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jets pour le mois de juillet. La lettre qui suit dut avoir pour résultat d'attirer Mickiewicz auprès d'elle.

Dimanche, minuit (1),

Je me sers du prétexte de vous renvoyer le journal pour pouvoir vous griffonner quelques lignes. C'est une démarche trop hardie de ma part et peut-être blâmable, mais, dans la situation où je me trouve, je peux bien alléguer un passage de votre poésie:

« Pour me juger, ce n'est pas avec moi, c'est en moi qu'il faut être (2). »

Agréez un million de remercîments pour la divine poésie que vous avez eu l'extrême complaisance de m'envoyer. Elle est très jolie, je la lis et relis mille fois, admirant toujours votre génie et vos talents.

J'envie beaucoup ce griffonnage qui parviendra à vos mains. Que ne suis-je à sa place! J'aurais le doux plaisir de vous voir, de vous parler. Combien de choses j'aurais à vous dire! Je vous l'ai demandé plusieurs fois, mais vous m'avez répondu toujours nie wiem (3) avec un air d'indifférence, ce qui prouve votre indécision. Maintenant je ne demande, pour

(1) Cette lettre est en français dans l'original.

(2) Ce vers est naturellement cité en polonais par Maryla. Il est tiré d'une poésie, datée du 17 avril 1821, le Nautonnier, qui se termine ainsi : « Si je me précipite où me pousse le désespoir, il aura des pleurs sur ma folie et un blâme de mon ingratitude, car vous distinguez moins bien que moi ces nuées noires. De loin, vous n'entendez pas l'ouragan tordre les cordages; ici, la foudre frappe, vous n'avez là-bas que l'éclair. A côté de moi, sous les coups de tonnerre, c'est en vain que d'autres voudraient ressentir ce que j'éprouve. Nous ne sommes justiciables de nul autre que de Dieu, Pour me juger, ce n'est pas avec moi, c'est en moi qu'il faut être. >>

(3) « Je ne sais pas. »

toute réponse à ce griffonnage, qu'un oui dans la lettre.

d'Henri (1).

Adieu. Envoyez-moi votre adresse, car je ne sais pas où vous logez à présent.

Oh! que je désire vous voir avant mon départ de ces contrées! Je compte encore rester ici jusqu'au 2 juillet. Adieu, encore une fois. Portez-vous bien et soyez heureux. Je fais tous les jours des voeux pour votre bonheur. Puisse l'Être Suprême exaucer mes prières ! Il fait déjà bien tard, tout le monde dort, je vous souhaite aussi un bon sommeil et des rêves agréables.

Dans toute la force du terme, votre amie. Brûlez ce chiffon. Les yeux me font mal et je ne vois presque rien.

Mickiewicz accourut pour avoir avec Maryla l'explication finale. Elle ne pouvait avoir lieu qu'en tête-àtête. Le billet de Maryla est ainsi conçu :

A minuit, à la même place où je me suis blessée à une branche, et si quelque grave obstacle m'en empêchait, alors à la limite, vendredi, à 5 heures.

Ici se joua la scène du poème des Ayeux:

C'était la plus belle des nuits. Je vois une larme dans ses yeux. Demain, dis-je, je pars. - Adieu, répondit-elle tout bas. Oublie. — Elle cueille une feuille, me la tend : — Là, dit-elle en montrant la terre, voilà ce qui nous reste. Adieu. Et dans la longue allée elle disparaît comme un éclair.

Adam Mickiewicz garda cette feuille avec les lettres de Maryla et son portrait.

(1) Uzlowski.

Les parents de Maryla avaient compris qu'il devenait prudent de brusquer les choses et fixé la noce au 2 février 1821.

Il serait superflu, dit un vieil et intime ami de Mickiewicz, cousin de Maryla (1), d'entrer dans le détail des mystères de famille qui hâtèrent la conclusion des épousailles. Le brouhaha des apprêts d'une noce, les invités, les chasses et les divertissements, que Maryla seule ne partageait pas, étouffèrent toute réflexion et ne laissèrent pas apercevoir, même aux plus proches et aux plus intimes, ce qu'il y avait de tristesse dans cette union et ce qu'elle augurait de souffrances pour l'avenir. Maryla vivait avec son époux comme avec un ami et comme si elle n'était pas sa femme; elle se montrait soumise, mais évitait la société et vivait enfermée chez elle, sans beaucoup s'occuper de sa maison, affectionnant la lecture, la musique et la solitude. Putkamer la respectait, l'aimait, tâchait de lui être agréable et cherchait des distractions à la chasse et dans les réunions des propriétaires de sa province. Après un ou deux ans, et peut-être davantage, d'une pareille vie survint un changement. Les admonestations et remontrances de sa mère et sans doute de ses frères, le sentiment du devoir et la soumission à la Providence décidèrent Maryla à renouveler le serment d'obéissance à son mari. J'ai cependant toujours remarqué en elle une certaine mélancolie qui se trahissait quand nous étions seul à seul. Elle conserva la douceur et le charme de sa mère, mais perdit à jamais la gaieté et la sociabilité.

Chacun tenait Maryla et Mickiewicz en trop haute estime pour qu'ils ne pussent se revoir à leur aise. Ils

(1) Lettre d'Ignace Domeyko ȧ B. Zaleski dans le Przeglad Lwowski, 1er juillet 1872.

débattirent sans doute plus d'une fois l'insondable problème des mécomptes de cette existence et des réparations que nous réserve l'autre vie. Adam constate dans une lettre que ces colloques amenèrent un certain apaisement. Des crises de spleen les assaillaient l'un et l'autre, et Maryla, au fond, eût regardé comme un surcroît d'infortune que Mickiewicz n'eût pas broyé autant de noir qu'elle et qu'il eût soupiré aux pieds d'une autre femme. Une lettre de Maryla à son neveu Henri Uzlowski nous dépeint l'état de l'âme de cette jeune femme dans cette seconde phase. Elle lui écrit:

Depuis votre départ, je n'ai pas encore vu un rayon de soleil. Dieu m'a envoyé un sommeil léthargique qui a duré jusqu'à aujourd'hui. Si quelqu'un me réveillait, je tombais dans une colère et une rage furieuse pire que celle dont j'ai été saisie à cette promenade où l'on a empêché ma Hourie (1) de sauter. Ce sommeil abrégeait les heures et en même temps me procurait beaucoup d'agrément, car j'avais des rêves chers et doux qu'il faudrait plus d'un feuillet pour décrire. Tout passe comme un songe, à la différence près que les uns oublient vite tout, tandis que les autres sont plus impressionnés et ne perdent pas la mémoire. Remerciez M. Adam pour sa gracieuse promesse de m'envoyer ses Ballades (que j'attends avec grande impatience et sans résultat, car je n'ai rien reçu). Je ne m'en offusque pas. J'ai toujours présumé qu'une fois dans le monde de Vilna, il oublierait les habitants de Bolceniki. Je renvoie le roman qui m'a été adressé de chez Morytz (2). Je n'ai pas eu la patience de

(1) Jument favorite de Maryla.

(2) Libraire de Vilna.

le lire en entier, tellement le premier volume m'a ennuyée. L'intrigue est laide et ennuyeuse, elle se déroule au milieu de comédiens. Mais, comme dit le proverbe: chacun son goût. Faites-moi savoir, mon cher Henri, comment vous vous trouvez du climat de Bolceniki. Êtes-vous tous en bonne santé ?... Ne manquez pas de m'écrire par la présente occasion. Comment vous amusez-vous en ville, voyez-vous souvent vos compagnons de voyage et mentionnez-vous quelquefois votre amazone? A peine hors du lit, je monterai ma Hourie et je me promènerai. Il me sera doux de revoir les lieux où nous avons passé tant de fois. Si ces chers moments pouvaient revenir pour moi! Il ne m'en est resté que la souvenance. Saluez de ma part l'impoli M. Adam et tâchez de m'obtenir de lui ses Ballades qui viennent de paraître. Vous me ferez une grande grâce.

Votre affectionnée tante,

Le neveu répond de Vilna à sa tante:

MARIE.

J'avoue, ma chère tante, que j'ai subi une grande perte, puisque je n'ai plus votre dernière lettre, et cela parce que j'ai dû, sur les instances de monsieur Adam, la lui remettre. J'ose en outre vous prier de ne pas quitter de sitôt Bolceniki, car nous pourrions de la sorte communiquer encore une fois, fût-ce par lettres. Enfin, M. Michel (1) a écrit par Wierzbowski aussi bien à M. Adam qu'à moi qu'il arrivera ces temps-ci.

Le neveu de Maryla n'aura pas défendu bien bravement le billet de sa tante qui n'aura pas été autrement fâchée de le savoir aux mains d'Adam Mickiewicz. Le

(1) Wereszczaka, frère de Maryla.

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