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On l'a dit souvent, nous l'avons maintes fois répété nous-même (4), le xvIe siècle est une énigme dont le mot, difficile à trouver, sera une éternelle occasion de

(1) V. les mémoires de la Société des sciences morales de Seineet-Oise, 1870, 1873 et 1874.

(2) Une ébauche de ce mémoire a paru dans le Journal général de l'instruction publique, année 1870, nos 7, 10 et 12.

(3) Voici le titre complet de cet ouvrage peu connu : L'Idée de la République de François de Béroalde, sieur de Verville. - En ce poëme est discouru du deuoir de chasqu'vn, de ce qui conserue la police en son entier, parfait l'Estat et monstre à tous, selon leur qualité et condition, le moyen de bien et heureusement viure en la société humaine et se façonner aux bonnes mœurs. A Monsieur Du Gast, à Paris. Par Timothée Ioüan, libraire, demeurant rue Frémentel, près le clos Bruneau, MDLXXXIII. Avec priuilége du Roy. In-12.

(4; De la philosophie chez les jurisconsultes, etc.; Le parti républicain sous Henri III; Des représentations dramatiques et particulièrement de la comédie politique dans les collèges, mémoires lus à la Sorbonne dans les réunions des sociétés savantes en 1864, 1865 et 1866.

torture pour les historiens et les critiques. La foi ardente, dans les masses populaires, y coudoie, dans les classes. supérieures, le doute et l'incrédulité. L'indifférence, à en croire les dehors, n'est nulle part: ceux-là même qui en usent le plus et le mieux, sont ceux qui l'avouent le moins.

Étrange problème! dans ce siècle de troubles, tout agité d'ardeurs inquiètes, d'aspirations mal définies, on est, au fond, peu enclin aux nouveautés, on est, pour parler notre langue politique actuelle, très conservateur. Royalistes, républicains-nous avons démontré ailleurs. l'existence d'un parti de la République (1) catholiques

et protestants, politiques et ligueurs, tous pensent comme Montaigne, qu'il ne faut pas renverser l'édifice pour en construire un autre à sa place, qu'il ne faut pas même l'ébranler, y toucher. Hotoman, dont on a pris la FranceGaule pour un pamphlet républicain, n'est qu'un avocat de la cause du Béarnais (2); il est aussi monarchiste que Louis Le Roy, le lecteur en grec du Collège de France ou Collège des Trois-Langues, lequel, traduisant et commentant Platon et Aristote, trouvait dans ses travaux érudits l'occasion de soutenir « l'excellence du gouvernement royal (3)». Et tous cependant, tous ces ouvriers de la

(1) Dans le second des mémoires rappelés ci-dessus. V. la note précédente.

(2) V. notre Étude sur Fr. Hotoman et la Franco-Gallia, tome X des mémoires de la Société des sciences morales de Seine-et-Oise.

(3) De l'Excellence du Gouuernement royal, auec Exhortation aux François de perséuérer en iceluy, sans chercher mutations pernicieuses, ayant le Roy présent digne de cest honneur, non seulement par le droict de légitime succession, mais aussi par le mérite de sa propre vertu : et le Royaume reiglé d'ancienneté par meilleur ordre que nul autre que l'on scache, estant plus vtile qu'il soit héréditaire qu'électif, et administré par l'authorité du Roy, et de son Conseil ordinaire, que par l'aduis du Peuple, non entendu ny expérimenté ès affaires d'Estat. Par Loys le Roy, dict Regius. A Paris, par Fédéric Morel, imprimeur du Roy M.D.LXXV, auec priuilege.

pensée, les plus timides comme les plus hardis, croyaient qu'il y avait quelque chose à faire. Quoi? Recrépir les vieux murs, consolider les fondements ébranlés. Comment? En remontant aux principes, en recherchant l'essence même des choses. C'était bien ce qu'il fallait entreprendre. Mais pour accomplir une pareille tâche, y étaient-ils suffisamment préparés? En avaient-ils seulement la volonté ferme et bien définie ? Nous avons vu qu'ils s'effrayaient eux-mêmes de leur audace. Quant à leur savoir, ce n'était guère que de l'érudition. Ils avaient emmagasiné force idées prises un peu partout dans l'antiquité, et confondues avec des opinions personnelles, mélangées de pratiques locales, en un mot, d'éléments contingents, très divers. Et comme les poètes de ce temps croyaient pouvoir nous donner d'emblée un théâtre importé d'Athènes et de Rome, les théoriciens politiques s'imaginaient trouver chez les philosophes grecs des remèdes pour tous nos maux, des secours pour tous nos besoins, des formules parfaites d'une application si facile que la société, pour n'y pas trouver un régime salutaire, devrait y mettre de la mauvaise volonté. C'est ce qui fait qu'il y a si peu d'idées nouvelles dans les doctrines politiques du XVIe siècle. Ce ne sont le plus souvent que des reflets de l'antiquité.

Parmi les écrivains de cette époque, les moins dépourvus d'originalité sont les hommes d'État, les ambassadeurs surtout. Au milieu de la réalité vivante, ils ont pu voir et comparer; rarement toutefois ils ont conclu. Mais les théoriciens purs n'ont pas conclu davantage. Les premiers signalent parfois avec une sagacité merveilleuse ce qu'il y a de bon dans les lois des peuples chez lesquels ils ont vécu, mais on dirait que ces institutions leur semblent faites exclusivement pour les peuples qui se

les sont données. Les autres admirent aussi des règles, des maximes politiques qui leur sont recommandées par les auteurs anciens, leurs oracles; mais on les étonnerait fort si on leur demandait des conclusions pratiques. Ces leçons de l'antiquité, ils en font tout ce qu'ils en peuvent faire; ils les recueillent, ils les prônent comme si elles leur appartenaient. Ils les considèrent comme leur bien qu'ils prennent partout où ils le trouvent. C'est une nourriture qu'ils absorbent naturellement et qu'ils croient si complètement s'assimiler qu'elle devient leur esprit, leur cœur, toute leur âme. Les idées qu'ils expriment avec plus ou moins de netteté leur paraissent si bien leur propriété qu'ils ne songent pas même à en indiquer les sources. Il faut que la critique reconstitue en quelque sorte leur bibliothèque, et les fasse revivre avec leurs passions de toutes sortes dans leur milieu de savantes études que n'interrompent pas les grondements des tempêtes éclatant et se succédant sans cesse autour d'eux. Non qu'ils restent étrangers au mouvement des idées, au tumulte des événements qui les assiègent; ils y trouvent même comme un stimulant, une perpétuelle invitation à chercher dans leurs vieux maîtres des solutions à toutes les questions qui se posent avec un tel bruit de promesses ou de menaces. Les personnalités les plus en vue disparaissent pour eux, et dans le conflit des ambitions, dans la résistance des intérêts attaqués, ils trouvent occasion de peser le pour et le contre, de revenir aux principes et d'élever sur ces bases un édifice « paré autant à l'antiquité qu'à la moderne (1), » où les gens de bien aimeront à s'abriter, et contre lequel échoueront les tentatives des méchants.

De ces recherches entreprises en présence du danger (1) B. de Verville, le Moyen de parvenir, I, 3.

et sollicitées par des besoins sans cesse renaissants, sont nés de nombreux ouvrages de mérites bien divers et de non moins diverses fortunes, quelques-uns parfaitement inconnus et dignes d'un meilleur sort, tous produits par les mêmes circonstances, inspirés des mêmes sentiments. Parmi les livres, enfants de ces heures douloureuses, un des plus oubliés est celui dont nous avons reproduit le titre en tête de ce mémoire: L'idée de la République. Inégal, bizarre, à la fois méthodique et désordonné, d'un style tantôt énergique et net, tantôt barbare, diffus et traînant, formé d'éléments disparates, d'idées antiques et de traits de mœurs contemporaines, par son ensemble et par maints détails, il appelle vivement l'attention. Nous voudrions donc donner une idée de cet ouvrage étonnant un poème de philosophie politique! - peutêtre unique en son genre.

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I

L'auteur de ce livre est François Béroalde de Verville << gentilhomme parisien », qui serait aujourd'hui des plus ignorés s'il n'avait fait que cet ouvrage et les autres qu'il a signés, le Palais des Curieux, le Voyage des Princes fortunés, etc. Mais, chose remarquable, celui qui a sauvé son nom de l'oubli est justement le seul dont il n'a jamais voulu s'avouer le père; c'est le dialogue rabelaisien intitulé: Le Moyen de parvenir. Ce livre étrange, qui rappelle aussi à quelques égards le Cymbalum mundi de Bonaventure des Périers, est, en même temps qu'une peinture peu chargée de mœurs relâchées du XVIe siècle, une profession hardie de scepticisme.

Mais sur ce point il faut s'entendre.

Le scepticisme de cette époque ne porte point sur les principes, sur les vérités fondamentales, mais sur leur

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