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leures chofes entre les mains des plus mefchans; & qu'il y aye du bonheur en ce que peu de perfonnes ont le moyen d'achepter ce qui · leur eft neceffaire; pendant que cent mille autres vivent dans l'incommodité ou dans la mifere toute entiere. C'eft pourquoy repaffant dans mon efprit les fages & fainctes loix des Vropiens; qui font fi peu en nombre, & fi fuffifantes neantmoins à adminiftrer les affaires, à procu rer à la vertu la recompence qu'elle merite, & à mettre l'abondance par tout: & comparant leurs excellentes couftumes à celles de tant d'autres Nations, qui n'ont peu encores en la divifion des biens imprimer aux poffeffions des particuliers de marques affés vifibles, pour faire que chacun puiffe recognoiftre ce qui luy appartient, & couper chemin aux proces qui naiffent tous les jours fur ce fubject. Confiderant, disje, que le premier venu nomme fien ce dequoy il a peu fe faifir; je pardonne plus aifement à Platon, & m'eftonne moins de ce qu'il ne daigna point donner de loix à ceux qui refufoient celles

de par

de partager efgallement toutes chofes.Car ceft homme prudent voyoit bien que l'egalité eft le ciment de la bonne intelligence du peuple; & que le defordre naiftroit par tout où le mien & le tien introduiroit une notable difference. En effect lors que fous quelque tiltre chacun convertit à foy tout ce qu'il peut, il eft inevitable, quelque abondance qui regne, qu'un petit nombre ne devienne le maiftre du plus beau & du meilleur, & que les autres n'ayent ⚫ que le marc & la lie : c'eft à dire, que pour quelques riches il n'y ait quantité de pauvres. Et il arrive d'ordinaire que ces derniers font les plus honneftes gens,& ceux qui meriteroient une condition plus advantageufe: & que les autres font perfonnes de fac & de corde, de mauvaise foy, inutiles à l'Eftat; qui ont triomphe de la modeftie, & mis le pied fur la gorge de ceux qui pen foient davantage à travailler pour le bien public que pour eux mefmes. le me perfuade donc que la Juftice & la felicité ne floriront jamais parmi les hommes, tant qu'on laiffera les particuliers proprietaires des

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biens. La plus grande partie du peuple, & les plus gens de bien particulierement, n'ont a efperer de cefte conftitution des chofes que pauvreté, que mifere, & que mille traverses en la vie. Ie ne veux pas dire qu'on peut changer tout à fait l'Estat present: mais on pourroit y apporter quelque moderation, fi on ordonnoit que chacun ne poffedera qu'une certaine eftenduë de terroir & une certaine fomme d'argent ; fi on empefchoit par de bonnes loix que le Prince ne devint trop puiffant, & que le peuple auffi ne fortit de fon debvoir; fi on oftoit les brigues des charges publiques; fi elles n'eftoient point venales, ou accompagnées de d pences, qui obligent ceux qui les exercent à la rapine, afin de fe rembourcer; & aufquelles on n'admet pas auffi les plus habiles, mais les plus riches. Des loix de cefte nature feroient aux calamités publiques,comme des fomentations qui allegent les douleurs des maladies incurables: car certes elles n'ofteroient pas tout le mal, tandis que la proprieté des biens demeureroit entiere, Mais il en pren

droit comme à un corps attaqué de diverses maladies, qui ne reçoit de foulagement en l'une qu'en irritant quelque autre: veu que tout le bien qu'on feroit d'un cofté tomberoit au detriment de celuy à qui il faudroit neceffairement le ravir. Il me femble tout le contraire, luy dis-je alors, qu'on ne fçauroit vivre commodement là où toutes choses font communes. Car d'où viendra l'abondance, fi chacun refufe de travailler? Ce qu'on fera fans doute, fi le profit particulier n'excite perfon ne, & fi chacun fe repofe fur l'induftrie & la diligence de fon compagnon, cefte faineantife amené la pauvreté fufcitera bien toft le meurtre & la fedition; lors qu'il n'y auroit point moyen de retenir par les loix ce qu'on aura legitimement amaffé. Et comment remedier à cela, je vous prie, le magiftrat perdant fa reverence & fon authorité chez des perfonnes qui vivent pefle mefle fans difference de conditions? Je ne m'eftonne pas, dit Raphael, que vous ayés ces pensées, puifque vous n'avés aucune Idée de l'Estat que je vous propose en exemple.

ayant

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mais fi vous aviés efté avecque may
en Vropie, & y aviés confideré les
loix & les couftumes pendant cinq
années; vous advouëriés que Vous
n'avés veu aucune nation mieux dif-
ciplinée. I'y ferois encores refidant
fi je n'euffe defiré descouvrir à mon
pays ce nouveau monde. l'ay pour-
tant de la peine,dit Egide, à me per-
fuader qu'on trouve de meilleures
inftitutions
ces terres neufves
qu'en noftre climat; où les Efprits
ne font pas moins fubtils; où les Re-
publiques font plus anciennes; où
l'ufage a defcouvert tant de belles
commodités; afin que je ne parle
point de celles que le hafard mefme
a produires au delà de toute la fub-
tilité humaine. Quant à l'ancienne-
té des Republiques, repartit Ra
phael, vous en parleriés plus perti-
nemment fi vous aviés leu leurs hi-
ftoires; fuivant lefquelles il y a eu
plus toft des villes chez eux qu'il n'y
a eu icy des hommes. Pour les in-
ventions de l'art ou de la fortune,
elles peuvent eftre communes. Au
refte fi nous avons plus d'efprit
qu'eux, nous avons certainement
moins d'induftrie & de diligence.

Car

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