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L'ÉCOLE ROYALE MILITAIRE (4)

(1751-1788)

PAR M. ACHILLE TAPHANEL

MEMBRE TITULAIRE

Louis XV et d'Argenson ont eu l'un et l'autre, dans la fondation de l'École militaire, une part facile à déterminer le Roi a signé, le ministre a contresigné l'édit de création. Mme de Pompadour a fait davantage : elle s'est intéressée à l'œuvre, elle l'a prise sous sa protection spéciale, elle en a favorisé et peut-être même assuré le succès. Toutefois, les encyclopédistes, Marmontel eu tête, sont allés au-delà de la vérité en lui décernant avec de pompeux éloges le titre de fondatrice. On va voir à qui revient surtout l'honneur de l'entreprise.

En 1702, un munitionnaire cherchant à faire passer des vivres en Italie pour les troupes du duc de Vendôme, s'arrêta au pied des Alpes, dans une hôtellerie isolée, à l'enseigne de la Montagne. Il n'avait pas eu le temps de former ses magasins, il arrivait en retard avec un convoi incomplet, et il se sentait perdu s'il ne rejoignait promptement l'armée. L'aubergiste avait quatre fils qui lui tenaient lieu de garçons de cabaret, servaient les voyageurs et pansaient les chevaux. Il conseilla à son hôte de les prendre pour guides. Ces jeunes gens, grands, bien faits, intelligents, menèrent le convoi par des che

(1) Lecture faite au congrès des sociétés savantes, à la Sorbonne, le 16 avril 1879. Ce morceau est extrait d'un ouvrage en préparation, dont le titre sera: Histoire de l'Ecole militaire de Saint-Cyr.

mins connus d'eux seuls, fort difficiles, mais courts, et le firent arriver sans accidents. Vendôme qui se voyait à la veille de battre en retraite, faute de pain, était dans une irritation extrême. La vue des mulets chargés de vivres lui rendit sa bonne humeur; il accepta les excuses du munitionnaire qui, loin de passer sous silence le service que lui avaient rendu les frères Pâris, s'en loua au contraire beaucoup et les présenta au prince. Ce fut le commencement de leur fortune. Ils entrèrent à quelque temps de là dans les bureaux de l'administration des vivres, s'y avancèrent rapidement, en sortirent pour s'élever plus haut, devinrent célèbres par leur probité non moins que par leurs talents, s'enrichirent, obtinrent les premiers emplois dans les finances, et exercèrent longtemps, au grand scandale de Saint-Simon et des ducs, une influence prépondérante dans les conseils de l'État.

Les frères Pâris n'étaient pas seulement d'habiles financiers; ils étaient doués, comme tous les grands administrateurs, d'aptitudes presque universelles. Ils connaissaient particulièrement bien l'armée : ils l'avaient vue de très près, soit comme fournisseurs, soit comme fonctionnaires; ils en avaient étudié l'organisation, ils en comprenaient les besoins, et personne depuis Louvois ne s'y était intéressé avec plus de compétence et de zèle.

En 1718, Antoine Pâris soumit au duc d'Orléans un projet d'École militaire. Il avait été frappé des inconvénients sans nombre que présentait le système alors en usage pour le recrutement des officiers subalternes. Si le simple soldat et surtout les bas-officiers laissaient peu à désirer, si les généraux, princes ou grands seigneurs pour la plupart, et ayant reçu comme tels une instruction soignée, étaient à la hauteur de leur rôle, les lieu

tenants et sous-lieutenants, au contraire, gens de fortune et de naissance médiocres, dépourvus ordinairement de toute éducation première, se sentant destinés à vivre, sans grandes chances d'avancement, dans les rangs intermédiaires de l'armée, offraient l'exemple des plus mauvaises mœurs et de la plus scandaleuse ignorance. Les dernières compagnies de cadets avaient disparu en 1694; les académies particulières, établies à Paris, n'étaient fréquentées que par les fils de familles riches, et la noblesse de province, à qui précisément appartenaient les petits grades dans l'armée, n'avait presque aucun moyen de s'instruire.

Le plan d'Antoine Pàris était très vaste. L'établissement qu'il proposait de créer eût ressemblé à notre École polytechnique actuelle. On y devait enseigner, outre les spécialités militaires et toutes les sciences alors connues, la jurisprudence et même la théologie. L'École devait être établie dans la plaine de Billancourt, entre le Point-du-Jour et Sèvres. On parla beaucoup de ce projet autour du Régent. Les frères Pàris étaient alors. en situation d'être écoutés : ils avaient, l'année précédente, en réformant les Fermes, augmenté de plusieurs millions le revenu de l'État, et, tout récemment, par la fameuse opération du Visa, ils avaient sauvé peutêtre le gouvernement d'une banqueroute. Mais, dans ce moment même, et contre toute attente, le vent de la faveur tourna. Un autre financier, celui-là tristement célèbre, Law, s'étant insinué auprès du Régent, le gagna à ses théories, fit ériger sa banque en banque royale, détruisit en un instant le crédit des frères Pâris, leur enleva le bail des Fermes et les fit exiler en Dauphiné.

Ils revinrent à la chûte du Système plus puissants qu'avant leur disgrâce. Le projet de l'École militaire.

avait été oublié dans les cartons. Ce fut Pâris-Duverney, le troisième et le plus distingué des quatre frères, qui se chargea de le reprendre. Il donna sur cette affaire au duc de Bourbon, premier ministre, des mémoires plus développés et plus complets que ceux de son frère aîné. Tout y était prévu le plan des bâtiments arrêté, les dépenses calculées à un denier près, le chiffre de la dotation fixé. Un nouveau contretemps vint encore arrêter l'entreprise. Le duc de Bourbon quitta brusquement le pouvoir en 1726. Duverney, compromis par l'amitié de ce ministre si justement impopulaire, mais auquel il avait inspiré pourtant quelques sages mesures, fut mis à la Bastille; ses frères furent une seconde fois exilés. Lorsque cette dernière disgrâce cessa, en 1730, l'institution des compagnies de cadets rétablie dès le début du ministère de Fleury, semblait devoir tenir lieu de l'École militaire projetée. Mais de graves contestations survenues entre les commandants des compagnies et ceux des places, au sujet de l'autorité que ces derniers prétendaient exercer sur les cadets, firent supprimer définitivement l'institution en 1733.

Duverney n'avait point perdu de vue son cher projet pour lequel il obtint dès lors l'adhésion formelle du gouvernement, et dont l'exécution ne fut plus retardée que par la guerre de la succession d'Autriche. Il sut d'ailleurs mettre ce délai à profit. L'expérience lui avait appris à ne pas se fier aux promesses des cours; il se douta bien que son œuvre, malgré la bonne volonté du Roi et des ministres, ne s'accomplirait pas sans difficultés, et, n'osant compter sur ses seules forces pour réussir, il chercha à se ménager des appuis. C'était une précaution qu'en aucun temps ni lui ni ses frères n'avaient négligée. « On sait, écrivait en 1743 la spiri

tuelle et méchante Mme de Tencin, que les frères Pâris ne sont pas gens indifférents; ils ont beaucoup d'amis, tous les souterrains possibles et beaucoup d'argent à y répandre; voyez après cela s'ils peuvent faire du bien et du mal. » L'un de ces amis puissants des frères Pâris dont parle Mme de Tencin, était le maréchal de Saxe, très lié lui-même avec Mme de Pompadour, et qui dut servir utilement auprès d'elle le fondatenr de l'École militaire. Un jour, devant la favorite, le vieux maréchal de Noailles ayant mal parlé de Duverney qu'il appelait dédaigneusement le général des farines. « Ce général-là, dit Maurice, en sait plus long que lui. »>

Ainsi secondé, et grâce à ses ressources d'habile courtisan, Pâris-Duverney gagna facilement à sa cause Mme de Pompadour. Il eut mêine la bonne fortune de trouver en elle une alliée intéressée. Il lui confia ses vues, lui montra le parti qu'elle en pourrait tirer, les lui fit peu à peu adopter comme siennes, et l'amena à ne voir en lui qu'un utile auxiliaire. La marquise fut aisément séduite par l'idée d'attacher son nom à une fondation de cette importance : c'était faire mieux encore que n'avait fait Mme de Maintenon à Saint-Cyr; c'était compléter l'œuvre de Louis XIV en ouvrant un asile aux orphelins de l'armée comme il en avait ouvert un à ses vétérans. Ainsi l'entendait du moins Mme de Pompadour, lorsqu'elle disait au Roi, avec une emphase qui fait aujourd'hui sourire : « Sire, cette jeune École sera le berceau de la Gloire, placé à côté de l'hôtel des Invalides qui en est la retraite et le tombeau. »

Ce grand projet devint pour elle une idée fixe et l'occupa bientôt tout entière. Elle demanda à son cher Nigaud, c'est le nom d'amitié qu'elle donnait à Duverney, des explications détaillées pour le Roi et pour elle;

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