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M. Cougny vous a entretenus d'une fort savante et fort belle édition des poèmes d'Homère, récemment publiée par M. Pierron, l'un de nos hellénistes les plus distingués, et vous a montré avec quelle conscience et quel succès l'éditeur s'est acquitté de sa tâche. En effet rien n'a été négligé outre une histoire complète des poèmes d'Homère et de ce qu'on appelle la question homérique, il a joint à un texte excellent de tout point, tous les commentaires désirables sans noyer l'utile et le nécessaire dans le pédantesque fatras de l'érudition germanique. Grâce à M. Pierron, vous a dit notre confrère, nous possédons une édition définitive du grand poète, et l'Allemagne n'a dans ce genre rien qu'elle puisse opposer à la France.

A peine M. Cougny a-t-il eu à vous signaler l'omission de quelques minces documents secondaires, tables iliaques et odysséennes, utiles peut-être à l'intelligence plus nette et plus précise du texte, comme le sont les éditions illustrées qui commencent à pénétrer dans nos écoles. Il vous a donné aussi quelques textes anciens qui dans cette œuvre de longue haleine ont échappé au savant homérisant : humana parum cavit natura.

A l'occasion d'une traduction nouvelle des Lettres d'Alciphron, par M. de Rouville, M. Cougny vous a entretenus de ces curieuses études de mœurs. M. Cougny ne pense pas qu'Alciphron ait toujours simplement et fidèlement retracé des mœurs qu'il avait sous les yeux : Alciphron écrivait vers la fin du 1o ou au commencement du Ive siècle de l'ère chrétienne, et les mœurs de ses personnages n'étaient sans doute plus les mêmes que du temps de Ménandre et des poètes de la Nouvelle-Comédie; néanmoins les petits tableaux de genre dessinés par le rhéteur ne laissent pas de nous intéresser. S'ils font

penser à certaines pièces de l'Anthologie, à certains dialogues peu classiques de Lucien, ils rappellent surtout les scènes familières de la Nouvelle-Comédie, et l'on peut dire avec M. Cougny qu'ils nous en donnent pour ainsi dire la menue monnaie.

M. Cougny a publié dans le dernier Annuaire de l'Association pour l'encouragement des études grecques, une curieuse correspondance inédite de Brunck avec M. de Foncemagne, membre de l'Académie française et de celle des inscriptions et belles-lettres. Cette correspondance, dont il vous a été lu d'importants fragments accompagnés d'indispensables commentaires, se rapporte à la publication, sous le nom d'Analecta, d'une Anthologie grecque par laquelle Brunck a inauguré en 1775 ses travaux de critique et de philologue, et qui est demeurée l'un de ses meilleurs titres à l'estime de tous les érudits. Dans ces lettres, on le voit s'enquérant passionnément de tout ce qui peut rendre son travail plus complet, et n'épargnant ni peines ni sacrifices pour faire explorer les plus importantes bibliothèques de Paris et de toute l'Europe. Brunck tient au courant de ses travaux son savant correspondant, qui s'y intéresse d'autant plus vivement qu'il s'était occupé lui-même d'un pareil ouvrage, et que non content d'avoir mis toutes ses notes à la disposition de l'helléniste, il met celui-ci en rapport avec tous les savants français du temps, Cappronnier, Larcher, Barthelemy et autres, dont les secours et les conseils ne lui ont point été inutiles.

Il n'est qu'une opinion sur les Lettres de Mme de Sévigné: elles ont charmé, elles ont ravi les contemporains, elles nous charment aujourd'hui comme elles charmaient les contemporains de la gracieuse et spirituelle marquise. Suit-il de là cependant qu'on doive regarder sa

correspondance comme le type absolu, comme le modèle unique du genre épistolaire? Telle est la question qu'a brièvement débattue devant vous M. l'abbé Chevallier, et à l'occasion de laquelle s'est émue, je ne dirai pas une controverse, on était d'accord, mais une de ces conversations toujours intéressantes, toujours fécondes lorsque le sujet en vaut la peine. Quelques mots la résumeront. Ni Cicéron ni Voltaire n'auraient écrit les Lettres de Mme de Sévigné, mais qui oserait prétendre que celles-ci soient aucunement supérieures à celles de ces deux grands génies? n'est-il pas incontestable d'ailleurs que ce qui fait le charme et l'intérêt d'une vraie correspondance, c'est le naturel, c'est l'originalité qui s'enfuit et disparaît dès qu'on veut reproduire un modèle ?

Plus d'une fois on a retracé la belle et pure existence de Ducis, mais il reste à faire un travail où l'on mettrait mieux à profit, je ne dirai pas ses mémoires, mais son journal, mais sa correspondance familière, aujourd'hui recueillie et vraisemblablement complète et classée. Sainte-Beuve qui n'en connaissait qu'une partie, n'a fait que formuler l'impression générale en disant que dans ces lettres Ducis a laissé un véritable trésor qui gardera mieux sa mémoire que ne le sauraient faire ses œuvres tragiques. Après avoir cherché et réuni un nombre considérable de pièces inédites, un honorable écrivain, M. de Pistoye, a écrit une nouvelle biographie du poète, dans laquelle il s'est efforcé d'enchâsser les fragments les plus précieux de la correspondance du poète avec sa famille, avec ses amis et avec un bon nombre des plus illustres contemporains de sa longue carrière. M. Delerot vous a lu au nom de l'auteur plusieurs chapitres de cet excellent travail qui, nous l'espérons bien, pourra être livré à la publicité. N'est-il pas permis de compter, et

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surtout à Versailles, sur le concours de tous ceux qui tiendront à honorer dans Ducis :

L'accord d'un beau talent et d'un beau caractère.

Le Théâtre des jeunes filles de la maison royale de SaintCyr (1689-1792) d'après des documents inédits: tel est le titre du livre dont M. Ach. Taphanel a terminé cette année la lecture. L'accueil fait au chapitre relatif à la représentation d'Esther, dans les lectures annuelles faites en Sorbonne, dans le Congrès de toutes les sociétés savantes des départements, permet de présager quel sera le succès de l'ouvrage auprès du public, lorsque sera terminée l'impression fatalement retardée par des causes indépendantes de la volonté de notre confrère. Encore quelques semaines et l'ouvrage dont vous aurez eu les prémices sera dans toutes les mains.

Que la médiocrité soit quelquefois un moyen de parvenir, Picard s'est attaché à le montrer dans une pièce en vers qui n'est pas la moins piquante de son répertoire. Soyez médiocres : tel est le mot attribué à RoyerCollard s'adressant à l'ambition peu scrupuleuse, dans un de ses accès assez communs d'humeur morose et chagrine. Tel est aussi le thème que M. Taphanel s'est plu à développer devant vous un certain soir, mais en badinant innocemment, mais sans affecter la rudesse stoïque d'un Caton, ni s'armer du fouet de Juvenal. On peut moraliser sans colère, on peut, comme l'a dit un poète latin de son plus illustre devancier, se jouer autour du cœur, et ce n'est pas la façon la moins adroite d'y trouver un facile accès.

Des débats judiciaires sur des questions de nue propriété et d'usufruit ou d'achat de combustible n'ont généralement que peu d'intérêt pour le public. Mais lors

que ces débats, fort mesquins en eux-mêmes, s'agitent entre deux contestants de beaucoup d'esprit, il n'en est plus de même, et vous l'avez bien vu dans les deux séances où M. Ploix vous a entretenus de la correspondance de Voltaire et du président de Brosses récemment éditée par un magistrat de la Cour de Dijon, M. Foisset.

Acheteur à vie de la seigneurie de Tournay, Voltaire abat des arbres que le nu propriétaire entend que l'on respecte; de plus, il achète à un fermier quelques cordes de bois dont il veut ensuite absolument que son vendeur lui ait fait présent. Une discussion s'émeut; Voltaire rit d'abord et plaisante, avec quelle verve! sur quelques fagots, dit-il, qu'on lui conteste; le président aussi le prend d'abord sur le même ton et réplique en plaisantant, mais à la fin le ton devient sérieux, et il ne ménage pas à Voltaire d'assez dures vérités, justifiant ainsi le distique du poète : Ludus genuit trepidum certamen, etc.

Aussi bien de tels jeux engendrent le dépit.

Voltaire, qui ne laissait pas d'être hargneux et rancunier, se vengea en empêchant le président d'entrer à l'Académie française; les héritiers du président se vengèrent plus tard sur ceux de Voltaire (les procès étaient longs) en les faisant condamner à 40,000 francs de dommages-intérêts.

On se plaint généralement de la décadence de notre théâtre et ce n'est pas sans raison : là, comme dans nos expositions annuelles au Salon, on peut dire que le grand art décline et qu'il se meurt. Quelle en est la cause? fautil en accuser la fatalité? faut-il s'en prendre aux artistes et aux auteurs dramatiques? faut-il tout imputer au mauvais goût du public? Il est à craindre que le public ne soit moins coupable qu'on ne le dit, et je n'en veux

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