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LE

CALENDRIER DES TOURISTES

DANS

LES SYRINGES THÉBAINES,

PAR

M. JULES BAILLET.

Sur son séjour dans la Haute-Égypte et à Thèbes, Champollion consacra trois mois, du 23 mars 1829 au mois de juin, à la Vallée des Rois et à ses tombeaux. Nul visiteur, dans l'antiquité et jusqu'à lui, n'en fit autant. Il s'était installé dans la Syringe de Ramsès IV Hiq-Mâït, la seconde à gauche dans la vallée, palais magnifique pour l'esprit, mais refuge éloigné de toute ressource matérielle Assez d'air et de lumière», dit Champollion; oui, à l'entrée, mais un air embrasé et une lumière aveuglante contrastant avec la nuit des galeries souterraines. Champollion s'y déclarait «logé à merveille » (1). Il y fit, avec Rosellini et ses autres acolytes, une ample moisson de portraits historiques, de tableaux religieux et de textes hieroglyphiques. Mais il ne négligea pas de recueillir quelques échantillons des nombreux graffiti grecs incrustés de ci de là au milieu des textes sacrés. Sa récolte de soixante-deux inscriptions dépassait de beaucoup celle de ses prédécesseurs Pococke, Cooke, Jomard et Hamilton qui, à eux tous, n'en avaient publié qu'une quinzaine, et

(1) Lettres écrites d'Égypte et de Nubie, 1833: xn lettre, 25 mars 1829, p. 179; édition HARTLEBEN (Bibliothèque égyptologique, t. XXXI), p. 246; cité par LETRONNE, Recueil des inscriptions d'Egypte, II, p. 287.

celle de ses contemporains Salt et Wilkinson qui en rapportèrent l'un 53, Fautre 17. C'est donc marcher de loin, mais pieusement, sur ses pas que d'étudier les graffiti grecs des Syringes thébaines.

On ne peut pas visiter prudemment l'Égypte, et en particulier Biban-el-Molouk en toute saison. Dans cette gorge resserrée, dès le mois de mars, précisément à la date où Champollion vint y établir son chantier de travail, la chaleur, que ne tempèrent ni pluie ni brise, devient accablante. En avril 1910, le second Congrès d'archéologie grecque se tint à Alexandrie et au Caire; puis les congressistes, par bandes, allèrent visiter toute la vallée du Nil. Thèbes et la Vallée des Rois figuraient au programme, mais non sans inquiéter vivement M. Maspero, alors Directeur général des Antiquités, qui se tenait pour responsable non seulement de la réussite du Congrès, mais de la satisfaction et de la santé même des voyageurs : il se tranquillisa seulement après qu'on lui eut annoncé que le dernier congressiste avait quitté Louqsor sans aucun accident d'insolation ou d'étouffement dans la visite des tombes royales.

Éprouvait-on de semblables appréhensions dans l'antiquité ?

Nous pouvons nous en rendre compte en consultant les graffiti grecs datés, la plupart inédits jusqu'à ces dernières années. Le nombre en est relativement restreint, mais suffit pour donner quelques indications. Sans doute le hasard a pu fausser un peu les proportions; nulle loi ne présidait à la répartition des signatures entre les diverses formules à adopter; mais aussi rien n'obligeait de mentionner tel ou tel mois de préférence et l'on peut admettre que les plus souvent nommés avaient bien amené le plus grand nombre de visiteurs.

1. L'année fixe égyptienne, aux temps de l'empire romain et depuis les Ptolémées, commençait à la date du 29 août par le mois de thot, O ou Ow0, en copte Eοoyт ou оWOYт, en hiéroglyphes▼ш, le pre

pas

mier mois de la saison des marécages ou de l'inondation. C'est le mois où le soleil et l'humidité rendent le climat le plus dur à supporter pour les étrangers. Il ne faut s'étonner que les visiteurs aient été rares. Nous en relevons un seul, Papirius Domitianus, stratège du nome Ombite:

Παπείριος Δομιτιανὸς στρατηγὸς [ὀμβείτ]ου [ε]ἱστόρησα, καὶ τὸ προσκύνημα ἐποίησα τῆς συμ]βίου καὶ τῶν τέκνων, LIE, θωθ 10 (1)

:

C'est un fonctionnaire d'un nome voisin. Sa dignité le retenait à son poste toute l'année il y vivait en famille. Sans doute une affaire l'aura appelé à Thèbes et il en aura profité pour visiter toutes les curiosités de l'antique capitale. Il n'a pas reculé devant une excursion pénible. Du moins, il n'y traîne pas avec lui sa femme et ses enfants; il les aura laissés dans l'ombre de sa demeure d'Ombos, ou chez son collègue thébain, et se contente de faire des adorations en leur nom.

2. Le second mois, phaophi, Dawfi, naoni, naane, septembre-octobre, n'est guère plus favorable. Nous n'y rencontrons que deux visiteurs qui, probablement, voyageaient ensemble, car ils inscrivirent à peu de distance leurs graffiti et usèrent de la même formule (2):

Φιλόεξνος Φιλοέξνου ἱστόρησα πάσας τὰς συρίνγας (sic), LIA, φαωφὶ Κ.

et : Μάρκος Καιλιος Σαραπίων ἱστόρησα πάσας [τὰς συρίνγας], LIA, φαωφί.

SALT, Transactions of the R. Society of Litterature, 1828, vol. II, no 18; LETRONNE, Transactions, II, 1834, p. 72; Statue vocale de Memnon, appendice, p. 248, n° 18; Recueil des Inscriptions grecques et latines d'Egypte, II, n° 290, pl. n° 71; BOECK, Corpus Inscriptionum græcarum, n° 4811; CAGNAT, Inscriptiones graecae ad res romanas pertinentes, I, fasc. V. Egyptus, n° 1221; J. BAILLET, no 1669.

Mémoires de l'Institut français d'Archéologie orientale au Caire : J. BAILLET, Inscriptions grecques et latines des Tombeaux des rois ou Syringes à Thèbes, I fasc., n° 825 et 836.

L'un était un Grec; l'autre, un Romain d'une famille. établie en Égypte, ou un Gréco-Égyptien romanisé. Leurs conditions nous restent inconnues, ainsi que les motifs de leur présence à Thèbes. Nous constatons seulement leur ardeur de touristes: malgré la température excessive, ils ont voulu tout voir et ils ont visité toutes les Syringes. Ils y ont eu du mérite. Reconnaissons-leur le droit de s'en

vanter.

3. Le mois d'athyr, ȧlúp, 2xTwp, λowp, octobrenovembre, est encore assez chaud, mais déjà plus supportable. Les voyageurs commencent à venir en Égypte. C'est le mois où Hadrien, Sabine et leur cour visitent Thèbes : Balbilla date des 24 et 25 athyr les vers qu'elle grave sur le Colosse de Memnon (1). Un graffito des Syringes, assez mal conservé, date des temps ptolé– maïques :

L

M...... Ηρα[κλείδου] ἀθύρ [ . . . . .] Πτολεμ[αίου τοῦ] Πτολε[μαίου] (2).

Un autre, plus anciennement connu, date du règne de Commode, d'une année dont la lecture est douteuse et du 14 athyr. Il est dû aussi à un fonctionnaire qui a consciencieusement tout vu, le tribun de la IIe légion, Claudius Commodianus:

Κλ. Κομμοδιανὸς, χειλίαρχος λεγ(εῶνος) Β Τραϊανῆς ἰσχυρᾶς), πάσας τὰς σύριγγας ἰδὼν, ἐθαύμασα, LIς [M.] Αὐρηλίου Κομμό δου τοῦ κύριου, ἀθὺ ΙΔ (3)

Deux autres graffiti, naguère inédits, situés à moins d'un mètre de distance l'un de l'autre, portent la même

(1) LETRONNE, Recueil, II, p. 364-367, n° 346; BOECK, C.I.G., no 4727; LEPSIUS, Denkmaeler, VI, n° 91.

(2) J. BAILLET, Inscriptions des Syringes, I, n° 66.

(3) SALT, Transactions, n° 25; LETRONNE, Transactions, p. 72; Statue, p. 250, no 25; Recueil, n° 295, pl. n° 77; BOECK, C.I.G., add. n° 4768, p. 1207; CAGNAT, Inscriptiones, n° 1216; J. BAILLET, Syringes, II, n° 1678.

date et usent d'une même formule qui ne se retrouvera point ailleurs; ce sont donc des compagnons de route qui les tracèrent l'an 21, le 8 athyr: un fils d'Égyptios, Denys, fils de Moschion, et Moschion, fils de Denys, d'Héraclée (1) :

:

· ων [Αἰ]γυπτίου, Κύριον· εἴ με ζώ[ειν] ἅπαντα χρόνον; LKA, ἀθὺρ H.

Διονύσιος Μοσχίωνος [καὶ] Μοσχίων Διονυσίου Ηρακλειώτει[ς]· ζώ[ε]ιν τὸν ἅπαντα χρόνον; LKA, ἀθὺρ Η.

On voit que les trois amis, sans comprendre le texte de la Litanie du Soleil au milieu de laquelle ils inscrivaient leur attestation et leur prière, avaient été vivement frappés des tableaux relatifs aux Enfers Égyptiens qu'ils venaient de contempler. Ils ont médité sur la mort; mais leur pensée a pris une couleur chrétienne, qui s'est reflétée dans le style de leur brève invocation au Seigneur : Qu'il me donne la vie éternelle! Sur le Colosse, il est vrai, le païen Duilius Petronianus (2) requiert bien, en vers élégiaques, le roi Memnon de lui accorder longue

vie :

"

Ἀλλὰ σύ μοι ζώειν δηρὸν, ἄναξ, χάρισαι.

Mais que réellement ici nous n'ayons pas affaire à des païens, malgré le caractère ancien et indifférent des noms, la preuve ressort non seulement de la distinction entre la vie éternelle et une longue vie que souhaitent pourtant d'autres chrétiens dans la même Syringe (3), mais péremptoirement de la position des graffiti sur la muraille et du voisinage d'inscriptions indubitablement chrétiennes (*).

4. La température devient très douce en choïak, xoïán,

(J. BAILLET, Syringes, I, no 238 et 241.

(2) LETRONNE, Recueil, II, n° 377; BOECK, C.I.G., n° 4749.

(3) J. BAILLET, Syringes, I, n° 302 et 304: l'inscription d'Artémidora et Paphnuce, χαρίσασθαι ζωὴν εἰς ὀλίγον χρόνον, et celle d'Ammonios et Isidore, Κύριος χαρίσεται τὴν ζωὴν εἰς ἀκρότητα.

Voir la disposition sur les planches IX et X.

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