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M. Ploix vous a entretenus d'une savante étude de M. Martha sur l'auteur du Poème de la Nature, le seul peut-être, a dit quelque part M. Villemain, dont le matérialisme n'ait pas desséché l'âme et l'imagination. Il n'y a plus à discuter, vous a dit M. Ploix, sur la physique de Lucrèce, ni à réfuter le système des atomes crochus, lequel après tout n'est pas plus absurde que les autres systèmes inventés par les savants de cette époque. Il n'y a pas à discuter non plus sur la valeur littéraire de l'écrivain; après Horace et Virgile, Lucrèce est sans contredit le plus grand poète de l'antiquité romaine. Mais sa religion ou plutôt son irreligion systématique, sa philosophie, sa morale, sa politique, en même temps qu'elles ont provoqué d'éloquentes protestations, ont aussi rencontré de tout temps des sectateurs qui ont même outré ses préceptes. Autant il en est advenu de la doctrine d'Epicure son maître; il avait fait du plaisir la fin de l'homme, mais il avait ajouté : « Le plaisir n'est que dans la vertu », et la vertu a été supprimée par les disciples. Lucrèce semble ne procéder que par négation: humble disciple d'Epicure, qu'il proclame le plus grand homme de l'antiquité et dans lequel il voit un bienfaiteur des malheureux mortels, Lucrèce n'est point un athée dogmatique dans le sens absolu du mot, puisque son poème commence par une magnifique invocation à la mère d'Enée et des Romains, mais ses dieux sont aveugles et sourds, et le souci des choses terrestres ne saurait troubler leur quiétude. Pour lui le bien suprême n'est point la volupté qui a ses excès et ses dangers; c'est l'absence de toute peine et de toute douleur. Il nie la vie future qui pourrait lui inspirer des terreurs; il réprouve la cupidité, l'ambition, les fureurs de l'amour en même temps que les embarras du ménage. L'épicurien,

ajoute M. Ploix, doit être apparemment un célibataire bien renté qui n'aura d'autre occupation que de connaître et discuter, sans s'y asservir, les systèmes des sages; qui, sans jamais quitter le port, verra de loin non sans quelque plaisir les vaisseaux en butte à l'orage; qui en politique, dégagé de tout parti, se rangera toujours du côté du plus fort; qui enfin, ne songeant qu'à lui-même, demeurera inutile à ses semblables et à sa patrie. Aussi ne doit-on pas s'étonner si, lorsque Fabricius entendit Cinéas exposer les doctrines d'Epicure, le vieux Romain souhaita que tous les ennemis de Rome s'en pussent pénétrer, et si Montesquieu a dit que cette secte gâta le cœur et l'esprit des Romains. Malheur aux peuples chez qui de telles doctrines s'infiltreraient dans les masses! car elles y étoufferaient toute étincelle de patriotisme, pour n'y substituer que les appétits les plus grossiers. Soyons justes toutefois l'épicuréisme de Lucrèce provient surtout de l'horreur que lui inspirent les exécrables fureurs de la guerre civile dont les champions ne sont pas précisément des adeptes d'Epicure; il a pitié de l'humanité, et lui souhaite le souverain bien qui est le repos, le repos qui fait l'homme égal en bonheur à ses dieux.

M. Cerf vous a entretenus d'une récente autobiographie des plus curieuses et des plus étranges : l'Histoire de ma vie et de mes idées, par Stuart Mill, l'homme dont la philosophie peut être aujourd'hui regardée comme l'expression la plus puissante de la philosophie anglaise. Et le terme d'histoire est vraiment mérité, et cette histoire retrace des phases bien curieuses dans le développement des sentiments et des pensées du héros et de l'historien, dont le père fut l'ami et l'associé des plus hardis

penseurs de son temps, les Bentham, les Yung, les Malthus; qui parlait le grec à trois ans, le latin à huit ans, mais qui s'aperçut, comme Reid, à vingt-trois ans, que toutes les connaissances dont on l'avait bourré ae formaient qu'un effroyable chaos, et se mit à refaire son éducation; qui aborda les diverses écoles philosophiques sans se cantonner dans aucune et chercha sa voie par toutes les méthodes, et sur les opinions philosophiques duquel, chose assez rare en son espèce, sa femme exerça un ascendant qu'il nous peint comme bien voisin de la domination.

M. Rodouan a examiné quelques-unes des théories émises sur le principe même du droit. Commençant par l'Ecole historique dont les chefs principaux ont été Burke en Angleterre, Hugo et de Savigny en Allemagne, il vous a exposé comment cette école, née d'une tendance réactionnaire contre la philosophie du XVIII° siècle, a nié tout à la fois le principe rationnel du droit et le principe du droit tiré du prétendu état de nature; comment elle a soutenu que toutes les lois, toutes les institutions d'un peuple naissent chez lui comme sa langue et ses mœurs; qu'elles ne sont pas une création arbitraire, pas même une création volontaire et réfléchie, et comme quoi tout droit est coutumier par essence doctrine qui nie la nature libre d'un peuple comme aussi sa spontanéité, et qui le soumet au fond à l'empire de l'instinct et de l'habitude.

Passant à ce qu'on appelle l'Ecole théologique, il vous a dit comment elle a voulu lutter contre les doctrines répandues et accréditées par l'Ecole historique, non pas en lui opposant une théorie rationaliste, mais en prétendant ramener le principe du droit à une révélation directe primitive, et à la volonté divine divulguée par la

foi et par la tradition: doctrine qui, en identifiant le droit avec une religion positive, rétrécit et restreint la notion du droit, et qui par là tend, sans le vouloir et sans le savoir, à immobiliser la société, ou même à la faire rétrograder vers un type donné d'organisation.

Enfin M. Rodouan vous a dit quelques mots de l'Ecole utilitaire, renouvelée de l'Ecole épicurienne, laquelle a eu pour coryphée Jérémie Bentham, dont Locke et Hobbes ne furent que les précurseurs. Il vous a dit comment Bentham proclame le principe de l'utilité comme l'axiome social, et comment pour lui l'utilité est comme la propriété d'un acte ou d'un objet à diminuer la somme de malheur, à augmenter la somme de bien-être soit de l'individu soit de la personne collective, famille ou cité, sur laquelle l'action ou l'objet peut influer.

La langue du droit, Messieurs, vous le voyez, n'est pas toujours des plus attrayantes, et vous me pardonnerez si, n'en ayant pas l'habitude, je ne la manie pas sans maladresse.

Vous devez en outre à M. Rodouan la première partie d'un Essai sur les sources du droit romain. Dans cette revue il vous a parlé des lois royales, leges regiæ, ordonnances des rois, et résolutions prises pendant la période royale dans les comices par curies. Il vous a raconté que ces lois royales, selon quelques jurisconsultes, furent dans les premières années de la République l'objet d'une codification, mais que les inductions de la critique moderne permettent difficilement d'avoir une confiance bien ferme dans cette assertion; puis comment, à dater du xvIe siècle, il a été fait des tentatives de restauration de ces vieux vestiges juridiques, tentatives qui n'ont pu aboutir qu'à la réunion en un faisceau des citations et mentions relatives à ces

lois, éparses jusque-là dans les auteurs grecs et latins, sans qu'on ait pu mettre en lumière un seul texte réellement authentique. Le xvIe siècle a vu paraître, il est vrai, un recueil des lois royales, mais ce recueil n'était que l'œuvre d'un faussaire qui réussit cependant à tromper certains érudits, si bien qu'il ne fallut pas moins que la science d'un Cujas pour démontrer la supercherie. M. Rodouan vous a fait ensuite l'histoire de la loi des Douze Tables, et vous a entretenus des travaux de restitution entrepris non sans succès depuis le XVIe siècle jusqu'à nos jours. A quelle époque a disparu le texte de la loi? M. Rodouan pense, avec certains historiens, qu'au temps de Cicéron, même au temps de Gaïus, on possédait encore ce texte, sinon dans sa langue primitive, au moins dans son intégrité substantielle. L'opinion est controversée, et M. Rodouan a, comme il s'y attendait, trouvé ici même des contradicteurs. C'est le cas de dire: Certant et adhuc sub judice lis est.

J'aurais voulu vous parler avec tous les détails qu'un pareil sujet comporte, et en France actuellement plus que jamais, des conférences que M. le capitaine Barthélemy nous a faites touchant les principes admis aujourd'hui pour l'organisation des armées chez les diverses nations européennes, et vous retracer avec lui les phases diverses par lesquelles les institutions militaires ont passé depuis les temps de la Grèce et de Rome jusqu'à l'organisation contagieuse du service militaire universel, obligatoire et personnel. Malheureusement de telles conférences sont, par leur nature même, nourries de détails qui en font l'intérêt, mais que l'analyse ne saurait reproduire sans dépasser les limites d'un rapport comme celui-ci. Au reste M. Barthélemy se pro

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