Bref, Codrus n'avait rien, pas un qui le conteste, Et de ce rien pourtant pas un débris ne reste, Codrus l'a tout perdu; mais le pis du destin, C'est que tout nu, réduit à mendier son pain, Codrus ne trouve pas un ami dans la ville Qui daigne le nourrir ou lui donner asile.
<< Mais que d'Arturius s'effondre le palais, Dames, grands sont en deuil, atterrés et défaits; Le préteur s'est levé; sur le commun dommage On gémit et du feu l'on exècre l'usage. La maison brûle encore, et chacun d'accourir : L'un fait présent du marbre, un autre vient offrir Sa quote part des frais; tel de blanches statues Et d'un Paros sans tache écloses toutes nues; Tel un divin chef-d'œuvre, un merveilleux trésor, Que sculpta Polyclète ou peignit Euphranor,
Antique hommage aux Dieux qu'on chaussa de phécases; Tel autre apportera des livres dans leurs cases, Un buste de Minerve, un boisseau plein d'écus. Et c'est peu; Persicus recevrait mieux et plus, Lui le plus opulent des vieillards sans famille Et suspect à bon droit, légère peccadille! D'avoir de sa maison fait jadis un bûcher.
« Aux jeux du Cirque un jour si tu sais t'arracher, Tu pourras faire emplette à Frusinone, à Sore, A Fabratéria, dans d'autres lieux encore, D'une maison riante et convenable, au prix Qu'à Rome pour un an te coûte un noir taudis. On a son jardinet, son puits à fleur de terre, D'où sans corde l'on peut puiser l'eau nécessaire Et soi-même arroser ses légumes naissants. Vas-y vivre, amoureux de la bêche et des champs, Possesseur d'un enclos suffisant à repaître, Avec cent écoliers, Pythagore leur maître. C'est quelque chose, ami, que d'avoir quelque part, N'importe où, son chez soi, fût-ce un trou de lézard.
« Qu'un malade est à plaindre ici! La veille y tue Et souvent. On dira que la fièvre est venue D'aliments trop peu sains et qui, mal préparés, Dans l'estomac brûlant restent mal digérés ; D'accord, mais quels garnis du sommeil sont l'asile ? Il faut être opulent pour dormir à la ville.
Tout le mal vient de là: les heurts bruyants des chars, Dans un étroit méandre accrochant leurs brancards, Le vacarme qu'au loin l'encombrement suscite, Réveilleraient Drusus et les veaux d'Amphitrite. Pour un devoir pressant le riche est-il mandé? De grands Liburniens, sur nos têtes guindé, L'enlèvent; c'est à qui fera place à la chaise. Il peut, chemin faisant, lire, écrire à son aise, Dormir même au besoin; pour aider au sommeil, A la litière close il n'est rien de pareil. Mais il passe; poussés par le flot qui succède, Nous restons attardés par le flot qui précède. La foule cependant s'augmente et sur mon dos Pèse de tout son poids : tel me froisse les os De son coude pointu, tel d'une lourde barre; Je reçois dans la tête une poutre, une jarre; A mes jambes se colle un limon noir et gras; A droite, à gauche enfin de grands pieds de soldats Me plantent dans l'orteil les clous de leurs chaussures. << Vois-tu cette cohue? entends-tu ces murmures? Là fume une sportule : ils sont cent affamés, D'ustensiles pesants tous vaillamment armés; Corbulon fléchirait sous l'effroyable masse
De chaudrons et de plats que sur sa tête entasse Ce chétif avorton qui marche le front haut,
Et ravive en courant le feu de son réchaud.
A ses hardes déjà maintes fois recousues
Que d'accrocs! Les haquets, les fardiers dans les rues S'entrecroisent, ceux-ci roulant de longs sapins Oscillants et branlants; ceux-là d'énormes pins
Qui, dans l'air balancés, menacent notre vie. Et si du marbre extrait de l'âpre Ligurie L'essieu chargé se rompt, et qu'en se renversant La montagne ambulante écrase le passant, D'un tas de morts sans nom que reste-t-il encore? Et leurs membres, leurs os, où sont-ils? on l'ignore. Du cadavre broyé de l'obscur plébéien,
Non plus que de son souffle, il ne subsiste rien. Au logis sur l'absent nul n'a d'inquiétude; On s'agite, on tracasse, et comme d'habitude Les uns lavent les plats, d'autres tout baletants Raniment le foyer; d'autres, sans perdre temps, Apprêtent la burette, apprêtent la strigile Et le linge du bain. Cependant immobile, Frissonnant à l'aspect du sombre nautonnier, Le nouvel arrivé pleure au bord du bourbier, La bouche veuve, hélas! de l'obole fatale Qui seule ouvre l'accès de la barque infernale.
« Envisage à présent les périls si nombreux, Si divers de la nuit; mesure et, si tu peux, Contemple sans effroi la hauteur de ces faites D'où par chaque lucarne on lance sur nos têtes, Fêlés, cassés, des pots dont les pesants débris Entament les pavés par leur chute meurtris. Contre ces coups soudains il faut être imbécile Pour ne se point munir et s'en aller en ville Souper sans avoir fait d'abord son testament. Là haut toute fenêtre ouverte nuitamment
Est à bon droit suspecte et fait sur ton passage D'un lumignon qui veille un sinistre présage. Sois modeste et demande aux Dieux que sur ton dos
On se borne à verser le contenu des pots.
« Un ivrogne plus loin s'agite, se démène; Il n'a rossé personne, il en porte la peine : Du trépas de Patrocle Achille furieux Passait ainsi les nuits, et sans fermer les yeux
Se couchait tour à tour sur le dos, sur la face. Pour l'assoupir, il n'est qu'un remède efficace : Se battre est pour aucuns la rançon du sommeil. Et toutefois aux grands sa prudence en éveil N'ose point s'attaquer. En vain de la jeunesse L'ardeur en lui se mêle à celle de l'ivresse ;
Il fuit d'un sûr instinct la pourpre et les manteaux, Les files de clients, les torches, les flambeaux, Et la lampe d'airain. Moi, dont à l'ordinaire La clarté de la lune est le seul luminaire, Ou d'un peu de résine un bout de fil enduit Qu'avec soin je ménage, il m'accoste et me suit. Veux-tu savoir comment va s'engager la lutte, S'il faut nommer ainsi l'attaque d'une brute Où l'un est seul battant, où l'autre est seul battu ? Se campant devant moi « Halte-là! m'entends-tu? » Et je dois obéir. Aussi bien que peut faire Contre un fou, contre un fort un chétif adversaire ? « D'où viens-tu? poursuit-il; de vinaigre ranci,
« De gourganes, de pois dis-moi qui t'a farci.
« Quel savetier daigna, pour faire chère lie,
« T'admettre à partager une tête bouillie
« De monton dur, ou bien des filets de poireaux ?
« Quoi! tu ne réponds rien! Mais parle, ou dans le dos « Reçois ce coup de pied, truand. Quel est ton siége? « Dans quelle synagogue enfin te chercherai-je ? »> Essayer de répondre ou vouloir s'échapper
Sans rien dire est tout un; il ne tient qu'à frapper; Après quoi l'enragé nous assigne en justice.
La seule liberté dont le pauvre jouisse,
C'est, quand il est meurtri, qu'il est roué de coups, D'implorer son bourreau, d'embrasser ses genoux, Pour que d'une ou deux dents il lui fasse au moins grâce. << Sont-ce les seuls dangers dont la nuit nous menace? Non vraiment. Que de gens prêts à nous dépouiller A l'heure où le marchand songe à se verrouiller,
Et qu'à l'envi chez soi chacun se barricade!
Parfois même un brigand fond de quelque embuscade
Et brandit le couteau. Quand les marais Pontins
Et la vieille forêt Gallinaire et ses pins
Sont gardés par le guet, refoulé dans la ville,
Un vrai parc, le bandit trouve un gibier facile. Et pourtant quelle enclume aujourd'hui, quels fourneaux Ne servent à forger des chaînes, des barreaux ? Tout le fer s'y consume, et j'ai peur, je l'avoue, Qu'il ne manque à la herse, à la bêche, à la houe. Qui ne regretterait les siècles fortunés
Où nos simples aïeux, où leurs simples aînés Voyaient Rome, à des rois, à des tribuns sujette, D'une seule prison largement satisfaite ?
«Donc je fuis. J'en pourrais appuyer le conseil Sur bien d'autres raisons; mais déjà le soleil Commence à décliner, l'attelage trépigne, Le muletier s'ennuie et du fouet me fait signe Qu'il faut partir... Adieu! mais toujours pense à moi; Et quand tu reviendras te refaire chez toi, Dans ton vieil Aquinum, sur ta froide colline, Près de votre Diane et de Cérès Helvine Donne-moi rendez-vous, et de Cume à l'instant Tout botté je m'arrache et j'arrive apportant, Si tu ne rougis point d'un trop débile athlète, Mon aide fraternelle au guerroyant poète. »>
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