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fait entrer le vieux terme de tout temps connu, et finalement vainqueur incontesté dans le vocabulaire religieux : injustice".

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Mais, et c'est ici que la question s'étend, Béki n'est pas un isolé. Sa stèle et les fragments cités du Caire renferment les mêmes expressions biographiques : «j'ai fait le bien sur la terre... (1), «mon désir a été...» (2), détail qui du reste n'aurait rien de particulièrement impressionnant pour des inscriptions égyptiennes, si ces clichés ne se rencontraient avec la même conception, rare sur les monuments, d'une religion à valeur morale fondée tout entière sur la justice, et dont le credo, substantiellement identique dans les deux cas, est introduit par la même formule car je sais qu'elle est utile à qui la fait... (3), indiquant toujours à qui veut entendre les textes égyptiens une vérité capitale et quelque peu ignorée ou méconnue du vulgaire. Le papyrus de l'Ermitage, lui aussi, concorde avec la stèle de Béki dans les expressions religieuses elles-mêmes; z'z'-t wz’-t sryw(1), bien que les deux textes l'interprètent différemment, est une formule stéréotypée, il est vrai, mais qui en fait ne se rencontre que là; dans les deux documents le rôle de l'accusateur, śrky (5), est également mis en valeur et la béatitude finale est exprimée par une formule identique, respectée scrupuleusement comme un article de symbole se promener comme les Seigneurs éter

(1) Béki, 2; Caire, 4. (2) Béki, 8; Caire, 4. (3) Béki, 3; Caire, 4,

(*) Béki, 4; Ermit., 33. Le mot s'r, comme en général les mots égyptiens élevés à une signification morale, est susceptible d'une triple acception : un sens général : compréhension", "intention; un sens favorable : intelligence (cf. PIEHL, Z. A., XXIV, 83-85); un sens péjoratif : astuce (cf. ERMAN-GRAPOW, Handwörterbuch, 107). La formule de Béki, que le parallélisme avec wpy-t qdw-w révèle comme génuine, emploie le mot dans son acceptoin générale; le scribe du manuscrit de l'Ermitage l'a pris dans son sens pejoratif et en a fait un nisbé, influencé sans doute par l'expression qu'il emploie aussitôt après juger le malheu

reux ".

(5) Béki, 4; Ermit., 54.

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nels(). On est donc fondé à voir dans les auteurs de ces textes plusieurs individus ayant une foi commune exprimée par une terminologie spéciale et usant à ce titre d'un type déterminé de biographie funéraire. L'inscription de Béki laisse en outre entrevoir plusieurs autres détails: Béki s'adresse au grand public, à tous les hommes qui existeront (2), pour leur apprendre une vérité qu'ils sont censés ignorer ou ne pas mettre en pratique, Béki appartient donc à une minorité, et, ce faisant, il montre un tel zèle, omettant de nommer les dieux, que pourtant il adore, pour laisser plus de place à l'exposé de sa doctrine (3), ne narrant de son cursus honorum que ce qui peut servir d'illustration à sa thèse et d'encouragement aux disciples qu'il désire attirer("), se privant mème du bénéfice de l'appel aux suffrages des vivants pour immortaliser une parabole de son cru, qui lui avait été familière, et qu'il devait proposer en conversation sous forme d'énigme (5), que l'on ne peut s'empêcher de penser qu'un tel prosélytisme est celui d'une doctrine encore jeune dans la ferveur de ses débuts.

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Ce n'est pas que je propose de voir dans Béki, ni dans les anonymes des inscriptions du Caire ou du papyrus de l'Ermitage, les auteurs mêmes du chapitre cxxv du Livre des Morts: mais, disciples de la première heure ou

(Béki, 15; Ermit, 56-57. Cette expression du reste se retrouve sur les stèles de la XVIII dynastie, dans les fongues formules syncrétistes qui définissent les destinées des Bienheureux. Cf. LORET, Le tombeau de l'Amkhent Amen-hotep, stèle, l. 15 (Miss., I, 26), Florence 2567 (ibid., p. 53, note 1).

(2) Béki, 13.

(3) A ce point que CHABAS (loc. cit. : Bibl. égypt., XIII, 240-241) pensait reconnaître en Béki un déiste avant la lettre. De fait le du texte horizontal ne mentionne aucun dieu; mais dans le proscynème du ceintre, où Béki n'entendait pas développer sa doctrine, Amon-Râ et Osiris sont invoqués. Ce souci de gagner de la place est peut-être également ce qui a déterminé le lapicide à écrire tant de mots sans déterminatifs.

que

(4) La stèle de Turin n° 16 signalée par MASPERO (Rec., IV, 131) trahit Béki était en outre directeur de domaines d'Amon".

(5) Béki, 13-14.

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• propagateurs plus tardifs, je ne sais, ils appartiennent en tous cas au groupe religieux d'existence éphémère dont le livre funéraire eut la fortune de passer à la postérité, amalgamé par les compilateurs éclectiques de la XVIIIe dynastie avec les écrits magiques qu'ils prétendaient remplacer. Ce fait acquis, la doctrine des inscriptions et des papyrus prend la valeur d'un commentaire autorisé de cette section du chapitre cxxv et elle en découvre l'esprit plus explicitement que le chapitre lui-même, soucieux uniquement du jugement, n'avait eu l'occasion de le faire. La vie terrestre que sanctionne ce jugement osirien doit être véritablement une vie de religion intérieure le juste doit mettre Dieu dans son cœur » (1), c'est-à-dire au premier plan de ses préoccupations (2), et c'est là pour lui la source de toute sagesse (3). Sans doute il aura à se justifier d'avoir commis le péché(), mais cette justification, en même temps qu'elle porte sur l'acte extérieur, exige qu'il ait eu l'horreur (5) du péché et le désir de ne pas le commettre. Bien mieux, ce sont les actes positifs de religion qui s'inscrivent au premier rang de ses devoirs faire le bien (7) et plus profondément, avec ce souci de religion intérieure dont témoignent ces documents, se pénétrer de la justices ($) et «se complaire en elle. Une pareille vertu ne reste pas sans récompense dès ici-bas: le culte de la justice donne sur terre le bonheur (10) et le succès (11), et les dieux exaucent, en accordant des destins favorables, les prières que font les humains pour leurs bienfaiteurs (12). Mais c'est surtout au

(1) Béki, 1.

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milieu des terreurs de l'autre monde, qu'avoir fait la jus-. tice se présente comme une dépense parfaite » (1). L'heure sonne fatalement où l'àme « parvient » (2), comme au terme d'une route, devant le Tribunal d'Osiris; si aucun sortilège ne peut l'empêcher de comparaître devant cette juridiction suprême (3), elle-même n'a plus le moyen de se repentir elle ne s'écarte pas de ses chemins de la veille (4). Le tribunal siège, sans miséricorde (5), prêt à rendre un jugement complet (6) et instantané("); mais ce qu'il observe, lui aussi, gardien de la religion intérieure, ce sont moins les actions elles-mêmes que les «intentions et les dispositions » ($). L'accusateur se fera entendre (9); l'accusé, semble-t-il, exposera son innocence (10) et finalement la faute en litige sera ou non imputée par les juges (11). Condamné, le pécheur sera torturé et anéanti (12); acquitté, le juste sortira pour jouir du bonheur paradisiaque qu'avaient imaginé des générations d'aïeux réfléchissant sur les destinées futures être reçu parmi les féaux défunts (13) et contempler les ancêtres (14), entrer dans l'Hadès et en sortir (5), prendre son plaisir dans le

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(*) Béki, 4. Caire, 4, l'insinue dans la phrase malheureusement mutilée «j'ai été écouté dans la Cour du Justicier, car j'ai fait mon désir...» qui prouve qu'en dernier ressort ce sont les intentions qui sont prises en considération. Le pesage du cœur, du reste, dans les vignettes des papyrus, traduit iconographiquement cette imputation suivant les intentions et les dispositions.

(9) Béki, 4; Ermit., 54. Une belle variante de doctrine, sans doute un développement de la même école, attestée par les scarabées funéraires (Livre des Morts, chapitre xxx), enseigne que le cœur peut être lui-même

cet accusateur.

(10) Caire, 4.
(11) Béki, 5.
(12) Béki, 4.

(13) Béki, 5.
(14) Caire, 6.
(15) Béki, 15.

tombeau (1), en un mot être comme un dieu » (2) et «se promener dans la belle oisiveté des «Seigneurs Éternels). Un principe nouveau, la religion intérieure, introduit avec ses conséquences dans le décor des anciennes croyances, de toutes les anciennes croyances, sur les dieux et sur l'au-delà : c'est ainsi que l'on pourrait définir la doctrine conservée par les Confessions du chapitre cxxv et par les monuments que nous avons rapprochés.

Cette exégèse appliquée au texte des Confessions du chapitre cxxv du Livre des Morts permet d'en distinguer les parties authentiques. On a vu que l'un des chefs de doctrine de ceux que l'on peut provisoirement nommer les Sectateurs de la justice", dans l'ignorance du nom qu'ils se donnaient, si tant est qu'ils s'en soient jamais donné, était que l'âme ne peut changer ses voies d'hier et que la magie n'a aucune valeur en l'occurrence() : c'est éliminer du même coup tout ce qui dans ce passage fait allusion à la puissance magique du nom des dieux (5). Par voie de conséquence, le cadre de la seconde Confession, composé de noms divins d'un aspect bien artificiel d'ailleurs, apparaît comme étant le développement nécessaire de la proposition magique destinée à corrompre dès l'abord l'esprit de tout le texte : car je « connais ton nom et je connais le nom de ces quarantedeux dieux. . . » (6), et devra être tenu pour secondaire(”). La teneur elle-même des deux Confessions ainsi débar

(1) Caire, 6.

(2) Ermit., 56.

(3) Béki, 15; Ermit., 57.

(*) Ermit., 52.

(5) La stèle du Caire 34080 (LACAU, Stèles du Nouvel Empire, pl. XLI) reproduit, comme formule de dévotion, le début du chapitre cxxv, exempt de ces allusions magiques : elle livre probablement la recension primitive de ce passage. Des différents manuscrits utilisés par Naville (Todt., II, 276), plusieurs également n'ont pas ces allusions.

(6) Livre des Morts, cxxv, 1-2.

et 279,

(7) BUDGE, loc. cit., I, 343, et FOCCART, loc. cit., 264, n. 2, n. 1, estimaient au contraire que cette seconde confession est la rédaction primitive.

RECUEIL CHAMPOLLION.

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