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Hiersemann 2-14-29 17800

VIE ET AVENTURES

DE JOHN DAVYS.

XV.1

Pendant ces deux jours de navigation, l'Asie à notre droite et l'Europe à notre gauche avaient déployé un si splendide tableau, que nous fûmes tentés de nous demander en arrivant à la Pointe du sérail où était cette magnifique Constantinople tant vantée par les voyageurs, et qui dispute au golfe de Naples la royauté pittoresque du monde. Mais quand pour conduire le capitaine à l'ambassade anglaise, située dans le faubourg de Galata, nous eûmes passé du vaisseau dans la yole, et doublant la Pointe du sérail, longé la Corne d'Or, la ville impériale se déroula enfin à nos yeux sur le penchant de sa vaste colline, avec son amphithéâtre de maisons, ses palais aux dômes dorés, ses cimetières, dont un sombre bois de cyprès ombrage les sépultures, et nous reconnûmes alors la belle courtisane d'Orient qui rendit Constantin infidèle à Rome, en l'enchaînant comme eût fait une Néréide, avec l'écharpe azurée de ses eaux.

Il n'eût point été prudent à cette époque de traverser les rues de Galata sans être accompagné d'une garde; aussi M. Adair, qui connaissait déjà notre arrivée, avait-il envoyé au-devant de nous un janis

(1) Voyez les livraisons des 30 juin, 7, 14, 28 juillet et 11 août.

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saire, dont la présence indiquait que nous étions sous la protection du sultan. Dans ce pays où tout le monde est armé, jusqu'aux enfans, les rixes sont fréquentes, et se vident sur-le-champ; la justice intervient presque toujours trop tard pour faire autre chose que venger la mort de la victime : il était donc important, dans le moment d'irritation où se trouvait Constantinople à l'égard des Grecs et des Russes, de nous désigner bien clairement comme appartenant à une nation amie.

Nos marins restèrent dans la chaloupe sous la surveillance de James, et M. Stanbow, lord Byron et moi, nous nous acheminâmes vers l'ambassade. A moitié chemin, à peu près, nous trouvâmes la rue tellement encombrée, que nous n'aurions su comment nous ouvrir un passage, si notre janissaire, qui portait un bâton à la main, n'eût frappé sur cette muraille humaine avec tant de force et de persistance qu'il parvint à y pratiquer une brèche. Cette agglomération était causée par un Grec que l'on conduisait au supplice, et qui traversait la grande rue entre deux bourreaux; nous arrivâmes juste pour le voir passer. C'était un beau vieillard à la barbe blanche, qui marchait d'un pas grave et assuré, regardant sans crainte et sans orgueil toute cette populace qui le poursuivait de ses cris et de ses malédictions. Cette vue nous impressionna tous fortement, mais surtout lord Byron, qui demanda aussitôt à notre interprète, si par l'intervention de l'ambassadeur, ou en payant une forte somme, on ne pourrait pas sauver ce malheureux; mais l'interprète, d'un air effrayé, mit un doigt sur sa bouche, en faisant signe au noble poète de garder le silence : cette recommandation, si pressante qu'elle fût, ne put empêcher lord Byron, lorsque le vieillard passa devant lui, de lui crier, en romaïque : Courage, martyr. A cette voix consolatrice, Grec se retourna, et à défaut des mains, levant les yeux au ciel, il indiqua qu'il était préparé à mourir. Au même moment, un autre cri se fit entendre derrière une jalousie, en face de nous; des doigts passèrent à travers le treillage qu'ils ébranlèrent un instant. A ce cri, qui semblait poussé par une voix connue, le vieillard tressaillit et s'arrêta; mais un des bourreaux le poussa par derrière avec la pointe de son yatagan. En voyant le sang jaillir, lord Byron fit un mouvement, et moi-même je portai la main à mon poignard; aussitôt M. Stanbow, qui comprit notre intention, nous saisit le bras à tous deux : - Pas un mot ou vous êtes morts,-nous dit-il en anglais, et il nous montra le janissaire qui commençait à nous regarder de travers; puis, nous retenant ainsi, il attendit que le cortége fut passé. Bientôt, la rue

le

se trouvant libre, nous continuâmes notre route vers l'ambassade, où nous arrivâmes au bout de dix minutes, encore tout pâles et tout émus.

Le motif pour lequel nous étions venus à Constantinople n'existait plus, même avant notre arrivée. Les satisfactions que nous devions appuyer par notre présence étaient accordées, et notre ambassadeur avait obtenu, au nom du gouvernement britannique, toutes les excuses qu'il avait exigées. L'entretien politique de M. Stanbow et de M. Adair fut donc court, de sorte qu'au bout d'un instant nous fûmes introduits et lord Byron présenté. Après les complimens d'usage, il s'empressa de demander à M. Adair quel crime avait commis le vieillard que nous venions de voir mener au supplice. M. Adair sourit tristement. Le vieillard avait commis trois crimes énormes dont un seul, aux yeux des Turcs, méritait la mort; il était riche, il rêvait l'affranchissement de son pays, enfin il se nommait Athanase Ducas, c'est-à-dire qu'il était l'un des derniers descendans de la race royale qui avait régné au XIIIe siècle. Vaincu par les sollicitations de ses amis, il avait d'abord quitté Constantinople; puis au bout de quel– ques mois, ne pouvant résister au désir de revoir sa famille, il s'était hasardé à revenir; le soir même de son retour à Galata, il avait été arrêté; sa fille, que l'on citait comme un trésor de beauté, avait été enlevée et vendue pour vingt mille piastres à un riche turc; et sa femme, chassée de son palais, qui avait été confisqué au profit du grand seigneur, n'avait pu obtenir de partager ni la captivité de sa fille, ni la mort de son mari : elle avait demandé asile à plusieurs maisons grecques, dont les portes s'étaient fermées à sa vue. Enfin M. Adair lui avait fait dire que l'ambassade d'Angleterre lui offrait une hospitalité inviolable et sacrée; la pauvre femme avait accepté avec reconnaissance cette offre généreuse, mais depuis la veille au soir elle était disparue, et l'on ignorait le lieu de sa retraite.

M. Adair invita lord Byron à demeurer à l'ambassade pour tout le temps qu'il resterait à Galata; celui-ci, craignant de ne pas être assez libre, refusa constamment, et pria M. Adair de s'intéresser à ce qu'on lui trouvât une petite maison turque dans laquelle il pût vivre toutà-fait à la manière du pays. Il acceptait au reste le patronage diplomatique qui lui était offert, pour le cas où M. Adair aurait quelque audience du sultan, qu'il parviendrait ainsi à voir de près, comme attaché à l'ambassade notre arrivée à Constantinople rendait cet évènement plus que probable.

Nous quittâmes M. Adair au bout d'une heure d'une causerie aussi

IMPRIMERIE DE H. FOURNIER ET CIE, RUE DE SEINE, 14 BIS.

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