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Bossuet des règles de conduite; lorsqu'elle fut frappée à Saint-Cloud d'un mal mystérieux autant que terrible, elle l'envoya chercher.

La vue de cette jeune princesse, précipitée tout à coup au tombeau, remplit son âme d'une émotion qui respire dans son discours et en fait la plus touchante des élégies. On y sent une tendresse de cœur, une délicatesse de sentiment que l'on trouve à peine au même degré dans Racine et dans Fénelon.

Quand il courbe les rois du monde sous la main de Dieu, quand il retrace la révolution d'Angleterre avec une force de couleur qui rappelle le grand poète du moyen âge, quand il nous raconte les batailles de Louis de Bourbon ou l'invasion de la Pologne par CharlesGustave, son génie nous transporte d'admiration. Mais lorsque, dominé par son émotion, il s'écrie: «O nuit désastreuse! O nuit effroyable! où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre: Madame se meurt! Madame est morte!... elle a passé du matin au soir, ainsi que l'herbe des champs; le matin elle fleurissait, avec quelles grâces! Vous le savez: le soir nous la vîmes séchée... La voilà, malgré son grand cœur, telle que la « mort nous l'a faite!» il nous remue, il nous attendrit jusqu'aux larmes. Ce n'est plus son génie qui s'adresse à notre esprit, c'est son cœur qui parle à notre cœur.

Malgré cette éloquence à laquelle rien ne résistait, suivant l'expression de Mmo de Maintenon, Bourdaloue fut regardé par ses contemporains comme un plus grand prédicateur que Bossuet. La belle ordonnance de ses sermons, sa parole unie, calme, régulière, qui a un mouvement tempéré et continu, qui poursuit pas à pas tous les sophismes du cœur et de l'esprit jusque dans leurs derniers retranchements, qui sait effrayer les mondains

sans les désespérer, qui sait présenter avec une autorité inflexible les avertissements de la loi chrétienne à une cour enivrée de fêtes et de plaisirs; tout en lui est merveilleusement approprié à une époque d'ordre et de foi. De là le succès de ses discours plus capables de convaincre que de toucher, ainsi que l'a dit Fénelon.

Quant à Fléchier, il a l'élégance polie de son temps; mais il n'a ni la force et la grandeur de Bossuet, ni la logique serrée de Bourdaloue. J'ai hâte d'arriver à Fénelon. Nous voici en face d'un beau génie et d'un grand cœur. Issu d'une famille très-noble du Périgord, tout brillant d'esprit, mais élevé dans la piété et la modestie, il fut présenté dans sa grande jeunesse à Bossuet qui lui accorda son estime et son amitié. En 1687, il écrivit pour la duchesse de Beauvilliers son premier ouvrage, le Traité de l'éducation des filles, chef-d'œuvre de délicatesse et de raison. Deux ans après, le duc de Beauvilliers, gouverneur du duc de Bourgogne, le fit agréer comme son précepteur. Fénelon avait alors trente-huit ans. Il dirigea si bien l'éducation de son élève que ce jeune prince, qui annonçait les plus fâcheuses dispositions, devint le plus doux et le meilleur des hommes. Ce fut pour réformer ce naturel indomptable, qu'il composa ses Fables et plus tard ses Dialogues. Il s'était aperçu que le charme du style et des fictions mythologiques avait un merveilleux pouvoir sur l'esprit du jeune prince. Il résolut en conséquence d'écrire un livre où, sous la forme d'un poème héroïque, lui seraient présentées les grandes vérités nécessaires pour le gouvernement. De cette pensée naquit le Télémaque. Fénelon n'approuvait pas le gouvernement absolu de Louis XIV. Il en voyait les abus et les dangers. Parvenu à l'âge mûr, lorsque déjà le monarque penchait vers son déclin, il ne pou

vait partager l'admiration enthousiaste de la précédente génération pour le grand roi. Comme Beauvilliers, comme Saint-Simon, il désirait voir substituer à la monarchie absolue une monarchie limitée par l'action d'une aristocratie puissante. Telle était la disposition de son esprit, quand il écrivit le Télémaque où il voulait surtout combattre les défauts qu'entraîne la puissance souveraine.

Saint-Simon nous a laissé un portrait de sa figure tracé de main de maître: « Elle rassemblait tout, dit-il, et les contraires ne s'y combattaient pas. Elle avait de la gravité et de l'agrément, du sérieux et de la gaîté... Tout ce qui y surnageait, ainsi que dans toute sa personne, c'était la finesse, l'esprit, les grâces, la douceur et surtout la noblesse. Tous ses portraits sont parlants, sans toutefois avoir pu reproduire la justesse de l'harmonie qui frappait dans l'original, et la délicatesse de chaque caractère que ce visage rassemblait. »

Cette harmonie des contraires, Fénelon la réalisa dans son Télémaque avec un art supérieur dont il avait seul le secret. Voyages, préceptes moraux, discussions de philosophie, guerres, théories d'économie politique, il a su tout allier et tout fondre dans un ensemble harmonieux; tant était grande la souplesse de son génie ! Il est le plus naturel, le plus correct et le plus pur des prosateurs du dix-septième siècle. C'est celui dont la diction se rapproche le plus de celle de Racine. Ils sont l'un et l'autre l'expression la plus fidèle de cette société élégante et polie dans ce qu'elle avait de plus pur et de plus brillant. Racine est plus concis et plus ferme : on sent qu'il a passé par l'école de Port-Royal. Chez tous deux, même pureté de goût, même délicatesse de sentiment, même enthousiasme pour la beauté antique. Mais la belle âme

de Fénelon a pu seule trouver pour peindre la félicité des bienheureux cette admirable comparaison : « Ils sont sans interruption dans le même saisissement de cœur où est une mère qui revoit son cher fils qu'elle avait cru mort; et cette joie qui échappe bientôt à la mère, ne s'enfuit jamais du cœur de ces hommes; elle est toujours nouvelle pour eux. »

Plus jeune que Fénelon de douze ans, Massillon ferme la série des grands orateurs de la chaire au XVIIe siècle. Sa force est dans la prédication de la morale. Tantôt saisissant les passions qui fuient dans les détours du cœur, il les met toutes vivantes sous les yeux de ses auditeurs effrayés; tantôt faisant palpiter dans leur sein les plus tendres émotions, il sait trouver des accents aussi élevés que touchants, toujours noble, toujours élégant et harmonieux, il pousse la richesse du style jusqu'au luxe. Le goût est encore délicat chez lui; mais on peut prévoir qu'il ne tardera pas à se corrompre sous l'influence d'une société polie jusqu'au raffinement.

Massillon et La Bruyère ont un point commun; ils sont tous deux fins moralistes; mais le second est par-dessus tout un peintre satirique, il cherche la finesse et l'esprit, mais sans affectation de mauvais goût. Toutefois nous sommes bien loin de l'ample simplicité de Pascal, et nous approchons de Montesquieu qui mettra toutes ses pensées en saillie. Nous touchons à la corruption du goût par l'abus de l'esprit, comme tout à l'heure nous y touchions par le luxe du style et la surabondance des paroles.

Sur la recommandation de Bossuet, La Bruyère avait été placé près du petit-fils du grand Condé pour lui apprendre l'histoire. Quand ses fonctions eurent cessé, il n'en resta pas moins dans l'hôtel de Condé à Versail

les, attaché au prince en qualité d'homme de lettres avec mille écus de pension. C'est là qu'il écrivit ses Caractères immortels, et c'est là aussi qu'il mourut en 1696. La cour de Versailles offrait une ample matière à son observation et à ses peintures satiriques, en même temps que l'élégance des mœurs et la culture de l'esprit, qui frappaient ses regards, exerçaient sur sa plume leur influence naturelle. Non-seulement le chapitre de la Cour, mais plusieurs autres et particulièrement celui du Cœur ont fait de nombreux emprunts à ce monde brillant qui l'environnait.

A côté de ces grands écrivains, deux femmes méritent à des degrés divers une place distinguée. Née en 1626, Mme de Sévigné appartient à la forte génération de Molière, de La Fontaine et de Bossuet. Son éducation fut très-soignée. Chapelain et Ménage lui avaient appris le latin, l'italien et l'espagnol. Elle vécut dans la société de La Rochefoucauld et du cardinal de Retz. Elle était liée

dès le temps de la Fronde avec les duchesses de Longueville et de Chevreuse, elle allait à la cour et se trouvait fort honorée, quand le roi avec sa grâce habituelle daignait lui adresser quelques paroles; pourtant sa fierté était mal à l'aise dans une région où les lois de l'étiquette et des préséances étaient si rigoureusement observées. Tout en admirant beaucoup Louis XIV, elle fut moins éblouie que d'autres par les rayons du roi-soleil. Elle suivit avec un intérêt passionné le procès de Fouquet dont elle nous a donné l'histoire émue dans ses lettres.

Esprit tout à la fois brillant et solide, elle alliait le bon sens et le sérieux de la vie aux caprices de la plus vive imagination. Admiratrice des Petites Lettres de Pascal, elle mêlait dans ses lectures les Essais de morale de Ni

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