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cole et la Jérusalem délivrée du Tasse, les Annales de Tacite et la Cléopâtre de La Calprenède; elle avouait son faible pour ce dernier ouvrage et en rougissait, mais c'était surtout pour Corneille qu'elle avait une vieille admiration: « Je suis folle de Corneille, écrivait-elle; il faut que tout cède à son génie ; » et ailleurs: « Croyez que jamais rien n'approchera, je ne dis pas surpassera, je dis que rien n'approchera des divins endroits de Corneille. » Pourtant elle conçoit quelquefois des alarmes pour son poète favori.

« Du bruit de Bajazet mon âme importunée, fait que je veux aller à la comédie. » Elle y va et transmet à sa fille son impression: « Bajazet est beau; j'y trouve quelque embarras sur la fin; mais il y a bien de la passion... je trouve pourtant, à mon petit sens, qu'elle ne surpasse pas Andromaque. Ce qui est vraiment beau, ce qui enlève, ce qui fait frissonner, c'est à Corneille qu'il faut le demander. Vive donc notre ami Corneille, pardonnons-lui de méchants vers en faveur des divines et sublimes beautés qui transportent. » Corneille était le poète de sa jeunesse; ajoutons qu'elle avait contre Racine un grief de mère de famille, elle l'accusait d'inspirer à son fils les goûts du théâtre.

Malgré les conseils du cardinal de Retz, elle avait marié sa fille, célébrée par La Fontaine, au comte de Grignan déjà veuf pour la seconde fois. Lorsque M. de Grignan fut appelé au gouvernement de la Provence, sa femme l'y suivit. Mme de Sévigné inconsolable voulut du moins adoucir l'amertume de cette séparation par une correspondance assidue. Elle lui donnait des nouvelles de la cour, de la Bretagne, des Rochers, de Livry, en un mot de tout ce qui pouvait l'intéresser; mais surtout elle lui parlait d'elle avec une sensibilité, une

grâce, un enjouement, une vivacité et une variété incomparable.

Dans sa jeunesse elle avait traversé l'hôtel de Rambouillet, et l'on trouve dans quelques lettres certaines traces du style précieux. Mais son goût se perfectionna dans le commerce de cette société choisie au milieu de laquelle elle vivait. Sa plume se joue sur toute sorte de sujets avec une égale aisance. Quand elle raconte la mort de Turenne, elle efface l'éclat oratoire de Fléchier; quand elle parle de la fin surprenante de Louvois, on croirait entendre Pascal ou Bossuet. Est-ce la même plume qui nous montre Mme de Montespan en colère, Mademoiselle avec ses tragiques fureurs, le marquis de Vardes et sa mine de l'autre monde, ou l'archevêque de Reims renversant un coquin et sa monture qui galoppent encore, comme la lettre qui raconte l'aventure? Grâce à la magie de son style, elle transporte Paris et Versailles. à Grignan. On lira toujours ces Lettres immortelles qui mettent sous nos yeux tous les événements heureux ou funestes, toutes les splendeurs et toutes les mesquines passions de la cour, en un mot tout ce qu'il y avait de grand et tout ce qu'il y avait de petit en ce temps mémorable.

Sans égaler le génie de Mme de Sévigné, Mmo de Maintenon a laissé des lettres, des entretiens, des conseils aux jeunes filles, qui laissent voir un jugement rare, un tact parfait, un esprit plein de finesse. Son style est naturel, sobre, concis. Nul écrivain n'a mieux su rendre sa pensée ni d'une manière plus nette et plus pénétrante. Mme de Maintenon est un guide plein de sagesse pour la conduite de la vie; elle traite tout sujet de quelque importance avec solidité, ou l'effleure avec agrément. Mais ne cherchez pas dans ses lettres cette vivacité in

comparable, ce je ne sais quoi de spontané, et cette tendresse de cœur qui font le charme principal des Lettres de Mme de Sévigné.

Vers la fin du siècle, nous trouvons un écrivain qui ne peut être comparé à aucun autre. Les Mémoires de SaintSimon nous présentent le langage d'un courtisan dans un homme de génie. Trompé dans son ambition, il reste à la cour, écoutant, observant, méditant des plans de réformes. Rentré dans son cabinet, il trace de grands tableaux, des portraits, des crayons même, qui rappellent le pinceau vigoureux de Tacite. Mais son esprit est plein de passion et de préjugés. Ses jugements ne doivent être acceptés qu'avec défiance. Toutefois, si la vérité de détail lui échappe, il nous transporte au cœur de la société qu'il décrit, et nous en donne la physionomie générale dans sa vérité.

On a de nos jours adressé trois reproches à la littérature du grand siècle; et ces reproches, on les a fait retomber sur Louis XIV, qui a voulu tout absorber en lui, et qui, en étouffant l'esprit de liberté, a tari la source des grandes inspirations. D'abord on a dit que cette littérature manquait d'indépendance; tranchons le mot, qu'elle portait les marques de la servitude. On a rappelé ces vers de Boileau :

Grand roi, cesse de vaincre, ou je cesse d'écrire...

Louis, les animant du feu de son courage,

Se plaint de sa grandeur qui l'attache au rivage.

On a relevé cette parole de Bossuet: « Le roi, dont le « jugement est une règle toujours sûre... » Etait-il donc un adulateur servile, celui qui osait en face du monarque prendre la défense d'Arnauld persécuté? Etait-il un flat

teur sans dignité, ce gentilhomme de la chambre, qui mettait dans la bouche de Joad ces beaux vers?

Bientôt ils vous diront que les plus saintes lois,
Maîtresses du vil peuple, obéissent aux rois;
Qu'un roi n'a d'autre frein que sa volonté même;
Qu'il doit immoler tout à sa grandeur suprême;
Qu'aux larmes, au travail, le peuple est condamné
Et d'un sceptre de fer veut être gouverné ;

Que s'il n'est opprimé, tôt ou tard il opprime...

Bossuet n'a-t-il pas condamné la violence qui vient d'en haut, quand il a dit : « Il n'y a pas de droit contre le droit, tandis que Fénelon réprouvait la violence qui part d'en bas, en déclarant que « la révolte n'était ja« mais permise? »

En second lieu, on accuse cette littérature de ne pas avoir assez d'imagination et d'invention. Mais si dans la patrie de Dante et du Tasse, si dans celle de Shakespeare et de Milton, la poésie a créé des œuvres d'une invention plus originale et plus puissante, chez quelle autre nation moderne trouvera-t-on cet équilibre parfait de l'imagination et de la raison, cette harmonie des facultés humaines, qui distingue nos écrivains du XVIIe siècle?

Enfin on proclame que ces écrivains n'ont pas connu la nature, qu'ils ne l'ont vue qu'à travers les bosquets et les ifs géométriques de Versailles. Je pourrais répondre « Est-ce que Mme de Sévigné n'a pas eu le senti<< ment de la nature? Avec quel charme elle retrace la « vie qu'elle mène aux Rochers, à l'ombre de ses grands « arbres et de ses jeunes plantations, de ce bois où le rossi«gnol et la fauvette ouvrent le printemps! » Qui a mieux observé, qui a mieux senti la nature que notre La Fontaine? qui l'a revêtue de couleurs plus vraies, plus bril

lantes, plus suaves? Voilà ce que je pourrais opposer à ce reproche; mais j'aime mieux rappeler ici les belles paroles qu'un philosophe éloquent adressait de nos jours aux jeunes peintres. Il leur disait : « Jeunes artistes, « qui voudriez ravir au soleil sa chaleur et son éclat, « songez que de tous les êtres de l'univers, le plus grand « est encore l'homme, et que ce que l'homme a de plus « grand, c'est son intelligence et surtout son cœur; « qu'ainsi c'est le cœur qu'il faut mettre et répandre sur « votre toile. »>

Sans m'arrêter davantage à de vaines critiques, je puis donc conclure et dire que l'influence de Louis XIV sur la littérature de son temps a été non-seulemeut réelle et grande, mais bonne et féconde. Ne nous lassons pas de relire ses chefs-d'œuvre, nos vieux amis de jeunesse. Nous y trouverons ces idées saines dont la société a tant besoin, cet amour de l'ordre et de la règle, sans lequel il n'y a pas de peuple libre, cette langue précise et lumineuse qui, par la netteté de l'expression, empêche la confusion des idées, ce spiritualisme religieux et moral, sans lequel une nation ne saurait vivre et durer.

RAPPORT du Secrétaire perpétuel sur les travaux
de l'année académique 1873-1874.

MESSIEURS,

M. Antoine vous a présenté dans un certain nombre de séances le résultat des études auxquelles il s'est livré sur le grand poème hindou, qu'on appelle le Rig-Véda. Et tout d'abord il vous a énuméré les arguments qu'il

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