entre la capacité de recueillir et la légitimité, n'existera pas non plus la plupart du temps en cas de donation ou de testament. Que l'on suppose un legs fait au profit de l'enfant que porte ou croit porter une fille ou une veuve, et que cet enfant ne naisse que près de 300 jours après la mort du testateur, viendra-t-on encore parler de légitimité pour permettre à l'enfant d'invoquer une gestation de 300 jours? C'est bien impossible, puisqu'alors l'enfant est bâtard en toute hypothèse.

Voici maintenant sur quoi se fonde notre doctrine.

L'idée qu'une grossesse peut toujours varier de 180 à 300 jours n'est

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pas une vérité naturelle, une réalité; ce n'est qu'une vérité légale, une fiction. Or, les fictions n'ont d'effet que pour l'objet pour lequel elles sont créées et dans les limites que la loi leur donne. Maintenant, le Code n'a dit nulle part, comme règle générale, qu'un enfant pourrait, dans toute circonstance et pour tout objet, restreindre ou étendre à son gré sa gestation depuis 180 jours jusqu'à 300; il a seulement posé dans les art. 312, 314 et 315, les propositions suivantes :

« L'enfant qui naît après les 179 premiers jours d'un mariage est réputé conçu dans ce mariage » (argum. de l'art. 314); — L'enfant qui nait dans les 300 jours de la dissolution d'un mariage est également réputé conçu dans ce mariage (argum. de l'art. 315); · - Par conséquent, un époux ne peut désavouer l'enfant de sa femme qu'en établissant que l'impossibilité de sa cohabitation avec celle-ci a duré pendant les 120 jours qui se sont écoulés depuis le 300 jour d'avant la naissance jusqu'au 180o » (art. 312).

De là il résulte bien qu'un enfant (ou tout autre en son nom) peut restreindre ou étendre la grossesse de sa mère depuis 180 jours jusqu'à 300, et placer sa conception, sans qu'aucune preuve contraire soit admissible, à tel moment qu'il voudra des 120 jours d'intervalle, lorsqu'il s'agira de sa légitimité, de sa filiation légitime. Mais où est le texte légal qui permette d'en dire autant dans toute autre circonstance? C'est à nos adversaires de l'indiquer; tant qu'ils ne l'auront pas fait, il faut bien rester dans la vérité des faits, dans le droit commun (1).

IV. 36. Sans doute, cette réalité des faits sera souvent douteuse, embarrassante, et nous pensons, nous aussi, que le législateur eût mieux fait de généraliser pour tous les cas la fiction qu'il n'a écrite que pour un cas particulier; mais, encore une fois, nous n'avons pas à faire la loi.

C'est donc à l'enfant qui vient réclamer une succession ouverte avant sa naissance, dans un cas où sa légitimité n'entraîne pas comme conséquence l'antériorité de sa conception sur l'ouverture de la succession, de prouver lui-même cette antériorité. Car c'est à celui qui réclame un droit de prouver que ce droit lui appartient (art. 135136). L'enfant, en cas de contestation, devra donc constater, par le témoignage des gens de l'art ou par un ensemble de faits concluants, que sa conception remonte à une époque antérieure à la mort du de cujus.

Il est vrai que, souvent, la preuve ne pourra pas s'établir rigoureusement. Mais il ne faut pas oublier que les juges, pour prononcer, n'ont pas besoin d'attendre une certitude; et qu'à son défaut, ils peuvent et doivent se décider d'après les probabilités de la cause.

V.-57. Au reste, quoique la règle des art. 312 et suivants ne puisse pas s'appliquer ici rigoureusement, dans les cas où la question. de successibilité sera indépendante de la question de légitimité, elle n'y sera cependant pas sans influence: on ne pourra pas, il est vrai,

(1) Chabot (no 7), Coin-Delisle (art. 906, no 6), Demolombe (V-100).

l'appliquer avec le caractère de présomption légale qu'elle a au titre de la filiation; mais elle ne sera pas absolument sans effet.

Et d'abord, la gestation étant déclarée avoir duré certainement et nécessairement 300 jours quand la légitimité de l'enfant le demande, il paraît conforme à l'esprit du Code de regarder cette durée, dans les autres circonstances, comme ayant au moins une certaine probabilité; d'où il suit que, dans le doute et quand les rapports des gens de l'art et les circonstances de la cause n'établiront pas d'une manière certaine que la mort du de cujus a précédé la conception, c'est l'antériorité de cette conception, quand la naissance a eu lieu dans les 300 jours, qui devra être admise. La postériorité de la conception, et, par suite, l'incapacité de l'enfant, ne devraient être prononcées alors qu'autant que l'enfant ne présenterait aucune probabilité à l'appui de sa prétention.

Un autre effet incontestable résulte du minimum et du maximum de la durée fixée. Ainsi, l'enfant sera nécessairement déclaré conçu avant l'ouverture de la succession, et capable de la recueillir, toutes les fois qu'il sera né dans les 180 jours du décès, sans que ses adversaires puissent alors être admis à la preuve contraire. Réciproquement, il ne sera conçu qu'après l'ouverture et forcément déclaré incapable, quand il ne sera né qu'après plus de 300 jours, sans qu'il puisse alors proposer la preuve d'une conception antérieure au décès. Car, le cas de question sur la légitimité étant on ne peut plus favorable aux yeux de la loi, et le Code fixant pour ce cas les deux durées extrêmes de la gestation, il s'ensuit qu'il ne peut y avoir pour aucun cas une gestation plus courte que 180 jours, ni une gestation plus longue que 300.

VI.- 58. Nous avons dit que c'est à l'enfant ou à son ayant cause de prouver, c'est-à-dire de rendre au moins probable, l'antériorité de sa conception (en s'aidant d'ailleurs, ainsi qu'on vient de voir, de la présomption de l'art. 312), et ce par le principe qui veut que tout réclamant établisse son droit à la chose réclamée. Or, par la même raison, c'est également à l'ayant cause de l'enfant de prouver que cet enfant est né vivant, qu'il n'est pas sorti mort du sein de sa mère.

Cette preuve se trouvera complète et péremptoire dans l'acte de naissance, quand l'officier public y aura constaté la présentation à lui faite d'un enfant vivant; et elle ne pourrait alors être contredite que par une inscription de faux (art. 45, n° IV). Que si l'enfant n'était pas vivant quand on l'a présenté à l'officier, on sait que dans ce cas l'officier ne doit pas dire dans l'acte qu'on lui a présenté un enfant décédé (ce qui impliquerait que l'enfant a vécu), mais qu'on lui a présenté un enfant sans rie (art. 87, n° II); et ce sera aux représentants de cet enfant de prouver par témoins que l'enfant est né vivant et n'est mort qu'ensuite.

que la conception de l'enfant, antérieure à l'ouverture de la succession, et aussi sa naissance avec vie sont prouvées, ce n'est plus à ses représentants d'établir qu'il est né viable, c'est aux adversaires qui allégueraient sa non-viabilité, de la constater: ainsi le veut la nature des choses. En effet, la viabilité des enfants qui naissent vivants

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