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Mort du Robinia du Jardin des Plantes

Par M. Henri ÉMERY.

La Revue des Eaux et Forêts (5o année, no 10, 10 octobre 1866) annonce la mort du vieux Robinia du Jardin des Plantes de Paris, et lui consacre quelques lignes de biographie. C'était justice vis-à-vis du premier Robinia français, antique souche de ceux que nous possédons aujourd'hui, et doyen d'âge à coup sûr de tous les végétaux actuellement vivants au Muséum.

D'où provient cet arbre plus que deux fois centenaire ? Qui l'a transporté parmi nous, ou, enfin, quelles sont les mains bienfaisantes qui ont confié en terre française la première graine de cette belle espèce ? Questions curieuses auxquelles la Revue des Eaux et Forêts s'efforce de répondre. Malheureusement l'entreprise, il faut bien le reconnaître, est malaisée, car, dans le monde des plantes, les registres de l'état civil furent toujours fort mal tenus, et les célébrités végétales, moins favorisées en cela que les célébrités chevalines, canines, bovines, ovines, porcines, etc., attendent encore leur stud-book.

Aussi la chronique de la Revus présente-t-elle les choses à sa façon, dans un récit où l'imagination paraît occuper une large place.

Selon ce recueil, il existait à Paris, dans les premières années du XVIIe siècle, deux frères, Jean et Vespasien Robin, fort habiles fleuristes toux deux, et dont les jardins, situés sur l'emplacement actuel de la place Dauphine, étaient souvent visités par Marie de Médicis et les dames de sa cour.

Or, il advint qu'un jour Vespasien apprit à la reine le départ de son frère pour la Guinée, c'est-à-dire, comme on l'entendait alors, pour la côte occidentale d'Afrique. Mais ce que Vespasien n'avoua pas sans doute, c'est que notre voyageur n'était point parti seul. Il était parvenu, parait-il, à faire partager sa passion... pour les fleurs à une jeune et belle florentine, favorite de Marie de Médicis, et la signora Maria Campana l'accompagnait dans son voyage, entraînée par son amour... pour l'herborisation.

A quatre années de là, l'heureux jardinier revenait à Paris, ramenant Maria Campana qu'il avait épousée en Italie. Heureux? Je ne sais trop; quelques mauvaises langues ont prétendu que par la suite la signora Campana, toujours dominée par sa passion pour la botanique, herborisa quelquefois avec d'autres naturalistes que Jean Vespasien. Quoi qu'il en soit de ces dernières insinuations, toujours est-il que ce ne fut point là, selon la chronique, le seul souvenir agréable qu'il conserva de son voyage, car notre botaniste rapportait, dit-on, entre autres mer. veilles végétales, l'arbre qui devait être le Robinia du Jardin des Plantes.

Loin de moi la pensée d'élever des doutes sur la réalité de ce petit roman sentimental et botanique, je crois même bon d'encourager les illusions à cet égard, ne serait-ce que pour exciter les plus jeunes membres de la Société botanique de France à tenter de nouvelles excursions à la recherche d'herborisations aussi heureuses que celle de Jean Robin. Cependant, je ne saurais nier que je n'ai rien vu de pareil dans les documents et les récits du temps. D'ailleurs, tout le monde en conviendra, donner pour patrie au Robinia la côte occidentale d'Afrique, tandis qu'il appartient, dans l'opinion générale, à l'Amérique du Nord, c'est commettre là une erreur par trop manifeste.

Toutefois, je l'ai dit plus haut, tout est confusion et incertitude dans cette histoire, les noms aussi bien que les dates. Cependant la majorité me paraît acquise à la version qui veut que ce soit Vespasien Robin, alors attaché au Jardin des Plantes de Paris, fils et successeur, et non point frère de Jean Robin, qui sema la graine du premier Robinia français, au lieu d'en rapporter un pied vivant comme d'autres l'affirment. Maintenant, que ce petit événement horticole se soit passé en 1600 ou en 1635, ou même en 1637, selon les divers auteurs, c'est ce que je me garderai de vouloir décider. Je laisse à de mieux informés, aux botanistes archéologues, le soin délicat de mettre enfin d'accord les historiens du premier Robinia français. Mais que notre reconnaissance soit pour Jean ou pour Vespasien, ce qu'il y a de certain, en tous cas, c'est qu'elle appartient à un Robin; de la le nom de Robinia, en français Robinier, donné par Linné à cette belle et utile conquête de l'horticulture de notre pays. Toutefois, bien avant Linné, un autre botaniste également illustre, et, chose étrange ici, un savant français, Tournefort, avait eu la malencontreuse idée d'imposer à l'arbre ímporté par son compatriote le nom de Faux-Acacia. Ainsi Linné s'efforçait de réparer l'oubli de Tournefort à l'égard de l'un de ses prédécesseurs au Jardin des Plantes. C'était donc là tout à la fois un acte de justice d'abord, et de la part d'un étranger un acte de bon goût. Néanmoins, le bon sens public n'en jugea pas ainsi apparemment, car le vieux nom français de Faux-Acacia, abrégé par l'usage en celul d'Acacia, est définitivement resté au bel arbre naturalisé parmi nous par les Robin à une époque qu'il semble maintenant assez difficile de préciser.

Quoi qu'il en soit, l'arbre de Jean ou de Vespasien Robin aurait cessé de vivre, au dire de la Revue des Eaux et

Forêts. Mais aujourd'hui où tant d'illustrations contemporaines, tuées journellement par la chronique des feuilles publiques, se portent néanmoins encore à merveille, il est permis d'espérer que peut-être la sentence prononcée contre l'arbre historique ne restera pas sans appel. La puissance d'organisation du végétal est si grande que la vie le dispute pour ainsi dire fragment par fragment à la mort. Tant qu'une parcelle de ses tissus échappe à la décomposition, tout espoir n'est point perdu; car, de cette parcelle où la vie s'est réfugiée comme dans son dernier asile, un bourgeon, c'est-à-dire un nouvel arbre, peut naître et grandir si les circonstances le permettent.

Quand on songe aux conditions d'existence des plantes ligneuses, on se prend même à croire que ces individualités multiples ne sauraient périr, à moins d'accident ou de catastrophe. Car enfin, dans la majorité de nos essences forestières où les bourgeons sont visibles pendant la période hivernale, l'arbre, réduit à son expression la plus simple, est un bourgeon, enraciné par la base, qui s'épanouit et s'allonge en tige durant la belle saison, émettant de distance en distance des feuilles et d'autres bourgeons. L'automne est pour le bourgeon primitif, père de la colonie, ainsi que pour tous ses descendants, c'est-à-dire les autres bourgeons, l'époque du repos. Tous ils passent cette saison et la suivante douillettement enveloppés de duvets et de feuilles écailleuses qui les protégent contre les rigueurs de l'hiver. Puis le beau temps revenu, tous, fortifiés et accrus pendant leur sommeil, s'épanouissent, produisant de nouveau bois, développant de nouvelles feuilles, émettant enfin de nouveaux bourgeons. Et ainsi de suite, d'années en années, la tige s'élève, le tronc s'élargit, les ramifications croissent et se multiplient. Pourquoi donc n'en est-il pas indéfiniment ainsi ? Pourquoi donc chaque

espèce n'a-t-elle qu'une longévité, fort grande sans doute, mais limitée néanmoins?

C'est que dans le sol, source principale de la vie, se trouve en même temps, singulier contrastre, des germes de mort que l'arbre y puise sans cesse et dont il s'imprègne lentement. Ce qui peut se comprendre en deux mots.

Dans l'arbre, la vie se retire progressivement du centre à la périphérie. Pour la tige en particulier, la région centrale du tronc est morte sur une épaisseur qui s'accroît avec le temps, et il n'existe de vivant qu'une zône fort mince, immédiatement placée sous l'écorce. Or ce bois mort, en communication incessante par sa base avec l'humidité du sel, s'altère et se décompose peu à peu. Le centre de l'arbre se creuse donc, la désorganisation s'étend de jour en jour et gagne de proche en proche la zone de végétation. La séve, dont cette dernière est la voie naturelle, finit par ne plus arriver en quantité suffisante à la cime qui meurt alors d'épuisement. L'activité vitale du colosse se retire dans quelques branches mieux disposées que les autres pour recevoir l'afflux de la séve. De ce jour l'arbre est couronné, comme disent les forestiers; mais les désordres s'aggravent, et un coup de vent finit par briser et coucher sur le sol le géant centenaire.

Telle est la fin de ces arbres historiques. Déjà on ne les trouve plus qu'en très petit nombre dans quelques grands établissements privilégiés, où le même esprit a pu se transmettre de générations en générations. Partout ailleurs ils tendent à disparaître rapidement et ne seront point remplacés. Il faut bien que le cadre soit en harmonie avec les personnages qu'il renferme. Or, la majestueuse lenteur de la croissance de ces géants du monde végétal ne s'accorde plus avec les exigences capricieuses et changeantes des

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