Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

plus franc, la nature la plus épanouie. Il est tout en dehors, il montre tout ce qu'il pense, tout ce qu'il sent, tout ce qu'il fait, excepté ses bonnes et généreuses actions. A quelle école appartient-il? je n'en sais rien, ni lui non plus. Il danserait sur les théories d'Aristote, s'il savait où elles sont. Aucune prétention, aucune vanité, aucune préface; il n'écrira jamais comme nos poetes gourmés: « L'auteur de cette pièce a l'intention de rebâtir le monde. » Il est de ceux que le talent habite depuis la cave jusqu'au grenier et qui ne connaissent pas même leur locataire. Les idées lui viennent par poignées; il écrit des pièces, il rit en travaillant, et son honnête gaieté se répand dans la foule comme une traînée de poudre. >>

Mes lecteurs connaissent M. Jules Noriac comme un des maîtres de la fantaisie littéraire. Peu d'écrivains traitent de nos jours ce genre délicat et fin, d'une main plus légère et avec un sens philosophique plus sûr, habilement déguisé sous des apparences frivoles. Son dernier volume, le Journal d'un fláneur, n'est qu'un recueil de traits, de saillies, de boutades, qui, sans avoir l'unité d'une œuvre, comme le Cent unième ou la Bêtise humaine, révèlent un fond constant de malice spirituelle et d'imperturbable bon sens.

On ne décrit pas les qualités de cet ordre : c'est par des échantillons qu'on peut le mieux faire juger.

Œuvres d'art ou de littérature, questions morales, faits de l'histoire contemporaine, chaque chose, notée en passant, est l'objet d'un piquant et rapide souvenir.

Voyez l'un des effets des sévérités de la critique contre un poëte de théâtre :

< Ce soir, dit le flâneur dans son Journal, je n'ai pas été voir l'Ami des femmes.

(..... C'est que je suis peu disposé à dépenser six francs pour aller voir cette comédie.

« Presque tous les critiques du lundi, gens érudits et spirituels, ont dit que cette œuvre était médiocre, quelques-uns ont dit pitoyable.

« Si, par aventure, j'allais trouver cette comédie ravissante !

« Alors, je serais un imbécile !

« Jusqu'à ce jour je me suis plu à me trouver intelligent. « Six francs pour perdre une illusion, en location, c'est un peu cher. »

Le fameux procès de Maurice Roux a son écho dans le Journal d'un flâneur, de la façon suivante :

« Il ne serait ni décent ni convenable de disserter sur un homme qui sera demain innocent ou coupable, mais qui, dans tous les cas, est bien malheureux.

« Pourtant il est une épreuve qui pourrait avoir une grande influence sur l'esprit du jury.

Je voudrais qu'on fît venir à la barre tous les domestiques de France et de Navarre, et que M. le président leur posât séparément cette question:

Témoin La Fleur, si, assuré de l'impunité, vous pouviez attacher votre maître dans la cave et lui flanquer une roulée, le feriez-vous?

Naturellement, répondrait La Fleur. »

M. J. Noriac touche quelquefois à la personne sacrée des journalistes; mais son aiguillon n'est pas venimeux, il pique; il ne déchire pas. Le fameux Petit Journal est atteint de quelques railleries, crimes impardonnables de lèse-majesté. Son frère, le Journal illustré reçoit aussi quelques égratignures.

Voici, sous forme d'anecdote, une satire charmante de certains procédés d'illustration.

« Il y a deux ou trois mois, il arriva un accident sur le chemin de fer de Saint-Germain. Le train dérailla sur le pont, et plusieurs wagons furent précipités sur le talus.

Un artiste habile fit un dessin fidèle du sinistre et le porta au directeur d'un journal.

« Je ne publierai pas cela, dit le directeur.

[ocr errors][merged small]

Vous ne le trouvez pas bien?

Au contraire, c'est parfait.

Mais alors....

Nous sommes bien avec la compagnie.

Je ne puis entrer dans ces détails; je ne travaillerai plus pour votre journal. »

Le directeur, ne voulant pas perdre un bon collaborateur, se ravisa.

<< Laissez-moi cela, dit-il, j'en tirerai parti un jour ou l'autre. »

En effet, quelques mois après, un accident pareil arrive en Angleterre. Un train déraille sur un pont du Yorkshire ou du Devonshire; il y a soixante-trois personnes de tuées : le directeur se frotta les mains.

« Vous mettrez en tête du numéro, dit-il à son secrétaire, le bois de l'accident d'Asnières.

— C'est impossible, s'écria celui-ci, il y a des indications. Quelles indications?

- Voyez les enseignes: Laroche, restaurateur.

Eh bien?

Cassegrain, restaurateur.

Après?

- Puis cette affiche du docteur Charles Albert, »

Le directeur sourit et envoie le bois chez le retoucheur; deux jours après, il paraissait ainsi modifié :

Accident du pont de Crawford (Angleterre).
Et sur les nouvelles enseignes on lisait :

Laroch's Tavern, Kasse-Grenn hotel; et dans le lointain : Prince Albert. »

Ni le bon sens ni la malice n'excluent le sentiment. M. Jules Noriac a des choses très-vraies, mais très-tristes sur le spectacle de la mort dans les grandes villes. Ici le flâneur s'arrête peut-être un peu trop sur un sujet trop navrant pour être frivole. On se rappelle involontairement l'auteur de la Mort de la Mort. Mais, quoique je n'aime pas voir trancher les questions philosophiques et religieuses par le sentiment, je ne puis qu'être charmé du trait suivant. On rit des naïvetés de l'esprit; les naïvetés, du cœur vous émeuvent.

« Les gens bien nés font maigre.

— Où dînez-vous? demandait-on à M. W....., gentilhomme écossais.

Au restaurant tous mes parents sont morts, je suis seul

au monde.

-Faites-vous maigre?

-

Oui, ça m'ennuie; mais il me semble que si je mangeais de la viande, ma famille ne serait pas contente. »

Ce n'est plus aujourd'hui que M. J. Noriac aurait le droit d'intituler un de ses livres Journal d'un flaneur. Si la fantaisie, la causerie, la littérature légère, peuvent faire partie quelquefois du far niente, c'est à la condition que nous en prendrons à notre aise, à nos heures et à petites doses. Or notre flâneur s'est imposé, cette année, la plus lourde tâche qui se puisse imaginer dans les travaux forcés du journalisme, celle d'improviser chaque jour une causerie, une fantaisie, un article de littérature légère. Ce tour de force continu que M. Léo Lespès accomplissait depuis environ deux ans dans le Petit Journal, sous le fameux pseudonyme de Timothée Trimm, M. J. Noriac n'a pas craint de l'exécuter à visage découvert, sans le prestige d'aucun pseudonyme, dans les Nouvelles, l'une des concurrences les plus dignes de succès que le Petit Journal ait suscitées. Il s'est condamné à avoir chaque jour, dans trois ou quatre colonnes, de l'esprit, de l'humeur, de la sensibilité ou du bon sens, à saluer au passage d'un mot heureux ou d'une réflexion juste tous les événements qui ne sont pas du ressort de la politique, à dire leur fait aux hommes du jour, à soutenir celui-ci, à veiller doucement celui-là, à redresser des torts, sans don-quichotisme, à faire de la camaraderie honnête, à entr'ouvrir la main d'où quelques bonnes vérités demandent à sortir le tout sans jamais prêcher, sans ennuyer jamais, en évitant à la fois les contrastes criards de sujets ou de style et la monotonie. La manière dont M. Noriac a porté depuis plusieurs mois ce pesant fardeau, nous montre suffisamment qu'en lui le flâneur était doublé d'un hercule.

Le maître des chroniqueurs, le prédécesseur de M. J. Noriac, M. Léo Lespès, le Timothée Trimm du Petit Journal, a vu cette année sa réputation et le nombre de ses lecteurs prendre de colossales proportions. On tire sa chronique à près de trois cent mille exemplaires; quant à sa gloire, elle est aux nues! Il baptise un champagne, « le meilleur de tous, le Timothée Trimm; quelques modes d'hommes ou de femmes lui empruntent une chatoyante étiquette; et les affiches des conférences littéraires qui font courir tout Paris n'ont pu longtemps se passer de son nom. Il a parlé à la salle Valentino avec autant de succès qu'au Petit Journal. L'assemblée était à coup sûr moins nombreuse, et, il faut le dire, moins sympathique. On se montrait fatigué de cette réputation que M. Léo Lespès doit à son talent aussi bien qu'à la feuille populaire de M. Millaud, et l'on n'a accepté qu'avec des restrictions les éloges donnés publiquement par lui à l'heureuse entreprise dont il est le plus ferme soutien. Mais Timothée Trimm ne manie pas si bien la plume sans savoir aussi manier la parole. Comme au marquis de Boissy, dans le Sénat, comme à M. Glais-Bizoin, au Corps-Législatif, l'interruption n'a fait que donner plus de verve à l'orateur; avec beaucoup de souplesse et un peu d'éloquence, il a mis les rieurs de son côté.

Quant à ses lecteurs, depuis longtemps déjà leur conquête n'est plus à faire. M. Léo Lespès a les succès du livre comme le succès du journal. Il est vrai que ce livre n'est presque toujours que l'écho de cette charmante improvisation au jour le jour, qui a fait le succès du chroniqueur. Les Tableaux vivants et les Matinées de Timothée Trimm', voilà deux titres de volumes qui disent bien, sans que le public puisse s'y tromper, ce qu'on y trouvera en les ouvrant. La chronique ne perd rien à être mise en page: elle gagne au contraire en justesse et en élégance. On peut la

1. Librairie du Petit Journal, in-18.

« VorigeDoorgaan »