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Un seul point de difficulté se rencontre, me semble-t-il, dans cette restitution c'est la date. On lit très-bien le commencement du millésime MCL et les deux dernières lettres du mois io, mais pour le reste, on en est réduit à des hypothèses; et avant tout, on se demande si la date. de l'épitaphe est corrélative au mot occumbentis ou au mot delatum; en d'autres termes si cette date marque l'époque de la mort de Raoul, ou bien celle de la translation de son corps au lieu de sa sépulture. J'incline pour la seconde version parce qu'elle est commandée par le sens littéral de la phrase; autrement, cette phrase serait d'une construction vicieuse.

Il s'agit maintenant d'examiner si la date dont je hasarde la restitution (juillet 1192), est en concordance avec les événements contemporains. Il est constant que Raoul Ier accompagna Philippe-Auguste à la troisième Croisade, et qu'il assista au siége de Ptolemaïs (1). D'après le témoignage à peu près unanime des historiens, il serait au nombre des barons français qui succombèrent sous les murs de cette ville; mais le fait est rectifié par son épitaphe (2). Désormais on devra tenir pour fausse cette tradition, propagée de confiance par des auteurs, qui se copient les uns les autres, et confondent presque toujours Raoul Ier, sire de Coucy, avec Renaud, châtelain de Coucy, célèbre par ses chansons et par ses amours avec la dame de Fayel nous avons aujourd'hui la preuve matérielle que Raoul a trouvé la mort au siége d'Ascalon. L'époque de ce siége n'est pas précisée dans les ouvrages que j'ai été à même de consulter, notamment l'Histoire des Croisades, par Michaux, et l'Art de vérifier les dates; mais elle est certainement postérieure de plusieurs mois à la capitulation de Ptolémaïs, qui fut conclue le 13 juillet 1191. En effet, dans l'intervalle, l'histoire enregistre deux grands faits militaires : la bataille d'Arsur et la prise de Joppé, où l'armée chrétienne séjourna longtemps: « l'abondance des vivres, dit

(1) Avant de partir, il fit, suivant l'usage, des libéralités aux églises, aux couvents, et régla le partage de ses biens entre ses enfants. Ces actes de dernières volontés se trouvent rapportés dans l'Alouëte, A. Duchesne, T. Duplessis, etc.

(2) L'Alouëte (Traité des Nobles) et de Lancy (Historia Fusniacensis cœnobii), sont les seuls, à ma connaissance, qui fassent mourir Raoul Ier au siége d'Ascalon; mais ils se trompent évidemment quand ils ajoutent que ce fut au mois de juillet 1191. On verra tout-à-l'heure que les Croisés, à cette époque, étaient encore bien loin d'Ascalon.

» Michaux, les charmes du repos et les beaux jours de l'automne firent >> oublier aux Croisés la conquête de Jérusalem. A la fin de septembre, l'armée se mit de nouveau en marche et ce n'est que vers la fête de tous les Saints qu'elle arriva aux approches d'Ascalon (Histoire des Croisades, suite du livre viii).

Telles sont les données sur lesquelles j'ai cru pouvoir fonder mes conjectures, à savoir que la mort de Raoul aurait eu lieu à la fin de 1191 et la translation de ses restes dans nos contrées vers le milieu de l'année suivante, soit au mois de juillet, comme semble le permettre d'ailleurs la terminaison io (julio) qui reste lisible après le mot mense. Je n'ai pas perdu de vue dans mes supputations qu'il fallait alors six à sept mois pour accomplir un voyage qui, de notre temps, demande à peine une quinzaine de jours (1).

Il me reste à déterminer quel a été le lieu consacré à la sépulture de Raoul. A cet égard, tous les auteurs qui ont écrit sur la maison de Coucy sont d'accord: L'Alouëte, A. Duchesne, de Lancy, T. Duplessis, de Laborde, de Belloy, Dom Lelong, Am. Piette, Melleville, de L'Epinois, Moreau, etc, annoncent que ce personnage a été enterré dans l'abbaye de Foigny. Pourtant T. Duplessis, qui craint toujours de s'égarer, ne mentionne la tradition qu'en faisant des réserves. Ses remarques intéressent de trop près le sujet qui nous occupe pour n'être pas reproduites ici textuellement «Raoul Ier mourut, dit-on, en 1191, au siége de la ville d'Acre » et son corps fut rapporté en France dans l'abbaye de Foigny, où il est » enterré. C'est une chose surprenante qu'on ne trouve rien de cette mort » dans les auteurs qui ont écrit l'histoire des Croisades. Je n'ose cependant » me vanter de les avoir tous lus (2) car il échappe toujours quelque chose. » Mais dans un fait de cette nature, ceux qui nous ont donné l'histoire de

(1) On lit dans l'Art de vérifier les dates: « Philippe-Auguste s'embarqua à Pto» lémaïs le dernier jour de juillet (1191), pour revenir en France, où il arriva vers la » fète de Noël qu'il célébra à Fontainebleau. » Si ce prince, avec des moyens de locomotion exceptionnels, a mis près de cinq mois pour faire ce trajet, on peut bien, sans exagérer, compter un mois ou deux en plus pour un transport opéré dans des conditions ordinaires, du rivage de la Judée au fond de la Thiérache.

(2) « J'en ai lu moins que lui, » observe, à cette occasion, de Belloy, «mais j'ai vu, > dans la Chronique d'Albéric des Trois-Fontaines, Raoul de Marle au nombre des

» la maison ou des seigneurs de Coucy devoient bien citer leurs garants; » et ils n'ont rien cité. En sorte qu'on se trouve réduit à douter de ce » qu'ils avancent sur leur seul témoignage. J'ai cru d'abord qu'au défaut >> des anciennes histoires, on pourroit trouver quelque épitaphe, ou quel>> que autre monument authentique qui fit mention de cette mort glorieuse. » J'ai donc été consulter l'histoire de l'abbaye de Foigny, où l'on dit que » Raoul Ier est enterré, mais l'auteur de cette histoire (D. de Lancy) se >> contente de nous apprendre que le corps de Raoul Ier repose dans le >> cloître auprès de la sacristie sous une arcade de pierre; et qu'au défaut » d'inscription sur sa tombe, on n'y voit qu'une croix gravée. Mais cette >> croix suffit-elle pour indiquer un seigneur de Coucy, et Raoul Ier plutôt >> que tout autre ? Pour moi je serais fort tenté de croire que ce tombeau, » qu'on prétend être de Raoul Ier, n'est que celui d'un des abbez de Foi» gny. Raoul Ier sera cependant, si l'on veut, enterré dans cette abbaye. » Je ne m'y oppose point; mais je n'en vois pas de preuves. » (Histoire de la ville et des seigneurs de Coucy, note LIII.)

Voici maintenant, pour l'intelligence de la question, le texte même du passage auquel Duplessis fait allusion; il est tiré du chapitre XI, intitulé: De mausoleis quorumdam benefactorum et aliorum in Fusniaco existentibus.... « Radulphus primus dominus de Coucy, Marle, Vervin, Crécy, » Pinon, etc., hic cum magno comitatu in Asiam minorem profectus, Phi» lippumque Augustum secutus, qui exercitum validum duxerat contra » Saracenos, tandem occubuit in transmarinis partibus, in obsidione urbis. >> Ascalon, anno millesimo centesimo et nonagesimo primo, in julio: cujus » corpus in Europam delatum, in Fusniaco honorifico donatur sepulchro. » jacet in superiori tumulo claustri sub arcu lapideo prope sacristiam, >> sine ulla inscriptione, sed in sculptâ cruce. » (Historia Fusniacensis cœnobii. Lauduni, 1671.)

Il n'échappera à personne qu'il existe une analogie frappante entre ce texte et celui de l'épitaphe de Raoul; à ce point que l'on pourrait regarder

> seigneurs français tués devant Acre. Ainsi, voilà une autorité certaine, et conforme » d'ailleurs à la tradition conservée dans l'abbaye de Foigny, où son corps fut >> rapporté de Syrie. » (Mémoire historique sur la maison de Coucy, 1re partie). De Belloy, il faut en convenir, fait preuve d'une grande hardiesse quand il invoque, à l'appui de sa citation, une tradition qui n'a jamais existé à l'abbaye de Foigny.

le premier comme une paraphrase du second, si de Lancy avait eu connaissance de l'épitaphe. A défaut, ne faut-il pas induire de cette similitude que les deux textes ont été puisés à une source commune, qui n'est autre sans doute que le nécrologue de l'abbaye de Foigny (1).

Quoi qu'il en soit, il ressort de ce qui précède qu'au moment où de Lancy écrivait (1671), le tombeau de Raoul était dépourvu d'inscription et n'avoit d'autre marque distinctive qu'une croix gravée. Est-ce avant où après cette constatation qu'a eu lieu la pose de l'épitaphe, qui vient d'être si inopinément, si heureusement retrouvée, et qui sans nul doute, à un moment donné, s'est trouvée dressée dans une arcade du cloître, audessus du mausolée ? à quelle époque et dans quelles circonstances en a-t-elle été enlevée ? Questions difficiles auxquelles on ne peut toucher qu'en se gardant de conclusions absolues.

Pour ce qui est de l'âge du monument, j'avouerai qu'à première vue j'avais cru reconnaitre dans la physionomie générale de l'inscription les caractères de l'alphabet du XIIe siècle, qui se rapproche beaucoup plus, on le sait, de la majuscule romaine, ou de la majuscule actuelle, que les alphabets de la période écoulée entre le XIe siècle et le xvre. Mais en pénétrant dans le détail, j'ai rencontré des dissemblances dont il importe de tenir compte je citerai par exemple les J, les L et les P dont les hastes ou membres verticaux dépassent le niveau des autres lettres, les U en place de V et les points sur les I; singularités qui pourtant ne constituent peutêtre qu'un type spécial à la contrée, ou qu'une fantaisie individuelle. Mais ce qui s'oppose à l'attribution que j'avais un instant supposée, ce sont les attributs funèbres dont les motifs paraissent appartenir aux siècles derniers, c'est surtout la forme de l'écusson, gravé au-dessus de l'épitaphe; il y a là un véritable anachronisme. M. Viollet-le-Duc nous apprend que non-seulement au XIIe siècle mais même « vers le milieu du xır il n'était pas habi

(1) A cette occasion, on doit s'étonner que Duplessis, d'ordinaire si soigneux de remonter aux sources, n'ait pas eu la précaution d'aller consulter ce nécrologue, avant de réfuter le témoignage de dom de Lancy, qui était prieur de Foigny et conséquemment en position d'être bien informé. Le savant Bénédictin devait savoir que, dans les églises monastiques, on rencontrait fréquemment des pierres funéraires qui ne présentaient autre chose qu'une date ou qu'un repère quelconque. C'était aux nécrologues qu'il fallait recourir pour retrouver les noms des personnages. (Voyez Inscriptions de la France du ve siècle au XVIIIe, recueillies et publiées par Guilhermy).

>>tuel de peindre les armoiries sur les écus..... Les manuscrits ne commen» cent guère à montrer, dans leurs miniatures, des écus armoyés régulière»ment que vers la deuxième moitié du XIIIe siècle..... Les écus de la fin » du XIIIe siècle sont presque aussi larges que hauts, c'est-à-dire qu'ils » circonscrivent un triangle équilatéral, ou peu s'en faut, et n'avaient guère >> plus de soixante centimètres de largeur sur soixante centimètres, ou un » peu plus de longueur.» (Dictionnaire raisonné du Mobilier français, au mot Ecu.) Les écus ont beaucoup varié dans leur configuration jusqu'à la fin du xvre siècle, époque où ils ont été ramenés à la forme qu'affecte l'écusson de l'épitaphe de Raoul et que nous retrouvons sans aucun changement dans l'écusson moderne: carré long, effilé en pointe et dont les angles. inférieurs sont légèrement arrondis.

Si donc l'écusson qui figure sur la pierre funéraire d'Origny n'a rien de commun avec les premières formes des écus armoyés, et si, d'un autre côté, certaines lettres et certains attributs n'ont pas leurs similaires sur les inscriptions anciennes, on est amené à conjecturer que ce petit monument doit son origine à une époque relativement assez rapprochée de nous et postérieure, dans tous les cas, à la deuxième moitié du xvie siècle. Il ne serait pas impossible qu'il eût eu pour auteur le vénérable Thomas Huot, qui fut prieur de Foigny de 1722 à 1742, et qui, durant ces 20 années, se consacra à la reconstruction du monastère presque tout entier et à son embellissement ....hac in ædificandâ et ornandâ pene totâ totus ipse ficit. Ainsi s'exprime son épitaphe, l'un des rares débris provenant de cette maison que le temps et la main de l'homme aient épargnés (1). L'estampage que j'en ai tiré et que je me fais un plaisir d'offrir à la Société permet de saisir les points de ressemblance qui existent, quant à la forme générale des caractères et à quelques-unes des particularités signalées, avec l'épitaphe de Raoul Ier, et de rechercher si ce dernier monument n'appartiendrait pas réellement à la même époque.

Mais qu'importe son âge ? Qu'il soit ou non contemporain de l'inhumation de Raoul Ier, son authenticité n'en est pas moins certaine, et le seul fait de sa découverte à une aussi courte distance de Foigny confirme pleinement la tradition qui place dans cette abbaye la tombe du sire de Coucy; car de pareilles épaves ne sont jamais jetées sur des terres lointaines.

(1) Voyez Hist. de l'abbaye de Foigny, par Amédée Piette. pages 186 et 225.

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