Nous ne parlerons pas des hommes vivants, notre tache était déjà assez délicate, nous dirons même assez difficile, en ne nous occupant que des morts. « Les habitants des contrées qui avoisinent les volcans, a-t-on dit avec autant de justesse que d'esprit, se servent des laves elles-mêmes pour en faire des objets d'ornements et d'utilité; mais ils attendent au moins qu'elles soient refroidies. » Les hommes publics, depuis un demi-siècle, sont trop diversement appréciés pendant leur vie, au milieu de nos troubles et de nos dissensions, pour que l'on ose s'occuper de faits ou d'actions, alors qu'ils sont encore presque palpitants. Ainsi que l'ont raconté d'ailleurs avant nous d'autres biographes, après Voltaire, on doit des égards aux vivants, on ne doit aux morts que la vérité. C'eut été sans fruit que nous aurions donné plus d'étendue à certains articles; nous avons cru qu'il suffisait qu'ils fussent clairs, concis, qu'ils renfermassent tout ce qu'il est essentiel de savoir sur les individus; nous les avons donc dégagés des développements et des ornements qui rentrent dans le cadre des éloges acadé miques. Avant tout, nous avons cherché à être exacts et vrais, à ne donner que des dates certaines et des appréciations que l'opinion publique ou le goût avait consacrées avant nous. Quelque scrupuleux que nous ayons été dans la recherche minutieuse de tous les hommes de notre contrée dont les noms nous ont paru mériter d'échapper à l'oubli, nous ne pouvons pas assurer qu'il ne nous en soit pas resté d'inconnus. Ces omissions, si elles existent, seront réparées par la suite, car il faudra, après quelques lustres, un supplément à ce dictionnaire. La biographie est un travail sans fin, à qui la mort prépare chaque jour de nouveaux matériaux. ADOLPHE DE CARDEVACQUE. DICTIONNAIRE BIOGRAPHIQUE DES HOMMES CÉLÈBRES NÉS DANS LE PAS-DE-CALAIS, DEPUIS LES TEMPS LES PLUS RECULÉS JUSQU'A NOS JOURS A ABOT DE BAZINGHEM (François-André), savant | numismate, naquit le 17 juillet 1711 dans le Boulonnais, d'une famille anglaise. S'étant fait recevoir avocat à Paris en 1736, il épousa peu de temps après la fille de Nicolas Menin, conseiller au Parlement. Devenu veuf en 1748, il fut pourvu en 1750 de la charge de conseiller-commissaire à la Cour des Monnaies, fonction qu'il exerça pendant trente ans avec une rare distinction. Il se retira avec sa famille à Boulogne en 1770 et continua à se livrer à la culture des lettres et à son goût pour la recherche des anciens monuments historiques. Plein de zèle pour sa patrie, il contribua beaucoup à créer dans cette ville une société d'agriculture qui a rendu d'éminents services à toute la province, et, malgré son grand àge, il ne cessa de prendre à ses travaux une part très-active. Abot de Bazinghem mourut le 27 mars 1791 à l'âge de 81 ans. - Ce n'est que plusieurs années après sa mort, en 1799, que l'éloge de ce savant a été prononcé par M. Carmier, dans une des séances de la société dont il était le fondateur (Voyez le Magasin encyclopédique de Millin). Abot de Bazinghem a laissé plusieurs ouvrages: 1° Traité des Monnaies et de la juridiction de la Cour des Monnaies, en forme de dictionnaire, Paris 1764, 2 vol. in-4°. Cet ouvrage, fruit de vingt années de recherches, est encore le meilleur et le plus complet que nous ayons sur cette matière. Tout ce qui concerne la juridiction et la compétence des anciennes cours des monnaies n'y laisse rien à désirer; 2° Tables des monnaies courantes dans les quatre parties du monde, ibid, 1776, in-16; 3° Recherches historiques concernant la ville de Boulogne-sur-Mer et l'ancien canton de ce nom, ibid, 1822, in-4°. Avant d'être publié, le manuscrit a été mis en ordre et retouché par M. le baron Wattier, à la prière de sa femme, l'une des petites-filles d'Abot de Bazinghem; 4° Les aventures du comte de Vineville et d'Ardelise, sa fille, ibid, 1822, in-8°. C'est un roman historique. On a conservé de lui quelques ouvrages inédits, entr'autres Une Histoire ecclésiastique de Boulogne, avec de nombreux documents sur les abbayes et les prieurés de ce diocèse. (Michaud, Biographie universelle. Bertrand, Histoire de Boulogne-sur-Mer.- Des Essarts, Les siècles littéraires de la France.} ABOT DE BOURGNEUF (Gabriel-Charles-André), plus connu sous le nom de BAZINGHEM, naquit en 1748, à La Cocherie, dans le Boulonnais. Après avoir fait ses études au collége des Grassins, il suivit les cours de droit et entra en 1770, comme officier au régiment de Chartres. Rentré dans la vie privée qui convenait mieux à son caractère que la carrière militaire, il s'occupa uniquement du bonheur de sa famille et de celui des pauvres. En 1789, il fut digence extrème et son nom était tellement oublié nommé secrétaire des Etats-Généraux du Boulon-qu'aucun journal ne parla de sa mort. D'Acarcq nais. Le 28 novembre 1790, l'assemblée primaire du canton de Saint-Martin l'élut juge de paix. Bientôt s'étendit sur toute la France une horrible famine qui causa les plus grands désastres. Etre riche à cette époque, était un arrêt de proscription. Abot fit distribuer en secret des vivres aux pauvres, recommandant aux médecins du pays de les traiter gratuitement, se réservant de les indemniser de leurs soins. A ce titre honorable, M. Abot a rang parmi les hommes dont le département doit garder le souvenir. Il mourut le 8 mars 1798. (Bertrand, Histoire de Boulogne-sur-Mer.) ABOT DE LA COCHERIE (Jacques), né à Boulogne, le 30 janvier 1654, fit ses études à Paris. Recu avocat en 1663, il obtint successivement les charges de Procureur du roi des Eaux-et-Forêts, de subdélégué, et de lieutenant de l'Amirauté. En 1690, le roi lui donna le brevet d'inspecteur des troupes boulonnaises. Bienfaisant par caractère et convaincu que l'instruction, dans quelque classe qu'elle se trouve, est toujours le premier des biens, Abot de La Cocherie fit don à l'hôpital, en 1710, de la somme de 6.000 livres destinées à fonder des écoles de la doctrine chrétienne, pour l'établissement desquelles il avait engagé l'abbé de La Salle, leur fondateur, à amener deux frères à Boulogne. (Bertrand, Histoire de Boulogne-sur-Mer.) était membre de l'Académie de La Rochelle, d'Arras, de la Cruscq et de la Société royale de Dunkerque. On a de lui: 1° Grammaire française philosophique, ou traité complet sur la Physique, sur la Métaphysique et sur la Rhétorique du langage qui règne parmi nous dans la société, Genève et Paris 1760, 2 vol. in-12. Le premier, traite du nom, et le second du verbe. Ces deux volumes devaient être suivis de plusieurs autres qui n'ont point paru. L'ouvrage suffit pour prouver que l'auteur avait fait une étude approfondie de notre langue; mais on lui reproche de manquer d'ordre, de méthode, et surtout de clarté. 2° La Balance philosophique, discours de réception à l'Académie de La Rochelle, Amsterdam 1763, in-8° de 38 pages. 3° Vies des hommes et des femmes célèbres d'Italie, traduit de l'italien de San-Severins, Paris 1767, 2 vol. in-12. 4° Observations sur Boileau, Racine, Crébillon, Voltaire, et sur la langue française en général, La Haye 1770, in-8° de 240 pages. Le premier ouvrage que d'Acareq soumet à sa censure, c'est l'Art poétique. Il ne se contente pas d'indiquer les incorrections qu'il a cru remarquer dans ce chef-d'œuvre, mais il va jusqu'à refaire les vers de Boileau qui lui semblent défectueux. Il examine ensuite trois tragédies de Racine Bérénice, Athalie et Phedre; deux de Crébillon: Electre et Rhadamiste; et deux de Voltaire Zaïre et Mérope. En terminant il déclare que Racine lui semble beau, Crébillon fort et Voltaire joli. La Harpe a critiqué cet ouvrage de d'Acarcq dans le recueil de ses œuvres, édition de 1778, tome V, pages 178-185. Après avoir corrigé Boileau, d'Acarcq donne à ses lecteurs un échantillon de son talent pour la poésie, en plaçant des pièces diverses à la fin du volume. 5o Le Portefeuille hebdomadaire, Paris, 1770-71, 3 ou 4 vol. in-8°. Ce journal est devenu très rare. 6o Plan d'éducation publique, ibid, 1776, in-8°. Ce plan d'éducation n'est autre chose que le prospectus du pensionnat de d'Acarcq, un peu développé. Remarques sur la sixième édition de la grammaire française de Wailly, Saint-Omer, 1787, in-8° de 44 pages. 8° Traité de morale naturelle et universelle. 9° Essai de traduction en vers latins d'une mythologie française. ACARCO (Jean-Pierre d'), grammairien. C'est à tort que les auteurs de la Biographie Universelle le font naître à Audruick. Originaire de Mauléon, dans les Basses-Pyrénées, il donna à Paris des leçons de grammaire, puis établit un pensionnat sous le patronage de Fréron, dont il paya la protection en se chargeant de rédiger la partie grammaticale de l'Année littéraire. En 1759, M. Paris de Meyzieu le nomma professeur de langue française à l'Ecole militaire. Sa chaire ayant été supprimée, il tenta de publier sous le titre de Portefeuille hebdoma-70 daire, un journal qu'il ne put soutenir faute d'abonnés. D'Acarcq rouvrit alors son pensionnat en 1776, mais ce fut avec aussi peu de succès que la première fois. Il prit alors le parti de retourner en province, et vint se fixer à Saint-Omer, où il continua de donner des leçons de grammaire. Il composa quelques ouvrages pour lesquels il chercha vainement un imprimeur. Sa situation n'était pas devenue meilleure sous le rapport de la fortune, puisqu'il fut compris dans le nombre des gens de lettres auxquels la Convention accorda des secours en 1795. Le 4 septembre de cette année, il fut nommé professeur de grammaire générale à l'école centrale de Saint-Omer, et le 2 décembre 1797, il fut désigné comme juge suppléant au tribunal civil du département. Il mourut le 21 octobre 1809. Dans sa vieillesse, il était tombé dans une in - ACCARS (Jehan), poète de la fin du XIIIe siècle et du commencement du xive siècle, naquit à Hesdin. Il est auteur de ballades et de rondels qui se trouvent à la fin du manuscrit du Roman de la Rose, par Jean de Meung, dit Clapinel, sous ce titre Ceste prise amoureuse fist frère Jean Acars de Hesdin, hospitalier, en l'an de graces mil trois cens trentes et deux au mois d'avril, Jean Accars est en maintes occa sions gracieux, courtois, agréable chanteur de l'amour honnête et fort passionné pour le beau sexe. Ses chants se ressentent beaucoup de l'époque où ils furent composés. Sa prise amoureuse se fit, comme il le dit lui-même, au mois d'avril, et tout est printannier dans ses vers. (Arthur Dinaux, Trouvères Artésiens.) ADAM naquit vers la fin du XIe siècle. Il fut chanoine d'Illers, puis archidiacre de Paris. Il fut nommé évêque de Thérouanne en 1213. li se démit de son évêché en 1219 pour se retirer à l'abbaye de Clairmarais où il se fit religieux. Il y mourut en 1250. Adam a écrit l'histoire de son ordre. (Locrius, Chron. Belg.) ADAM DE GIVENCHY, trouvère artésien que Lacroix du Maine nomme Givinci, était issu d'une noble famille d'Artois, ainsi que son titre l'annonce. Il florissait vers l'an 1260, suivant ce que le prési dent Fauchet laisse présumer en le plaçant avant Jehan Bretel, contemporain de saint Louis. On connait d'Adam de Givenchy des poésies fort agréables disséminées dans plusieurs recueils manuscrits de son époque. Il était particulièrement lié avec Jehan Erars, le Bouteiller et Drogon, tous trouvères de son temps qui le citent avec avantage. Adam de Givenchy est regardé comme ayant mis au jour les Enseignements de Caton ou Dystiques de Caton en vers. Duchesne en cite quelques passages dans ses Annales sur Alain Chartier. (Arthur Dinaux, Trouvéres Artésiens.) ADAM DE LA HALLE OU DE LE HALLE, Adams li Bocus d'Arras, trouvère du XIIe siècle, naquit en cette ville. Selon M. Arthur Dinaux, le sobriquet de li Boçus ne doit pas faire croire qu'il fut affligé d'une certaine difformité (il s'en est du reste défendu dans l'une de ses poésies), mais tout au plus que sa taille n'avait pas une grande élégance. Son père tenait un rang honorable parmi les bourgeois d'Arras. Soit par goût personnel, soit par suite de la volonté de ses parents, il fit ses études à l'abbaye de Vaucelles, près de Cambrai, et y prit l'habit ecclésiastique. Au sortir de l'école, Adam fit rencontre d'une belle jeune fille dont la vue captiva son cœur, perdit la tête et contracta une union que sa famille désapprouva. Son bonheur dura peu; ce mariage ne convenait ni à ses goûts ni à son caractère. Après quelques mois d'une union orageuse, il abandonna sa femme, reprit la soutane, et s'en vint chercher fortune à Paris. Les vers d'Adam ne nous offrent pas de traits de son séjour dans cette ville; tout ce que l'on a pu recueillir sur cette époque de sa vie, c'est qu'il était de retour à Arras avant 1263. Vers cette époque, la ville fut frappée d'une taille extraordinaire de 20.000 livres tournois. Une circonstance fâcheuse contribua encore à aggraver le poids de cet impôt énorme. L'évêque et les échevins chargés de la répartition, furent accusés de l'avoir faite inégalement, et d'avoir levé une somme plus considérable que le roi ne l'avait demandée. Le mécontentement se manifesta par des injures et des violences. Arras était alors un lieu de plaisirs, de tournois, de festins; ses riches bourgeois aimaient les vers et la musique, les spectacles, les jeux et les fêtes, et alimentaient la verve des poëtes. Une foule de satyres sanglantes vinrent porter le trouble et l'effroi parmi les habitants, et la renommée accusa Adam d'en être l'auteur. Il lui fallut s'éloigner du théâtre de sa gloire et de ses plaisirs. Il nous reste des témoignages de ses regrets dans plusieurs de ses chansons et dans li congrés Adam, qui a pour sujet ses adieux; notre trouvère ne ménage cePendant pas la ville à laquelle il dùt le jour : il hisons, et lui reproche de trop aimer l'argent, et l'appelle une cité de querelles, de haines, de tra«si Dieu, dit-il aux habitants, ne fait rentrer en vous les bons sentiments, je ne vois pas qu'on puisse vous réconcilier. Adieu cent mille fois et plus. s'en allèrent souspirant en terre estrange. Adam Le poète se réfugia à Douai avec son père; ils s'attacha plus tard au comte d'Artois, Robert II, neveu de saint Louis, et, en 1282, il suivit à Naples d'Anjou, à tirer vengeance des Vêpres Siciliennes. ce seigneur, qui allait aider son oncle, Charles La langue et la littérature françaises étaient à cette époque très répandues en Italie : nos fabliaux, nos romans, nos chansons et notre musique même y étaient fort goûtés; aussi la personne et les vers du trouvère artésien furent-ils honorablement accueillis dans la capitale des Deux-Siciles. Ce fut alors qu'il composa pour les divertissements de la cour de Naples, le jeu de Robin et Marion, comédie pastorale qui fut représentée avec le plus grand succès. Adam n'eût pas le bonheur de revoir sa chère patrie; il mourut à Naples vers 1286. Les renseignements qui nous restent sur les dernières années de ce poète, se trouvent dans le jeu du Pèlerin, prologue écrit à sa louange, et peu de temps après sa mort, par un trouvère d'Arras dont le nom est inconnu. Nous citerons les vers suivants, véritable oraison funèbre du poète : Maistre Adam le clerc d'onneur, Adam de La Halle fut l'inventeur de l'opéra comique; son nom se trouve dans les origines de notre théâtre avant les auteurs de mystères, de moralités, de sottises; il appartient à cette période de l'histoire théâtrale où les laïques commencent à s'emparer des arts scéniques, exclusivement |